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28 novembre 2020 6 28 /11 /novembre /2020 09:00
John Shelby Spong Echapper au littéralisme biblique
Deuxième partie
John Shelby Spong
Evêque émérite de l’Eglise épiscopalienne de Newark, New Jersey, USA.

Nous vous proposons le premier chapitre de son livre "Né d’une femme", conception et naissance de jésus dans les évangiles - éditions Karthala-2015

La moralité biblique

Il est presque amusant d'observer " la moralité biblique " comme les littéralistes l'appellent. Ils ne semblent pas comprendre à quel point certaines attitudes bibliques sont immorales selon nos critères. Par exemple, selon le plus ancien des deux mythes hébreux de la Création, la femme n'a pas été créée à l'image de Dieu, mais elle est un ajout après coup pour procurer à l'homme une compagne et une aide (Gn 2/4-23). La femme était la propriété de l'homme. Lot, que la Bible nomme « juste » (2 P 2/7), a offert ses filles vierges à la foule en colère dans la ville de Sodome (Gn 19/ 8). Qui s'avancera pour défendre cette partie de la " moralité biblique " ? Dans les Dix Commandements, le cœur même de la loi juive toujours naïvement salué comme étant l'essence de la moralité biblique, l'épouse est listée après la maison d'un homme et avant son bœuf, comme une possession qu'un autre homme ne doit pas convoiter (Ex 20/ 17). Les moralistes, qui citent le septième commandement pour interdire l'adultère (Ex 20/1 4), n'arrivent pas à comprendre que la polygamie était le type de vie maritale courant à l'époque où ce commandement a été donné. En effet, trois cents ans après que la loi ait été donnée sur le mont Sinaï, Salomon comptait sept cents épouses et trois cents concubines, dit la Bible (1 R 11/ 3). Que signifie l'adultère quand un homme possède un millier de femmes ? Dans son contexte littéral, le septième commandement exhortait en fait un homme à ne pas violer la femme qui était la propriété d'un autre homme. Une femme qui n'était pas la possession d'un homme était, bien sûr, une cible légitime. Cela ne semble pas être vraiment aussi moral que les moralistes voudraient bien nous le faire accroire.

Au-delà du littéralisme naïf des fondamentalistes et de celui un peu plus subtil d'une grande partie des responsables de l'Église, il existe encore un autre niveau de littéralisme biblique qui n'est pas du tout remis en question, même dans les cercles religieux et académiques. Cette forme de littéralisme est l'assertion selon laquelle les histoires de la Bible sont absolument uniques, neuves et non syncrétistes ; ou bien alors ce littéralisme qui ne parvient pas à voir les aspects universels de tout folklore religieux. Joseph Campbell (anthropologue), dans ses entretiens avec Bill Moyers (journaliste) publiés sous le titre Puissance du mythe, a suggéré que les croyants d'une religion devraient étudier les mythes de religions autres que la leur, parce qu'ils ont tendance à prendre au sens littéral les mythes de leur propre système religieux.

Beaucoup d'histoires dans les mythologies du monde sont, par exemple, comparables à des passages familiers de la tradition chrétienne. Des figures divines sont nées de mères vierges, des héros mythiques meurent, sont ressuscités et retournent au ciel au moyen d'ascensions cosmiques. Lorsque nous lisons ces traditions dans le contexte des écritures sacrées égyptiennes, il ne nous vient pas à l'idée de lire de manière littérale les histoires d'Osiris et d'Isis. Dans ce cas, nous savons que nous avons affaire à d'anciens mythes. Cependant, nous évitons de faire les mêmes hypothèses à propos des histoires relatives à notre propre foi.

En réalité, chez certains chrétiens, quiconque n'affirme pas la totale historicité de l'histoire chrétienne est suspect ; il est considéré comme incroyant ou même hérétique, et il est chassé de la communauté. La plupart des croyants chrétiens n'en sont pas encore arrivés à reconnaître dans leur tradition religieuse la subjectivité du langage, de l'histoire, d'un système de valeurs particulier ou de toute forme de mentalité.

L'ascension de Jésus (Ac 1), qui dans son contexte biblique repose sur l'idée d'un monde à trois étages - une Terre plate et un paradis réel situé au-delà du dôme du ciel - peut-elle être délivrée des mots et des concepts d'une ère qui a figé cette expérience dans des images concrètes aussi limitées et désuètes ? Des personnes vivant à l'époque de la conquête de l'espace peuvent-elles échapper à la conclusion que, si Jésus a réellement quitté cette terre et même s'il a voyagé à la vitesse de la lumière (environ 300 000km/s), il n'a pas encore pu franchir les limites de notre galaxie ? Le littéralisme conduit à d'étranges absurdités.

Marie vierge ?

