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29 septembre 2018 6 29 /09 /septembre /2018 08:00
Jacques MussetLa fidélité à Jésus n'est pas répétition mais recréation III
Jacques Musset

III - Comment vivre au 21ème siècle une fidélité créatrice à Jésus et à son Dieu ?

Vivre de l'« esprit » qui animait Jésus

C'est au niveau de l'esprit qui animait Jésus que nous avons à nous approprier son témoignage. J'entends le mot « esprit » au sens de la motivation et de l'attitude qui ont orienté et déterminé son existence. Regarder Jésus vivre en son temps nous permet de déceler ce qui l'habitait intérieurement, ce qui le motivait à risquer sa vie pour témoigner du Dieu dont il se réclamait. Cet esprit qui l'animait, c'était son accueil, sa défense et sa promotion des personnes, spécialement les marginalisées, les exploitées, les méprisées, les disqualifiées, les oubliées, les rejetées pour toutes sortes de raisons ; c'était aussi sa dénonciation des structures et des représentations qui oppriment ; c'était encore son attitude intérieure d'intégrité à la base de tous ses comportements ressourcés sans cesse dans la conception qu'il avait de son Dieu. A nous d'incarner aujourd'hui en les actualisant d'une manière inédite ces valeurs même si elles ne sont pas spécifiquement chrétiennes.

Actualiser le courage de Jésus

L'esprit qui animait Jésus se traduisait par sa manière de s'engager résolument à ses risques et périls à travers paroles et actions. Il a fait preuve de constance jusqu'au bout, en dépit des oppositions et incompréhensions, il ne s'est jamais dérobé aux appels qui le sollicitaient, il n'a pas craint le qu'en dira-t-on, les critiques, les calomnies ; il a veillé à la cohérence entre son dire et son vivre, entre son enseignement et son style de vie, mais il s'est toujours refusé à haïr, à prendre une revanche, à écraser ses adversaires. A nous, dans le temps que nous vivons, de traduire cet esprit dans nos mentalités et dans nos façons concrètes de vivre, à nos risques et périls s'il le faut.

Actualiser les exigences d'authenticité qui inspiraient les comportements de Jésus.

L'esprit qui animait Jésus au service de son prochain et dans ses prises de position émanait d'une droiture de cœur et d'intentions authentiques, non contaminées par la recherche du pouvoir et de l'avoir, par l'hypocrisie et la duplicité, par les partis pris injustifiés, par les fausses évidences du temps. A nous, en nous inspirant de cet esprit d'authenticité, d'être vigilant sur ce qui nous anime réellement dans les divers domaines de notre existence.

Distinguer mouvement de foi de Jésus envers son Dieu et ses représentations

L'esprit qui animait Jésus dans sa façon de vivre, il le référait à Dieu, la Source des exigences intimes qui émanait de ses profondeurs. Ses représentations de Dieu étaient celles de la foi juive de son temps. Pour nous, il importe de ne pas confondre les représentations qu'il avait de son Dieu avec le mouvement de sa foi en son Dieu, fait de confiance, de disponibilité, de fidélité. C'est un exercice essentiel, capital. Notre fidélité créatrice ne se joue pas au niveau des représentations qu'il avait de son Dieu et donc de son langage, relatifs à son contexte culturel et religieux, mais elle se joue dans la ligne du mouvement personnel de sa foi en son Dieu. D'où il est essentiel de faire la différence entre les deux, ce qui nous autorisera nous-mêmes, dans le contexte culturel où nous vivons, à avoir nos propres représentations de Dieu et de ce fait nos propres langages.

Comment dire le Dieu de Jésus aujourd'hui ? (1)

Le Dieu de Jésus, comment le nommer aujourd'hui dans notre culture marquée par la modernité sans être tributaire des représentations de Jésus ? Nous avons vu que Jésus reçoit de sa Tradition (un ensemble de croyances qui s'impose à tout croyant juif) les représentations qu'il a de son Dieu (et donc du monde et de l'homme), représentations qui sont relatives au contexte religieux et culturel de son temps. Rappelons-les d'un mot : Dieu est une évidence, Il est le tout autre et en même temps le tout proche, il conduit l'histoire de son peuple et du monde avec justice et amour bienveillant, il va sans tarder établir définitivement son règne de paix qui est déjà à l'œuvre. Il appelle chacun à l'accueillir avec un cœur disponible. L'appellation « Père » est traditionnelle.

Pour nous et nos contemporains du 21ème siècle marqués par l'esprit de la modernité (revendication du droit à penser personnellement, à chercher et à trouver par expérimentation), notre approche du mystère de Dieu comme source de notre humanisation ne peut se faire d'emblée avec des représentations marquées par un contexte qui n'est plus le nôtre et qui s'avéraient alors évidentes. ( démarche descendante) .

Employons donc une autre voie d'accès que nous appellerons ascendante. Cette approche ascendante part de ce que vit l'homme et est donc une démarche existentielle animée par le souci de l'authenticité, du don et engageant tout l'être dans la recherche de son sens (2). Cette voie empruntée avec la préoccupation de ne pas tricher avec soi-même, d'aller le plus loin possible dans la vérité de soi-même – chemin fort exigeant – comment peut-elle être une approche actuelle du mystère du Dieu de Jésus ? Si oui, à quelles conditions ? Allons au cœur de ce que nous vivons les uns et les autres dans notre aventure d’humanisation quand nous nous efforçons vaille que vaille de conduire notre existence dans une démarche de vérité, attentifs à débusquer nos illusions, à nous remettre en cause si nécessaire, à lier travail intérieur d’approfondissement personnel et ouverture à autrui dans l’épaisseur de notre vie quotidienne ? Qu’observons-nous ? Ce que chacun expérimente au tréfonds de son être – quelle que soit son histoire singulière -, n’est-ce pas avant tout une exigence de vivre en vérité dans toutes les dimensions de son existence ?

