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11 janvier 2020 6 11 /01 /janvier /2020 09:00
Jacques Musset Le « Dieu » inédit de Marcel Légaut
« Nous avons des yeux pour voir. Pour croire, nous avons notre existence. »
Jacques Musset

Introduction

Si j'ai intitulé mon propos « Le « Dieu » inédit de Marcel Légaut », c'est que son approche du Mystère de Dieu m'apparaît une révolution copernicienne par rapport à l’approche traditionnelle des Églises, notamment de l'Église catholique, mais aussi plus largement par rapport à une conception populaire de Dieu qui demeure dans bien des esprits. Par « révolution copernicienne », j'entends un changement radical de perspective qui selon Légaut s'impose en raison de la faillite des représentations traditionnelles de Dieu dans notre monde actuel marqué par le progrès des sciences en tous domaines. C’est ma propre démarche et je suis infiniment reconnaissant à Légaut de m’avoir fait découvrir cette voie dans les années 1970 au cours desquelles l’approche traditionnelle de mon éducation chrétienne a cessé pour moi d’être crédible.

Comment caractériser en quelques mots l’approche du mystère de Dieu par Légaut avant de la développer ?

Son approche originale du mystère de Dieu est, me semble-t-il, au confluant de trois voies, trois chemins singuliers qu’il expérimente concomitamment. Les découvertes qu’il y fait se rejoignent et se conjuguent pour constituer sa foi personnelle en Dieu.

- Première voie : c’est le regard critique et décapant que Légaut porte sur le langage traditionnel sur Dieu qui est celui de son Église. Pour lui, ce langage n’est plus crédible pour l’homme contemporain marqué par les découvertes scientifiques.

- Seconde voie : C’est sa démarche spirituelle fondamentale à la recherche de son humanité. Au cœur de ce travail d’humanisation, il perçoit à l’œuvre en lui une action inspiratrice de ses choix qu’il réfère à Dieu.

- Troisième voie : C’est dans son compagnonnage de plus en plus intime avec Jésus de Nazareth – pour lui, l’homme accompli - qu’il entrevoit le « visage » de son Dieu, inspirateurs de ses paroles et de ses actes, de ses engagements et de ses combats.

Vous le remarquez d’entrée de jeu : l’approche du mystère de Dieu par Légaut est existentielle. Elle n’est pas déconnectée de la recherche du sens de son existence qui est l’affaire de sa vie ; elle lui est intérieure. Pour lui, sa foi en Dieu ne sera jamais un ornement plaqué sur son existence, un héritage qu’il s’est contenté d’endosser de l’extérieur, une doctrine bien ficelée prête à consommer et à réciter.

Voyons donc en détail les trois chemins que Légaut a parcourus pour en arriver à une foi en Dieu qui soit crédible et inspirante pour lui.

1. Le premier chemin est celui de la décantation

Légaut démontre que pour l’homme moderne les représentations traditionnelles sur Dieu - toujours en vigueur - ont fait faillite. Il ne peut plus y adhérer.

1.1.

Ces représentations, nous les connaissons si nous sommes allées au catéchisme autrefois. Elles ont été élaborées durant les cinq premiers siècles de l'Église et définies comme dogmes, c'est à dire Vérités divines par les conciles des IVème et Vème siècles de notre ère. L'Église chrétienne devenant à partir de la fin du Vème siècle la religion officielle et exclusive de l'empire romain puis des régimes politiques occidentaux qui lui ont succédé, elles ont été imposées au peuple chrétien du Vème au XVIème siècle, y compris par le recours à la force.

Avec l'avènement de la modernité à partir du XVIIème siècle qui fut de la part de nombre de penseurs la revendication de soumettre à la raison les héritages reçus – jusqu’alors l’autonomie de celle-ci n’était pas reconnue -, les croyances religieuses traditionnelles commencèrent à être interrogées et remises en question par les découvertes des sciences. Mais l'Église catholique, sans entendre les questionnements pourtant pertinents, a maintenu telle quelle sa doctrine sur Dieu comme ses autres croyances. Elle continue aujourd’hui de professer les mêmes affirmations, selon elle immuables parce que révélées par Dieu, alors qu’un travail historique montre leur relativité : elles ont été élaborées dans une culture donnée et elles sont tributaires des représentations du monde, de Dieu, de l’homme de ce temps-là.

Ces affirmations sur Dieu sur lesquelles continuent de camper l’Église catholique sont rappelées solennellement dans le Catéchisme de l'Eglise catholique (CEC) publié par Jean-Paul II en 1992 et présenté comme la norme de la foi catholique. Énumérons-les pour l’essentiel :

- l’existence d'un Dieu omniscient et tout puissant s'impose pour expliquer le mystère de l'univers et celui de l'homme.

- ce Dieu est le créateur du vaste univers : « Dieu tout puissant a créé le ciel et la terre » (CEC 293) ; « de rien » (296), « par sagesse et par amour » (295), d'une manière « ordonnée et bonne » (299).

