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1 juillet 2013 1 01 /07 /juillet /2013 13:37
Jacques Titeca Faute et responsabilité.
Jacques Titeca
LPC n° 22 / 2013

Le problème de la faute et de la responsabilité de la faute habite le monde chrétien depuis ses origines. Paul en effet, lui qui est le véritable fondateur de la religion chrétienne, a jeté les bases de la doctrine de la faute dans son épître aux Corinthiens : "La mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. De même que tous meurent en Adam, tous revivront dans le Christ". Paul assimile ainsi la mort et la résurrection de Jésus à une sorte d’antidote aux malédictions engendrées par la faute originelle d'Adam, faute dont il est entièrement responsable.

Confirmant Paul, Saint Augustin enseigne qu’un Dieu implacable a exposé l’humanité au malheur en raison du seul péché d’Adam. Ce péché va influencer toute la théologie des églises chrétiennes. En…1546, le Concile de Trente en fera un dogme. Calvin ira jusqu’à écrire qu’il est "sans contredit supérieur à tous les dogmes"… Ce dogme précisera que les nouveau-nés portent en eux ce péché aussi longtemps qu’ils n’ont pas été baptisés…

Beaucoup plus proche de nous, il y a cinquante ans à peine, Paul VI a écrit "nous tenons donc […] que le péché originel est transmis avec la nature humaine, par propagation et non par imitation…". Avant lui, Pie XII, dans son encyclique Humani generis de 1950, avait interdit aux fils de l’Eglise d’admettre le polygénisme au nom "des sources de la vérité révélée et des actes du magistère ecclésiastique qui enseignent que le péché originel tire son origine d’un péché vraiment personnel commis par Adam".

La faute et la responsabilité de la faute constituent donc un élément fondamental de la doctrine chrétienne.

Mais comment voit-on aujourd'hui ce problème de la responsabilité humaine devant la faute ?

On parle de la responsabilité d'un être humain par rapport à un évènement quelconque lorsqu'il en est l'auteur incontestable et que deux conditions sont réunies : il a agi en toute liberté (ce qui implique qu’il aurait pu agir autrement) et il a agi en saine connaissance de cause, c'est-à-dire que son jugement n'a pas été altéré par un désordre mental.

Premier problème : qu'est-ce agir en toute liberté ?

Je ne m'attarderai pas ici sur une question préalable soigneusement éludée par notre science contemporaine : dès lors que celle-ci postule que les processus mentaux sont étroitement liés et même conditionnés par l'activité du cerveau, comment concevoir que le complexe électrochimique que constitue le cerveau puisse par lui-même “décider” de passer d'un état ‘A’ à un état ‘B’ plutôt qu'à un état ‘C’ en fonction par exemple d'impératifs éthiques ? Laissons donc là cette question pourtant fondamentale et admettons sur base de l'intuition directe que nous partageons tous que nous disposons, au moins dans certaines circonstances, de cette faculté souveraine de libre décision.

Cette faculté de décider librement est-elle aussi souveraine qu'il n'y paraît ?

Tous les travaux psychologiques contemporains montrent clairement que notre liberté est étroitement conditionnée par divers facteurs tels l'environnement social ou culturel. Le caractère, le raisonnement, les sentiments ou les conceptions éthiques peuvent être modifiés par des variations même minimes du chimisme environnemental ou cérébral dont nous n'avons même pas conscience de l'existence. Des déterminismes que nous ne fléchissons pas nous pénètrent par tous nos pores et modulent jusqu'aux mécanismes les plus intimes de notre vie mentale.

Dans quelle mesure pouvons-nous maîtriser ces éléments, pour autant que nous ayons conscience de leur influence ? Il n'existe aucun moyen d'opérer de telles mesures.

Deuxième problème : qu'est-ce qu'un psychisme sain permettant un jugement sain ?

Il suffit de se pencher sur les récents procès d'assise pour constater qu'il y a souvent plus que des nuances entre les avis des psychiatres consultés, pour autant même que ces avis ne soient pas franchement contradictoires. C'est que, on l'oublie trop facilement en ces temps profondément imprégnés de culture scientifique basée sur la notion d'objectivité, notre activité psychique est subjective, spécifiquement nôtre, ce qui confère à chacun d'entre nous un caractère unique. Nul autre, fut-il psychiatre, ne peut en partager l'intimité. Notre vie mentale, ce que l'on appelle communément notre esprit, est une réalité qui n'a en tant que telle aucun caractère objectif. Le psychiatre ne peut qu'essayer de l'appréhender au travers de la médiation du langage, au travers d'une interprétation des postures, des mimiques…Il ne peut qu'imaginer le vécu mental de son patient. Autant dire que si l'on veut absolument considérer la psychiatrie comme une science, elle ne répond certainement pas aux critères d'une science exacte.

Certains pourraient croire que l'on peut contourner l'obstacle du caractère subjectif de l'activité mentale en se basant sur sa concomitance avec l'activité cérébrale qui, elle, est objective et se prête parfaitement aux investigations de plus en plus sophistiquées des appareillages modernes.

C'est une illusion. Vous pouvez examiner le cerveau de votre chat sous toutes les coutures les plus sophistiquées des techniques modernes, cela ne vous apprendra rien sur comment votre chat vit sa chatitude. Le vécu intérieur de tout être vivant doué de conscience est impénétrable à tout autre.

Troisième problème, d'une autre nature :

lorsqu'un délit a été commis et que l'on en connaît l'unique auteur incontestable qui paraît avoir agi en toute liberté et en saine connaissance de cause, est-il vraiment pour autant le seul ou même le principal responsable ?

Je revois ici le cas de cet adolescent que j'ai bien connu lorsqu'il fut hospitalisé suite à une sinistre affaire. Il était issu d'un quartier dit difficile gangrené par le trafic de drogue et la prostitution. Son intelligence était plutôt médiocre, comme celle de ses parents séparés et alcooliques. Il ne fréquentait plus l'école et courait les rues. Il ne pouvait être que condamné et il le fut au soulagement de son quartier où il se conduisait comme un petit caïd. Mais, j'en ai pris viscéralement conscience dans des affaires de ce genre, la condamnation de tels délinquants ne masque-t-elle pas à bon compte la responsabilité du corps social tout entier, c'est-à- dire la vôtre comme la mienne ?

La responsabilité peut-elle être vraiment uniquement individuelle ?

Ceci dit, revenons sur terre. La vie en société exige qu'il y ait des lois et que le non-respect de ces lois soit sanctionné par des mesures concrètes même si ces mesures s'appuient, à défaut de mieux, sur des éléments fragiles. En terminant ces lignes, il me revient à l'esprit un des plus beaux tableaux des Evangiles, celui où Jésus se retrouve seul face à la femme prise en flagrant délit d'adultère. "Moi non plus, lui dit-il, je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus."

Seulement voilà : Jésus n'était pas là pour dire la justice des hommes. Il était là pour être la révélation par excellence de Dieu.

Jacques Titeca

Published by Libre pensée chrétienne - dans Psychologie