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1 janvier 2009 4 01 /01 /janvier /2009 20:06
Christiane Janssens - Van den Meersschaut Ah ! Comme j'aimerais savoir où trouver Dieu ! (Job 23, 3).
Christiane Van den Meersschaut
LPC n° 4 / 2008

Rangeant quelques documents, je retrouve un dossier concernant "La longue nuit de la foi" de Mère Teresa. Pour le dixième anniversaire de la mort de la missionnaire de Calcutta, sa correspondance privée a été divulguée dans un livre (1), et cela en dépit du souhait de la religieuse qui avait demandé que ses lettres soient détruites. L'autorité ecclésiastique s'y est opposée !

Cette décision me choque, parce qu'une fois encore, l'Eglise ne respecte pas la liberté d'agir de ses fidèles (LPC n°3/2008 Damien p.18). Plus grave encore, elle contrevient à un voeu clairement exprimé. Cette correspondance met l'âme de Teresa a nu, elle y livre la partie la plus secrète, la plus profonde d'elle-même. Elle dénude son intimité en écrivant à Jésus, à ses confesseurs, ses supérieurs, son évêque, ayant toute confiance en eux. Elle ne s'imaginait pas qu'un jour, ceux-ci divulgueraient ses confidences en un déballage public !

Cependant, puisque le mal est fait et que nous avons pris connaissance de ce courrier, il est intéressant de s'y attarder. Il est évident que ces lettres sont interpellantes et pourront peut-être convaincre les plus traditionalistes qu'il n'y a pas de foi sans doute. Elles pourront aussi être un support pour ceux qui, remplis de doute, désespèrent du silence de Dieu. Pour eux, ces lettres peuvent devenir bonne nouvelle quand ils découvriront que même une Bienheureuse (2), une future sainte (pour l'Eglise catholique), a douté et crié son désespoir devant la non-évidence de Dieu.

La "Madre" se donnait corps et âme, avec un éternel sourire, à ceux qui avaient froid, qui étaient malades, mal-aimés, abandonnés, mourants. En même temps, elle écrit "mon sourire n'était qu'un masque", elle dit "se sentir hypocrite, car n'éprouvant aucun amour pour Dieu".

Ses doutes ne l'empêchent donc pas de suivre les traces de Jésus en vivant les Béatitudes. Mais n'est-ce pas cela l'important… ? L'important sur terre, pour celui qui se dit chrétien, n'est-il pas de peaufiner le Royaume inauguré par Jésus ?

Teresa, cette artisane d'amour et de justice écrit encore : "Je sens ma foi défaillir… je regarde et je ne vois pas, j'écoute et je n'entends pas". Pendant plus de 50 ans, elle souffre de doute, d'angoisse, d'un désespoir profond lié à un questionnement effrayant pour elle : "Où est ma foi ? Tout au fond de moi, il n'y a rien d'autre que le vide et l'obscurité. Mon Dieu que cette souffrance est douloureuse". Elle se dit abandonnée par Dieu : "Il y a tant de contradictions dans mon âme, un profond désir de Dieu, si profond qu'il fait mal ; une souffrance permanente, et avec cela le sentiment de ne pas être voulue par Dieu, rejetée, vide, sans foi, sans amour, sans zèle… Le ciel n'a aucun sens pour moi : il m'apparaît comme un lieu vide !" Elle priait sans être sûre que quelqu'un l'écoute, elle suppliait Dieu pour qu'il lui donne un signe… et chaque matin, elle était à nouveau confrontée à la misère humaine. Et pourtant, sans se lasser, elle continuait sa mission de répandre l'amour avec une profonde compassion.

Sa foi, n'est-elle pas dans ses oeuvres ? J'oserais dire avec ou sans Dieu !

Rappelons-nous l'histoire racontée par Jésus, d'un père qui aimait tellement son fils qu'il le laissa libre d'aller sur d'autres chemins. Il lui donna, pour l'accompagner, quelque chose d'essentiel de lui : sa part d'héritage. Ensuite, il se mit à attendre le retour de ce fils.

Supposons que le fils, vivant loin, très loin de son père, soit tellement pétri de l'héritage de son père, qu'il dispense autour de lui cet essentiel : l'amour, la justice, la paix.

Comment se terminerait la parabole ? Le Père serait-il jaloux de ce fils qui se débrouille sans lui ou serait-il heureux de voir que même loin de lui et sans lui, le fils oeuvre comme lui ? L'amour d'un père ne va-t-il pas jusqu'à désirer que ses enfants puissent vivre de ce qu'ils ont reçu de lui, sans lui ?

Teresa est une messagère lumineuse de l'amour de Dieu. Par ses oeuvres, elle est la main, le sourire, la compassion du Dieu Père dont Jésus nous a parlé. Elle dit vivre l'absence de Dieu, et pourtant, par ses oeuvres, son entourage vit la proximité de Dieu.

Mère Teresa est née en 1910 dans une petite ville aux croisements de l'histoire des Balkans. Qu'enseignait-on comme catéchisme et histoire sainte à cette époque et en ce lieu ? A 5,5 ans, elle fait sa première communion. "Ce jour-là, elle fut remplie d'un grand amour pour les âmes" (3) nous dit Jean-Paul II. N'était-elle pas sous influence ? Regardons un enfant de 5,5 ans ou demandons à un psychologue si à cet âge un enfant est capable d'être rempli d'amour pour les âmes…

A 6 ans, elle est confirmée et à 11 ans, elle prend la décision de servir Dieu. "Sa maman l'éleva avec amour et fermeté en influençant beaucoup le caractère et la vocation de sa cadette" (4). Jean Paul II nous dit lui-même qu'elle était sous influence ! Il ajoute même : "Sa formation religieuse est soutenue par la paroisse jésuite très active du Sacré-Coeur dans laquelle elle était bien engagée" (5).

