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13 juillet 2019 6 13 /07 /juillet /2019 08:00
Paul Löwenthal Commentaire général sur l’article de Charles Delhez
« L’Église, un système qui s’effondre »
Paul Löwenthal

Le diagnostic de Charles Delhez est très lucide, sans fards, et il émane d’un prêtre respecté dont la loyauté ecclésiale est indiscutée. C’est donc important. Pour maximiser son impact, l’objectif à atteindre – à long terme – mériterait toutefois d’être clarifié, car la connivence frappante entre les réformes bottom-up proposées pour l’Église et pour la démocratie, suggère des contagions dont certains ne manqueront pas de tirer argument pour y objecter (« l’Église n’est pas une démocratie »).

Le parallèle entre démocratie et Église est triple. Primo, les deux institutions sont simultanément en crise. Secundo, on veut dans les deux cas prendre au sérieux notre liberté de conscience responsable et dépasser les élites, élues ou non, pour faire participer tout le monde à tout : initiatives, débats, responsabilités et prises de décision. Tertio, une condition nécessaire aux précédentes est de sortir les « peuples » de leur immaturité en les éduquant aux discernements : des têtes bien faites plutôt que bien pleines, libres et responsables, et dépassant les finalités utilitaires. Ce qu’on demande depuis... Platon !

Un bref historique

Les influences entre Église (chrétienne puis catholique) et société (les États, en Europe) ont été réciproques. Cela permet un rapprochement sur le fond : des éthiques, mais cela suscite aussi des réflexes d’auto-défense.

IVe siècle : le cadeau empoisonné de Théodose : le christianisme devient la religion officielle de l’empire, ce qui rapproche leurs autorités, et leurs modèles institutionnels.

XIe siècle : avec la réforme grégorienne, l’empire (écroulé...) inspire ouvertement l’organisation pyramidale de l’Église, désormais coulée en doctrine.

XIe - XVIe siècle : l’Église « consacre » les pouvoirs profanes (couronnement d’empereurs, rois de droit divin) pour conserver sa primauté.

XVIe - XVIIIe siècle : la sécularisation humaniste redécouvre (honte sur nous !) des valeurs évangéliques (dignité humaine, droits de l’homme) et s’en inspire pour l’État moderne. La Réforme protestante va dans ce sens, mais Rome réplique par sa trop bien nommée Contre-Réforme.

XIXe siècle : au lieu de se reconnaître dans un humanisme qui est né de la culture chrétienne, l’Église (Pie IX) anathémise les droits de l’homme et la démocratie, l’autonomie humaine qui y est affirmée étant vue comme une marque d’orgueil humain niant la primauté du divin – infailliblement traduit par le magistère ecclésiastique romain. L’Église ne se relèvera jamais de ce reniement de ses fondements christiques. La dignité humaine et son autonomie responsable sont désormais reconnues plus complètement par l’humanisme athée que par la doctrine officielle catholique...

XXe - XXIe siècle : l’Église doit à la fois évoluer en elle-même et assurer sa coexistence avec les pouvoirs civils dans des sociétés qui, chez nous, sont désormais plurielles.

L’Église ne peut plus revendiquer une primauté éthique de ses fondements sur la loi civile, sauf à faire reconnaître des transgressions légitimes au nom de la liberté de conscience (individuelle...). C’est l’État censément laïque, mais souvent anti-religieux, qui est désormais le garant du bien commun, et il doit imposer ses normes fondamentales aux convictions « particulières » des religions.

Pouvoir civil et autorité spirituelle : la vieille querelle

Les convergences sont nombreuses et essentielles, mais dans quelle mesure l’Église peut-elle ou devrait-elle se laisser inspirer par les expériences profanes, et notamment par leur libéralisme ? Les conflits sont nombreux aussi ; la nécessité de vivre ensemble une culture commune ne suffira pas à les résoudre. Qui primera ?

À la fin du Ve siècle, le pape Gélase Ier décrète que le pouvoir temporel des rois s’étend à l’Église, cependant que l’autorité spirituelle de l’Église s’étend aux princes. Mais on ne s’est jamais accordé sur la distinction entre pouvoir et autorité... Aujourd’hui, on dirait que l’autorité guide et que le pouvoir commande. « Les lois ne doivent pas être respectées parce qu’elles sont bonnes, mais parce qu’elles sont la loi » constatent en chœur Montaigne, Pascal, Kant et Ricœur. Alors que Jésus Christ nous fait passer de la Loi à la Foi qui libère, et qu’on attend donc de l’autorité ecclésiale qu’elle... autorise, en éduquant à une éthique autonome. La loi et la morale canalisent, l’autorité et l’éthique balisent.

Les philosophies politiques implicites aux États sont aussi diverses que les éthiques des religions, y compris en leur sein. Et nos États ne sont pas plus laïques que notre religion n’est chrétienne ! Nous ne pouvons résoudre ces tensions par la seule vertu de procédures communicationnelles à-la-Habermas.

Sécularisations : acculturer ou inculturer ?

