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14 décembre 2019 6 14 /12 /décembre /2019 11:45
bateau lpc Le prêtre qui n’y croyait plus
Article de Elodie Blogie dans Le Soir du 30 novembre 2019
Moment de recueillement lors des funérailles de Roger Sougnez le 30 novembre 2019

Roger Sougnez était arrivé à la conviction que «la religion n’est qu’une construction humaine qui reprend des croyances antiques, et qui se pare de la prétendue mission reçue par Dieu.» Michel Tonneau.

Roger Sougnez

Roger Sougnez a été ordonné prêtre en 1955. Sa vie durant, au fur et à mesure de ses recherches, il a perdu la foi. Souffrant d’un cancer, il s’est fait euthanasier ce mercredi 27 novembre. Il souhaitait une diffusion posthume de son témoignage.

Portrait

De grandes croix en pierre se dressent à l’entrée de la cour intérieure de la maison de repos liégeoise. Roger Sougnez s’excuse de nous recevoir dans sa chambre, où son bureau rempli de livres et de notes personnelles compense à peine le caractère austère et impersonnel de ces pièces qui se ressemblent toutes. « C’est presque une cellule de moine ! », plaisante-t-il. L’ironie du désespoir ? Le prêtre que nous rencontrons a passé sa vie à rejeter un à un les dogmes de la foi. Pour s’apercevoir, in fine, que « rien ne tient ». Ce mercredi 27 novembre, il a été euthanasié. Il souhaitait que nous diffusions son témoignage de façon posthume.

« La religion n’est qu’une construction humaine »

Roger Sougnez est né dans une famille très catholique. Profondément croyant lui aussi, et convaincu qu’une vie éternelle l’attend après son bref passage terrestre, il décide de devenir prêtre pour « aider ses frères humains » à accéder eux aussi à cette félicité. Ordonné en 1955, une autre date marque davantage son parcours. « En 62, les évêques belges acceptaient que des laïcs enseignent la religion à l’école, raconte-t-il. J’ai donc été chargé de former ces professeurs durant 25 ans. » Soucieux de délivrer un enseignement le plus juste possible à ses élèves, Roger Sougnez se plonge dans les textes avec rigueur. « Je voulais enseigner vrai, pas juste en faire de bons petits chrétiens, développe-t-il. J’ai entrepris de scruter la religion catholique point par point. Je voulais que mes élèves aient de quoi justifier la religion et répondre aux objections. Mais l’approche classique ne justifiait rien. » Un premier dogme lui pose problème : le péché originel. « Rien qu’en réfléchissant sérieusement à la doctrine du péché originel et au récit biblique, on s’aperçoit qu’ils sont invraisemblables, remplis d’incohérences et d’iniquités », écrit le prêtre dans le livre qu’il a publié à la fin de sa vie, intitulé « De la prêtrise à l’abandon des doctrines».

N’ignorant pas les interprétations symboliques, l’homme de 92 ans n’en démord pas : « Un dieu d’amour n’agirait pas de la sorte juste parce qu’Adam a désobéi ! » Un à un, les dogmes s’effondrent. La résurrection, la création, l’au-delà… : Tout y passe. « Je travaillais pour fortifier la foi catholique et je m’aperçois point par point que ça ne tient pas. Je suis vraiment arrivé à la conviction que la religion n’est qu’une construction humaine qui reprend des croyances antiques, et qui se pare de la prétendue mission reçue par Dieu. »

Cette « révélation » ébranle totalement le prêtre. « Je m’étais fait prêtre pour accéder à la vie éternelle. J’avais fait le calcul : quand je voyais la vie terrestre et tous ses malheurs, je préférais m’assurer ce ciel. Et je ne voulais pas garder cela pour moi.

Quand j’ai compris que non, bien sûr, il n’y avait pas de vie éternelle, j’ai été proche du suicide. J’avais tout fait pour y accéder, et en réalité j’avais fait erreur. Alors, quoi ? » Roger arrête de pratiquer, démissionne de son poste de formateur des professeurs de religion en 87, soit après 25 ans. Il prétexte une mauvaise santé pour éviter d’être affecté à une paroisse. « Evidemment qu’à l’époque, le prêtre avait beaucoup de pouvoir, admet-il. Abandonner la prêtrise, c’était abandonner le pouvoir. Mais comment aurais-je encore pu célébrer ? Prendre un morceau de pain et dire Ceci est mon corps ? » Roger Sougnez a bien fait partie d’un groupe de théologiens francophones plus « progressistes », il s’est enthousiasmé lors du Concile Vatican II, nourrissant l’espoir d’un mouvement d’émancipation de l’Eglise, finalement freiné par les autorités. « J’étais très seul, concède-t-il. En général, les prêtres les plus critiques essaient de réinterpréter le texte. Je n’ai trouvé personne pour aller aussi loin avec moi. »

« Le catholicisme tel qu’il est doit disparaître »

Dès sa démission, le prêtre caresse l’idée d’écrire ce qu’il a « découvert ». Pourtant, pendant trente ans, il conservera des scrupules à le faire, craignant de provoquer trop de dégâts. « La plupart des gens ont besoin de religion », soupire-t-il. Ce n’est donc qu’au crépuscule de sa vie qu’il se décide à écrire, accompagné pour ce faire d’anciens élèves, qui nous apparaissent curieusement un peu comme des disciples, démarchant la presse pour rendre hommage au parcours étonnant de leur ancien maître… qui d’ailleurs n’a jamais été exclu de l’Eglise. Il a même offert récemment son ouvrage à son évêque, raconte-t-il avec une étincelle de malice dans ses yeux bleus transparents. Un livre qu’il considère non pas comme un simple témoignage, mais bien comme un « manifeste » : « Le catholicisme tel qu’il est doit disparaître ! », tranche-t-il. Mais alors, que reste-t-il ? « Le message authentique du Christ et ses valeurs, concède-t-il. Être charitable, pardonner, etc. Abandonner la religion ne veut pas dire abandonner la spiritualité. Je n’exclus pas la possibilité d’une énergie, d’une réalité supérieure que nous ne connaissons pas. » Plutôt qu’athée, Roger Sougnez préfère donc se dire agnostique : « il reste un doute ».

