Né d'une femme, le témoignage de Paul (1) | |
John Shelby Spong |
Avant la mise par écrit des évangiles, avant l'apparition des doctrines théologiques destinées à interpréter Jésus, avant la mise en forme d'une tradition concernant la naissance de Jésus, Paul avait écrit: « Mais, quand est venu l'accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils , né d'une femme et assujetti à la loi, pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu'il nous soit donné d'être fils adoptifs » (Ga 4/4-5). Ce sont les premiers mots écrits sur la naissance de Jésus conservés par la communauté chrétienne. Ils ont été écrits par Paul entre l'année 49 et l'année 55 de notre ère, soit quelque dix-neuf à vingt-cinq ans après les événements du Calvaire et l'expérience de Pâques, et quelque seize à vingt¬ et un ans avant que le premier évangile soit mis par écrit. Un texte consacré à la compréhension que Paul avait des origines de Jésus ne pouvait être que bref, car Paul ne se préoccupait pas de ces choses. Dans ce passage de l'épître aux Galates, il n'y a aucune trace d'une naissance miraculeuse ou d'une paternité surnaturelle. Cette question ne s'était simplement pas encore posée pour Paul; elle ne constituait pas non plus un sujet d'intérêt pour cette première génération de chrétiens. Dans cette même épître, Paul fait référence de manière terre à terre à Jacques, le frère du Seigneur (Ga 1/19). L'idée qu'il puisse y avoir quelque chose d'incroyable dans le fait que Jésus ait eu un frère, était tout aussi inconcevable pour cet auteur juif. En effet, Jacques, le frère du Seigneur, tenait son statut et son influence dans l'Église primitive principalement de sa parenté biologique avec Jésus de Nazareth. Quelque trente-cinq années plus tard, quand Luc écrivit dans les Actes son récit de la rencontre entre Paul et les chefs des chrétiens juifs à Jérusalem, le Jacques auquel il fait référence n'est plus désigné par le titre « le frère du Seigneur » (Ac 15). Cependant, il est évident qu'il ne peut s'agir que de ce Jacques, frère de Jésus. Le livre des Actes avait déjà raconté que Jacques, le frère de Jean (et le fils de Zébédée), avait été passé au fil de l'épée par Hérode (Ac 12/1-2). Le seul autre Jacques que la Bible mentionne est Jacques, le fils d' Alphée. Pourrait-il être le Jacques dont il est question dans Actes 15 ? C'est extrêmement improbable. Lorsque l'on sait le pouvoir que Jacques, le frère du Seigneur, avait au sein de la communauté chrétienne de Jérusalem, évoqué sans ambiguïté par Paul dans sa lettre à l'Église de Galatie, et l'absence de toute autre mention de Jacques, le fils d'Alphée, il n'y a pas d'autre conclusion valide dans les écrits chrétiens primitifs. Cependant, quelque chose s'était de toute évidence produit au cours des trente années environ écoulées entre Paul et Luc, et avait conduit les dirigeants de l'Église chrétienne à mettre un terme à l'appellation « frère du Seigneur » pour Jacques. Je reviendrai plus tard sur ce détail fascinant. Dans la lettre de Paul à l'Église de Rome, que les exégètes datent généralement de l'an 56 à 58, nous avons sa deuxième et dernière référence à la naissance de Jésus. Il écrit : « Cet évangile, qu'il avait déjà promis par ses prophètes dans les Écritures saintes, concerne son Fils, issu selon la chair de la lignée de David, établi, selon l'Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d'entre les morts » (Rm 1/3-4). Ici non plus, il n'y a pas de trace de quelque chose d'inhabituel dans la naissance de Jésus. C'était un descendant de David « selon la chair ». On nomme cela un « fils de David » Que cette appartenance à la lignée de David vienne du côté maternel ou paternel n'est pas posé, car cette ascendance selon la chair n'avait que peu ou pas d'importance pour Paul. Le centre de ce texte est une déclaration de foi. Jésus « établi [remarquez la forme passive du verbe], selon l'Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d'entre les morts. » Celui qui l'a désigné Fils de Dieu est clair lorsqu'on lit le reste de Paul. Paul n'a jamais fait référence à la résurrection en employant une forme verbale active. Pour Paul, jamais Jésus ne « se relève des morts ». C'est toujours Dieu qui le relève (Rm 4/24; 6/9; 10/9; lCo 15/4, 13, 14, 15, 20; Phil 2/9). Dieu était un, saint et souverain pour Paul le juif. L'idée d'une trinité de personnes équivalentes dans la divinité n'avait pas encore émergé. Si Paul avait été vivant au moment où cette idée est apparue, je soupçonne qu'il lui aurait vivement résisté. Paul n'était certainement pas trinitaire, dans le sens où ce concept a été défini dans des débats théologiques ultérieurs