- Dieu est aussi le créateur de l'homme. Si l'Église accepte depuis une trentaine d'années la théorie de l'évolution des espèces, elle maintient que « L'homme est la seule créature sur terre que Dieu a voulue pour lui-même » (CEC 356) ; Il est d’ailleurs intervenu lors de son apparition pour lui créer une âme immortelle, ce qu'il continue de faire à la conception de chaque l'enfant (CEC 306).

- Dieu est encore le maître de l'histoire humaine et de chacune des histoires individuelles. Il « garde et gouverne par sa providence tout ce qu'Il a créé. » (CEC 302).

- ce Dieu prend l’initiative de se révéler spécialement dans le cadre de la religion juive (CEC 1961-1964) puis définitivement en Jésus en qui il s'incarne. Sur plusieurs siècles, il dévoile explicitement sa volonté en indiquant à l’homme le chemin de la vraie vie (la morale naturelle) (CEC 1950-1960).

- enfin, l'histoire humaine aura un terme à l’heure voulue par Dieu ; il coïncidera avec la résurrection de tous les humains, les uns promis à un bonheur éternel, les autres à un malheur éternel selon qu'ils auront suivi ou non la loi de Dieu (CEC 668-682).

1.2. Pourquoi, selon Marcel Légaut, ces représentations traditionnelles de Dieu ont-elles fait faillite ?

« De telles conceptions... sont légitimement contestées, écrit-il

- non seulement par la connaissance des lois qui règnent sur le monde de la matière et de la vie,

- des lois non moins puissantes qui régissent les groupes humains, au niveau des réalités sociales, économiques et politiques,

- mais aussi par la connaissance de ce qui dans l'intime de l'homme relève des disciplines scientifiques. » (DS 12)

1.2.1. La première objection de Légaut découle de « la connaissance des lois qui règnent sur le monde de la matière et de la vie »

- Marcel Légaut est au fait des prodigieuses découvertes en astrophysique qui ont eu lieu depuis Copernic et qui se sont accélérées au cours du XXème siècle. Il sait que les conceptions de l'univers à partir desquelles on a élaboré autrefois les représentations d'un Dieu créateur d'un monde bon et ordonné ont été révolutionnées de telle sorte qu’elles ne sont plus recevables par ceux de nos contemporains qui réfléchissent.

« Dieu n'est pas à proprement parler la cause des phénomènes que nous pouvons observer par les sens ni de ceux qui débordent les horizons des sens que la raison, grâce aux sens, sait encore détecter. Dieu n'est pas la première des causes dont la science peut parler avec autorité quand cette notion a encore valeur à ses yeux dans la zone du réel où elle a accès. Cette première cause, sans nul doute, n'existe pas. Ainsi son définitivement dépassées les conceptions sur l'action de Dieu dans le Monde qui ont prévalu dans toutes les religions depuis un passé des plus lointains. » (DS 14 -15)

« Depuis que l'Univers se découvre à l'homme dans des dimensions que celui-ci ne peut plus dire que d'une façon abstraite, et qu'il se montre d'une complexité qui sans doute ne relève pas seulement de l'inadéquation des concepts utilisés, tout essai de pensée sur Dieu mené exclusivement à partir du Monde de la matière et de la vie afin d'en expliquer l'origine, de rendre compte de son ordonnance et de son évolution à l'inimaginable histoire, paraît par nature irrémédiablement sans commune mesure avec son objet. » (DS 15 ; VSM 189)

- Quant à l'affirmation professant que Dieu a « tout créé pour l'homme » et que « L'homme est la seule créature sur terre que Dieu a voulue pour lui-même », Marcel Légaut ne peut y adhérer en raison de la connaissance actuelle de l'immensité et de la complexité de l'Univers.

« Plus l'homme accroît ses connaissances sur le Monde de la matière et de la vie dont il est issu, d'un Monde qui se révèle à lui d'une immensité sans bornes dans le temps et l'espace, plus il se découvre infime et éphémère... Ne serait-il pas simplement un phénomène accidentel de conscience de la plus extrême improbabilité, un phénomène en lui-même privé de sens dans un univers dont la seule raison d'être est d'exister ?

Et de même qu'à travers les années-lumière, nous voyons les astres naître puis s'éteindre, continuant à suivre immuablement leurs trajectoire d'errance dans un espace démesuré de silence et de vide, notre humanité ne va-t-elle pas elle aussi, après une émergence relativement récente, disparaître à son tour et laisser la terre, après une brève présence de quelques activités de vie puis de conscience, redevenir une matière de nouveau inerte, jusqu'au moment où une autre émergence de vie et peut-être de conscience apparaisse ailleurs pour enfin disparaître à son tour ? Tel est le doute que tout homme doit affronter s'il a le courage de regarder le réel tel que maintenant celui-ci se manifeste objectivement à lui grâce à ce que les sciences lui en montrent... un réel d'une radicale inhumanité, soumis à une loi de fer qui semble lui être consubstantielle et être la condition même de son existence. » (DS 13-14)

Un peu plus loin : « Désormais on ne peut plus, comme jadis, à partir de Dieu justifier la présence des hommes. » (DS 15).

