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20 juillet 2019 6 20 /07 /juillet /2019 08:00
« L’aventure intérieure – Les mots compagnons de mes chemins » de Jacques MUSSET, Editions Karthala – 2013 Les galets…
Jacques MUSSET

En vacances à Marseille, mon épouse et moi avons passé une merveilleuse journée ensoleillée à « La Pointe Rouge » où nous avons découvert un très joli port de plaisance et une magnifique petite plage de galets. Rentrés à l’hôtel, en poursuivant ma lecture du livre « L’aventure intérieure – Les mots compagnons de mes chemins » de Jacques MUSSET, Editions Karthala – 2013, j’ai été époustouflé de lire, aux pages 95 et 96, ce que l’auteur exprime à propos des « galets » … Cette lecture m’a bouleversé ! Je la partage avec grand plaisir avec vous.

Luc BOSSUS

 

 

Les galets…

 

« (…) Il m’a fallu traverser des zones de turbulence lorsque j’ai dû remettre en question certaines de mes façons de penser et de me comporter. Mais sans elles, mon être se serait-il laissé décaper, creuser et approfondir pour découvrir le trésor essentiel caché au fin fond de moi-même ? Il en est de même pour tous ceux qui sont en quête de vérité. Ils se laissent laminer, chacun à son rythme, par les événements qui les bousculent et découvrent un jour l’unique nécessaire qui illumine leur existence et lui donne son sens.

 

 

En méditant sur l’incessant polissage de nos vies au plus intime, je pense soudain à une image qui en fut pour moi un puissant symbole il y a une quinzaine d’années. Je faisais à pied le tour de la Bretagne et je marchais de St Brieuc vers Paimpol sur le sentier douanier qui longe la mer. J’arrivai sur une plage couverte de galets. Ils étaient de toutes les couleurs, des gris, des noirs, des striés, des roses, des grenats, de toutes les formes, de toutes les grandeurs. Mais si divers qu’ils fussent, ils avaient couru la même aventure. Ils avaient été durant des siècles lavés et burinés par la mer et ses marées incessantes au point qu’ils ne recelaient aucune aspérité. Ils étaient doux au toucher, mais certains gardaient de profondes cicatrices.

 

Ce spectacle m’a parlé tout à coup de la réalité de nos vies humaines et de leur destin. Elles aussi sont, à longueur de mois et d’années, bousculées par les événements, les rencontres, les épreuves et les échecs. Elles aussi sont polies et repolies par le mouvement incessant des interrogations, des remises en question, des doutes et des recherches. Elles aussi, à condition d’y consentir, se dépouillent de leurs aspérités, s’arrondissent et prennent peu à peu forme humaine, moins tourmentée, plus paisible, plus accessible. Toutefois, si les galets se laissent travailler passivement par la mer et son mouvement, entièrement disponibles à son travail d’érosion, sans lui opposer refus ni obstacle, il en va pour nous tout autrement puisque nous pouvons accepter ou refuser de nous soumettre au travail de polissage auquel nous soumettent les événements que nous traversons.

 

Certains visages d’hommes et de femmes qui ont déjà vécu me font penser à ces galets silencieux. Ils rayonnent une paix, une sérénité, une joie intérieure, fruits d’une maturation profonde, résultat de multiples combats intimes, point d’aboutissement d’un labour profond de l’âme et du cœur. Leur existence sonne juste et révèle leurs richesses intérieures, probité, générosité, désintéressement, courage, capacité de s’enrichir de tout ce qu’il leur arrive y compris des épreuves, simplicité, détachement des honneurs et des apparences, résistance au mensonge et aux fausses évidences, aptitude à dénoncer les faux-fuyants, imagination créatrice auprès d’autrui. Ces gens-là sont contagieux. On se plaît en leur compagnie. On se sent appelé soi-même à devenir meilleur. Ils existent partout, ils sont de tous les âges, on les rencontre dans tous les métiers et toutes les situations. Mais pour les remarquer – car la plupart du temps, ils vivent la vie la plus ordinaire qui soit –, sans doute faut-il déjà être sur le chemin du vivre vrai.

 

 

Marcher en la compagnie de ces êtres polis par la vie et façonnés par elle m’incite à me livrer au travail essentiel de laminage intérieur sans lequel nul être ne peut advenir à son humanité. Et comme les galets qui n’ont pas choisi l’endroit où ils ont été polis mais se sont soumis au lent et imperceptible travail d’érosion là où la nature les a disposés, de même c’est dans ma vie quotidienne, avec le passé et l’histoire qui me constituent, que j’ai à me laisser façonner jusqu’à ma dernière heure. Il reste encore beaucoup à faire. "Il y aura toujours à ne jamais s’arrêter" écrit le poète René Char.

 

Si l’humanité passée et présente ressemble à la longue dune de galets multicolores et multiformes qui ont porté mes pas sur les sentiers bretons, je me sens l’un d’entre eux, perdu au milieu des autres, mais avec son visage particulier, presque imperceptible et pourtant irremplaçable. Aucun galet ne ressemble à aucun autre. Chacun a sa beauté et son originalité. Puissé-je, tout en restant moi-même, demeurer en communion active et actuelle avec la multitude des humains si proches, si semblables et si différents, eux aussi création et fruit du mystérieux mouvement qui ne cesse de nous animer de l’intérieur ! »

 

Jacques MUSSET

Published by Libre pensée chrétienne