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6 février 2016 6 06 /02 /février /2016 19:56
bateau lpc Les noces de Cana, évangile de Jean 2,1-11
Fr. Hubert (Monastère de Wavreumont) hubthomaswav@live.be

On pourrait entendre ce passage d’évangile comme ceci : il y avait des noces à Cana et Jésus y fut invité ainsi que sa mère et ses disciples. Or un événement se produit qui contrarie le déroulement du programme : le vin vient à manquer. Heureusement Jésus est là et sur l’invitation de sa mère, il fait un miracle, il change l’eau en vin en sorte que la fête peut continuer. Et ses disciples crurent en lui.

Or, en relisant l’épisode tel qu’il est écrit par le rédacteur, on s’aperçoit que l’histoire n’est pas racontée tout à fait de cette manière. Il y a des marques déposées dans le texte qui indiquent une certaine orientation. Ce sont ces marques qu’il s’agit de repérer pour entrer dans la compréhension du texte.

Notons d’abord que tout commence par un manque, le manque de vin : « ils n’ont plus de vin ». Le manque est toujours contrariant, il fait entrer de l’autre dans une vie. Il entame notre identité, l’harmonie, l’unanimité d’un groupe. Assez souvent, quand un manque se produit, soit on se referme et se renferme, soit on s’ouvre à de la surprise, de l’inattendu, on essaie de rebondir, comme on dit. Dans la Bible, on voit que le manque est comme une porte par laquelle Dieu entre dans la maison. Que va-t-il se passer ?

On peut aussi noter ceci : le personnage de Jésus n’est pas au centre du récit. Si l’intention du rédacteur avait été de mettre en lumière Jésus comme faiseur de miracle, il aurait fallu le mettre bien au centre du récit, notamment indiquer ses gestes et ses paroles pour changer l’eau en vin. Or ce n’est pas le cas. Jésus doit se faire prier en quelque sorte par sa mère pour intervenir et il semble plutôt réticent : pourquoi l’appelle-t-il « femme » ? Pourquoi dit-il que son heure n’est pas encore venue ? Et pourquoi la caméra n’est-elle pas braquée sur lui une fois l’eau changée en vin. D’où vient ce vin ? Il y a les serviteurs qui savent, il y a le maître du banquet qui ne sait pas. Jésus, se tient en retrait, dans l’effacement. A la frontière, toujours poreuse, toujours ténue entre l’extraordinaire et l’ordinaire de la vie : une noce par exemple.

Par ailleurs, on peut se demander pourquoi le rédacteur tient à préciser qu’il y avait là des jarres destinées à la purification des juifs ? Si l’important était l’eau changée en vin, ce détail est plutôt superflu. Par-là, il attire sans doute notre attention sur quelque chose qui se produit avec Jésus. La purification aurait-elle à changer de sens ? Peut-être veut-il dire que le vin nouveau fait craquer les outres et qu’à vin nouveau, outres neuves ? « Heureux les cœurs purs », paraît désormais ce qui importe.

Il convient aussi de remarquer ce que nous dit le rédacteur en finale : « Jésus fit ce commencement des signes à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui ». C’est comme cela que ça a commencé, nous dit-il, et il y aura d’autres signes donnés sur le chemin. L’évangéliste Jean en rapporte 7 au long de son écrit : de Cana jusqu’à Lazare en passant par le signe du Temple et celui des pains. La foi des disciples peut commencer si elle accepte d’être menée plus loin, jusqu’au bout. Des signes sont donnés non comme des évidences, des preuves mais comme des signes justement, à déchiffrer et interpréter.

Le lecteur ou l’auditeur de cet évangile peut souhaiter que l’eau se change en vin, au moins de temps en temps mais il est peu probable que cela lui arrive. Alors s’agirait-il d’un effort à faire pour croire en un miracle fait par Jésus en ce temps-là ? Ou bien s’agirait-il d’un chemin à la suite de Jésus ? Une question à laquelle cet épisode évangélique peut nous renvoyer est peut-être celle-ci : vous qui entendez ce récit, qu’allez-vous faire avec ce signe ? Demander toujours plus de signes, des preuves pour avancer ? Ou bien se questionner : d’où cela vient-il ? Sans oublier ces mots de Marie qui sont les seules paroles de tout le récit : « quoiqu’il vous dise, faites ! »

On pourrait aussi entendre l’évangile de ce dimanche comme une parabole. Voici, je résume très fort : il y a des noces à Cana, parabole universelle de l’amour humain, de l’amour d’une femme et d’un homme. L’amour, c’est le vin de l’existence, comme l’indique le livre biblique du Cantique des cantiques. Mais voilà, il y a toujours un manque, en toute condition humaine, une part manquante : « ils n’ont pas de vin ou ils n’ont plus de vin » … Soit l’amour n’est pas là, absent, soit il est toujours insuffisant, fragile, vulnérable, blessé, déchiré, cabossé et il l’est sans doute toujours plus ou moins… Or dans notre évangile, le manque est précisément ce qui va relancer l’histoire, il crée du vide, du jeu, il suspend, il laisse à désirer. Alors que va-t-il se passer ? La Bible ne dit pas que Dieu comble le manque et s’il le comble, ce ne sera d’ailleurs pas définitif, le manque reviendra encore. Mais en parlant de la relation entre Dieu et l’humain, elle dit que Dieu est l’infini des possibles, elle dit que dans la vie, de l’inattendu, de la surprise sont toujours possibles, que tout n’est pas fermé, coincé : alors ne te réduis pas à ce que tu es, à ton petit territoire, ton ego, n’oublie pas qu’au-delà de toi, il y a l’Etre, Dieu. Installe des panneaux solaires pour capter la lumière et l’énergie divines. Au-delà de ce que tu es, il y a la lumière de l’Etre, de Dieu, il y a du possible, des possibilités à chercher, à découvrir, à inventer, à imaginer, à travailler.

Hub Thomas Fr. Hubert (Monastère de Wavreumont)

Published by Libre pensée chrétienne - dans Commentaires d'évangiles