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2 avril 2013 2 02 /04 /avril /2013 08:13

 

Il est étonnant que des chrétiens - et parmi eux des prêtres - sont capables de comprendre que les récits de Pentecôte, d'Ascension, de Transfiguration, etc. n'ont pas de prétention historique mais bien théologique et qu'ils ne sont pas capables de le comprendre pour les récits de Résurrection.

 

On peut se demander pourquoi ils ont besoin pour leur foi d'autre chose que la parole simple de saint Pierre dans sa première lettre (III,18) :

 

"Dans sa chair il a été mis à mort;dans l'esprit il a été rendu à la vie."

 

Dans la même optique, le Père Fabien Deleclos faisait jadis une réflexion très pertinente dans un commentaire liturgique du journal ( belge) La Libre Belgique :

 

" Avons-nous foi en Jésus, l'aimons-nous parce que Dieu l'a ressucité des morts ou bien croyons-nous en sa résurrection parce que nous l'aimons et que nous avons foi en lui ?

  Et les apôtres ?  N'auraient-ils cru qu'après la Résurrection ? "

 

 

Nous sommes parmi les millions de disciples à qui ont dit :

" Jésus n'est pas anéanti par la mort ;

il est encore vivant aujourd'hui".

 

Nous sommes parmi les millions de disciples

qui ont expérimenté eux-mêmes

la présence vivante de Jésus-Christ

dans la communauté chrétienne et dans leur propre vie

lorsqu'ils se laissent guider par son Esprit.

 

Nous sommes encore parmi les nombreux disci)ples

désireux de transmettre ce message :

" Le Christ, rendu à une Vie nouvelle dans l'Esprit,

nous réjouit et nous donne , à nous aussi, Vie nouvelle" 

 

C'est pourquoi nous évitons le plus possible 

le terme ambigü de "résurrection"

qui empêche notre message de passer

parce que les gens comprennent le retour à la vie antérieure.

 

André Verheyen

12 mars 2012 1 12 /03 /mars /2012 18:58

Le terme d’irréformabilité n’existe sans doute pas au dictionnaire, tant nos contemporains sont persuadés que tout, en philosophie comme en politique, est susceptible de progrès, de changement, d’évolution, en un mot, de réforme. Et pourtant…l’Eglise catholique (kata tên olên gên) qui a normalement l’ambition de s’étendre à toute la planète Terre, reste terriblement figée, hostile à toute adaptation, parfois même à toute réflexion, ce qui finalement la confine à un nombre restreint d’adeptes, de fidèles qui, passivement, vont jusqu’à s’interdire toute divergence d’idées,  toute forme de recherche même.

 

Ils sont nombreux ceux qui, cependant, s’y sont tout de même essayé. Tout au long de l’histoire du christianisme, il n’a pas manqué d’hommes courageux, déterminés, pour dire tout haut, sur un mode prophétique, ce qu’un certain nombre pensait tout bas, une critique pertinente de la façon dont une doctrine s’installait, s’affirmait, souvent s’imposait, ou dont une pratique s’instaurait, parfois radicalement opposée aux principes évangéliques énoncés par Jésus. Depuis Ebion au Ier siècle, Montan au IIe, et Arius au IVe, c’est une foule de théologiens, de philosophes, de pasteurs ou simplement de chercheurs, qui se sont fait condamner, parfois conduire au bûcher par charrettes entières, habituellement parce qu’ils avaient agi selon leur conscience. L’hérésie c’est bien souvent un sursaut d’honnêteté, un réflexe de vérité, une lueur d’intelligence. On a brûlé Jeanne d’Arc, mais aussi Savonarole et Giordano Bruno. On a condamné Galilée, Luther, Calvin, mais on a soigneusement mis à l’écart aussi, et plus récemment, Hans Kung, Eugen Drewerman et Jacques Gaillot, pour n’en citer que quelques-uns. On a inventé l’Inquisition, machine à exterminer les Juifs, les Maures, les Cathares, les Albigeois, les Vaudois, les Hussites, les Protestants, les Gueux, les supposées sorcières…Derrière ce « on », c’est toute une hiérarchie qui se cache : une imposante échelle de gens en place, à tous les niveaux, constamment préoccupés de mettre des barrières pour sauvegarder leurs privilèges. La réforme pour eux, il est vrai, ce serait la remise en question, l’insécurité, la porte ouverte à l’incongru, au hasardeux, au péché sous toutes ses formes. On ne peut bien sûr pas l’envisager.

