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1 juillet 2014 2 01 /07 /juillet /2014 17:47
Jacques MussetRéaliser le projet de Dieu ou prendre en main sa vie d'homme ?
Jacques Musset
LPC n° 26 / 2014

Extrait du livre : "Etre chrétien dans la modernité, se réapproprier l’héritage pour qu’il soit crédible" (1)

Le projet de Dieu, un thème encore actuel

Dieu a-t-il un dessein, un projet et même plus précisément un plan sur le monde et sur chacun des humains ? On me l'a enseigné et on l'enseigne toujours.

Concernant le monde, Dieu, nous dit-on, souhaite la justice, la paix, l'amour entre les hommes. Et son plus grand rêve, si l'on peut parler ainsi, est que tous les hommes sauvés par son Fils Jésus-Christ soient rassemblés dans la grande famille des enfants de Dieu qu'est l'Église catholique et vivent comme des frères, sous la houlette du pape et des évêques.

Concernant chaque individu, Dieu, ajoute-t-on, a un projet spécial pour lui, ce qu'on appelle la "vocation". La grande affaire de son existence, c'est de réaliser cette vocation. Dès lors, il convient de la découvrir peu à peu en étant à l'écoute du Saint Esprit et en se laissant guider par son directeur spirituel.

Dans les deux cas, les destins sont comme écrits d'avance et il n'y a plus qu'à les mettre en œuvre, librement bien entendu, intelligemment sûrement, mais la route est tracée, la direction indiquée, le but défini sans qu'on en ait au point de départ une pleine conscience.

L'image d'un Dieu manipulateur

Comment, en parlant ainsi, ne pas donner l'impression d'une manipulation divine, qui aurait d'avance écrit l'histoire du monde et de chaque personne ? Qui peut accepter une telle représentation de Dieu qui, sous prétexte qu'il veut le bien des hommes, leur impose ce qui est censé être pour eux la bonne voie d'accomplissement personnelle et collective ? Qui ne rapprocherait le comportement de ce Dieu avec celui de parents qui prétendent savoir mieux que leurs enfants quel genre de vie leur convient et font pression sur eux pour qu'ils empruntent ce chemin ? Combien de vies de jeunes ont été gâchées ou mal orientées par des prêtres ou des éducateurs qui les ont persuadés que Dieu les appelait "au plus haut service" : la prêtrise et la vie religieuse ? Combien de ceux qui ont accepté de s'engager dans cette voie et qui ont traversé par la suite des périodes de doute, y sont demeurés sans s'épanouir, ne s'autorisant pas à partir, à cause d'un sentiment de culpabilité ? Parler de projet de Dieu sur le monde et les individus est un mensonge pur et simple, qui sert inconsciemment les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir religieux. Ceux-là, soi-disant dépositaires de la volonté de Dieu, en profitent consciemment ou inconsciemment pour imposer leur propre volonté.

D'où vient l'idée d'un projet de Dieu ?

Non, Dieu n'a pas de projet sur le monde ni sur les individus. Bien malin qui pourrait prétendre le contraire, dans la mesure où personne n'a jamais vu ni entendu Dieu. Ce qu'on dit être projet de Dieu sur le monde est en réalité une invention de croyants qui ont attribué à Dieu ce qui leur semblait, d'après leur expérience à un moment donné, le meilleur pour vivre humainement en société. Et de là, on en a fait sa volonté, un message sacralisé, venu du ciel, valable pour tous les temps, pour tous les peuples, pour toutes les cultures, pour tous les individus. Le thème du royaume de Dieu qui court à travers la Bible et est au cœur même de la prédication et de la pratique de Jésus est né de cette manière. Aujourd'hui, dans certains milieux chrétiens, ne dit-on pas toujours d'une réalisation sociale, inspirée par l'amour du prochain ou le souci du vrai, qu'elle est l'accomplissement d'un projet de Dieu ? En témoigne le langage sur les œuvres des fondateurs d'Ordres ou de personnes charismatiques comme l'abbé Pierre, Mère Térèsa, Sœur Emmanuelle, le Père Wresinsky ?

De même, ce qu'on a appelé "projet de Dieu" sur chaque individu est une projection en Dieu du chemin accompli par des humains qui se sont efforcés de vivre vrai et qui rayonnaient de leur qualité d'existence. Ces derniers paraissaient avoir répondu à un destin auquel Dieu les avait préparés secrètement. Le thème de l'élection des grands hommes qu'on trouve dans la Bible est le résultat d'une relecture de leur existence. Si ces gens ont marqué leur peuple, c'est, a-t-on pensé, qu'ils étaient prédestinés par Dieu à remplir ce destin. C'est le même langage qu'on emploie couramment pour parler des saints officiels. Ceux-ci, dit-on, ont réalisé parfaitement dans une fidélité sans faille - on gomme volontiers les détours- la vocation à laquelle Dieu les destinait.