Des doutes, il n’en a pas beaucoup eus lorsqu’il a appris que son cancer était incurable, qu’il n’y avait plus d’espoir. Il a demandé l’euthanasie. Lui qui, au début de ses fonctions s’opposait vivement à l’avortement a totalement revu ses positions de principe sur toutes ces questions éthiques. « C’est monstrueux de dire que seul Dieu a droit de vie et de mort sur les gens, s’emporte-t-il. On a été jeté dans la vie sans rien demander. Si on s’aperçoit que la vie qu’on mène n’est plus digne d’être vécue, à nous de décider. Tu permets hein ! »

Il a pourtant fallu batailler pour que la maison de repos dans laquelle il résidait, catholique, accepte sa volonté. Avec la publication de son livre, et de son témoignage, le curé part avec le sentiment du devoir accompli. « Je voulais éviter qu’on puisse dire : Ils ont continué à nous tromper. Personne, aucun membre du système, n’a eu le courage et l’honnêteté de nous dire ce qu’il en était en réalité. »

« La fin de vie pour Roger Sougnez s’est déroulée selon ses volontés », nous a envoyé un de ses anciens élèves ce mercredi, après son euthanasie. Ultime pied de nez à une Église que le prêtre s’est appliqué sa vie durant à déconstruire. Pierre par pierre.

Article de Elodie Blogie dans Le Soir du 30 novembre 2019

Moment de recueillement lors des funérailles de Roger Sougnez le 30 novembre 2019

Bonjour à toutes et tous. Je m'appelle Marc Piron. Ancien étudiant puis ami de Roger. Il m'a demandé d'animer ce moment de recueillement qu'il a préparé. Il m'a demandé de débuter par la lecture de ces mots qui vous sont adressés.

Bien chers famille, amis, anciens élèves de l'Ecole Normale, anciens paroissiens et connaissances.

De l'opéra Faust, je reprends les paroles que Faust prononce lorsqu'il s'apprête à boire le breuvage mortel qu'il s'est préparé : "J'arrive sans terreur au terme du voyage"

Merci d'être venus. Merci pour votre amitié et pour tout ce qu'elle m'a apporté. Sachez que je vous ai vraiment aimés, portés dans mon cœur et qu'il m'est extrêmement dur non de mourir mais de vous quitter. En vérité, j'aurais voulu faire plus pour vous, vous consacrer plus de temps mais les études très fouillées consacrées à ma recherche de la vérité m'ont pris beaucoup de temps et m'ont obligé de réduire ou même d'abandonner beaucoup de choses auxquelles je tenais. Ne croyez surtout pas que j'ai pris simplement égoïstement cette décision de quitter la vie sans penser à la peine que cela causerait. La somme de mes nombreux handicaps, dégradations et souffrances que vous ne pouviez pas voir m'a rendu l'existence insupportable.

Je ne saurais assez remercier mon bien-aimé neveu et filleul Philippe qui a excellemment pris soin de moi et assumé toutes les nombreuses charges concernant mon départ.

Vous connaissez le grand drame qui a réellement bouleversé ma vie. Je ne m'y attendais pas du tout. Je voulais fournir, surtout à mes élèves futurs professeurs de religion, des arguments solides qui justifieraient les croyances et les positions importantes de l'Eglise mais, à mon grand désarroi, mes études rigoureuses m'ont amené à la conclusion contraire : Ces croyances et ces positions n'étaient pas crédibles. En conscience, j'estimais, quelles que soient les conséquences pour moi, devoir mettre l'argumentation à la disposition des chercheurs de vérité. D'où mon livre "De la prêtrise à l'abandon des doctrines". Ce n'est pas de gaité de cœur que je l'ai rédigé.

Chers amis, je suis vraiment heureux de vous avoir connus. Vous connaissez la phrase "Ne pleure pas celui que tu as perdu, sois heureux de l'avoir connu".

S'il m'est arrivé de vous avoir fait de la peine, veuillez me pardonner.

Très tôt, j'ai forgé mon caractère, convaincu que c'est à nous qu'il incombe de nous travailler pour devenir un homme digne de ce nom. Peut-être pourriez-vous, vous aussi, faire le point et tant qu'il est encore temps, améliorer ce qui peut l'être : devenir un homme valable, être heureux et faire des heureux.

N'oubliez pas que mon intelligence dégradée m'empêche d'exprimer mes sentiments comme je le souhaiterais.

Mes mots défaillent pour exprimer tout ce que je ressens.

Rappelez-vous que tout mon amour et mes souhaits ardents que vous connaissiez le plus de bonheur possible vous accompagnent.

Soyez heureux et faites des heureux !

Roger Sougnez

Published by Libre pensée chrétienne