 

L’Eglise catholique s’est rendue irréformable d’abord par sa constitution dogmatique. Le dogme catholique est une définition radicale, absolue, permanente et indiscutable. C’est là sa pauvreté, proche bien souvent de la stupidité. La vérité des hommes ne se livre jamais de cette façon, mais par touches progressives, relatives, soumises à la critique, à la recherche et au perfectionnement.  Le dogme entraîne l’anathème. C’est la condamnation morale, mais aussi physique à l’occasion, de quiconque s’attribue le droit de contester. C’est une démarche qui va à l’encontre du processus évangélique. Jésus ne jugeait pas, ne condamnait surtout pas. Il critiquait les lois et contestait les pratiques du Temple. Il prenait en considération ce que chacun avait dans le cœur et l’esprit. La démarche de Jésus était essentiellement personnelle et relative. Son message, accordant la préférence au pauvre et au petit, renversait beaucoup de préjugés. Ce n’est plus, dira-t-il, (Jn IV,21-23) au temple de Jérusalem, ni sur le mont Garizim qu’il faut adorer Yahwé, mais en esprit et en vérité, c’est-à-dire au cœur de chacun.

 

L’Eglise catholique s’est rendue irréformable par son droit canon qui s’est enrichi de concile en concile. Le premier d’entre eux, à Nicée en Turquie, en 325, fut bien plus l’œuvre de l’empereur Constantin que celle des évêques. L’empereur avait assisté consterné depuis un certain temps à la déglingue totale des religions grecque et romaine. Il voulait donc les remplacer par un nouveau courant philosophique, poussé par un succès populaire évident et une volonté de s’étendre à toute la terre. Il voulait donc que son fondateur soit reconnu comme dieu et remplace tous ceux-là qui étaient devenus obsolètes. Eusèbe de Césarée raconte comment, au banquet  qu’il avait offert aux membres du concile, il allait de table en table pour persuader les évêques de voter la divinité de Jésus et la condamnation d’Arius, avec privilèges et nominations à la clé, car les évêques allaient ainsi pratiquement devenir l’équivalent des préfets. Le pape, Sylvestre Ier, homme de grande clairvoyance, n’y était d’ailleurs pas ; il n’avait pas voulu quitter Rome, refusant cette mainmise évidente de l’empereur sur l’Eglise. C’est pourtant là que fut défini le fameux symbole de Nicée, complété plus tard à Constantinople, toujours en Turquie, pour devenir le Credo des chrétiens !

 

L’Eglise catholique ne peut pas être réformée. Pour réussir l’aggiornamento dont Jean XXIII avait rêvé, il aurait fallu d’abord détricoter pratiquement tous les conciles précédents. Les dogmes sont en fait des diktats ou des oukases, ils ne laissent aucune place aux adaptations ni à la critique. La cerise sur le gâteau, ou si l’on préfère le pompon sur la barrette, fut bien, à Vatican I, en 1870, la proclamation de l’infaillibilité pontificale. En principe, il n’y aurait plus jamais dû y avoir de concile, puisque désormais la parole du Pape suffisait, et le Vatican d’aujourd’hui reste largement  persuadé que le dernier concile fut en ce sens une erreur. Il n’est en tout cas plus question de renouveler l’expérience, même si quelques progressistes y pensent ou en rêvent encore. D’ailleurs, le progressisme, s’il n’est pas tout à fait mort est en tout cas mis hors d’état de nuire. Les prises de position rétrogrades en matière de morale ont bloqué toute évolution dans ce domaine. La hiérarchie de l’Eglise catholique n’hésite pas actuellement à s’attaquer aux divorcés et aux homosexuels, aux universités qui poussent la recherche en biologie embryonnaire, aux médecins qui pratiquent l’avortement, aux jeunes qui se protègent du sida, à l’euthanasie. Et ces attaques sont de plus en plus largement ressenties comme des abus de pouvoir par l’ensemble de la population. D’où les départs, les abandons, le recul, la méfiance, le désespoir parfois, de beaucoup…

 

En Belgique, la Cour des comptes, dans son dernier rapport, a fait apparaître ce qu’on peut considérer comme le déclin de l’Eglise catholique : en 10 ans, les prêtres actifs (rémunérés par l’Etat) sont passés de 3.562 à 2.709. Mais la désaffection a commencé bien plus tôt. Il y a 40 ans, il y avait encore environ 10.000 prêtres catholiques en Belgique, et pratiquement tous les diocèses ont perdu les ¾ de leur effectif sacerdotal durant ce laps de temps. De quoi se poser des questions, non… ? Actuellement, vivent en Belgique plus de « prêtres out » que de « prêtres in », c’est-à-dire plus de prêtres qui ont quitté les structures parce qu’ils se sont mariés, qu’ils ont été exclus ou ont pris leur liberté, que de prêtres toujours en fonction pastorale. Cela ne durera qu’un certain temps car la moyenne d’âge est importante. Ce sont souvent les progressistes qui sont partis, ceux qu’on aurait pu considérer comme les forces vives, ceux qui avaient une parole prophétique à apporter, des gestes décisifs à poser, en quelque sorte l’espoir et l’avenir de l’Eglise. Apparemment, les pédophiles sont restés.

