Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 juillet 2016 6 16 /07 /juillet /2016 16:56
ABBA Père
Edouard Mairlot

1. L’épitre aux Galates ...il y a 50 ans

Le Concile Vatican II venait de se terminer. Un premier pas avait été franchi : on quitte le latin. C’est un temps de créativité liturgique et de chants religieux nouveaux. Un régal !... Il était clair cependant pour l’auteur de ce texte que ce changement amorcé dans l’Eglise ne pouvait que s’étendre et se radicaliser. Cet esprit de changement devait rapidement toucher tous les secteurs de la vie de l’Eglise. L’Eglise lui paraissait figée, bloquée, dans des rites, des dogmes, des structures dépassées.

De formation scientifique, il avait perçu quelques années auparavant qu’un « nouveau langage » était nécessaire pour exprimer sa foi chrétienne de façon crédible dans cette nouvelle culture qui était en train de se développer. Mais il ne savait alors rien de ce que cette exigence qu’il pressentait pouvait bien signifier.

Il terminait alors quatre années de théologie. Il en avait attendu beaucoup. Mais affronté à la théologie enseignée à l’époque – celle de « toujours » - il n’y avait rien trouvé pour avancer. L’enseignement reçu alors en exégèse était, disons, embryonnaire. Mais depuis peu la lecture de la bible nourrissait nombre de groupes et de chrétiens en recherche. Aussi comprit-il qu’il ne perdrait pas son temps s’il lisait attentivement l’Ecriture. C’était en même temps une façon de remonter aux origines pour pouvoir repartir ensuite autrement. Il y fit bien des découvertes. Mais l’une d’elles allait être déterminante et lui donner enfin une nouvelle compréhension qui deviendra vite une fondation renouvelée à « la foi de sa jeunesse ». Ce fut la Lettre de Paul aux Galates. Donnons-en ici une vue d’ensemble qui permette de mieux la comprendre, d’en saisir les enjeux et d’en dégager l’essentiel.

1.1 Cette Lettre paraissait bien compliquée par moments, en particulier quand elle semble se perdre pour nous dans les méandres d’une discussion rabbinique qui nous échappe largement. Son enjeu était cependant très concret: un païen qui découvre le Christ ne doit-il pas d’abord se convertir au judaïsme et faire sienne la loi juive dans tous ses détails ? Il devrait donc se faire circoncire. Celle-ci se faisait normalement dès la naissance. Mais ce n’est pas rien pour un adulte. Les conclusions de la Lettre seront cependant aussi claires que radicales : vous, mes frères c’est à la liberté que vous avez été appelés... Un seul commandement contient toute la loi en sa plénitude : tu aimeras tout prochain comme toi-même. (Gal 5.13-14) Elle raconte quel fut l’itinéraire – et les combats - de Paul. Comment en est-il arrivé là ?

Vous avez entendu... avec quelle frénésie je persécutais l’Eglise de Dieu et je cherchais à la détruire ; je faisais des progrès dans le judaïsme... par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. (Gal 1.13-14) Mais je reçus une « révélation de Jésus-Christ. » (1.11) ... quand Celui, qui dès le sein materne (1) m’a mis à part, daigna révéler en moi son Fils. (1.15-16) Et aussitôt, je partis annoncer ma foi nouvelle en Arabie, puis je revins à Damas. Après 3 ans, je montai à Jérusalem et je demeurai quinze jours auprès de Céphas... mais j’étais personnellement inconnu des Eglises de Judée. (1.22-23)

Ensuite, au bout de quatorze ans, je suis monté de nouveau à Jérusalem... Or, j’y montai à la suite d’une révélation et je leur exposai l’Evangile que je prêche parmi les païens ; je l’exposai aussi dans un entretien en particulier avec les personnes les plus considérées, de peur de courir ou d’avoir couru pour rien. (2.1-2)

