Fatima, révélation ou parapsychologie ? | |
Herman Van den Meersschaut |
Quand j'écrivais dans le numéro de juin que l'homme sortait peut-être lentement de son enfance et que nous étions en train de quitter, entre autres, le dieu magicien, j'étais sans doute un peu trop optimiste, puisque voilà que le Pape le ressuscite de plus belle à Fatima. L'affaire de la révélation du troisième secret est, comme le dit Pierre de Locht, "profondément choquante'' (1), avant tout pour la conception de Dieu qu'elle implique. Ainsi Dieu, via Marie, aurait protégé Jean-Paul II, mais ne serait pas intervenu pour sauver Romero, Luther King, l'enfant qui meurt du sida ou les victimes des génocides? Cette image d'un dieu injuste et sadique agissant selon son bon vouloir est tout simplement révoltante et en complète contradiction avec le Dieu d'Amour annoncé par Jésus. De ce dieu- là, je suis radicalement athée. Se pose évidemment ici le problème de l'immédiateté de l'intervention de Dieu dans nos vies. Que penser de formules comme "c'est la volonté de Dieu, à la grâce de Dieu, Dieu y pourvoira, le plan divin, le projet de Dieu, les voies de Dieu..." lorsqu'elles servent à justifier n'importe quoi, voire les pires horreurs (croisades, inquisitions, jihad, sionisme...)? Certains ne pensent-ils pas pouvoir infléchir, orienter l'action de Dieu par des rites, des prières, des pèlerinages, des impositions de mains ou même des mortifications ? Nous naviguons ici, me semble-t-il, en pleine mentalité magique. Qu'en pensez-vous ? En faisant foi aux révélations à la Nostradamus de la voyante de Fatima, Jean-Paul II Perpétue les anciens rites païens de divination, que l'Eglise a souvent combattus et qu'elle appelait de l'idolâtrie. Qu'il se ridiculise aux yeux des laïcs en s'impliquant personnellement dans cette affaire, c'est triste; mais pour nous, chrétiens, c'est choquant car cela risque de faire croire qu'être catholique c'est adhérer à de telles conceptions de foi. Mais cela pose aussi et surtout le problème de la "Révélation" des textes révélés, de toute révélation. * Pour notre cardinal, les choses sont simples ; c'est dans le buisson ardent que Dieu se révèle lui-même à Moïse. Je cite (2) : "Tout est arrivé là : en personne, Dieu dit qui Il est. Nous ne pouvons en effet l'apprendre que de Lui-même ; toutes les autres sources d'information sont trompeuses. Seul Dieu peut parler de soi-même. La vraie connaissance de Dieu ne surgit pas de notre expérience, comme la vapeur d'un marais ; elle descend d'en haut et réduit en miettes tous les miroirs mensongers. Dans ces miroirs, nous ne voyons jamais plus que nous-mêmes !" Voilà, Dieu parle en direct et seuls certains élus et initiés auraient le privilège d’ entendre la révélation. L'expérience des hommes est impuissante à nous révéler quoi que ce soit sur Dieu. C'est terrible d'oser encore écrire des choses pareilles à une époque où nous sommes mis en présence de toutes les religions et spiritualités du monde. * Par contre, si nous considérons les Ecritures comme la recherche passionnée des hommes d'un absolu qui les habite, qu’ils essayent de cerner et de comprendre à travers des récits souvent mythiques, alors elles deviennent chemin de révélation de Dieu dans nos vies. Lorsque je lis dans la Bible : Dieu dit à Moïse..." et que je traduis cela par : "Moïse pense que Dieu lui dit..." il ne s'agit pas simplement des impressions ou des imaginations subjectives d'un personnage. Ce que les auteurs font dire à Dieu, ici, est dans une expression littéraire particulière, soigneusement ciselée l'énoncé des conclusions auxquelles une très longue réflexion commune sur la vie les a menés. En fréquentant