 

Aucun changement important ne peut être envisagé, car Benoît XVI exclut toute forme de « relativisme », ignorant volontairement que le christianisme s’inscrit entièrement dans le relatif et non dans l’absolu, car la vie des hommes et des femmes se déroule dans le relatif, et c’est au relatif des gens qu’il rencontrait, que Jésus s’adressait. « Si au moment de présenter ton offrande à l’autel, tu te rappelles que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande et va d’abord te réconcilier avec ton frère… » L’appréciation des prêtres, des lévites et des scribes faite par Jésus est tout à fait significative : « ils chargent sur les épaules des gens des fardeaux qu’ils se refusent à porter eux-mêmes », et on peut légitimement se demander ce qu’il dirait aujourd’hui du grand prêtre qui officie comme archevêque à Malines.

 

L’Eglise catholique ne peut pas être réformée, car depuis longtemps, dans cette hiérarchie qui ressemble de plus en plus, chez nous, à l’armée mexicaine de jadis (beaucoup de généraux et très peu de soldats), la plupart des nominations (et d’ailleurs des canonisations !) ont été faites dans le même sens : celui du conservatisme, de la tradition, ou même de l’intégrisme. Il est trop tard pour songer à réformer l’Eglise catholique, elle se transforme maintenant, lentement mais sûrement, en secte religieuse, et l’action des charismatiques de toute espèce et de tout poil semble accentuer d’avantage ce mouvement et cette orientation.

 

L’Eglise catholique ne va pas nécessairement mourir, mais on sera obligé de faire de plus en plus la distinction entre elle et le christianisme. Car, au fond, le christianisme n’est pas une religion, c’est un message, une sagesse de vie, une vraie philosophie qui illumine la vie des hommes. Jésus n’a pas vraiment voulu une Eglise, rappelez-vous, il avait horreur du sacré, des sacrifices, du commerce du temple, des rites…Alors tout est à revoir, mais c’est une autre histoire, et même une aventure…

                                                                                                                                 Jacques MEURICE

3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 18:40

L’ "Appel à la désobéissance"  lancé le 19 juin de cette année par un groupe de prêtres autrichiens et qui, en quelques semaines, a recueilli plus de 300 signatures, cet appel n’a pas fini de provoquer  des remous, suscitant adhésions et condamnations. Celles-ci ne viennent  pas forcément des autorités ecclésiastiques. Le cardinal Christoph Schönborn, O.P., l’archevêque de Vienne, tout en étant soucieux d’éviter des divisions dans son Église, a eu comme première réaction de dialoguer avec les prêtres en question. Il est suffisamment lucide pour savoir que les sept points contenus dans l’ "Appel à la désobéissance" rejoignent les convictions – et, pour certains d’entre eux,  la pratique – de nombreux prêtres, et pas seulement en Autriche.

 

     Rappelons-les en bref : - 1. À chaque célébration, prier pour la réforme de l’Église ; - 2. Ne plus refuser l’eucharistie aux croyants de bonne volonté, qu’ils soient divorcés remariés ou qu’ils appartiennent à d’autres églises chrétiennes ; - 3. Réduire le nombre des célébrations présidées par des prêtres parachutés dans des communautés qu’ils ne connaissent pas ; - 4. Appeler "Célébration eucharistique sans prêtre" les célébrations de la Parole avec distribution de la communion; - 5. Ne plus tenir compte de l’interdiction de prêcher fait aux laïcs formés et aux professeures de religion (Religionslehrerinnen) ; - 6. Revoir l’image du prêtre, pour que chaque paroisse ait un responsable, homme ou femme, marié ou non, à temps plein ou non ; - 7. S’exprimer publiquement en faveur de l’ordination à la prêtrise de femmes et d’hommes mariés.

 

     Pour les "acteurs de terrain", ces sept points n’ont rien de surprenant. Si les titres de la presse parlent d’un "vent de rébellion", les commentaires soulignent qu’ils jouissent d’un "large soutien dans l’opinion" - en tout cas dans nos pays. Un commentaire sur Facebook : "On attend les prêtres belges. Il est temps. Nous vous suivrons".

 

     L’initiateur du mouvement, Helmut Schüller, est un ancien vicaire général de Schönborn et curé d’une des paroisses de Vienne. Il s’est expliqué sur  ce qui a motivé cet appel public à l’insubordination. Le préambule de l’  Appel  est clair sur ce point : "Le refus de Rome d’adopter des réformes depuis longtemps nécessaires et l’inaction des évêques ne permettent pas seulement, mais exigent que nous suivions notre conscience et que nous agissions de manière autonome". On peut comprendre que, pour un nombre croissant de prêtres, il devenait impératif, en conscience, non seulement d’adopter des pratiques en rupture avec la discipline officielle, mais de les afficher, de façon à amener, si possible  la hiérarchie catholique à accepter officiellement des changements déjà largement entrés dans les faits. En effet, sur le terrain concret de la pastorale, l’application sans discernement des règles en vigueur peut en certains cas blesser gravement des personnes et des communautés et les éloigner de la communion ecclésiale.