Selon la vision de la génétique du premier siècle, la totalité de la vie du bébé était supposée être présente dans le sperme du mâle, un concept que l'on appelle humuncleos. Les récits de naissance écrits à cette époque, afin d'affirmer l'origine divine de Jésus, n'avaient donc qu'à remplacer le mâle, puisque l'on pensait que la femelle n'offrait rien d'autre que l'utérus pour servir d'incubateur. Si elle est lue de manière littérale, cette histoire ne peut avoir aucun sens dans un monde qui comprend assez différemment les processus génétiques des humains. Les rédacteurs des récits de naissance ne connaissaient pas les ovocytes et la manière dont les zygotes sont formés génétiquement.

Lisez aujourd'hui de manière littérale les légendes de la naissance chez Matthieu et Luc et, selon des théologiens éminents comme Wolfhart Pannenberg et Emil Brunner, vous détruisez le concept chrétien de l'incarnation. Un Jésus qui reçoit sa nature humaine de Marie et sa nature divine de l'Esprit Saint ne pourrait pas être reconnu comme pleinement humain et pleinement divin. Pannenberg et Brunner ont défendu qu'il ne serait en réalité ni pleinement humain, ni pleinement divin. S'ils ont raison, le christianisme lui-même ne peut accepter la compréhension littérale de la tradition des récits de naissance. Cependant, au déjeuner, dans le réfectoire de l'une des universités de théologie les plus en vue des États-Unis, il y a quelques années, les étudiants avec lesquels je discutais traitaient toujours littéralement l'histoire de la vierge et - ce qui est peut-être encore plus effrayant -, ils citaient l’un de leurs professeurs pour étayer leurs arguments.

Lorsqu'un évêque de l'Église épiscopalienne m'a dit qu'il acceptait le récit de la naissance virginale littéralement parce que " si Dieu avait voulu naître d'une vierge, il pouvait se débrouiller pour que ça marche " ou lorsqu'un autre a déclaré : " Si Dieu a créé ex-nihilo, la naissance virginale a pu se faire en un claquement de doigts ", je me suis dit : comment l'Église va-t-elle survivre dans ce monde avec un tel manque de connaissances universitaires parmi ses responsables ? Dans ces déclarations, les évêques affirmaient leur croyance en un Dieu qui était en fait une personne masculine manipulatrice et qui mettait de côté les lois physiques du monde pour opérer un miracle afin d'introduire sa présence divine dans une entreprise humaine appelée "vie", de laquelle il était séparé. Ils ont ainsi révélé leur absence de connaissance des exégèses bibliques qui, depuis au moins un siècle, ont jeté une nouvelle lumière sur l'interprétation de ces récits de naissance.

Un littéralisme destructeur

Le littéralisme se travestit sous différentes formes, de la flagrante à la subtile et à l'inconsciente, mais cela n'en reste pas moins du littéralisme, et en chaque circonstance il est finalement destructeur pour la vérité. En raison du fait que le pouvoir du christianisme institutionnel est supposé reposer sur les assertions littérales d'un credo datant du quatrième siècle, il est aisé de comprendre pourquoi le littéralisme continue d'avoir une emprise sur les responsables ecclésiastiques, y compris parmi ces professeurs qui enseignent le futur clergé dans quelques-uns des séminaires du pays, et en particulier les séminaires fondés par des Églises reconnues.

Un mythe lu de manière littérale est un mythe condamné à mourir. Sa vérité ne peut pas être sauvegardée. Le littéralisme n'est pas une option bénigne pour les chrétiens de notre époque. Dans notre monde moderne, le littéralisme n'est rien de moins qu'un ennemi de la foi en Jésus-Christ. C'est un système de croyance construit sur l'ignorance, qui se conduit comme si Dieu, le mystère infini, pouvait être défini avec les mots d'un être humain ou dans les catégories de pensée d'une ère particulière. Le littéralisme est l'affirmation selon laquelle la vérité éternelle de Dieu a été ou peut être capturée dans des concepts limités à un temps de l'histoire humaine. Le littéralisme, c'est prétendre que le savoir est fini et que la connaissance ne peut donc pas avancer dans de nouvelles directions infinies, chaque jour. Le fondamentalisme biblique réduit les options religieuses au niveau d'une proposition relative énoncée à un moment donné, puis l'enrobe d'une certitude qui ne peut être maintenue que par une hystérie défensive et agressive. Lorsque cette certitude vole en éclats, elle ne laisse à celui qui était fondamentaliste aucune autre option qu'un désespoir sans Dieu. Le temps est révolu, où au nom de la tolérance envers les insécurités religieuses des autres, j'autorisais mon Christ à être défini par un littéralisme assassin.

Que faire ?