Exigence de lucidité sur sa manière d’exister, sur la cohérence entre son dire et son faire, sur les héritages qui le conditionnent, sur ses ambiguïtés, ses limites, ses peurs, ses attachements, ses répulsions, ses illusions, son histoire passée…

Exigence de vivre vrai dans sa relation à autrui, exigence qui invite à l’écoute, à la compréhension, au soutien, au respect, au pardon, à la remise en cause personnelle…

Exigence de probité intellectuelle dans sa recherche spirituelle, dans l’appropriation, si l’on est croyant, de sa tradition religieuse, ce qui a pour conséquence de ne pas mettre de limites à ses questionnements ni au chemin à parcourir…

Exigence de recueillement pour se ressourcer, pour ne pas céder à l’activisme, aux illusions…Exigence de consentir à la réalité telle qu’elle est pour en faire un tremplin de maturation, d’affinement, d’approfondissement, ce qui implique détachement et renoncement...

Cette exigence, sorte de voix intime, qui se murmure dans le silence ou s’impose parfois avec insistance et d’une manière récurrente et à laquelle nous consentons nous fait expérimenter un dépassement, une sorte de « transcendance » intérieure qui faisait dire à Pascal : « L'homme passe l'homme ». L'expérience de cette exigence intime, Marcel Légaut l'appelait motion intérieure. A travers cette inspiration venant des profondeurs de son être et l’appelant à vivre en vérité, il lisait les traces en lui d’une « action qui n’est pas que de lui mais qui ne saurait être menée sans lui ». Il en concluait qu’on pouvait « appeler cette action qui opère en soi l’action de Dieu sans nullement se donner de Dieu – et même en s’y refusant – une représentation bien définie Marcel Légaut pose ainsi un acte de foi mais qui ne s'impose pas. La meilleure preuve c'est que des humains qui expérimentent eux aussi la même qualité d'humanité à travers leurs choix de vie exigeants ne nomment pas Dieu : ils se tiennent dans l'agnosticisme (je ne sais pas) ou dans l'athéisme (Dieu n'existe pas, ce qui est aussi un acte de foi).

Si nous-mêmes expérimentons cette même qualité d'humanité et pressentons comme M. Légaut le mystère d'une « Présence » au cœur de notre cheminement humain, nous pouvons nommer Dieu cette mystérieuse « présence » qui nous inspire secrètement sans peser sur notre liberté. Mais nous pouvons la nommer autrement que Jésus, par exemple « Source, Souffle, Feu, Lumière... », c'est tout à fait légitime. Nous sommes là au niveau des représentations dépendantes de notre culture, de notre histoire, de notre milieu de vie. Dans la Bible, on trouve d'ailleurs de nombreuses appellations de Dieu : rocher, père, mère, Seigneur, sauveur, défenseur, etc. En effet une chose est d'expérimenter cette Source au plus intime, autre chose est de la désigner. En effet, il ne faut pas confondre la réalité vécue, elle-même indicible, et la nomination de cette réalité expérimentée. L'expérience de la réalité est première, la nomination n'est pas secondaire mais seconde et relative. Nous avons certes besoin de mots pour balbutier l'expérience de l'exigence intérieure que nous expérimentons quand nous nous efforçons de vivre dans l'authenticité, la vérité et le don, mais ce ne sont que des mots. Ils sont utiles mais ils sont relatifs. Ils ne servent qu'à pointer notre attention et celle d'autrui sur l'expérience vécue, intraduisible par nature. La pire des choses c'est d'idolâtrer les mots en croyant expérimenter la réalité. Nous ne sommes jamais indemnes (ni les Eglises non plus) de glisser vers cette impasse.

En conclusion

, disons que notre fidélité à la démarche de Jésus dans la relation à son Dieu passe d'abord par l'engagement (au sens le plus large du terme) de notre existence dans l'esprit qui fut le sien et, au cœur de cet engagement, par l'expérience au tréfonds de notre être d'une Source mystérieuse inspirante. Là nous sommes en phase avec l'expérience de Jésus, chacun la vivant et la nommant à sa manière dans son contexte singulier. C'est une démarche de foi qui ne s'impose à personne mais pour un chrétien de la modernité, en est-il d'autre aujourd'hui pour percevoir cette Source intime qui inspire tout vrai chemin d'humanité ? Voilà à mon sens une voie possible pour conjuguer actuellement notre fidélité au Dieu de Jésus et la légitime et même nécessaire créativité dont nous avons à faire preuve aujourd'hui.

 

Pour terminer, voici un encouragement à pratiquer une fidélité créatrice à Jésus. Il s'agit de deux paroles de l'évangile selon St Jean mises sur les lèvres de Jésus par la communauté où est né l'évangile.

16, 7 : « Il est bon que je m'en aille, car si je ne pars pas, le Souffle ne viendra pas à vous ».

14,12: « En vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes... »

Comment ne pas nous sentir encouragés à être créatifs pour faire advenir sans cesse de nouvelles figures d'Evangile ? Pourquoi aurions-nous peur puisque nous sommes assurés d'avoir en permanence le Souffle suffisant pour vivre de l'esprit de Jésus et témoigner de son Dieu !

Jacques Musset

(1) Je renvoie à mon livre : Repenser Dieu dans un monde sécularisé, Karthala, 2015 . (retour)
(2) Vie spirituelle et modernité, Marcel Légaut, Duculot, chapitre VIII, page 187. (retour)
Published by Libre pensée chrétienne - dans Foi et croyance Dogmes Eglise Spiritualité