 

      Peu de commentateurs ont pris la peine de s’interroger sur l’opportunité d’une telle initiative et sa légitimité en perspective chrétienne. Pour l’opportunité, on peut juger que dans l’actuelle tendance au recentrage qui domine au Vatican, il est salubre de se rappeler que l’Esprit souffle où il veut  et pas seulement sur les membres de l’appareil ecclésiastique. Et donc, de ne pas automatiquement considérer l’initiative comme "l’œuvre du démon".

 

     Quand  la société et la culture changent, leur évolution impose des ajustements pour que l’Eglise puisse continuer à exercer sa mission. Mais l’initiative des innovations requises provient rarement des autorités en place. D’une manière générale, dans les sociétés en changement rapide comme sont les nôtres, le droit est en retard sur la réalité des faits. Les modifications du droit sont généralement précédées par l’introduction progressive de "coutumes contraires au droit". Ces "transgressions" s’introduisent à la faveur d’une tolérance tacite des autorités, même si celles-ci, périodiquement, jugent nécessaire de rappeler les règles. Jusqu’au jour où il devient impératif de les modifier. Jusque là, "faites-le, mais ne me demandez pas ma bénédiction". Dans le meilleur des cas, la tolérance tacite prend la forme d’un feu vert assorti de limites : "D’accord, à titre d’expérience".

 

     Et la légitimité ? Les auteurs de l’Appel invoquent un devoir de conscience.  En pratique, pas mal de "chrétiens engagés" se trouvent sur des terrains où de telles transgressions s’imposent. Ils ne disposent pas toujours des repères pour s’y avancer paisiblement. Peut-être est-il bon de rappeler qu’il existe en la matière une série de critères généralement admis. Je les évoque rapidement : - la reconnaissance d’un état de besoin qui n’est pas le fait d’un individu, mais d’une communauté ;  - la volonté d’être fidèle à l’Esprit, ce qui se traduit en pratique par la disponibilité à adopter des solutions meilleures ;-  le souci de rester cohérent avec le projet initial ; - enfin, la volonté de sauvegarder la communion, quitte à accepter de passer par une phase conflictuelle. 

 

   On imagine bien que, dans la pratique, de tels choix de transgression n’excluent pas la prise de risques. Y compris celui de l’échec. En un temps où l’avenir du christianisme à l’occidentale est plein d’obscurités, la prise de risque est nécessaire. C’est là qu’intervient le critère finalement décisif : la "réception" ou non-réception de l’innovation qui transgresse les règles en vigueur – ce qui demande parfois du temps. Sur ce point, nous ne pouvons que faire confiance à la sagesse de ceux et celles qui nous suivront et "recevront", ou non, nos essais plus ou moins tâtonnants.

                                                

 Paul Tihon, prêtre jésuite, théologien belge

 version complète d'un article paru dans" La libre Belgique du 16 novembre 2011"

 

 

 

    

 

 

 

 

25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 22:48

 

FRAPPEZ… ON VOUS OUVRIRA,

DEMANDEZ… ON VOUS DONNERA,

CHERCHEZ… ET VOUS TROUVEREZ (MT7,7)

 

Nous savons qu’à l’aube de l’humanité, l’homme très vite se pose des questions par rapport aux forces naturelles qu’il ne peut contrôler. Il croit qu’il y a une force secrète derrière chaque chose qui est bienveillante quand elle donne et malveillante quand elle prend. Cette force secrète, il va l’appeler dieu, le dieu de l’eau, le dieu de la terre… Mais ce dieu peut être la pire des choses quand il envoie une tornade ou un incendie et la meilleure des choses quand il envoie une pluie fertilisante ou un feu qui réchauffe. Il faut donc s’attacher les dieux pour qu’ils soient favorables aux hommes. Pour cela, il faut les connaître, les nommer, les situer et donc leur donner une histoire et un lieu de vie. La plupart de ces forces naturelles viennent des cieux, qui sont inaccessibles à l’homme, c’est donc là qu’habitent les dieux, pense-t-il. Quand à leur histoire, il s’inspirera tout simplement de sa propre histoire pour écrire celle des dieux. C’est ainsi que l’homme donne aux dieux ses qualités et ses défauts, mais à la super puissance. A ceux-ci rien n’est impossible, ni dans le don, ni dans la vengeance. Il faut donc vivre en harmonie avec eux, et pour cela, il vaut mieux ne pas attendre leur intervention, mais infléchir leur volonté. C’est ainsi que l’homme créera des rites pour parler aux dieux et des sanctuaires pour officier. Il invente les incantations et les prières, les sacrifices allant de l’offrande du végétal, en passant par le sacrifice animal pour arriver au sacrifice humain. C’est que le dieu finira toujours par répondre en envoyant enfin la pluie, la paix… tout finit toujours par arriver, mais parfois cela dure et c’est pourquoi l’homme donnera chaque fois aux dieux quelque chose qui lui est de plus en plus cher jusqu’au moment où il sera exaucé.