Paul a donc reçu une révélation de Jésus Christ (1.11). Il a le souci primordial d’être en accord avec Pierre qu’il a déjà rencontré ; mais une autre révélation (2.1) le pousse à bien vérifier s’il est oui ou non en communion avec ceux de Jérusalem. Cette unité dans la foi commune en Jésus est vitale à ses yeux. Et la question essentielle paraissait toute simple : fallait-il circoncire les païens convertis au Christ ; ainsi Tite, un de ses compa - gnons de voyage, un Grec ? (2.3) Des juifs convertis venant de Jérusalem venant à Antioche, une ville païenne, déclaraient que si. On se réunit donc, et ce fut ce que l’on appellera plus tard le premier concile de l’Eglise naissante à Jérusalem. (Ac 15) La réponse fut négative. Les notables n’ont rien ajouté à mon Evangile. Jacques, Céphas et autres colonnes de la communauté... nous tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion. A nous d’aller aux païens, eux à la Circoncision. (2.9)

Cependant Céphas vint peu après à Antioche ; il prenait ses repas avec les païens convertis. Mais vinrent des juifs convertis, de l’entourage de Jacques à Jérusalem, et il n’osa plus le faire devant eux. Et d’autres firent de même. Paul dit alors à Pierre devant tout le monde : ton attitude n’est pas cohérente. Toi, juif converti tu vivais à l’aise avec des païens, convertis tout comme toi ; et voilà que tu as peur d’autres juifs qui veulent imposer les usages juifs à ces mêmes convertis. Ce n’est pas ce qui fut décidé à Jérusalem. (2.11-14)

1.2 Pour Paul, l’enjeu était de taille : ou c’est la pratique de la loi qui compte - qui sauve - ou c’est la foi au Christ. Or, écrit-il, je vis désormais selon le don de Dieu ... dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est livré pour moi. C’est désormais le Christ qui vit en moi... Je suis crucifié avec le Christ... Si la loi pouvait nous sauver, alors que nous sommes tous pécheurs, cela signifierait que le Christ est mort pour rien. (2.15-21)

Vous m’avez accueilli, rappelle-t-il aux Galates, sans mépris, ni dégoût, alors que j’étais malade. (4.12-14) Je vous ai alors dépeint les traits de Jésus Christ en croix. Vous avez alors cru à la prédication que je vous faisais. Et, de Dieu, vous avez alors reçu l’Esprit qui a fait des miracles parmi vous. Votre vie en a été transformée. (3.1-4). Vous ne saviez comment me remercier. (4.15). Or tout ce vécu n’a rien à voir avec la loi. Comment pourriez-vous l’oublier. (3.5 & 4.16)

Jusqu’ici Paul n’a fait que rappeler des faits : ce que fut son expérience personnelle ; puis ce que vécurent avec lui les membres de la communauté des Galates. De plus, réunis à Jérusalem, on était bien d’accord : tous reconnurent que le message d’amour de Jésus crucifié s’adressait indistinctement à tous, qu’ils soient juifs ou païens (2). N’en déplaise à certains juifs de l’entourage de Jacques, le frère de Jésus, à Jérusalem, il n’est donc pas nécessaire de se plier à la loi juive, ni à la circoncision qu’elle impose.

1.3 Paul va maintenant argumenter avec eux. Le fil de cette discussion entre experts du premier Testament, ramenée à son essentiel, est finalement assez simple. Peut-elle, telle quelle, pleinement nous convaincre alors que tout ce passé juif nous concerne assez peu, pensons-nous, et surtout que nous ne le connaissons quasi pas? Pour Paul, elle est une étape de son raisonnement qu’il va prolonger et dépasser ... en nous renvoyant à son propre vécu qui est aussi notre vécu intime.

Tout repose sur le fait qu’Abraham crut en Dieu (3). Et en conséquence, Celui-ci lui fit la promesse suivante: « en toi seront bénies toutes les nations. » (Gn 12.3) Si bien que ceux qui se réclament de la foi sont bénis avec Abraham (3.6-8). Or la loi, sur laquelle s’appuient ses opposants, n’est apparue qu’après quatre cent trente ans. (3.17) Celle-ci ne peut donc se substituer, voire s’opposer (3.21) à cette promesse.

