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2 mars 2019 6 02 /03 /mars /2019 09:00
Henri Huysegoms Quelques pensées à propos du livre de R. Sougnez
Henri Huysegoms

J’avais fait la commande du livre « De la prêtrise à l’abandon des doctrines » de Roger Sougnez, suite à l’annonce de sa parution par LPC.

L’ouvrage m’est parvenu le samedi 30 juin 2018, au moment où je préparais un sermon sur l’évangile de la messe dominicale (Mc 5, 21-43). Le passage concernait le retour à la vie de la fille de Jaïre et la guérison d’une femme qui souffrait d’hémorragies, deux récits d’historicité douteuse. Mon sermon était destiné à être donné dans la chapelle d’une petite communauté de sept religieuses, toutes très âgées, et, deux heures plus tard, à l’église paroissiale. Entamant aussitôt la lecture de l’ouvrage, je suis tombé sur des phrases telles que celle d’Albert Jacquard : « Il n’y a rien de pire que de ne pas s’autoriser à dire ce que l’on pense vraiment ».

Cela me fit sentir encore davantage la difficulté de commenter le passage en question. Me fallait-il dire, à des personnes qui considèrent les textes bibliques comme divinement inspirés même dans leurs moindres détails, qu’il n’y a pas lieu de croire à ces récits?

Un sermon n’est pas un cours d’exégèse. Par une lecture attentive, il est possible de trouver, même dans un récit d’origine historique suspecte, des éléments pouvant fournir une leçon de vie. Lorsqu’une la femme atteinte d’une maladie incurable toucha le vêtement de Jésus, celui-ci ressentit une force sortie de lui à son insu. Cette remarque peut nous rappeler qu’un effet qui nous dépasse peut agir à travers nous sans qu’on ne s’en aperçoive.

Un rapprochement peut aussi être fait avec Jésus se décrivant comme un semeur qui veille à répandre correctement ses grains de blé et en confie la croissance au soleil et aux nuages. Jésus a confié au Ciel l’effet de ses activités. Je crois qu’en presque tout récit biblique, il est possible de découvrir un message important.

Le parcours de vie de Roger Sougnez a plusieurs points communs avec le mien. Pour commencer, un « appel » dans des circonstances semblables : une vive attraction pour le sacerdoce à l’écoute d’un prêtre parlant de sa vocation. Il avait quinze ans. J’en avais dix.

Deux ans plus tard, à l’âge de la confirmation, à la vue du nombre assez élevé de prêtres dans le pays, j’estimai qu’il vaudrait mieux me consacrer à servir des gens qui n’ont pas eu l’occasion d’apprendre qu’ils sont aimés par le Père, c’est-à-dire partir en mission, à la rencontre de personnes ignorantes du christianisme. Il faut savoir que j’ai fait mes études primaires et secondaires à Bruxelles dans un institut dépendant de l’Église catholique où les professeurs du secondaire étaient en majorité des prêtres.

En 1958, entré au Centre Vincent Lebbe, où se formaient ceux qui aspiraient à devenir membres de la Société des Auxiliaires des Missions, à savoir des prêtres séculiers allant se mettre au service total et à vie d’un évêque autochtone en pays de mission, j’allai suivre les cours de philosophie à l’Institut cardinal Mercier de l’université de Louvain. Ces cours, surtout ceux d’épistémologie, me passionnèrent au point que je demandai au supérieur de séminaire de poursuivre ces études par la licence, malgré les résultats peu brillants de mes examens de baccalauréat. Ma demande fut acceptée de justesse. En fin de licence, je présentai comme thèse « La notion de l’ego chez Descartes, Sartre et Husserl ». Je signale ceci parce que ce travail me permit de voir plus tard que les intuitions de Husserl rejoignent la perception que fit le Bouddha de la réalité ultime. Je terminai mes études de théologie, faites à la faculté des jésuites près de Louvain, par une licence dont le sujet était « La notion du mal dans le judéo-christianisme et le bouddhisme ». À ce moment, je considérais le bouddhisme essentiellement comme une sagesse, une philosophie qui n’arrivait pas au niveau de la « révélation » chrétienne.

Arrivé au Japon en 1967, j’eus l’occasion d’entendre une conférence à l’université Sofia de Tokyo dirigée par les jésuites. Elle fut donnée par le père Enomiya-Lassalle qui nous expliqua la méditation zen.