 

Le judaïsme à travers le personnage d’Abraham choisira de donner sa confiance à un seul Dieu, créateur de toutes les forces naturelles. Il découvrira qu’il ne peut aimer un dieu sanguinaire qui demande des sacrifices humains et nous donnera l’image d’un dieu qui veut la vie et non la mort. Quel grand tournant pour l’histoire de l’humanité ! Plus tard encore, Jésus par son enseignement induira l’idée à ceux qui deviendront chrétiens après sa mort, d’abolir les sacrifices d’animaux. Nouveau pas en avant dans la civilisation !

 

Pour nous chrétiens, il nous reste donc la prière, les rites, les sanctuaires et sans doute pour nombre d’entre-nous l’héritage d’une façon de penser et d’agir comme nos lointains ancêtres. C’est-à-dire demander tout à Dieu et prier sans cesse pour obtenir ce que l’on désire, en utilisant des enchères. Non plus des sacrifices d’animaux ou d’humains, mais des mortifications, des privations, des offrandes de bougies, des pèlerinages, des recherches d’indulgences… en allant même jusqu’à payer des congrégations priantes afin d’avoir une valeur ajoutée à nos demandes.

 

Mais qui est ce Dieu que l’homme prie aujourd’hui ?

 

Comme le disait souvent André Verheyen " la bible nous impose de ne pas faire d’images de notre Dieu, et pourtant la même bible n’arrête pas d’en faire." Oui, nous ne savons rien de Dieu et plus nous avançons en âge, moins nous en savons. Cependant tout au long du Livre, des hommes nous parlent de leurs expériences de Dieu et ne peuvent l’exprimer que par des images. C’est ainsi qu’Abraham nous fait découvrir un Dieu qui refuse les sacrifices humains, qu’à travers Joseph nous trouvons un Dieu qui demande le pardon plutôt que la vengeance, que Moïse nous montre un Dieu se préoccupant des plus faibles au lieu d’accréditer les puissants, qu’avec Amos nous découvrons un Dieu qui veut une justice sociale… pour arriver enfin à Jésus qui nous montre un Dieu Père, un Dieu d’Amour.

 

Toutes ces perceptions de Dieu qui ont évolué tout au long des siècles sont évidemment conditionnées par le lieu de vie et la culture de l’époque. Elles devront donc nécessairement encore évoluer avec les futures découvertes. C’est ainsi que nous savons aujourd’hui que le Dieu de Jésus qui est aux cieux, ne peut effectivement habiter là-haut. Et, si nous prenons "les cieux" au sens symbolique aujourd’hui, ce n’est certainement pas ce sens là que Jésus lui donnait.

 

Aujourd’hui de nombreux théologiens, comme de nombreux hommes de la rue ont plutôt l’intuition d’un Dieu intérieur à l’homme. C’est aussi mon sentiment, mais humainement, j’aime aussi comparer l’attitude de Dieu à une mère et un père de famille qui viennent de mettre un enfant au monde. Le tenant dans leurs bras, les parents ne peuvent que lui souhaiter tout ce qu’il y a de meilleur : une vie harmonieuse sans problèmes relationnels, médicaux, ou sociaux. Pour cela, tout au long de sa vie, ils vont donner à l’enfant chéri des conseils, des règles à suivre, des attitudes à prendre. L’enfant, lui en définitive écoutera ou n’écoutera pas, fera son propre bonheur ou son propre malheur. Les parents ne pourront que resplendir du bonheur de leur enfant ou souffrir intensément de leur impuissance devant son malheur. Le plus beau cadeau que l’enfant a reçu, sa liberté, sera pour lui la meilleure ou la pire des choses. En cas de malheur, bien sûr il pourra revenir au bercail pour demander de l’aide à ses parents, mais ceux-ci ne pourront que l’accueillir, l’écouter, lui redonner leurs conseils, mais ils ne pourront jamais faire son bonheur à sa place. Ils ont donné la vie, la liberté mais restent impuissants face à l’accomplissement de cette vie.

 

C’est ainsi que je vois ma relation à Dieu dans la prière, il ne peut rien faire à ma place, mais je peux être éclairée par son Esprit. Je ne peux attendre que cela : l’éclairage pour vivre selon l’Esprit qui pour moi nous fut révélé par Jésus. J’ai choisi librement de suivre le chemin d’amour, que me montre Jésus, comme but de ma vie. Mes prières, que je préfère appeler méditations sont donc aussi souvent des prises de consciences des écarts qui m’éloignent de l’Amour, mais aussi des recherches de paroles bibliques qui me donneront un nouvel éclairage, des clés pour avancer mieux, des louanges pour les actes d’amour de l’humanité. J’ai cessé toute prière de demande.

