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27 janvier 2024 6 27 /01 /janvier /2024 09:00

 

bateau lpc Jésus, illustre et inconnu
Extraits du livre de Jérôme Prieur et Gérard Mordillat
- Ed. Desclée de Brouwer 2001
4
 
Que penser de la virginité de Marie?

Marie était une enfant, elle avait peut-être douze ans, treize ans au plus. C'était une enfant enceinte ...

Dans l'évangile de Matthieu, la conception virginale de Marie trouve sa justification dans un verset biblique que cite l'ange du Seigneur qui apparaît en songe à Joseph : « Or tout ceci advint pour que s'accomplît cet oracle prophétique du Seigneur : "Voici que la vierge concevra et enfantera un fils" » (Mt 1, 22-23).

En hébreu, le terme original qu'utilise le livre d'Isaïe d'où provient la citation de Matthieu (Is 7, 14) est 'almah, c'est à dire « la jeune fille». Les traducteurs de la Septante, la version grecque de la Bible hébraïque, l'ont traduit par parthenos (une vierge, au sens physique du pucelage intact) plutôt que par neanis (une jeune fille, de manière plus générale). Il n'est pas sans intérêt, à ce propos, de relever que le seul autre emploi du mot parthenos par la Septante est réservée à Dina, fille de Jacob, victime d'un viol.

Les rédacteurs de la Septante ont involontairement forcé le sens du texte d'Isaïe alors qu'en aucun cas le prophète ne mettait l'accent sur la virginité supposée de la mère, mais insistait sur le nom de l'enfant « Emmanuel » (en hébreu « Dieu avec nous ») comme garantie présentée au roi Ahaz: Dieu serait avec lui, constamment. Il paraît d'ailleurs probable que Matthieu ait choisi pour les mêmes raisons ce passage d'Isaïe qu'il cite au tout début de son évangile. Il voulait affirmer que Jésus est bien le sauveur promis. La virginité de Marie n'est qu'accessoire.

Marie était une jeune fille, une vierge... Cela ne signifie pas qu'elle l'était encore lorsque Jésus est né.

Comment définissait-on une vierge ?

La notion même de « virginité » n'était évidemment pas la même pour des juifs du premier siècle que pour nous. Ainsi, le traité Tosephta qui reflète l'enseignement d'un rabbin de la fin du premier siècle, précisait qu'il fallait appeler « vierge » « celle qui n'a jamais vu le sang, même si elle est mariée et a eu des enfants jusqu'à ce qu'elle ait vu sa première manifestation ». La virginité se serait définie alors par l'absence de règles (ce qui corrobore aussi la symétrie établie par l’évangile de Luc entre la grossesse d'Élisabeth et celle de Marie, la femme âgée étant stérile et la fillette n'étant pas encore fertile). Qu'elle dissimule et déguise un fait réel, une grossesse involontaire ou prématurée, ou qu'elle soit purement une légende apologétique, cette conception « miraculeuse » de Jésus par la Vierge Marie deviendra au cours des siècles une part essentielle de la doctrine officielle de l'Église catholique. Au concile d'Éphèse en 431, Marie sera proclamée Mère de Dieu, tandis que se formera progressivement la croyance qu'elle a été dès sa naissance préservée du péché originel, ce qui finira par devenir un dogme, le dogme de l'Immaculée Conception proclamé au milieu du XIXe siècle par le pape Pie IX.

Mais l'idée de la création virginale de Jésus n'est pas non plus une invention du christianisme, même si les chrétiens ont tout fait pour la distinguer radicalement des quelques conceptions extraordinaires que l'on peut déjà lire dans la Bible, mais aussi dans la mythologie de l'Antiquité.

Les Égyptiens reconnaissaient qu'il n'était pas impossible « que l'esprit de la divinité s'approche d'une femme et que, par sa vertu, il fasse germer en elle des principes de génération ». Dans La Vie des Douze Césars, Suétone rapporte comment Atia, venue célébrer le culte d'Apollon, fut nuitamment visitée par un serpent dans le lit conjugal et se trouva enceinte d’Auguste, en dehors de toute intervention de son mari.

Au IIe siècle de notre ère, dans son dialogue avec Justin, le rabbin Tryphon se moquait des croyances chrétiennes en brocardant les Grecs qui racontaient « que Persée naquit de Danaé qui était vierge, après que celui qui s’appelle chez Zeus s’était répandu sur elle sous forme de pluie d’or… ». Dans les Métamorphoses, Ovide faisait dire à la déesse Junon : « Plus d’un homme a fait son chemin jusque dans la chambre d’une honnête fille en prétendant qu’il était un dieu »

Quel point de départ réel pourrait-on supposer ?

Il est vain et surtout hors de propos de vouloir se placer au niveau de « l'événement ».

Les sentiments, les pulsions, les pensées, les motivations qui animent les acteurs du récit ne peuvent être que des projections des lecteurs et des commentateurs du texte.

