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19 octobre 2019 6 19 /10 /octobre /2019 14:54
John Shelby Spong John Shelby Spong, témoin d’un christianisme crédible par nos contemporains
Exposé de Jacques Musset lors de la journée J.S.Spong du 5 octobre 2019 à Paris

John Shelby Spong est un évêque anglican retraité des Etats-Unis, âgé actuellement de 88 ans. Il a exercé toute sa vie un ministère pastoral, d’abord comme prêtre en paroisse puis pendant 25 ans comme évêque, élu selon la tradition anglicane par un collège d’évêques, de prêtres et de laïcs.

Le grand investissement de son ministère pastoral a été de travailler à présenter la foi chrétienne d’une manière crédible à ses paroissiens et diocésains et plus largement aux hommes et femmes de notre temps. C’était d’abord pour lui une exigence personnelle. A cet effet il a déployé un important effort de réflexion et de travail intellectuel dont sont témoins les 26 livres qu’ils a publiés depuis 1973 jusqu’au dernier : « Pour un christianisme d’avenir » - son testament en quelque sorte - traduit récemment en français et dont l’énoncé du sous-titre laisse entrevoir quel en est l’enjeu capital : « Ni les anciens credo, ni la Réforme ne peuvent susciter aujourd’hui une foi vivante. Pourquoi ? » . C’est ce livre que je vais vous présenter ce matin : il résume toute la démarche de John Spong.

Qu’est ce qui l’a motivé à consacrer son existence à pareille entreprise ? C’est que très tôt, au cours de ses études, puis dans son ministère de prêtre et d’évêque, il a perçu avec acuité combien la doctrine chrétienne officielle de son Eglise - comme celle des autres Eglises - manquait terriblement de crédibilité pour les hommes et les femmes du 20ème siècle. Il n’était ni le premier ni le seul à en prendre conscience et à chercher à y remédier mais il n’a pas été le moindre à proposer des réponses.

Pourquoi donc à ses yeux la doctrine chrétienne officielle – encore professée dans bien des Eglises - n’est- elle plus crédible à notre époque ? Principalement pour deux raisons.

1) La première raison, c’est que cette doctrine a été élaborée lors des premiers conciles chrétiens des 4ème et 5ème par des évêques de culture grecque qui ont traduit leur foi en se servant des représentations et des langages qui étaient les leurs mais qui ne sont absolument plus les nôtres. De plus cette doctrine a été imposée par eux (et aussi par l’empereur !) comme la seule et vraie foi chrétienne devant être professée par tous les chrétiens de tous les temps et en tous lieux. Elle est résumée dans le solennel credo datant des concile de Nicée-Constantinople en 325 et 381 que l’on récite de temps en temps à la messe et que la plupart d’entre nous connaissez bien. « Je crois en un seul Dieu, ... »

Pour John Spong, si légitime qu’ait été la démarche de ces chrétiens des 4ème -5ème siècle pour tenter de s’accorder sur une foi chrétienne commune ( encore qu’il y ait eu bien des dissidences), il est évident que l’expression de leur foi ne peut plus être valable pour les chrétiens du XXIème qui baignent depuis le 17ème siècle dans une nouvelle culture, celle de la modernité. Cette nouvelle culture, basée sur l’autonomie de la raison jusqu’alors non reconnue par l’Eglise, a bouleversé les représentations que celle-ci avait du monde, de l’homme, de la Bible, et donc de Dieu et de Jésus, conceptions qu’elle tenait pour divines et dont elle estimait être la dépositaire exclusive. Depuis trois siècles en effet, une multitude de découvertes scientifiques ainsi que de nouvelles approches philosophiques et psychologiques sur la condition humaine ont réduit à néant les anciennes représentations de la doctrine chrétienne traditionnelle. Copernic, Képler, Galilée, Newton et à leur suite quantité de savants ont pulvérisé les antiques conceptions de l’Univers. De même, Darwin et sa théorie de l’évolution des espèces a contredit le discours chrétien sur l’origine de l’homme sorti tout neuf des mains de Dieu, sur sa faute originelle envers son créateur et sur la nécessité d’un rédempteur divin pour en réparer l’affront. Descartes, Kant, les philosophes des lumières, puis les maîtres du soupçon Marx, Freud, Nietzche ont également bousculé profondément l’approche traditionnelle qu’on avait du sujet humain et partant de Dieu. Dès lors, l’enjeu fondamental de la démarche de Spong est le suivant : comment des chrétiens du XXIème siècles, éveillés à l’esprit critique en tous domaines, peuvent-ils continuer à se dire chrétiens ?