 

En effet, je ne peux que constater que pour des choses essentielles, comme l’enfance violée, la maltraitance, la famine, la pauvreté, la guerre… Dieu n’intervient pas. C’est l’homme qui viole, qui maltraite, qui ne partage pas, qui attaque… …et c’est encore l’homme qui doit changer de comportement. L’homme ne peut que méditer, réfléchir afin de se mettre en condition de choix et de se décider à suivre l’Esprit dans la clarté, plutôt que de suivre le mal dans sa sombre attraction.

 

Dans notre éducation religieuse, on s’appuyait toujours sur les extraits de Mt7, 7-11 ou de Lc 11, 5-13a pour nous convaincre que " notre Père qui est dans les cieux donnera de bonnes choses à celui qui les demande, que tout homme qui demande reçoit. " On ne nous parlait pas des deux versets Mt 7, 12 ou Lc 11, 13b qui en conclusion de chapitre nous disait chez Mathieu " Faites pour les autres ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous : c’est là ce qu’ordonnent la loi de Moïse et les livres des prophètes " et chez Luc "Le Père qui est au ciel donnera le St Esprit à ceux qui le demandent. " Ce n’est que dans les années 80 que j’ai entendu dire publiquement lors d’une homélie que les textes sont toujours commentés en omettant les finales, mais que c’est cette finale qui est importante. Ce que nous recevons : c’est uniquement l’Esprit et le reste, c’est le comportement que nous devons avoir envers notre prochain. C’est nous qui devons ouvrir la porte, accueillir, écouter, donner et pour arriver à cela nous avons besoin de vivre de l’Esprit.

 

Je ne peux que constater que face aux forces naturelles, comme les tsunamis, les ouragans, les éruptions volcaniques… Dieu n’intervient pas. C’est l’évolution de la planète, et parfois la main de l’homme qui contrecarre la nature. La prière ne peut modifier l’ordre de la création mais la méditation peut décider l’homme à suivre l’Esprit dans sa solidarité plutôt que de suivre l’égoïsme dans son noir dessein.

 

Je ne peux que constater que face à la maladie, à la mort, Dieu n’intervient pas. Ce serait tout à fait injuste d’empêcher celui-ci de mourir et pas celui-là, de guérir celui-ci et pas celui-là. De faire naître celui-ci en bonne santé et celui-là handicapé. La prière ne pourra modifier les évènements de la vie mais la méditation peut apaiser l’homme dans la confiance qu’il mettra à accepter d’être porté dans la douleur par les autres ou le décider peut-être de suivre à son tour l’Esprit dans sa tendresse et son réconfort plutôt que de vivre dans l’indifférence.

 

Je ne peux que constater qu’il est très difficile de dire Merci pour tous les bonheurs que l’on reçoit, alors que dans le même moment, des familles vivent l’horreur. Si le Dieu de Jésus est un père aimant, comme cela doit lui faire mal de voir ses enfants, les uns ayant tout, les autres n’ayant rien. Mais par la méditation l’homme peut prendre conscience que l’autre est son frère et que vivre de l’Esprit du Royaume doit commencer par sa renaissance à une autre vision de Dieu. Alors, il ne dira plus merci pour sa chance, mais merci d’avoir de quoi partager.

 

En fait, je crois qu’on ne peut aimer Dieu que dans une prière-méditation qui est action. Seules nos actions pour mettre l’autre debout, comme Jésus n’a pas cessé de nous le montrer, sont les plus belles des prières et peuvent être agréable à Dieu me semble-t-il. Bien sûr, cette façon de fonctionner est très, très inconfortable. Comme l’enfant devra prendre son envol, quitter le nid pour VIVRE, il nous faut quitter cette idée sécurisante que Dieu tire les ficelles du monde et que l’on puisse l’influencer par nos prières. Pourtant, il n’y a que de cette façon que nous pouvons DEVENIR ce qu’il espère pour nous quand il dit : " Fils d’homme, mets-toi debout ! " (Ez 2,1)

 

Notre vocation ne serait-elle pas de devenir autonome ?

ChristianeVan den Meersschaut

 

26 août 2011 5 26 /08 /août /2011 13:57

 

Deux poids deux mesures : l'avortement pardonné à Madrid

 

C'est avec beaucoup d'angoisse que beaucoup de femmes catholiques liront l'information publiée dans différents journaux cette fin de semaine, information selon laquelle l'archidiocèse de Madrid avec l'approbation papale a donné le pouvoir de pardonner avec indulgence plénière aux femmes qui, à l'occasion de la visite du pape, confesseront avoir avorté. L'impression que nous avons éprouvée est que le pape, le Vatican et certains évêques s'amusent à des jeux de mauvais goût avec les femmes. Nous ne savons pas dans quel monde ces hommes vivent, qui ils pensent être et qui ils pensent que nous sommes !