De plus, la loi est incapable de communiquer la vie. (3.21) Elle ne fait que nous rendre conscients de nos transgressions de celle-ci (3.19) et elle devient alors source de malédiction. (3.10) Tous, elle nous a enfermé sous le péché afin que la promesse, par la foi en Jésus Christ, appartienne à ceux qui croient. (3.22)

Cette loi, sous la garde de laquelle nous étions enfermés, eut cependant un rôle positif. Ainsi nous servit-elle de pédagogue jusqu’au Christ. C’est alors que : par la foi au Christ Jésus, nous avons découvert : que nous étions tous fils de Dieu. (3.23-27) C’est ainsi que le temps de la loi est désormais terminé. Mais alors : il n’y a plus ni juif, ni grec. Et de même n’y a-t-il plus ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme... vous êtes tous de la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse (4). (3.28-29)

1.4 Telle est donc ma pensée, poursuit Paul immédiatement : aussi longtemps que l’héritier est un enfant, il ne diffère en rien d’un esclave, lui qui est maître de tout. Comme cela se faisait dans le monde romain, il est soumis à des tuteurs et à des régisseurs jusqu’à la date fixée par son père. (4.1-2) Lorsque l’enfant est sorti de l’enfance, celui-ci prendra alors sa formation en mains et il lui apprendra à se comporter pour qui il est réellement : le fils, le successeur, l’héritier (5). Et nous, de même, quand nous étions soumis aux éléments du monde, nous étions esclaves. Mais quand est venu l’accomplissement du temps, Dieu a envoyé son fils... pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu’il nous soit donné d’être fils adoptifs (6). (4.3-5) Et la preuve que vous êtes des fils (7), c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’esprit de son fils qui crie : Abba-Père.

Telle est donc l’expérience fondatrice qu’a faite Paul, une révélation, une expérience toute intérieure. (1.12) Il en parle en grec comme d’une : apokalupsis. Et il va utiliser le même mot pour nous expliquer ce qui l’a décidé pour monter à Jérusalem (2.2). Ici, Paul a pu percevoir que Jésus vivait sa relation au mystère de Dieu d’une manière toute autre que la sienne qui était cependant un vrai juif. Et il a accepté d’y risquer sa vie, au point d’accepter d’en mourir par fidélité intérieure. Paul, alors qu’il persécute ceux qui le suivent, va « comprendre » que ces derniers ont raison. Il va devenir l’un d’eux. Et ce Jésus, cet homme Jésus, deviendra tout pour lui. Devenus à notre tour, disciples de Jésus de Nazareth, nous reconnaissons qu’en nous aussi une voix crie Abba. Nous la découvrons quand nous nous approchons dans le silence du mystère de Dieu en nous et que nous nous abandonnons à lui dans la confiance.

Il faudra cependant revenir ultérieurement sur ce mot : sa richesse, mais aussi ses ambiguïtés possibles, et même ses limites bien réelles. Après Bonhoeffer évoquant la fin « du dieu bouche-trou de nos ignorances » ; et tant d’autres, dont R. Lenaers qui nous montre que la dualité terre/ciel ne tient plus quand on parle du divin. Bref, ce mot est-il encore adéquat dans notre langage d’aujourd’hui ?

1.5 Le chapitre quatre, ne nous apprend rien de neuf qui soit bien éclairant. La suite, par contre, tire les conséquences de cette expérience de l’Abba que nous reconnaissons présent en nous. A ce moment, aucune ambigüité ne sera plus possible, comme nous allons le voir.

C’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés. Donc tenez bon et ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage. (5.1) écrit Paul. L’observance de la loi ne sert de rien. Mais si vous voulez quand même vous y fier, vous en devenez l’esclave et vous rompez alors avec le Christ.