1.2.2. La seconde objection découle de la connaissance « des lois ... qui régissent les groupes humains, au niveau des réalités sociales, économiques et politiques ».

Ici, Légaut fait référence aux travaux de la sociologie, de l’ethnologie, de l’histoire...

Ainsi conteste-t-il la doctrine traditionnelle sur Dieu professant qu'en l'homme créé est écrite « la loi naturelle immuable (qui) exprime le sens moral originel permettant à l'homme de discerner par la raison ce que sont le bien et le mal, la vérité et le mensonge. » (CEC)

De plus, face à la diversité constatée des modes de vie et des valeurs des humains à travers le monde, Légaut ne craint pas d’affirmer : « On ne peut plus donner à la vie humaine un sens tout à fait général et exhaustif tant, depuis les millénaires perdus dans le passé où sur la terre l'espèce humaine a émergé du Monde de la matière et de la vie, les êtres se manifestent d'une extrême diversité... dans les moyens dont ils disposent et dans les exigences personnelles dont ils prennent conscience... » (DS 15)

1.2.3. La troisième objection relève de « la connaissance de ce qui dans l'intime de l'homme relève des disciplines scientifiques. » (DS 12)

Ici Légaut se réfère à la psychologie, à la psychanalyse... En fonction de ce que ces sciences humaines nous découvrent de la nature et du fonctionnement de l’homme, de ses fragilités natives comme de ses possibilités, la description de l’homme sorti des mains de Dieu, dans un état « de sainteté et de justice originelle » et dispensé de souffrance et de mort, est de l’ordre du mythe. Il en est de même de la faute originelle de l’homme contre Dieu qui l’aurait privé de tous ces avantages et plongé dans la souffrance et la mort. Il n’est plus possible de parler ainsi pour rendre compte du mal présent dans l’histoire humaine. La croyance dans la transmission de la faute originelle à tous les humains est une hypothèse totalement périmée.

La position de Légaut est sans appel : « Jadis, la question du sens de sa vie ne se posait pas à l'homme comme maintenant... La réponse en était donnée par la religion tant celle-ci avait encore de puissance sur lui et précisait par sa doctrine, d'une façon assurée qui paraissait suffisante à tous, ce qu'était l'homme à partir de ce qu'elle affirmait de Dieu. Dieu n'était-il pas le créateur, la cause des phénomènes qui émerveillaient l'homme ou le terrorisaient, de tous les événements heureux ou malheureux ?... Elle a besoin d'être profondément révisée de nos jours... en raison du développement extraordinaire des connaissances du réel que l'homme acquiert là où ses sens et sa raison lui en permettent l'accès » (DS 11)

1.2.4. En conclusion de sa cascade d’objections et de réfutations de la doctrine traditionnelle sur Dieu, Légaut enfonce le clou :

« Les bases sur lesquelles, dans la chrétienté d'hier, on fondait solidement et on bâtissait avec minutie l'édifice théologique qui expliquait la raison d'être du Monde et la présence des hommes... sont maintenant ébranlés sans remèdes... » (DS 16)

« Sont définitivement périmées les facilités qu'on pouvait jadis se permettre d'utiliser pour fonder en raison, d'une façon irréfutable, une croyance en Dieu qui, de ce fait, s'imposait à tout homme quel que soit son état spirituel. Sont définitivement périmées aussi les facilités qu’autorisait une vue humanisée du Monde où l'homme était installé de droit divin, où il trouvait sa place et connaissait sa raison d'être sans avoir à en faire personnellement une véritable découverte. » (DS16)

Cependant, tout en affirmant que « les sciences exactes ont chassé Dieu du monde de la matière et de la vie » (DS 18), il ne rejoint pas les prétentions de ceux pour qui les sciences humaines, en manifestant l’extrême complexité du fonctionnement humain, expriment la totalité de l’homme. Si nécessaire que soit leur lucidité pour mettre en lumière les conditionnements de toutes sortes qui pèsent sur l’homme, elles ne peuvent déduire que celui-ci n’en est que la résultante passive. En dépit des pressions internes et externes qui pèsent sur lui, l’être humain a la capacité de s’interroger sur le sens de sa vie, de reconnaître le mystère qu’il est en lui-même, de s’engager dans l’accomplissement de sa propre existence. (DS 18 à 20) « Désormais la critique qu'exercent les sciences humaines conduit au moins à relativiser, en l'inscrivant dans le temps et le lieu de son origine, ce qui, dans le passé, était regardé comme vérité absolue ». (DS 16)

Jacques Musset - décembre 2017

Abréviations des livres de Légaut cités ici avec la date de leur 1ère édition

  • HRH : L’homme à la recherche de son humanité, 1971
  • PP : Patience et Passion d’un croyant, 1976
  • PH : Prières d’hommes, 1978
  • LV2 Deux chrétiens en chemin : Marcel Légaut-François Varillon, 1978
  • DS : Devenir soi - Recherche le sens de sa propre vie, 1980
  • VSM : Vie spirituelle et modernité, 1992
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