Charles Delhez distingue la sécularisation objective, ou laïcisation des institutions, et la sécularisation subjective, ou effacement culturel de la religion. Le sociologue des religions Karel Dobbelaere(1), lui, distingue sécularisations globale, organisationnelle (par exemple religieuse) et personnelle. Faute pour l’Église de s’être sécularisée elle-même (statut de la raison, de la liberté, des laïcs, des femmes,...) les catholiques de nos pays ont sauté le stade ecclésial et plongé dans la sécularisation globale. Bravo, les pasteurs ! Retenons qu’il est une sécularisation chrétienne acceptable, et même souhaitable : celle qui déplace les actes et leur responsabilité de Dieu aux hommes, sous la grâce mais en autonomie (Lc 12, 57).

La tendance actuelle est à favoriser la participation effective des populations : celle des citoyens au débat (decision making), mais aussi à la délibération politique (decision taking), et celle des fidèles à l’élaboration (jamais acquise) d’un sensus fidelium et au discernement pastoral, au-delà d’un sensus fidei qui ne relève que de la sociologie religieuse.

Mais devons-nous acculturer (l’ad-culturer) l’Église à la société, l’ajuster à la culture locale ou aux « signes des temps, ou l’inculturer (l’in-culturer) en la greffant sur cette culture pour l’înfluencer dans le sens chrétien ? Un peu des deux, bien sûr.

1. Vouloir acculturer le catholicisme à nos sociétés sécularisées suppose une connivence profonde entre les deux. Elle existe, sauf à réunir quelques conditions que chacun sait manquer aujourd’hui : un vrai respect public pour les religions sous l’égide de la dignité humaine, valeur fondamentale commune ; et un vrai respect ecclésial pour la société plurielle qui l’accueille et pour l’État qui, face à la pluralité, est forcément le garant légitime du bien commun.

Cela suppose que les religions prennent davantage de recul par rapport à des traditions dogmatiques ou morales qui ne répondent plus aux quêtes spirituelles contemporaines – ni aux exégèses(2). Le culte a gardé une vision naïve des sacrements et de l’action de Dieu dans le monde, des lectures littérales des Écritures, des accents qui retrouvent les obsessions vétéro-testamentaires du sacré ou de la pureté – et un cléricalisme obstiné qui décourage les chrétiens. Tous traits qui contredisent le message du Christ.

Or, l’Église, peuple de Dieu, est aussi en porte-à-faux d’une société individualiste et matérialiste qui est pourtant née de la société chrétienne et qui assume, en mots sinon en fait, nombre de « valeurs chrétiennes ». Acculturer le catholicisme viserait à infléchir cette société de l’intérieur, en suivant ses démarches (le droit et la démocratie), et sans nécessairement afficher sa foi. Les participations populaires que Charles Delhez préconise viseraient alors l’efficacité pastorale à l’égard de « brebis perdues ». Et elles conduiraient, dans la société, à agir spécifiquement (droits humains dans l’UE) ou localement (migrants), ou à soutenir les ONG, chrétiennes ou non, qui s’en chargent. Les chrétiens se fonderaient dans la société et laisseraient la lumière sous le boisseau : pas de place pour une pastorale.

2. Les convergences entre réformes démocratiques et ecclésiales seraient cependant propices à ce que le christianisme inculture(3) la société, la réinvestisse. Les participations populaires seraient alors le levain dans la pâte. Comme le sont les initiatives citoyennes dans leur ordre, et en complicité avec elles, mais en se réclamant de la religion.

L’alternative a ceci de sympathique, que ses deux membres excluent de « verser le vin nouveau dans de vieilles outres ». Avec d’autres religions ou philosophies nous pourrions fabriquer ensemble de nouvelles outres. Avec l’inculturation, l’Église conserverait en outre, ou retrouverait, son identité évangélique, mais elle devrait renoncer à son identité historique, sacrificielle, donc cléricale, et se séculariser en donnant à l’homme la place qui lui revient : le centre de notre agir. « Ce que nous attribuons à Dieu, nous l’ajoutons à l’homme » disait Jean Ladrière.

Irons-nous vers une Église « liquide en réseau » (Arnaud Join-Lambert) qui se voudrait chrétienne plutôt que catholique romaine ? Le fait est que l’Église nous « parle » de moins en moins. « Mes brebis entendent ma voix ; je les connais, et elles me suivent » (Jn 10, 27) : il y a longtemps que l’Église – de Rome à nos paroisses – ne peut plus reprendre cette phrase à son compte.

Paul Löwenthal – 3 juin 2019

(1) Secularization : An Analysis at Three Levels. Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2002. (retour)
(2) Lire la réaction de Ph.Soudon à l’article de Ch.Delhez. (retour)
(3) J’utilise ce verbe transitivement pour suggérer qu’il s’agit d’une démarche « invasive ». Les réductions jésuites au Paraguay... (retour)
Published by Libre pensée chrétienne - dans Eglise Christianisme Cléricalisme