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Le « Dieu » inédit de Marcel Légaut III « Nous avons des yeux pour voir. Pour croire, nous avons notre existence. » |
Jacques Musset |
3. La troisième voie d’approche du mystère de Dieu par Légaut est son compagnonnage avec Jésus de NazarethPour Légaut à la recherche de sa propre humanité, Jésus est l’homme qui a vécu pleinement la sienne dans le contexte humain et religieux de son époque. Il découvre le cheminement intime du nazaréen non pas en partant d’affirmations dogmatiques, mais en s’intéressant avant tout à la manière dont il a misé sa vie autant qu’on puisse la connaître à partir des témoignages des premiers disciples. Ce qui passionne Légaut c’est, en méditant les évangiles, de percevoir comment Jésus s’est approprié de l’intérieur les événements de sa propre existence : ses rencontres avec des hommes et des femmes situées diversement, et dans bien des cas marginalisés socialement et religieusement, ses engagements à ses risques et périls en faveur de la dignité de l’homme bafoué pour toutes sortes de raisons, ses oppositions et ses conflits qui se sont accrus avec les tenants de la religion juive officielle : les grands-prêtres du Temple et les gardiens pointilleux de la Loi écrite et orale et finalement sa propre mort qu’il pressentait. Ainsi Légaut devine-t-il l’évolution intérieure de Jésus qui s’est faite d’étape en étape, de prise de conscience en prise de conscience, de choix en choix impliquant un certain nombre de refus et de tâtonnements. Légaut constate en même temps qu’au cœur de son cheminement, Jésus se référait constamment à son Dieu comme à la source de ses engagements, de son enseignement et de sa pratique libératrice : Présence inspirante pour lui de ses choix et de ses refus. « Ce que Jésus a enseigné, il l’a d’abord découvert tout au long de sa vie. Il l’a vécu grâce à sa fidélité à correspondre aux événements, aux rencontres, mais aussi grâce à ce qui montait en lui en ces occasions, notamment pendant ses nuits de prières » (PP 77-78) Légaut se sent ainsi en connivence avec la démarche de Jésus dans son rapport avec « son Dieu », car, pour lui aussi, Dieu est la source inspirante de son existence. En dépit de leurs différences de vocabulaire et de représentations, liées à leurs différences d’enracinement culturel, ce qui les unit, c’est le mouvement intérieur qui les lie à Celui que Jésus appelle son Père et que Légaut nomme autrement : « Action inséparable de l’être qu’elle visite, Discrète amorce au coeur des créations de l’homme, Source des exigence intimes qui s’élèvent du coeur, Origine des appels des profondeurs de l’homme, Eclairs qui illuminent le cheminement de l’homme, Réalité secrète au coeur même du réel... » Dans les deux cas cependant, en Jésus et chez Légaut, Dieu n’est pas perçu comme réalité extérieure, mais intérieure à l’homme ; dans les deux cas, l’action de Dieu en l’homme ne le déresponsabilise pas ; dans les deux cas, l’inspiration de Dieu ne se perçoit qu’à travers la recherche humaine de rectitude et d’authenticité dont l’homme fait preuve pour « vivre vrai et penser juste » ; dans les deux cas, c’est une démarche de foi qui engage tout l’être. A travers les vingt siècles qui les sépare, Légaut voit dans le cheminement de Jésus, vécu avec authenticité et courage, ce que peut être aujourd’hui pour son disciple la voie d’une relation juste avec Dieu. « C’est grâce à ce que Jésus a été, entrevu au cœur de son mystère, à travers le mystère que nous sommes en nous-mêmes que nous découvrons le mystère de Dieu. » (PP 78) Mais compte tenu de la distance culturelle qui les distingue, Légaut a exprimée à sa manière le mystère de Dieu. A nous à leur suite de trouver les langages inédits pour exprimer l’expérience de la présence inspirante de Dieu dans notre quête d’humanisation. La vraie fidélité, en effet, n’est pas répétition, mais recréation. Pour conclure, une invitation…Il y a un petit livre de Légaut intitulé « Prières d’homme » dont les textes sont une formulation des plus concises de son approche existentielle du mystère de Dieu et de sa relation à Lui. C’est une pure merveille. Tous les mots portent, ils sont lourds de l’expérience vécue par Légaut, ils sonnent juste. On y perçoit comment son approche du mystère de Dieu est enraciné dans sa recherche du sens de sa propre vie en réponse aux exigences intimes qui le sollicitent à vivre vrai. Les lire, les relire, les méditer, se les approprier personnellement permet de rejoindre par le fond la démarche intime de Légaut et d’inventer la sienne propre. En voici un extrait :
J’ai appris par cœur l’une de ses longues prières : « Infimes, éphémères, mais nécessaires... » et je ne cesse de m’en nourrir. Près de trente ans après la mort de Légaut, je me sens en communion très profonde avec lui, bien plus qu’avant qu’il ne meure, parce que j’ai moi-même maturé et que j’ai le sentiment d’avoir trouvé ma voie singulière. |
Jacques Musset, le 1er décembre 2017 |
Abréviations des livres de Légaut cités ici avec la date de leur 1ère édition
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