 

Premièrement, ils accordent le pardon à qui peut voyager pour assister à la Messe du pape et passer par le "confessionodrome" ou par l'ensemble des deux cents confessionnaux blancs installés sur la grande place publique de Madrid appelée "Parc de la retraite". Ils accordent le pardon de ce "péché" à un lieu, un jour et une heure fixés : il en coûte seulement un voyage à Madrid pour se trouver face au pape ! Qui reculerait devant cet effort pour un si grand privilège ?! Il suffit d'avoir l'argent pour le voyage et pour payer le séjour dans un hôtel de Madrid et le pardon sera obtenu. C'est pourquoi nous demandons : quelles alliances la pratique du pardon dans l'Eglise a-t-elle avec le capitalisme actuel ? Comment peut-on vivre un tel réductionnisme théologique et existentiel ? Qui retire un bénéfice de ce comportement ?

 

Deuxièmement, il est étrange d'affirmer que le pardon de ce "crime abominable" est accordé seulement à l'occasion de la visite du pape afin qu'en cette même occasion, les fidèles pécheresses obtiennent "les fruits de la grâce divine" en confessant leur péché. Comment peut-on comprendre qu'une faute est pardonnée seulement quand l'autorité suprême est présente ? N'est-on pas en train de renforcer l' antique et décadent modèle impérial de la papauté ? Quant l'imperator est présent, tout est possible y compris l'expression de la contradiction à l'intérieur de son propre système pénal.

 

Je ne peux pas rappeler dans une réflexion brève comme celle-ci les arguments que beaucoup d'entre nous, femmes sensibles à nos propres douleurs avons répétés au long de beaucoup d'années.(NDLR : voir "Le mal au féminin" chez l'Harmattan). Mais cet événement papal madrilène montre malheureusement une fois de plus un aspect encore bien vivant au Vatican, à savoir l'aspect des querelles médiévales dans lesquelles des questions absolument sans intérêt pour la vie humaine étaient discutées. Plus encore,  il fait la preuve de sa méconnaissance des souffrances des femmes, de sa méconnaissance des drames que les situations de violence provoquent dans nos corps et nos cœurs. En concédant le pardon au "crime d'avortement" comme ils l'appellent toujours, ils montrent, à leur manière élitiste, le visage ambigu d'une institution religieuse capable de céder à l'appareil triomphaliste quand sa crédibilité est en jeu.  Ils peuvent bénir des troupes qui vont tuer des innocents, envoyer des prêtres comme aumôniers militaires dans des guerres toujours sales, faire des déclarations publiques en faveur de l'institution en condamnant les femmes pauvres et opprimées, ouvrir des exceptions à la règle de leurs comportements pour attirer des jeunes - auxquels les grands problèmes de monde sont étrangers - dans le troupeau du pape.

La liste des us et coutumes "transgresseurs" de leurs propres lois est énorme...

 

Pourquoi réduire la vie chrétienne au pain et au cirque ?  Pourquoi donner un spectacle de magnanimité au milieu de la corruption des coutumes ? Pourquoi créer l'illusion du pardon alors que le quotidien des femmes est plein de persécutions et  d'interdictions de leurs choix et capacités ?

 

Nous sommes invité/e/s à réfléchir à l'aspect néfaste de la position du pape et des évêques qui le soutiennent. Le pape n'a pas accordé pardon et indulgence totale et entière "urbi et orbi" c'est à dire à toutes les femmes qui on avorté mais seulement à celles qui se sont confessées à ce moment précis et à l'occasion de sa visite en Espagne…  N'est-ce pas une fois de plus utiliser les consciences, en particulier celles des femmes à des fins d'expansionnisme de leur modèle pervers de bonté ? N'est-ce pas une fois de plus ouvrir des concessions en obéissant à une logique autoritaire qui veut restaurer les antiques privilèges de l'Eglise dans quelques pays européens ? N'est-ce pas une façon d'acheter les femmes en les humiliant devant la soi-disant magnanimité des hiérarques ?

 

Les autorités constituées dans l'Eglise catholique et dans d'autres Eglises sont-elles encore chrétiennes ? Suivent-elles encore les valeurs éthiques humanistes qui exigent le respect de toutes les vies et spécialement de la vie des femmes ?

 

Je crois qu'une fois de plus, nous sommes convoqué/e/s à exprimer publiquement notre sentiment de rejet devant l'utilisation de la vie de tant de femmes comme prétexte de la magnanimité du cœur du pape.

 

Nous sommes convoqué/e/s à être le corps visible de nos croyances et de nos choix.

En faisant cela, nous ne sommes meilleurs que personne. Nous sommes tous et toutes pécheurs et pécheresses capables de nous frapper l'un l'autre, capables d'hypocrisie, de mensonge et de cruauté raffinée. Mais nous sommes aussi capables de partager notre pain, d'accueillir celle qui est abandonnée, de vêtir celui qui est nu, de visiter le prisonnier. Nous sommes ce mélange, expression de notre moi, de nos dieux, des épines dans notre chair qui nous invitent et nous convoquent à vivre au-delà des façades derrière lesquelles nous aimons nous cacher.