Et c'est ainsi que, le chemin étant tracé, la jeune fille rentra au couvent à 18 ans.

A-t-elle été vraiment libre de choisir sa vocation ? Ne connaissons-nous pas tous, dans notre entourage, un prêtre ou une religieuse qui nous ont un jour avoué être entrés dans la vie religieuse parce que cette voie leur avait été tracée par le collège, le pensionnat ou encore parce que les parents avaient depuis toujours décidé qu'un enfant serait consacré à Dieu ? (6)

Je veux bien croire qu'elle a vécu les 18 premières années de sa vie sans se poser beaucoup de questions. L'éducation religieuse de l'époque lui assurait un Dieu tout-puissant, maître de l'univers et des hommes. Un Dieu auquel elle devait s'efforcer de plaire en se sacrifiant et en se mortifiant avec le sourire : "La gaieté est le signe d'une personne généreuse et mortifiée qui, oubliant toute chose, y compris elle-même, s'efforce de plaire à son Dieu par tout ce qu'elle fait pour les âmes. La gaieté est souvent un manteau qui cache une vie de sacrifice, d'union continuelle à Dieu, de ferveur et de générosité" (7).

Mais la vie l'a meurtrie, elle qui attend tout de Dieu, qui travaille pour lui sans relâche, ne peut que constater l'impuissance de Dieu. Elle en perd ses repères. Face à la misère humaine, face au silence de Dieu, les questions vont surgir insidieusement. A 36 ans le doute s'installe : "Où est ma foi ? Je n'ai pas la foi." Elle prie, supplie Dieu, mais Dieu n'intervient pas. Elle ne constate que son absence. Elle qui aime tant Dieu, ne peut alors que se culpabiliser et penser qu'elle n'est pas digne de Dieu. Elle se sent donc rejetée, abandonnée. Teresa vit un tourment permanent qui la dévore. Elle cherche désespérément un "Dieu" qui n'existe pas, celui de son catéchisme et de son enfance. Sous son apparente tranquillité, elle a gravi le chemin d'un calvaire pendant 50 ans.

Merveilleuse est l'oeuvre de Teresa, mais quelle souffrance morale !

J'accuse l'éducation religieuse simpliste, rigide et culpabilisante qu'elle a reçue de l'avoir menée à cette détresse journalière. L'image de Dieu qu'on lui avait enseignée ne correspondait pas à sa réalité quotidienne. Sa subordination à des supérieurs qui "pensaient" pour elle, l'infantilisait et la laissait dans l'impossibilité d'oser imaginer qu'elle avait le droit de remettre sérieusement en question l'enseignement reçu et de décider de penser par elle-même. Sa passion pour les pauvres, les souffrants et les mourants, n'est-elle pas trop liée à une fascination morbide pour la "souffrance" qui serait LE chemin par excellence d'union au Jésus se "sacrifiant" à son Père pour le salut des hommes ?!

Des psychanalystes devinent en elle une forme particulière d'autodestruction narcissique contre balancée avec un certain succès par son contraire : une offrande positive et "affirmative" aux autres lui assurant une survie à long terme mais sans lui éviter un déchirement épouvantable (8).

Comment ses confesseurs, ses supérieurs, son évêque ont-ils pu la laisser dans cette misère morale pendant 50 ans ? Ne pouvaient-ils pas lui conseiller de rencontrer un psychiatre qui aurait pu l'aider à se déculpabiliser ? Ne pouvaient-ils pas lui faire lire ou rencontrer des théologiens modernes qui auraient pu l'aider à percevoir Dieu autrement ?

Je trouve regrettable et malsain qu'aujourd'hui l'Eglise utilise la souffrance morale de Mère Teresa, "son obscurité spirituelle si intense", pour l'exalter et dire que "sans sa nuit intérieure, sa pauvreté spirituelle, cette soif d'être aimée sans retour d'amour apparent de Dieu", Mère Teresa n'aurait pas pu être aussi proche des pauvres !!! Sera-t-elle déclarée Sainte de l'Eglise catholique parce qu'elle a souffert moralement (de l'enseignement de celle-ci) ? Ou, au contraire, pouvons-nous dire qu'elle est une sainte femme par ses actes d'amour et sa fidélité au message de Jésus ? Elle qui aura été pour des milliers de "pauvres" les mains, les yeux et la voix du Dieu de tendresse, enseigné par Jésus, qu'elle cherchait dans un ciel vide…

Christiane Van den Meersschaut

(1) "Mother Teresa : Come be my Light (Mère Teresa, viens, sois ma lumière)" Soixante-six années de correspondances privées (Double Day 2007) (retour)
(2) Béatification en 2002 (retour)
(3) Homélie de la béatification par le pape Jean-Paul II (retour)
(4) Homélie de la béatification par le pape Jean-Paul II (retour)
(5) Homélie de la béatification par le pape Jean-Paul II (retour)
(6) lire : " Fonctionnaires de Dieu" Eugen Drewermann Albin Michel 1993 (retour)
(7) Extrait d'une instruction de Mère Teresa donnée aux soeurs missionnaires de la Charité (retour)
(8) "Rue 89" - Mère Teresa n'avait pas (toujours) la foi. Christian Terras 30/08/2007 (retour)

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