2) La seconde raison pour laquelle selon John Spong la doctrine chrétienne traditionnelle encore largement enseignée n’est plus crédible, c’est qu’elle repose sur une lecture fondamentaliste des Ecritures en dépit des études exégétiques qui, depuis quatre siècles, ont considérablement permis de décoder les textes bibliques et évangéliques. Une lecture fondamentaliste, littérale est aujourd’hui une impasse car on projette sur les mots et expressions de ces textes le sens qu’ils ont aujourd’hui dans notre vocabulaire, et cela aboutit à des contre sens et des non- sens énormes, faute d’en décrypter le sens.

C’est ainsi qu’on a procédé lors de l’élaboration des dogmes aux 4ème et 5ème siècles et sans doute ne pouvait-on pas faire autrement. On a pris au pied de la lettre dans les Ecritures ce qui s’y disait. Par exemple, on a donné au simple qualificatif évangélique « fils de Dieu » désignant Jésus le sens fort de « Fils unique de Dieu » défini aux conciles de Nicée-Constantinople. A notre époque encore, on continue en maints endroits de lire littéralement les évangiles de l’enfance (Les chapitres 1 et 2 de Matthieu et Luc) comme l’histoire du petit Jésus alors qu’il s’agit de professions de foi en formes de récits sur le Jésus d’après Pâques construits avec des procédés littéraires de culture juive qui ne sont plus les nôtres. On a de la sorte divinisé Jésus, à partir de ces récits et de beaucoup d’autres.

De nos jours, il n’est plus permis d’être fondamentaliste, à cause des progrès accomplis dans la compréhension des textes bibliques par l’exégèse, notamment à partir de la méthode dite historico-critique. C’est en observant durant tout son ministère pastoral les dégâts et les gâchis de cette lecture littérale au détriment d’une foi chrétienne crédible que John Spong a engagé un combat sans merci contre elle – parfois au péril de sa vie - et qu’il a promu en ses nombreux livres une approche des textes fondée sur la méthode interprétative, dite historico-critique.

Voilà les deux raisons pour lesquelles, selon lui, la doctrine chrétienne officielle qui continue d’être enseignée dans les Eglises n’est plus crédible pour l’homme moderne qui n’abdique pas son esprit critique. C’est ce qui a poussé notre auteur à pratiquer ce qu’il appelle une déconstruction nécessaire et salutaire.

Mais c’est pour laisser place à la reconstruction d’un christianisme qui donne sens à leur vie. Je vais esquisser les grandes lignes de cette reconstruction autour de cinq thèmes essentiels développés dans le dernier livre de Spong : 1. Dieu ; 2. Jésus le Christ ; 3. L’éthique ; 4. La prière ; 5. la vie après la mort.

Dieu

Pour Spong, si le Dieu qu’il nomme le Dieu théiste est mort, c’est à dire « un être » tout puissant, habitant quelque part en dehors du monde et doté d’un pouvoir miraculeux pour orienter voire changer le cours de la marche du monde et des événements, y compris ceux vécus par chaque personne, comment alors parler de « Dieu » pour qu’il ait du sens en notre temps ? Non pas avec l’ambition d’exprimer le mystère profond et inaccessible de Dieu, mais avec le souci de formuler l’expérience que nous les êtres humains nous pouvons faire de Lui ? Quelle expérience ?

Pour les croyants juifs dans la Bible, dit Spong, l’expérience de Dieu « est intimement liée à ce qui est source de vie pour les hommes. Les images de l’avènement du Royaume de Dieu sont celles d’un monde transformé et sain, en plein accord avec Dieu : « L'eau coulera dans le désert » ; « Les yeux des aveugles s'ouvriront, les oreilles des sourds se déboucheront, les membres des humains ne seront plus boiteux, estropiés, diminués ou limités et les voix des muets se feront de nouveau entendre (Isaïe 35) ». Il en est de même dans le Nouveau Testament. Dans la parabole en Matthieu 25, dite du jugement dernier, « chaque vie humaine est évaluée sur un critère identique : l’attention réelle qu’on aura eu ou pas à l’égard de ses frères humains et notamment vis à vis ceux qui étaient dans le besoin, car c’est là qu’est Dieu. Dieu n'est pas ici un être séparé de l'humain ». Dans la première épître de Jean, c’est le même message : « Dieu est amour. Qui demeure dans l'amour, demeure en Dieu ». « Le thème commun à ces textes est que Dieu n'est pas un être à part des êtres que sont les humains. L’approche de Dieu se fait à travers ce qui rend l’homme vivant. »

Mais comment dire aujourd’hui cette expérience de Dieu dans le langage humain ?