influencés par la pensée grecque. L'idée de l'incarnation, qui est aussi issue du dualisme grec, aurait été également incompréhensible pour lui. L'action de la résurrection, pour Paul, appartenait à Dieu seul, qui a validé la justesse du juif Jésus en le relevant. De plus, Paul pensait cette justification comme une exaltation de Jésus dans les cieux, et non comme une réanimation physique de la mort à la vie. Si Paul avait proposé un récit de ce moment, je soupçonne qu'il aurait choisi des termes plus proches de ceux employés ultérieurement par l'Église pour décrire l'ascension que de ceux utilisés pour décrire la résurrection. Paul, cependant, n'a pas mis Pâques sous forme narrative, il a proclamé que Dieu avait relevé Jésus, et il a utilisé les mots « exaltation » (Ph 2/9) et « résurrection» (lCo 15/13) pour décrire ce moment. À l'évidence l'hypothèse de Paul est que la naissance de Jésus était complètement normale et totalement humaine. Un homme n'a pas besoin d'une naissance surnaturelle pour être déclaré Fils de Dieu dans un contexte juif. En effet, plonger dans les origines et spéculer au sujet des origines d'une vie justifiée par Dieu ne présentait pas beaucoup d'intérêt pour Paul, ni, selon toute vraisemblance, pour l'Église chrétienne primitive. À ce moment du christianisme primitif, Paul (qui est mort environ en 64 de notre ère), se pose en témoin d'un processus normal de naissance pour Jésus. Il convient de souligner que, malgré le fait qu'il suppose une naissance naturelle, il a tout de même élaboré une christologie profonde. Mais il s'agit d'une christologie qui ne dépend pas d'une origine surnaturelle. Pour ce premier grand penseur chrétien, un lien existait en Jésus de Nazareth, réunissant le divin et l'humain. Il voyait Jésus comme la première création de Dieu (Col 15). Il voyait une divinité qui se dépouillait elle¬ même dans le Jésus de l'histoire (Ph 2/5-11). Mais aucun récit de naissance n'était nécessaire pour que Paul l'affirme. Sa compréhension de Jésus ne dépendait pas d'une intervention surnaturelle qui se serait produite avant la résurrection/exaltation. Paul était trop juif pour cela. Il est dommage que cet ancrage juif de Jésus n'ait pas perduré. Les traditions de naissance ne se développent pas pour n'importe qui. Lorsqu'elles se développent, elles constituent un commentaire puissant non pas sur la naissance de la personne, comme les gens l'imaginent, mais sur le sens de la vie adulte de celui dont la naissance est décrite. Elles reflètent le besoin humain de comprendre les origines de grandeur de la personne qui a à ce point affecté et façonné l'histoire humaine. Elles sont semblables à la suggestion selon laquelle le petit George Washington n'a jamais dit de mensonge, même lorsqu'il a abattu le cerisier, ou à la fascination que l'on éprouve pour la jeunesse d'un garçon nommé Abraham Lincoln, dont on raconte qu'il grandit dans une cabane en bois au seuil de l'Amérique. Les récits de naissance des figures historiques sont peut-être inévitables. Lorsque ces figures de l'histoire sont aussi des personnes de grande importance pour des systèmes de foi dynamiques, il est presque inévitable qu'avec le temps, le littéralisme progresse et contamine les récits de naissance légendaires. Il est presque inévitable que les personnes qui adhèrent à ce système de foi finissent par penser que les histoires de naissance interprétatives renvoyaient à des événements réels qui s'étaient déroulés dans l'histoire. Il en a été ainsi pour Moïse et pour le prophète Mohammed. Pour nous qui nous rattachons à la foi chrétienne, notre tâche est d'abord de regarder la puissance de l'adulte Jésus, puissance qui avec le temps a produit des contes sur ses origines surnaturelles. On rapporte au sujet de Jésus qu'il a dit de lui-même : « Quelle est votre opinion au sujet du Messie ? De qui est-il fils ? » (Mt 22/ 42). De manière habile, la seconde, et non la première génération de chrétiens, a commencé à aborder cette question des légendes croissantes. La première génération de chrétiens avait pour préoccupation de traiter seulement le scandale de la croix. Comment le Messie avait-il pu être crucifié ? C'était là le problème de Paul, en tant que membre de cette première génération. Mais après la mort de Paul de Tarse, une deuxième génération se mit à questionner les origines de Jésus et, lorsqu'elle le fit, elle trouva nécessaire d'apporter une réponse à ce qui finit par être appelé « le scandale de la mangeoire ». |
John Shelby Spong |
(1) Extrait du livre : Né d’une femme. Conception et naissance de Jésus dans les évangiles - John Shelby Spong - Ed.Karthala 2015 (retour) |