Alors je me tourne vers ces questions : Que faut-il pour comprendre ces données mythiques qui emplissent notre histoire religieuse ? Les éléments universels présents dans le mythe chrétien peuvent-ils être identifiés ? Peuvent-ils être libérés de la manière de penser tribale de nos esprits limités pour atteindre les alcôves profondes de la vie, les profondeurs de la psyché humaine, et même le centre mystique de Dieu ? Les traditions religieuses du christianisme peuvent-elles être prises au sérieux sans être lues au sens littéral ? Les chrétiens peuvent-ils être libérés pour se lancer dans l'exploration des Écritures sacrées de notre histoire sainte sans être cantonnés dans les préjugés, les visions du monde et les pièges émotionnels d'une autre époque ? L'Église chrétienne peut-elle, à l'aube du XXI° siècle, cheminer hors d'un littéralisme qui, si elle n'en sort pas, sera la cause de sa mort?

Je crois que l'heure est venue pour l'Église de se jeter à l'eau, de donner à son peuple le courage de vivre avec intégrité et de parcourir notre histoire sainte dans une quête honnête de la vérité. L'heure est venue pour l'Église de reconnaître que la certitude est un vice, de la rejeter et d'accueillir l'incertitude comme une vertu. Le temps est venu pour l'Église de renoncer à son modèle névrotique qui consiste à utiliser de façon malhonnête des systèmes de sécurité religieuse, les uns après les autres, et d'autoriser son peuple à sentir le vent vivifiant de l'insécurité, afin que les chrétiens comprennent ce que marcher par la foi veut dire.(2co 5,7)

L'Église peut-elle se défaire de ses préjugés induisant une vision du monde personnaliste, masculine et patriarcale ? Peut-on échapper aux stéréotypes du passé qui définissent le genre, l'orientation et la moralité sexuelle d'une manière qui a conduit à violer les femmes et qui désormais est perçue de plus en plus comme violant tout le monde ? L'Église peut­ elle abandonner le domaine du contrôle des comportements pour appeler les humains à devenir des êtres saints et entiers, ce pour quoi Dieu les a créés ?

Dans ce volume, j'ai choisi de me concentrer particulièrement sur le rôle de l'Église et de !' Écriture dans l'oppression des femmes. De façon à mettre ceci en évidence sans aucune ambiguïté, je concentre mon étude sur les récits de naissance qui se trouvent au début du premier et du troisième évangile de notre texte biblique.

Au début de ce chapitre, j'ai exposé mon opinion, selon laquelle ces textes, plus que toute autre partie de la Bible, ont exercé et exercent encore une influence négative sur les femmes en fournissant une définition à laquelle toutes les femmes doivent être comparées. Je me promène donc sous les mots des récits familiers de Noël. J'examine ces textes en observant des histoires similaires dans des traditions assez différentes de la mienne. Je fais face aux implications de mon assertion selon laquelle l'histoire de la naissance virginale n'est pas de l'histoire réelle et factuelle. S'il n'y a pas eu de naissance virginale, alors Joseph ou un autre homme ont été le père terrestre de Jésus. Si la paternité revient à quelqu'un d'autre que Joseph, alors il convient de se demander si la liaison a eu lieu avec ou sans le consentement de la mère de Jésus. J'examine l'hypothèse que Jésus ait pu être un enfant « illégitime », suggestion aujourd'hui proposée par des exégètes féministes, et je cherche à comprendre l'implication de cette possibilité pour la théologie chrétienne. Je demande pourquoi la femme réelle qui était aux côtés de Jésus au cours de sa vie et lors de sa mort a été remplacée dans l'histoire chrétienne par une femme irréelle et asexuée. C'est seulement de cette façon, j'en suis persuadé, que nous pouvons faire face, montrer et effacer la négativité envers les femmes, créée par une Bible lue de manière littérale dans son ensemble, et par les récits de naissance lus de manière littérale en particulier. Ce faisant, j'espère alerter l'Église sur le prix qu'elle a dû payer pour son adhésion au fondamentalisme.

En guise de porte d'entrée nouvelle et prometteuse à franchir pour aborder cette tâche, je présente d'abord une méthode, un contexte et un décor utilisés par les auteurs bibliques originaux, qui caractérisent les évangiles en général et les récits de naissance en particulier. En entrant par cette porte, j'espère fournir une option nouvelle par-delà les choix stériles actuels que, selon beaucoup, l'Église offre au monde d'aujourd'hui.

Autrement dit : dois-je être pré-moderne et empli de préjugés pour être chrétien ? Ou dois-je quitter le christianisme pour échapper à mes préjugés et prendre au sérieux mon monde postchrétien ?

Peut-être puis-je ouvrir les yeux de mon lecteur sur le fait que le littéralisme sous toutes ses formes peut mourir et que, malgré cela, Dieu continuera de vivre ? Ce voyage, je crois, mérite que le lecteur y consacre du temps et que le croyant s'y risque.

John Shelby Spong
Fin

Published by Libre pensée chrétienne