John Spong témoigne ici de sa propre démarche. Il part d’abord de la conscience qu’il a d’expérimenter dans sa manière de vivre quelque chose au-delà de lui-même. L’expérience d’une forme de transcendance qui lui permet d’affirmer qu’il est relié à plus large que lui, qui s’appelle la vie, une vie qui coule en lui et dont il fait partie. « L’expérience [aussi] de l’amour [reçu et donné] qui nous relie également à quelque chose au-delà de nous-mêmes. Dieu est le nom que nous donnons à cette expérience de la vie et de l'amour. Dieu est expérimenté dans la présence de l'amour. »

Et Spong ajoute : « Quand nous disons que Dieu est personnel et non impersonnel, nous disons que Dieu est la vie que nous vivons, l'amour que nous partageons, l'Etre dans lequel nous sommes unis. Cela signifie-t-il que Dieu existe ? J'ignore ce que veut dire cette question. Je fais l'expérience de Dieu ; je ne peux pas expliquer Dieu. J'ai confiance en mon expérience. » En conséquence, il conclut : « Si Dieu est [ainsi] le Fondement de l'Etre dans lequel notre être est enraciné, la seule manière dont nous pouvons le glorifier correctement est d'avoir le courage d'être tout ce que chacun de nous peut être. »

Dans cette perspective, quelle valeur donner à la manière singulière dont chacun nomme son expérience de Dieu ? Elle est tout à fait légitime mais relative aux conditions particulières dans lesquelles l’être humain fait son expérience de Dieu. Si bien qu’il n’est aucun langage absolu ni figé. Nos conceptions de Dieu ne peuvent être qu’évolutives. « En conséquence, tous nos credo, nos doctrines et nos dogmes sont des définitions avec des limites humaines, qui ne sont, en dernière analyse, que des créations humaines ; aucune ne provient de ce que nous appelons « révélation divine.

Jésus le Christ

« Comment parler de l'expérience du Christ en des mots qui aient du sens ? » Telle est la question radicale que pose John Spong. Pour lui, sa référence n’est plus le Jésus de la doctrine traditionnelle

D’abord, le concept d’incarnation de Dieu en l’homme Jésus, élaboré au premier concile en 325 , n’est pas biblique si l’on étudie de près les textes. D’autre part, la conception virginale de Jésus sans l’intervention d’un homme n’est pas possible ; la science nous l’a appris. Par ailleurs, ses nombreux miracles extraordinaires, dont beaucoup sont les doublures littéraires de ceux des anciens prophètes Elie et Elisée, ne visent qu’à accréditer Jésus comme le successeur de ces illustres devanciers. De plus, la doctrine de la mort expiatoire de Jésus pour réparer aux yeux de Dieu la faute originelle ne tient plus la route ; depuis Darwin, nous l’avons vu, on sait que l’homme n’est pas né dans un état de pureté originelle qu’il aurait ensuite compromis par sa faute ; il est simplement de par sa condition humaine un être incomplet, fragile, doué d’un libre arbitre, capable du mal et du bien. Il n’a pas besoin d’être sauvé d’un péché originel qui aurait contaminé toute l’humanité. Enfin, les représentations de Jésus ressuscité à travers les mises en scène des récits évangéliques n’ont rien d’historique ; la vérité de ces textes est d’exprimer la conviction intérieure des disciples : pour eux, celui qui a été crucifié comme un fossoyeur de la religion est en réalité le témoin par excellence de Dieu. L’ascension est également une mise en scène pour signifier que le crucifié est désormais en Dieu

Alors, « Comment alors parler de l'expérience du Christ en des mots qui aient du sens ? » Pour John Spong, sa référence est Jésus de Nazareth, cet être intensément habité par le divin que les apôtres et disciples ont reconnu comme tel. A quel signe ? A sa manière de vivre, à ses paroles et ses actions créatrices de vie et d’amour chez les humains et entre les humains. En l’appelant « Christ » - ils l’ont désigné comme l’initiateur d’un monde nouveau, qui est le lieu de Dieu. Spong résume ainsi : « En Jésus, il y a une humanité qui inclut toute personne et n’en rejette aucune. En ce Jésus se découvre une communauté humaine sans frontières. Dieu est la puissance de vie, la passion de l'amour, le fondement de l'être qui attire toutes vies dans une nouvelle humanité. Voilà l'expérience qui a conduit Paul et beaucoup d'autres ensuite à dire de Jésus : « Dieu était en Christ » (II Cor 5,19).

« Jésus est quelqu'un de pleinement humain en qui un monde divisé trouve une unité nouvelle. Dieu n'a pas envahi le monde ; mais plutôt, l'humain est devenu le moyen à travers lequel le divin peut être et a été rencontré et saisi».

