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1 octobre 2010 5 01 /10 /octobre /2010 12:41
Jacques Titeca L'ancien et le nouveau cerveau.
Version neurophysiologique du couple ange gardien-démon
Jacques Titeca
LPC n° 11 / 2010

Alors que je viens de fêter les 50 ans de l'obtention de mon diplôme de docteur en médecine, je me remémore le choc que fut, pour le chrétien plutôt intégriste que j'étais alors, la confrontation avec l'enseignement de la science pendant mes études, puis la découverte de la réalité psychologique de l'homme de par mon métier de neuropsychiatre. Le Monde m'est apparu si différent de ce qui m'avait été enseigné dans mes cours de religion et si différent de ce que racontaient les curés dans leurs homélies, qu'il m'est progressivement devenu de plus en plus difficile d'encore réciter le Credo en réfléchissant à ce que je disais. Ce qui m'avait été enseigné reposait sur des textes fondateurs qui ont été pensés par les Pères de l'Eglise dans le cadre statique du monde antique, et ce cadre est aujourd'hui parfaitement désuet. Nous savons, depuis Darwin et surtout depuis les années 1920 (Einstein et l'équivalence énergie-matière, Lemaître et le Big Bang, Niels Bohr et la Physique quantique), que nous sommes, corps et âme, un élément d'un univers dynamique en évolution globale dans lequel tout se tient. L'Evolution implique le changement et, même en matière religieuse, elle expose inexorablement ce que nous a légué le passé à des exfoliations parfois radicales. Il est évident, par exemple, que les connaissances actuelles en géologie et en paléontologie ne laissent plus aucune place, dans notre vision du passé, pour Adam ou pour le paradis terrestre. Il est de même bien difficile aujourd'hui de suivre Pie XII lorsqu'il affirme dans son encyclique Humani generis de 1950 que "le péché originel tire son origine d'un péché vraiment personnel commis par Adam". Il est tout aussi difficile de suivre Paul VI lorsqu'il écrit en 1968 "nous tenons donc (…) que le péché originel est transmis avec la nature humaine, par propagation et non par imitation… ". En fait, c'est à la notion même de péché que l'évolution des sciences psychologiques et neurophysiologiques nous invite à réfléchir sur de nouvelles bases.

La psychologie de l'Homme est tout à fait déroutante ; ce n'est pas une constatation qui date d'hier. Toutes les époques ont eu leur Mozart, leur Albert Schweitzer, mais aussi leur Hitler. Ce qui m'a le plus interpellé, dès le début de ma carrière de neuropsychiatre, c'est de me trouver en face de gens qui étaient tantôt Schweitzer, tantôt Hitler, qui un jour pouvaient s'impliquer dans d'authentiques manifestations de solidarité transcendant tous les clivages humains habituels, et le lendemain céder à de brusques accès de rejet de l'autre et de violence barbare. Y avait-il là une intervention du "Malin"? Etait-ce le résultat d'un combat indécis entre le démon et l'ange gardien ? Ce que nous savons aujourd'hui du fonctionnement de notre cerveau donne à penser que l'instabilité de notre comportement, sa propension aux manifestations extrêmes pourraient provenir d'un accident de l'Evolution. Le développement du cerveau des Primates a en effet été d'une rapidité extraordinaire. On pourrait parler de précipitation. Rien de tel ne s'était jamais produit auparavant dans l'histoire des espèces. Alors qu'il fallait des millions d'années pour modifier ou développer un organe, quelques centaines de milliers d'années ont suffi au cerveau des Primates pour franchir des étapes considérables et, ce qui est aussi un fait sans précédent dans l'histoire de la nature, mettre à disposition un organe dépassant totalement les besoins adaptatifs immédiats de son bénéficiaire.

Comment s'est constitué notre cerveau ?

Les premières structures nerveuses centrales sont apparues chez les animaux primitifs dans le tronc cérébral, autour de la substance blanche, prolongement de la moelle épinière, sous forme de masses cellulaires entourées par une couche neuronale superficielle appelée "cortex". Ces masses cellulaires traitent les informations venues de l'intérieur (essentiellement des viscères) et de l'extérieur (essentiellement via l'odorat et le goût). Le cortex qui les recouvre est l'élément intégrateur des pulsions de la faim, du sexe, de la fuite, de la lutte, qui font l'essentiel de ce que nous pouvons supposer de la psychologie de ces êtres. Il ne peut produire que des réactions stéréotypées de nature réflexe ou instinctive, mais son développement chez les Reptiles et plus encore chez les Mammifères inférieurs produit des comportements de plus en plus "ingénieux".