Au temps du collège et du séminaire, je pratiquais la méditation affective traditionnelle, mais la récitation obligatoire du bréviaire à partir du diaconat me fit délaisser cette pratique. La méditation détaillée par le père Lassalle me sembla pouvoir combler le sentiment de vide spirituel que je ressentais. Cet ancien provincial des jésuites du Japon avait suivi un entrainement spirituel très rigoureux sous la direction d’un maitre zen éminent. En 1968, j’allai faire ma première retraite zen dans le centre Shinmeikutsu qu’il venait de faire construire en région montagneuse dans les faubourgs de Tokyo. Il considérait sa tâche un peu à la manière de Jean le Baptiste : former des méditants pour qu’ils puissent poursuivre l’entrainement spirituel sous la direction d’un guide bouddhiste de valeur éprouvée. C’est ce que je fis et continue de faire jusqu’à ce jour.

En 1941, quand le père Lassalle devint disciple d’un guide spirituel bouddhiste, on était bien avant le Concile Vatican II. Il est facile d’imaginer l’opposition à laquelle il dut faire face de la part de la hiérarchie catholique. Ce qui rendit sa démarche inattaquable, c’est qu’il démontra les points de convergence entre la méditation bouddhiste et celle des méditants chrétiens appelés mystiques. L’entendant parler de cette affinité, je me sentis totalement assuré pour m’engager dans la voie qu’il avait ouverte. La lecture des écrits des méditants des premiers siècles tels qu’Évagre le Pontique me fournirent de plus amples confirmations de cette convergence de voies spirituelles.

Jésus avait exigé, de ceux qui désiraient devenir ses disciples, un détachement complet d’eux-mêmes. Cette consigne est avant tout comprise comme un appel à mener une vie de pauvreté matérielle et à accepter les souffrances qu’apporte la vie.

Ce n’est que progressivement, au cours de ma formation sous la direction de maitres bouddhistes, que je découvris que cette voie de renoncement présentait une exigence radicale également dans un autre domaine : n’attacher de valeur absolue à aucune construction mentale, à aucun système de pensée. Le moment présent est notre seule certitude. L’important est donc d’être attentif à l’appel de chaque instant et à y répondre fidèlement.

C’est aussi une invitation à se rendre compte que notre nature essentielle n’est pas le moi qu’on s’imagine et qui procède par dichotomie, le moi d'un côté, tout existant, - autrui y compris -, de l'autre. Il s’agit de reconnaitre que le fond de la réalité est insaisissable par la pensée, à l’instar de Max Planck cité à la p. 194 du livre : « Ce monde nous confronte avec l’impossibilité de le connaitre directement » et d’Albert Einstein qui a écrit : « Toute notre science, mesurée par rapport à la réalité, est primitive et enfantine ». La phrase de Roger Sougnez : « Je n’exclus pas l’existence d’une mystérieuse Réalité transcendante à la base de tout ce qui existe qui échapperait à nos moyens de connaissance » (p. 34) va dans le même sens que celles d’Einstein et de Planck. Cette reconnaissance de l’autre face de toute réalité et de notre impuissance à la définir peut éveiller en nous un profond sentiment de respect et d’émerveillement.

En relisant les évangiles à la lumière de ce que l’entrainement zen m’a permis de découvrir, certaines phrases, surtout dans l’évangile de Jean et dans des lettres de Paul, me semblent exprimer une perception semblable.

La phrase de saint Paul, en Ga 2, 2 : « [...] si je vis, ce n’est plus moi qui vis » me semble être le compte-rendu de la prise de conscience d’une nouvelle manière d’être dépourvue de tout égocentrisme. C’est aussi l’ouverture à une dimension insaisissable de notre être.

Saint Paul a ajouté : « C’est le Christ qui vit en moi ». Ceux qui, dans un autre univers culturel et religieux, ont été gratifiés d’une prise de conscience semblable à celle de Paul diront : « C’est le Bouddha qui vit en moi » ou « C’est Vishnou qui vit en moi ». Si on tente ainsi d’ajouter un commentaire, cela devient une interprétation susceptible de discussion, formulée à partir de notre arrière-fond culturel et religieux.

Dans l’épître aux Philippiens, au sujet de Jésus, on peut trouver les mots : « [...] il s’est anéanti lui-même » (2, 7). Cette traduction du mot grec ekenôsen, est rendue dans la Bible japonaise par les mots : « il se fit « Mu ». Le caractère chinois « Mu » indique une négation. Dans le bouddhisme, il signifie « vidé de soi » : un dépouillement de son égoïsme, mais aussi de l’absolutisation de nos concepts.

J’ai apprécié la manière dont Roger Sougnez s’est appliqué à démontrer entre autres à quel point les dogmes proclamés par l’Église sont tributaires de la culture de leur époque et donc relatifs.

L’ouvrage est un appel à « faire le grand nettoyage de l’Église ». Après avoir pointé du doigt les déficiences et les erreurs, Roger Sougnez invite à rebâtir sur des bases solides.

