Déserter ou rester ? | |
Pour un christianisme d’avenir : Robert Ageneau, Serge Couderc, Paul Fleuret, Jacques Musset, Philippe Perrin, Marlène Tuininga |
Depuis de longues années, nous nous sentons étrangers au système religieux catholique dans lequel nous avons été élevés, enfants ou plus tard, où nous avons vécu et où nous nous sommes investis de tout notre être. La raison en est notre évolution intellectuelle et spirituelle qui nous a déportés des croyances et des pratiques traditionnelles toujours en vigueur et qui nous interdit, par intégrité intérieure, d’y apporter notre caution. Et ces derniers temps, nous ne pouvons plus vraiment supporter le système religieux catholique ; nous avons envie de le fuir ; il nous semble faux d’un bout à l’autre. Nous sommes sans doute loin d’être les seuls à éprouver ces sentiments. En effet :
Nous ressentons très profondément cette épreuve ; à certains jours et certaines heures, nous sommes tentés de déserter nous aussi purement et simplement. Qui peut nous aider ? Nous nous tournons alors vers Jésus : comment s’est-il, pour sa part, comporté dans la religion juive de son temps ? Et nous y percevons des coïncidences avec notre situation. Les déviations qu’il a dénoncées ne sont-elles pas en effet celles mêmes que nous trouvons dans le catholicisme actuel ? Le cœur du message de Jésus que nous tenons à promouvoir ne se trouve-t-il pas dans sa manière même de vivre, à savoir un certain style de vie humaine vécu dans l’ordinaire des jours, en pratiquant le « culte en esprit et en vérité » ? Jésus se situe en effet dans la vie concrète et habituelle des humains et non pas d’abord dans des lieux religieux comme les synagogues et le Temple. Jésus passe la majeure partie de son existence publique en arpentant les routes de Galilée, en observant ce qui s’y passe, en rencontrant sans a priori les gens, des hommes et des femmes de toutes conditions qui vivent des histoires humaines de toutes sortes. C’est cela qui intéresse Jésus. C’est dans cette vie quotidienne, et nulle part ailleurs, que se joue pour lui la valeur de leurs vies. Qu’y dit-il et qu’y fait-il ?
Après sa mort, en effet, ceux-ci vont commencer à proclamer, à l’opposé de la publicité officielle des religieux, que leur maître non seulement n’est pas le fossoyeur de la religion mais qu’il est, d’une façon inédite, l’initiateur, par sa manière de vivre, du Royaume, ce monde nouveau que tout le monde attend. Pour énoncer pareille affirmation, il a fallu auparavant pour les disciples expérimenter durant des mois la qualité d’existence de Jésus dans une vie quotidienne avec lui, avoir été subjugués par son autorité, son courage, sa droiture, son intelligence, son écoute et son accueil du tout-venant, sa fidélité à sa Source intime... Il n’est pas question pour eux de quitter leur religion natale, mais de lui insuffler l’esprit de Jésus... Ainsi annoncent-ils dans les synagogues la nouveauté de Jésus de Nazareth. En dépit de la contradiction et des menaces portées par les adversaires de Jésus, ses disciples ne fléchissent pas. Cependant les disciples de Jésus finissent par être mis à la porte du judaïsme par ses responsables qui ne supportent plus la concurrence et les déviances de la nouvelle voie. Les premières communautés chrétiennes naissent ainsi hors des murs du judaïsme. Petites communautés rassemblées par la mémoire vivante de Jésus et le souci de vivre à sa manière ; communautés s’autogérant en conséquence pour être fidèles à ce qui les anime et en témoigner. Cheminement qui ne va pas de soi si l’on en croit les tensions et les tentations dont parle Paul dans ses lettres, et qui pourtant se poursuit vaille que vaille durant un bon siècle et demi. On connaît ce qu’il advint de l’histoire qui a suivi :
Puis s’est produite la déchirure entre les Églises occidentale et orientale au Xie siècle et, en Occident, au XVIe siècle, c’est la scission du protestantisme d’avec le catholicisme, survenue dans un contexte de déliquescence du catholicisme, se caractérisant par l’abolition de la hiérarchie religieuse apparue au IIe siècle. Nous, animateurs du groupe Pour un christianisme d’avenir, nous nous retrouvons au XXIe Si nous nous inspirons du comportement de Jésus, nous ne déserterons pas notre Église natale. Et ce, même si nous avons la conviction justifiée qu’elle ne se rénovera pas en profondeur ; non seulement en Occident où elle est actuellement en chute libre, mais inévitablement dans les autres régions du monde où aura été cultivé l’esprit critique. Nous nous efforçons donc, comme lui en son temps, de dénoncer ce qui y est inacceptable parce qu’infidèle à sa pensée et à ses intentions. Nous gardons le souci de continuer à poser, de l’intérieur de notre Église, les questions de ceux qui l’ont quittée, de gré ou de force, et de certains qui la rejettent pour des raisons proches de notre analyse. Nous nous employons en même temps à mettre en relief et à actualiser dans notre culture ce qu’est l’appel de Jésus à vivre en humain, à la fois en paroles et en actes. Nos moyens : des publications, des rencontres, un travail en réseaux avec des groupes et des instances dont nous sommes proches, et au sein de petites communautés, un lien étroit avec les chrétiens « libéraux » d’autres Églises. Cela suppose que nous consentions à exister sans complexe en marge du système catholique, tout en faisant la différence entre l’Église et l’Institution catholique. L’Église au sens profond du terme est la communauté des disciples qui s’essaient personnellement et ensemble à vivre de l’esprit de Jésus ; dans l’Église catholique romaine, il ne manque pas d’hommes et de femmes qui vivent authentiquement et qui témoignent de l’Évangile, avec des représentations diverses de la foi. L’Institution catholique, par contre, ce sont l’organisation, la structure et le système qui font fonctionner l’ensemble et qui n’ont pas grand- chose à voir avec ce que voulait Jésus. Ceci dit, il faut s’attendre à ne pas être très bien vus, voire suspectés et mis sur la touche. Rester dans le catholicisme d’une manière marginale, mais visible est, pour nous après mûre réflexion, la voie que nous choisissons maintenant. Elle est bancale et inconfortable mais elle s’enracine dans un mouvement souterrain de chrétiens, largement éparpillés, qui gardent la passion de l’Évangile. |
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