Avec les Primates apparaît une discontinuité majeure dans le développement du cerveau des Mammifères. Les structures existantes qui viennent d'être décrites cessent d'évoluer tandis qu'apparaît une nouvelle structure corticale d'architecture beaucoup plus élaborée, le "néocortex" dont la croissance explosive va conduire aux volumineux "hémisphères cérébraux" qui nous caractérisent. Ce "nouveau" cerveau a un mode de fonctionnement tout différent de l'ancien. Son image du monde ne s'alimente plus aux sources des viscères, de l'odorat ou du goût, mais à la vue, à l'ouïe et à la sensibilité de la surface du corps. Ses possibilités d'analyse sont incomparablement plus fines ; ses réactions se diversifient grâce à sa capacité d'aborder et de résoudre des problèmes nouveaux par un apprentissage "intelligent" basé sur la pensée conceptuelle et, chez l'Homme, verbale. C'est ce nouveau cerveau qui abstrait, qui conçoit l'éthique, qui se reconnaît des responsabilités, qui se pose des questions sur sa destinée… Quant à l'"ancien" cerveau, bien que relégué dans la cave du nouvel ensemble, il est toujours bien présent tel qu'il était chez les Mammifères inférieurs et il continue à s'acquitter des mêmes fonctions : traiter la faim, la peur, l'instinct sexuel, la nécessité de fuir ou d'agresser…Les observations anatomo-physiologiques le confirment : il fonctionne toujours chez l'Homme comme il fonctionne chez les animaux. C'est d'ailleurs à son archaïque liaison avec les structures très anciennes du tronc cérébral que nous devons que l'angoisse donne des sueurs froides, que la peur "tord les boyaux", que l'on est rouge de colère, que l'étonnement coupe le souffle, qu'un spectacle choquant donne la nausée…

L'Homme a donc, en quelque sorte, deux cerveaux. L'ancien "pense" de manière émotive et intuitive : il sent. Le nouveau pense de façon rationnelle, abstraite : il sait. Malheureusement, la coordination entre ces deux systèmes est fragile, instable et les contrôles qui devraient stabiliser une hiérarchie bien équilibrée entre savoir et sentir sont alors déficients. On peut comparer cette situation (qui est la nôtre) à un couple formé par un cavalier et son cheval : le cavalier, c'est le néocortex ; le cheval, c'est l'ancien cerveau. Chacun a ses sources d'information, sa perception des choses et sa manière de réagir, mais c'est le cavalier qui, en principe, garde le contrôle de la situation. Mais, les concours hippiques en font la démonstration, le cheval peut échapper au contrôle du cavalier et lui imposer des situations inattendues et dommageables. C'est dans des circonstances de ce type que l'ancien cerveau nous entraîne à commettre des actes que non seulement nous regrettons une fois le pouvoir revenu au néocortex, mais dont nous nous demandons même comment nous avons pu les commettre. On entend si souvent dire par le cavalier "ce n'est pas moi qui ai pu faire des choses pareilles" ou "je n'ai pas pu m'en empêcher". C'est, en effet, le cheval qui en a décidé. Ce n'est donc pas seulement une image que de dire qu'il y a une bête qui sommeille au fond de chacun de nous. Et lorsqu'elle se réveille et échappe au contrôle du néocortex, elle induit des comportements… bestiaux.

Ce n'est pas nous qui avons décidé de notre architecture cérébrale, mais je pense que ce n'est ni outrepasser notre rôle de créature ni offenser Dieu que de chercher à y remédier, ce que nous faisons actuellement par la voie pharmacologique. Je pense en effet que le Dieu de Jésus est un Dieu qui, depuis les origines, s'appuie sur ses créatures pour les faire participer à la Création. L'Evolution qui nous a faits, et qui est la face qui nous est accessible de la Création, attend, en ce domaine comme en beaucoup d'autres, notre participation consciente et responsable à la poursuite de l'aventure qui, selon la belle formule de Teilhard de Chardin, mène le Monde des profondeurs de la matière vers les sommets attendus de l'Esprit.

Jacques Titeca

Published by Libre pensée chrétienne - dans Psychologie