Depuis Vatican II, des initiatives de dialogue interreligieux ont pris leur essor. Elles sont très louables, mais elles se limitent souvent à la formulation, par les tenants de diverses religions, d’un message commun de paix, et de manière plus spécialisée, à rechercher des convenances dans les doctrines. Je ne me consacre pas à proprement parler au dialogue interreligieux. Mais je me sens complètement intégré et accepté par mes amis de méditation lors de retraites zen dans un temple bouddhiste. Nous nous livrons à une émulation mutuelle et non à des échanges de réflexions doctrinales, d’autant plus que le Bouddha n’en formula point. Je crois, comme Raymon Panikkar, qui a créé l’expression « dialogue intrareligieux », qu’il convient de s’engager plus profondément. Si nous empruntons résolument d’autres voies spirituelles en toute fidélité à l’exigence de vérité de Jésus, nous pouvons y découvrir leur apport original et essentiel.

Joseph Camp a parlé du crépuscule des religions institutionnalisées. À la vue de la disparition progressive des institutions catholiques et de la diminution du nombre des catholiques pratiquants dans mon diocèse, ainsi qu’au désintérêt croissant de la population japonaise pour les cérémonies bouddhistes et shintoïstes, je pense aussi que n’est pas exclue la possibilité de voir disparaitre des institutions religieuses fières de leur ancienneté. Par contre, subsistera toujours au cœur de l’homme la quête d’une spiritualité. Je regrette, comme Joseph Camp, que le témoignage de Jésus ait été « transformé en un système doctrinal, en une idéologie qui explique l’origine et le sens du monde ».

Roger Sougnez reconnait n’avoir évoqué que brièvement la vie spirituelle, tout en notant qu’elle est d’une importance capitale (p. 202). Il confie cette tâche au lecteur, mais je crois qu’il est important de trouver quelqu’un qui puisse nous guider dans la vie spirituelle, une personne qui a perçu le cœur du message du Bouddha, de Jésus. Se mettre à la suite de maitres de méditation et se nourrir de leur parole permet d’intérioriser l’essentiel de la perception première du Bouddha, de Jésus.

Parmi ceux qui me servent de guides dans la voie du zen, à part mon maitre actuel et ses prédécesseurs, y compris le père Lassalle, je compte aussi Raymon Panikkar – auteur du remarquable ouvrage « Le silence du Bouddha » – et le prêtre jésuite et maitre zen indien Ama Samy.

Il y a déjà plusieurs années, j’ai eu l’occasion de me rendre chez le moine bénédictin allemand Willigis Jaeger en compagnie d’un moine bouddhiste japonais. Je regrette profondément que Jaeger, reconnu au Japon comme un maitre zen éminent, soit devenu l’une des nombreuses victimes de l’épuration opérée par Joseph Aloisius Ratzinger au temps où il était alors cardinal. Le différent surgit en l’année 2000. Le père Jaeger était accusé de subordonner les enseignements dogmatiques et les vérités proclamées par l’Église à son expérience personnelle. Il s’en suivit pour lui une exclaustration.

J’ai également hautement apprécié les écrits de l’ancien évêque épiscopalien J. S. Spong, ainsi que tous ceux qui ont contribué aux numéros de la revue « Libre pensée chrétienne », Jacques Musset et bien d’autres.

Parmi les spirituels japonais, je réserve une place à part au moine et poète zen Ryôkan (1758-1831), qui naquit et vécut dans ma région. Sa vie rappelle par certains aspects celle de François d’Assise. Comme François, face à la médiocrité des responsables religieux et à la pauvreté de la population, il répondit par un surcroit de tendresse et de bonté envers tout être vivant.

En 1971, je découvris dans « église vivante », une revue publiée sous la responsabilité de la S.A.M., un article intitulé « Message du Bouddha et message biblique ». Son auteur était Edmond Pezet, prêtre samiste comme moi, qui fut envoyé par notre Société en Thaïlande. En lisant l’article, je fus heureusement surpris, non seulement par sa parfaite connaissance du sujet, mais surtout par son adoption de ce qui fait le cœur du message bouddhique. Il s’y efforça aussi de réfuter les préjugés communs envers cette voie spirituelle. Ce qu’il perçut au cœur du message du Bouddha rejoignait ma propre découverte.

Après le décès de Pezet en 2008, j’entrepris, avec un ami qui avait aussi œuvré en Thaïlande, de rassembler ses lettres et écrits en vue d’une publication. L’ouvrage a paru en 2012 en langue française et anglaise. De plus, pour connaitre Pezet davantage, je me rendis dans le Lot, sa région natale. Ce me fut l’occasion de rencontrer son frère et aussi Gérard Bessière, son ancien compagnon de séminaire qui fut journaliste à « La Croix ». Chez lui, je donnai à ses amis une conférence sur l’approche que fit Pezet du bouddhisme.

Henri Huysegoms - 7 juillet 2018

Published by Libre pensée chrétienne