Dieu est sans plan ni projet sur le monde et sur les humains

Cette manière de parler n'est plus acceptable, en raison de la représentation qu'on a aujourd'hui de Dieu et de l'homme. Dieu n'est pas le grand manageur du monde et de l'histoire qui aurait un plan défini pour que les sociétés tournent rond, évitent les impasses, se développent avec harmonie. Dieu n'a pas non plus d'idée préconçue sur les personnes qui adviennent à la vie ; leur existence résulte du choix de leurs géniteurs et leur avenir est à construire par elles d'une manière inédite et imprévue par avance. Si la réalité qu'on nomme Dieu existe, elle est au plus intime des humains, à la manière d'une présence inspirante. Elle suit le cours de l'itinéraire de chacun, elle l'accompagne sans peser sur sa liberté, elle est d'un infini respect pour lui, elle est une voix ténue, quasi imperceptible. Elle ne se devine qu'à travers les expériences humaines de dépassement qui, du fait de leur qualité, suscitent étonnement et questionnement.

Mais s'Il est à l'œuvre, comment le dire ?

Comment dès lors parler de l'action de Dieu à l'intime des êtres dans le respect de leur entière autonomie ? D'abord en faisant une croix définitive sur le langage encore usité de dessein, de projet et de plan de Dieu. Curieuse conception qui, pour honorer Dieu, lui donne tout et dépossède totalement l'homme, le réduisant à n'être que l'exécutant d'une volonté extrinsèque. "Dieu, dit Péguy, préfère le bel agenouillement d'un homme libre aux prosternements d'esclaves".

On objectera que c'est l'un des langages de la Bible et des évangiles. Dieu mène le monde, les peuples et les événements selon sa volonté. Jésus accomplit le dessein éternel de Dieu. Il vient du ciel avec un programme en poche déjà annoncé dans les Écritures juives. Il est lié par une mission définie d'avance par Dieu pour le salut du monde. La passion et la croix et leur valeur rédemptrice sont prévues depuis toujours. L'objection ne tient pas car la Bible et les Évangiles ont été écrits dans des cultures tout à fait différentes de la nôtre et avec des représentations de Dieu et de l'homme qui n'ont plus cours aujourd'hui. D'où la nécessité de faire l'exégèse des textes bibliques et évangéliques. Les évangiles sont une relecture croyante de l'événement Jésus, imprégnée de la mentalité juive du temps et rédigés à l'aide de moyens littéraires empruntés pour une grande part à l'Ancien Testament.

En réalité, ces textes bien interprétés affirment haut et fort que l'histoire individuelle et collective des humains est entièrement entre leurs mains. On remarque en effet que l'histoire d'Israël n'a pas été un long fleuve tranquille dirigé par une main invisible, mais un mouvement malaisé où se croisent et se suivent, au gré des événements, des luttes intestines, des égarements, des injustices, mais aussi des initiatives prometteuses, des redressements, des résurrections, des approfondissements. De même l'aventure de Jésus n'a pas obéi à un programme imposé de l'extérieur. Le nazaréen s'est levé, répondant à de fortes exigences intérieures qui l'appelaient à prendre la route et à proclamer en paroles et en actes l'avènement d'un monde nouveau basé sur la passion du vrai et l'amour du prochain. Il s'est heurté à de farouches oppositions de la part de la "nomenklatura" religieuse installée dans ses prérogatives et ses habitudes. Il a cherché son chemin lorsque les foules se sont clairsemées. Il a découvert grâce à des rencontres une dimension nouvelle de sa mission. Il a accepté et vécu sa mort comme la conséquence de ses choix.

Le disciple n'est pas au-dessus de son maître. Il n'est pas dispensé d'inventer sa route à ses risques et périls car il partage la condition commune à tous les humains, selon laquelle chacun a à prendre en charge sa propre existence. Cependant il lit dans la trame des itinéraires humains une mystérieuse présence. Il ne s'agit plus d'un Dieu qui prend les affaires en main, les planifie, et fait connaître son projet par un envoyé céleste. Il s'agit d'un Dieu-compagnon, infiniment silencieux non par désintérêt mais pour ne pas encombrer. Il se tient au cœur et au creux des êtres qui éveillent et réveillent le monde mais aussi de ceux qui s'affrontent à mille chamboulements, angoisses, inquiétudes, péripéties, incertitudes, ratés, désespérance. Il ne fait rien d'autre que d'être là comme un ami fidèle, dont la seule présence est un encouragement, un motif d'espérer, de regarder la vie autrement, de reprendre foi en soi et en autrui.