La question de la conception virginale n'est pas d'ordre gynécologique, il n y a pas lieu de s’interroger sans fin sur la parthénogenèse, sur la procréation artificielle sur la génétique... Rien n’autorise cette discussion sur le plan biologique, rien dans les textes eux-mêmes.

Les évangélistes n'en ont aucun souci. Pour eux, c'est-à-dire pour Matthieu et Luc, seul importe d'établir sa naissance miraculeuse qui place Jésus au-dessus des humains, son adoption par Joseph qui doit le rattacher à la maison de David, et le fait que, à l'instar de tous les plus hauts personnages de la Bible (Noé, Abraham, Moïse, Samuel, Samson) Dieu lui-même lui attribue son nom « Jésus », Yeshua, Yehoshua qui, en hébreu, signifie « Dieu sauve, a sauvé, sauvera ».

Tandis que l'évangile de Matthieu faisait de Joseph le destinataire du message de l'ange, Marie le reçoit, dans l'évangile de Luc. Le discours que l'ange Gabriel lui tient est, sans aucune ambiguïté, l'exposé d'un programme théologique qu'il développe, qu'il précise par rapport à celui de Matthieu. Mais Marie résiste, formule à voix haute ce que le lecteur se dit plus bas : « "Comment cela sera-t-il puisque je ne connais pas d'homme?" L'ange lui répondit : "L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre; c'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu." » (Le 1, 34-35).

D'où vient cette croyance?

La conception virginale a permis de déchoir de sa paternité le père biologique, qu'il soit connu ou inconnu, de transformer en récit l'élection de Jésus, de mettre en image sa filiation divine, de faire de lui, sans métaphore, le Fils de Dieu. Elle a pris à la lettre une expression qui, dans le judaïsme, peut s'appliquer à tout croyant, et en a fait bénéficier un seul parmi les hommes.

Cette conception de la virginité comme vertu indépassable est plutôt étrangère à la mentalité juive, et c'est sans doute sous l'influence de la culture hellénistique qu'elle a pu s'exprimer.

Quant à savoir quelle cause a provoqué quel effet, il est impossible de déterminer si c'est pour couper court aux calomnies dont Marie était la proie que la tradition évangélique de la conception miraculeuse s'est mise en place, ou si c'est l'affirmation de l'engendrement inexplicable de Jésus qui a entraîné les sarcasmes et les accusations à son encontre.

Pourquoi en douter ?

On peut simplement constater chez Matthieu et chez Luc un détail des plus curieux. Une fois énoncé, le récit de la conception extraordinaire de Jésus n'entraîne pas la moindre conséquence sur la suite de l'évangile. Il est sans incidence sur la biographie du personnage, comme on pourrait s'y attendre.

Dans l'évangile de Luc par exemple, lorsque Joseph et Marie retrouvent Jésus en train de discuter avec les docteurs de la Loi au Temple de Jérusalem, ils s'alarment : « Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous? Vois, ton père et moi nous te cherchions angoissés. » Et il leur dit: « Pourquoi donc me cherchez-vous? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père? » Et l'évangéliste de conclure : « Mais eux ne comprenaient pas la parole qu'il venait de leur dire » (Le 2, 48-50), comme si, soudain, Joseph et Marie avaient tout oublié, rien su des conditions extraordinaires de la conception et de la naissance de leur fils...

Quant à Jésus lui-même, jamais il n'y fera allusion.

D'un autre point de vue, qu'y aurait-il eu d'impossible à ce que Jésus apparaisse sous le surnom de « Jésus, le fils de la vierge » (tout autant par vénération de ses disciples que par moquerie de ses détracteurs) ? Ce n'est jamais le cas.

Quant à l'apôtre Paul qui écrit une trentaine d'années avant les évangélistes Matthieu et Luc, il n'a visiblement connaissance de rien, d'aucun fait extraordinaire quant à la naissance de Jésus. Dans l'épître aux Galates, lui si peu prolixe en précisions biographiques, rappelle seulement qu'il est « né d'une femme » (Gal 4, 4)- alors qu'il avait toutes les raisons de proclamer, s'il l'avait su, s'il l'avait cru, que celui qui était pour lui le Fils de Dieu était né d'une vierge.

Il est plus que probable que les récits de la conception virginale ont dû, a posteriori, être ajoutés à deux des récits évangéliques de l'activité de Jésus. Ils n'existaient pas à l'origine, et n'appartenaient pas au corps de la doctrine primitive.

Jésus a-t-il eu des frères et des sœurs?

Selon que l'on adhère ou non au dogme de la virginité de Marie, la question de savoir si Jésus a eu des frères et sœurs est ou n'est pas pertinente.