L’éthique

Comment le chrétien moderne peut-il définir le bien et le mal et savoir les distinguer ? Il ne peut plus en effet se réclamer d’une révélation divine lui disant ce qui est moral on non. Par ailleurs il sait désormais, grâce aux découvertes scientifiques des siècles passés et récents, dans quels conditionnements il se trouve lorsqu’il doit prendre des décisions. Enfin ses conditions actuelles d’existence sociale par rapport à celles du passé ont changé sous nombre d’aspects. Il en découle que chaque ancienne règle morale de l’héritage chrétien est à relativiser. Chaque être humain doit choisir et décider en son âme et conscience. En fonction de quoi ? De la « loi » de la vie et de l'amour qui seule rend possible l'épanouissement de la vie, c’est à dire de ce qui au regard de chacun promeut la vie et l’amour. Personne ne peut décider à sa place. « Aime et fais ce que tu veux » ; cette injonction attribuée à St Augustin résume, selon John Spong, l’esprit dans lequel le chrétien se doit d’inventer ses décisions, car c’est dans cette expérience génératrice de vie et inspirée par l’amour qu’il rencontre Dieu. « Qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu en lui» (I Jn 4, 16)

La prière de l’homme moderne

John Spong récuse la conception de la prière de demande encore très en vigueur qui consiste à s’adresser à un Dieu extérieur, tout puissant et doté de pouvoirs surnaturels en vue d’obtenir de lui des changements de toute nature, en soi, chez les autres, dans l’univers et dans le monde. Dans cette démarche, l’être humain démuni appelle Dieu à son secours pour résoudre ses problèmes. Or cette représentation de Dieu a été réduite à néant par les découvertes scientifiques. Et le comportement de l’homme s’adressant à Dieu de cette façon se révèle infantile comme l’a montré Freud.

Comment dès lors concevoir et vivre une prière qui ait du sens ? Si nous expérimentons Dieu et sa puissance de vie et d’amour à travers des expériences humaines génératrices de vie et d’amour, prier, c’est, pour Spong, prendre des temps de recueillement ; nous nous y mettons en présence du Dieu de la vie et de l’amour et nous nous rappelons l’exigence de partager avec quiconque les dons de la vie, de l’amour et de l’être. Dans cette pratique, nous puisons la capacité d’être artisans et témoins de vie et d’amour au travers des événements, des situations et des relations que nous vivons au long de nos journées. Ce faisant, conclut, John Spong, « Est-ce que j'attends que des miracles se produisent, que des vies soient changées ou que l'unité remplace ce qui est brisé ? Non, mais je m'attends à être rendu plus complet, rendu libre pour partager ma vie plus profondément avec les autres, afin de pouvoir aimer au-delà de mes limites et de voir abaissées les barrières qui me séparent de ceux qu'auparavant j'évitais » (p. 229).

La vie après la mort

On a échafaudé autrefois, dit Spong, des constructions mentales sur l’au-delà de la vie : le paradis, l’enfer, les limbes, le purgatoire. Cette distribution était pour les dirigeants de l'église un moyen de contrôler le comportement des humains sur cette terre. « Le sentiment était que si ces contrôles puissants venaient à être relativisés s'en suivrait inévitablement l'anarchie morale ». « Actuellement, avec nos connaissances scientifiques plus étendues, les vieilles images ayant rapport à la vie éternelle se sont tout simplement évanouies dans notre esprit ».

Cependant l’espoir d’une vie après la mort est-il cependant pensable et de quelle manière ? John Spong l’admet pour plusieurs raisons. Dans le domaine du vivant, l’homme a cette singularité « d’être un centre nouveau de conscience, un esprit capable de transcender les frontières du temps, conscient de sa finitude ce qui le conduit à inventer un sens à son existence ». « L'esprit de cette créature dépasse les limites de la vie et semble en quelque sorte partager une dimension d'éternité ». C’est la raison, étayée pour lui par certains indices, qui le faire conclure au-delà de toute preuve et de représentation : « Je peux simplement dire qu'aux confins de la vie, aux frontières de sa propre conscience, les concepts de réalité transcendante, d'amour infini et de vie éternelle font toujours sens pour moi. Je ne me fais pas d'illusion. Je crois que j'ai touché l'éternel et que j'en partage le sens ».

Voilà donc un très bref aperçu du dernier livre de Spong qui résume l’oeuvre de sa vie, soucieuse de repenser le christianisme dans la culture de notre temps. A l’opposé du Catéchisme de Jean Paul II datant de 1992 qui bétonne la doctrine traditionnelle, le livre-testament de Spong pourrait s’intituler : « Catéchisme du chrétien moderne ». C’est l’avenir que je lui souhaite de tout coeur.

Jacques Musset, 5 octobre 2019

Published by Libre pensée chrétienne - dans Foi et croyance