Il va reprendre et préciser : Vous, frères, c’est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair ! Mais, par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres. Car la loi toute entière trouve son accomplissement en cette unique parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même. (5.13-15)

Tout est dit et, cette fois, sans plus aucune ambiguïté possible. L’expérience intime que nous sommes appelés à vivre, chacune et chacun, montre son authenticité dans ses conséquences et les fruits qu’elle fait murir. Nous conduit-elle à cette liberté et cet amour fraternel ? Cet amour pour tout un chacun, juif ou grec... ou étranger quel qu’il soit... homme ou femme ? (3.28) Pensons évidemment aussi à la relation de couple.

Quel que soit le nom que l’on puisse aujourd’hui attribuer à Dieu ; et il arrive de plus en plus souvent que l’on ne lui en reconnaisse aucun qui serait suffisamment authentique pour que l’on puisse le faire nôtre ; ou encore que l’on se déclare « agnostique » ; si nous ne sommes à l’aise dans aucune religion... l’essentiel n’est pas là. Quel est notre comportement dans la vie ? Savons-nous aimer ? Est-ce bien la seule loi qui nous guide dans le quotidien ?

1.6 Tout est dit et bien dit, semble-t-il. Mais voici que Paul se fait bien réaliste sur notre réalité humaine. Ecoutez-moi : marchez sous l’impulsion de l’esprit et vous n’accomplirez plus ce que la chair désire. ... Entre eux c’est l’antagonisme ; aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez. Mais si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes plus soumis à la loi. (5.16.18)

La suite est toute simple... à comprendre en tout cas. Un antagonisme entre « la chair » et « l’esprit » ? Paul va reprendre toute une liste des œuvres de la chair :

libertinage, impureté, débauche,
idolâtrie, magie,
haines, discorde, jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions, envie,
beuveries, ripailles
. (5.19-21)

(Nous les avons regroupées par familles ; « la chair » n’est pas que le sexe)

Mais voici le fruit de l’esprit :
amour, joie, paix,
patience, bonté, bienveillance,
foi, douceur, maitrise de soi ;
contre de telles choses, il n’y a pas de loi
. (5.22-23)

Toute cette réalité demande-t-elle plus d’explications ? Cela n’irait-t-il pas de soi en quelque sorte ?

Pour Paul, en tout cas, l’objectif est clair : Il s’agit d’être une créature nouvelle. (6.15) écrit-il de sa main tout en fin de cette lettre.

Edouard Mairlot - 23.05.16

(1) Référence à Jérémie 1.5 (retour)
(2) Dieu ne fait pas acception de personne (2.6)... signifie n’a pas de préférence pour certains. (retour)
(3) Citation de Gen 15.6. (retour)
(4) Ce texte peut nous paraitre bien dépassé en ces temps de mondialisation. La démocratie cependant, qui déclare chacun libre et égal, quelle que soit sa race, est née dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Elle est en crise actuellement et cherche de nouvelles voies pour progresser. L’esclavage a, en principe, été supprimé dans la seconde moitié du XIXème siècle. Il continue cependant plus que jamais sous la forme de l’oppression des pauvres par les riches. Cette toute puissance de l’argent ne respecte rien ni personne, épuise les ressources de la planète, perturbe gravement le climat, réduit la biodiversité... Quant à « l’égalité homme-femme », reconnaissons qu’on n’y est pas encore arrivés... Et, c’est à nous de prendre nos responsabilités et de prendre en mains tous ces problèmes... (retour)
(5) Selon la loi romaine, il sera « adopté ». Le terme s’appliquait tant à celui qui est génétiquement son fils qu’au fils « adopté » si le premier fait défaut. (retour)
(6) Reconnu pour ce qu’il est : un vrai fils. Voir note précédente (retour)
(7) Traduction de la Bible de Jérusalem, préférée ici à celle de la TOB : Fils, vous l’êtes bien (retour)
Published by Libre pensée chrétienne - dans Lecture symbolique biblique