La Sainte famille (qui résonne probablement comme un équivalent humain de la Trinité) est une icône chère au catholicisme. Elle a toujours voulu laisser de côté une fratrie nécessairement encombrante. Mais la question des liens du sang ne posa aucun problème (théologique tout au moins) aux disciples de Jésus, à leurs successeurs, aux premiers chrétiens, et ce jusqu'au milieu du IVe siècle. C'est la preuve s'il en est que la doctrine de la virginité perpétuelle de Marie n'était pas une certitude universellement partagée et même qu'elle est restée inconnue pendant plusieurs siècles.

Au IVe siècle, Jérôme, Épiphane et Helvidius s'opposèrent vivement. Les deux premiers définirent à l'encontre du dernier plusieurs lignes de défense qui auront cours jusqu'au XXe siècle, laissant aux exégètes le devoir d'expliquer que les « frères » n'étaient que des « cousins » (mais, contrairement à l'hébreu, en grec le mot adelphos signifie uniquement « frère »). Ou alors qu'il s'agissait de demi-frères de Jésus, voire des fils du premier mariage de Joseph, ou encore que ceux qui suivaient Jésus, appartenant à la même famille spirituelle, s'appelaient tous « frères »...

La théologie nous a en effet accoutumés à voir en Jésus le Fils unique. Mais les évangiles ne manquent pas de dire que Jésus était ]e premier-né de Marie, laquelle eut ensuite toute possibilité d'avoir d'autres enfants.

Ce ne sont pas les évangiles apocryphes qui le prétendent (même si certains ne manqueront pas de rapporter sur eux des histoires de famille), ce sont bel et bien les évangiles canoniques. Ils écrivent noir sur blanc que Jésus eut des frères et des sœurs.

Les sœurs restent dans l'anonymat et l'on ignore combien elles étaient. Mais les frères de Jésus dont les Actes des Apôtres font état également ont un nom, une identité. Selon Marc et selon Matthieu, ils s'appellent Jacques, Joseph ou Joset, Jude ou Judas (c'est le même prénom en hébreu) et Simon (Mc 6, 3 et Mt 13, 55).

Le plus surprenant, en fait, n'est pas que Jésus ait pu avoir des frères comme beaucoup d'êtres humains, c'est d'une part que les évangiles ne cherchent pas à le cacher (il aurait été facile de gommer leur présence, de même qu'il n'était pas difficile d'éviter tout risque d'ambiguïté si ambiguïté il y avait). C'est peut-être surtout que le rôle de ces frères de Jésus, s'il est mineur dans les évangiles, n'est pas flatteur pour eux. Semblant n'éprouver aucun esprit de famille, ne témoignant d'aucune solidarité familiale, ils dénigrent Jésus et se rangent parmi ses adversaires. A l'inverse des disciples, ils manifestent indifférence ou hostilité. « Il est fou! » (Mc 3, 21) s'écrient-ils dans l'évangile de Marc. « Ils ne croyaient pas en lui » (Jn 7, 5) peut-on lire dans l'évangile de Jean.

Écho fidèle de ce qu'ils ressentaient à l'égard de leur frère, apparaissant à leurs yeux comme une sorte d'illuminé ? Ou, pour s'écarter du terrain glissant de la psychologie, figures de catéchèse de la mauvaise parenté par opposition à la « vraie famille » de Jésus, enjeux d'un règlement de comptes a posteriori auquel se sont livrés certains groupes chrétiens à l'encontre de ce que l'on pourrait appeler le clan familial ?

Aucune des hypothèses n'est à exclure.

Après sa mort, que sont devenus les frères de Jésus ?

Deux des frères de Jésus « dit le Christ » ont laissé des traces importantes dans la littérature chrétienne des origines.

Indépendamment de la discussion que l'on peut avoir sur leur authenticité, deux épîtres ont été placées sous leur patronage et font partie intégrante du Nouveau Testament, l'épître de Jacques et l'épître de Jude - ou de Judas à strictement parler. L'évangile de Thomas, un évangile apocryphe qui semble refléter des traditions très anciennes, confie quant à lui les rôles-clefs de la communauté à laquelle il est destiné à Jacques et, plus encore à Jude-Judas, sorte de double de Jésus sur terre (il est aussi nommé Thomas ou Didyme, c'est-à-dire « jumeau » -en araméen, toma, comme en grec, didymos).

Mais Jacques, connu par la tradition chrétienne comme « le frère du Seigneur », est surtout mentionné par les Actes des Apôtres et avant eux, vers les année 50, par la première épître aux Corinthiens et l'épître aux Galates de Paul. Contrairement à l'image négative qu'en donneront les évangélistes, Jacques dont la présence reste discrète dans ces textes apparaît sans conteste comme une personnalité capitale du mouvement chrétien primitif. Il est présenté comme l'héritier naturel de Jésus après sa mort, un successeur quasi-dynastique, et comme le rival de Pierre à la tête de la synagogue chrétienne de Jérusalem. Ce que, plus tard, on appellera « l'église de Jérusalem ».

Fin
 
Published by Libre pensée chrétienne