ces textes nous profitons et nous nous nourrissons de l'expérience de nos ancêtres dans la foi. On pourrait donc dire que ce n'est qu'à travers notre expérience que quelque chose de Dieu peut se révéler à nous. Accepter la possibilité de contact direct avec la divinité et donc de révélation immédiate de la part de celle-ci peut mener à tous les abus et déviations. Les sectes sont des spécialistes en la matière. Le gourou prétend toujours avoir eu un contact direct avec la divinité, ce qui lui donne une aura et un mystère qui seront savamment entretenus et lui procureront une autorité infaillible. Bien sûr, que certains voyants d'apparitions mariales soient sincères ne fait aucun doute. Qu'ils aient vu et entendu quelque chose n'est pas à contester mais cela concerne plutôt le domaine du paranormal, du parapsychologique, de la psychiatrie. Si ce qu'ont vu et entendu ces voyants leur apporte un mieux-être, un épanouissement spirituel, une libération dans le sens évangélique, on ne peut qu'applaudir. Mais cela ne semble pas toujours être le cas pour tous, comme à Fatima par exemple. Les enfants ont, en effet, beaucoup souffert de ce qui leur est arrivé. Ce qui est frappant dans ces apparitions, c'est la débilité déconcertante des révélations en regard du mystère qui les a entourées. Jugez-en : En 1917 Lucia, Jacinta et Francisco voient la Vierge leur apparaître au-dessus d'un petit chêne. Voici u n des dialogues : "Lucia demande si elle ira au ciel ? La Dame lui répond : oui tu iras au ciel. - Et Jacinta ? - Elle aussi, dit la Dame. - Et Francisco ? Lui aussi, dit la Dame, mais... ajouta-t-elle, il devra auparavant réciter beaucoup de chapelets'' (3). Francisco mourra de la grippe espagnole en 1918, Jacinta en 1920. Lucia restée seule, apprit à lire et ne relata les événements de 1915-1917 qu’entre 1930 et 1970 (??). Cinq cahiers manuscrits successifs, qui reprennent la même histoire, furent demandés par l'Eglise à Lucia, afin de pouvoir recouper ses affirmations. En lisant le livre de Daniel COSTELLE, qui a été écrit d'après les cahiers de Lucia, on a la nette impression que Lucia, qui était l'aînée, semblait manifestement dominer les deux autres enfants et surtout Francisco qui, lui n'a jamais rien entendu de ce que disait l'apparition et en était d'ailleurs fort déçu ! C'est toujours Lucia qui questionne et répond et c'est elle seule qui racontera leur histoire. Sans doute écoutait-elle bien le catéchisme car, dans le discours de l'apparition on retrouve tous les poncifs de la théologie doloriste de l'époque. "Voulez- vous, dit la Dame, vous offrir à Dieu, en acceptant toutes les souffrances qu'il voudra bien vous envoyer, en réparation de tous les péchés qui l'offensent, et pour obtenir la conversion des pécheurs ? ... - Oui, nous le voulons, répond Lucia. - Vous aurez beaucoup à souffrir... ( puis, avec un merveilleux sourire) la grâce de Dieu vous assistera et vous consolera toujours... ... Priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs. Sachez que beaucoup d'âmes vont en enfer parce qu'il n'y a personne qui se sacrifie et prie pour elles." (4) Jean-Paul II semble, lui aussi, aller dans ce sens, puisqu'il dit offrir, lui aussi, les souffrances de sa maladie et de son grand âge pour le salut du monde. Et vous, qu'en pensez-vous '! |
Herman Van den Meersschaut - LPC-1998 |
(1) Fatima : la révélation choquante. Article de Pierre de Locht dans "Le Soir" du 26 mai 2000 (retour) (2) Trois à table" Paroles de vie - Pâques 2000 Lettre du Cardinal Dannee!s (retour) (3) "Fatima" de Daniel Costelle aux éditions François Bourin (retour) (4) "Fatima" de Daniel Costelle aux éditions François Bourin (retour) |