L'humaine condition à partager et l'histoire à inventer avec tous les hommes

Rien dans la vie des chrétiens ne les distingue des autres hommes : ils ne sont ni épargnés par l'épreuve ni plus intelligents pour faire face aux situations. Ils professent seulement - sans pouvoir le démontrer - que dans le plus humain de l'humain dont ils sont auteurs, bénéficiaires ou témoins, se trouve une source invisible de ce qui constitue l'homme lorsqu'il est vraiment humain, à travers l'art, le souci exigeant du vrai, l'attention à autrui et spécialement à l'homme démuni et blessé.

Sans faire bande à part, ils participent avec leurs contemporains, agnostiques, athées ou se réclamant d'autres voies religieuses, à écrire l'histoire, inspirés ensemble par des valeurs communes qui leur paraissent les plus humanisantes et qui ne sont la propriété ni le monopole d'aucune tradition spirituelle, car elles appartiennent à l'essence de l'homme. C'est ce qui fait sa grandeur et sa responsabilité. Il n'existe donc pas de plan divin qui serait la matrice d'une histoire idéale. L'histoire concrète des hommes s'élabore au fil des siècles, avec ses grandes heures qui font honneur à l'espèce humaine mais aussi avec ses heures noires, ses horreurs, ses stagnations, ses régressions. Rien n'est joué dans l'aventure humaine, elle va cahin-caha en charriant le meilleur et le pire, le pire étant souvent le plus apparent, tandis que le meilleur se tient dans la discrétion et l'anonymat. Mais c'est ce dernier qui, en dépit des déroutes et des impasses, ouvre des avenirs possibles. Sans lui, le monde s'écroulerait et tournerait à la faillite totale. Au plus fort des tourmentes et des nuits - et on le constate à travers les siècles -, se lèvent des individus et des groupes qui tracent des sentiers de salut, allument des lumières servant de repères, font éclater les systèmes clos et répressifs, réveillent l'espérance et le courage.

Devenir humain est ainsi pour chaque nouveau-né, chrétien ou non, une aventure à inventer qui n'est écrite nulle part. Elle se crée par apprentissages, par tâtonnements, par la prise de risques et notamment celui de la liberté qui fait frôler les précipices et donne le vertige, par l'épreuve du doute et de l'incertitude, par l'expérience des erreurs et des fautes dont on tire des enseignements, par le consentement à la réalité incontournable, par l'acceptation de sa solitude fondamentale. Chaque périple humain est un itinéraire inédit, improbable, mais jamais bouclé tant qu'on est vivant. Chacun doit l'assumer et se l'approprier à sa manière originale et singulière, sans imiter qui que ce soit. Inutile de chercher à lire, dans les boules de cristal ou dans les lignes de ses mains, ce qu'on doit être et faire. Ce faisant, on régresse en se mettant dans une attitude de dépendance passive. Il en est de même des croyants qui supplient Dieu sans cesse de leur dire franchement le chemin à suivre. Ils attendront longtemps une réponse, à moins qu'ils ne se parlent à eux-mêmes dans le fond de leur être.

Conclusion

Professer la présence de Dieu dans les histoires humaines sans attenter en quelque façon à leur autonomie et à leur responsabilité dans l'invention de l'aventure humaine est de l'ordre de la foi. Il n'y a pas de démonstration en la matière. C'est l'étonnement et le questionnement de l'homme devant ce que devient sa vie lorsqu'elle s'effectue dans la recherche du vrai et de l'attention à autrui qui, sans y être aucunement contraint, peuvent le conduire à évoquer en lui "une action qui est de lui, qui ne peut pas être sans lui, mais qui n'est pas totalement de lui", comme le dit si justement Marcel Légaut. Cette expérience de "transcendance" intérieure, bien des êtres la font. Les uns en restent à la constatation de cette mystérieuse "transcendance". Les autres avancent le nom de Dieu, sans pouvoir en aucune façon dire quoi que ce soit sur cette réalité intime. La différence entre eux est de l'ordre de la nomination.

Jacques Musset

(1) On peut commander le livre directement à l'auteur (14€ +port), 12, rue du Ballon, 44 680 Ste-Pazanne France Tél. : 00 33 (0)9 60 15 07 15 E-mail : jma.musset@orange.fr Il peut aussi être commandé directement aux Editions Golias par internet : www.golias.fr (retour)
Published by Libre pensée chrétienne - dans Foi et croyance