 

Ivone Gebara, écrivain, philosophe et théologienne pour Adital, 22 août 2011

texte traduit par Marie-Paule Cartuyvels.

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18 mai 2011 3 18 /05 /mai /2011 17:34

L’histoire des prêtres ouvriers est une longue suite de découvertes. Depuis les premières expériences dans le cadre du STO, Service du travail obligatoire, imposé par l’occupant durant la guerre 40-45, jusqu’aujourd’hui, où la plupart d’entre eux sont à la retraite, les prêtres ouvriers n’ont pas cessé de découvrir. A peine sortis de leurs couvents, des collèges où ils étaient professeurs ou des paroisses où ils étaient vicaires, ils ont aussitôt découvert la vraie vie, celle où, comme tout le monde, il faut faire la file dans les bureaux d’embauche, celle où on va sans relâche d’une usine à l’autre à la recherche d’un travail, où on lit avec empressement et une certaine anxiété les offres d’emploi dans les journaux, le matin…Mais aussi, ils ont certainement découvert alors une certaine liberté, la liberté qu’on ressent quand on est devenu un homme comme les autres, qui doit vivre uniquement de son travail, qui n’est plus repéré dans la rue comme un notable, qui ne porte plus de titre. Ils sont sortis du statut de clerc, d’ecclésiastique, et se sont alors rendu compte de ce que cela avait pu avoir d’étouffant, d’immature parfois, d’irréel en quelque sorte. Il n’est pas impossible que certains d’entre eux aient ressenti cette nouvelle liberté à la façon d’un homme qui sort de prison, où il serait resté un certain temps !

 

Rien ne peut permettre à un évêque de contraindre un prêtre à devenir prêtre ouvrier. Ce n’est pas prévu, ni comme promotion, ni comme sanction par le droit canon ! Tous les prêtres ouvriers sont donc des volontaires. Mais quand il arrive à un évêque d’envoyer un prêtre en usine -chose devenue très rare aujourd’hui pour ne pas dire obsolète, ou même largement inconvenante- il l’envoie avec pour mission de ramener le monde ouvrier à l’église et à l’Eglise. C’est en quelque sorte, dans son esprit, un missionnaire qui va franchir certaines frontières sociales pour ramener du bon côté de celles-ci un troupeau qui s’est égaré. Il faut bien dire que ce fut rarement le cas. Le taux de réussite, envisagé de cette façon, est absolument décevant, proche du zéro % dans la plupart des cas. Et les églises, chez nous, n’ont pas cessé de se vider. Cela n’a pas empêché le Père Chenu, dominicain théologien  et expert au Concile Vatican II, de dire que « les prêtres ouvriers avaient été l’évènement religieux le plus important depuis la révolution française ».

 

En écrivant Les saints vont en enfer, paru chez Robert Laffont en 1952, vendu à plus de 1.600.000 exemplaires, Gilbert Cesbron a sans doute idéalisé leur expérience, tout en décrivant très bien les conditions  de vie qui étaient les leurs. Il a montré avec beaucoup de talent comment ils s’étaient fondus dans la masse, comment ils avaient pris à bras le corps les problèmes de travail, de logement, de misère... Comment, dans les années 50, ils s’étaient engagés dans les mouvements pour la paix, comment ils avaient été impliqués dans la lutte des classes avec les militants du parti communiste. En fait, ils ont découvert alors le besoin pour le peuple de s’unir pour lutter, ils sont entrés dans les organisations syndicales, ils ont manifesté et participé à des actions politiques. On les a vus sur des barricades, aux grandes grèves de 60 en Belgique, de 68 en France. Ils ont agité des drapeaux, le plus souvent des rouges. Ils se sont battus pour la classe ouvrière. Certains ont été arrêtés, ont connu la prison. Ils avaient découvert plus que l’amour du prochain, c’était la camaraderie, la solidarité qui leur paraissait s’imposer comme un objectif évangélique.

 

En 1954, sous la direction de Pie XII, le Vatican a interdit les prêtres ouvriers, sans tenir aucun compte des initiatives et des intuitions du cardinal Suhard à Paris, et d’autres évêques, un peu partout. Un délai très court leur a été imposé pour quitter le travail et regagner paroisses et couvents. Certains se sont soumis à cette décision par pur esprit d’obéissance, aveugle et inconditionnelle sans doute, mais dans la souffrance. D’autres ont protesté, refusé de se soumettre, avançant une réelle objection de conscience. Leurs engagements n’étaient-ils pas devenus le sens de leur vie ? Ils ont continué, dans la souffrance aussi, et ont été amenés à prendre progressivement leurs distances d’avec l’institution ecclésiastique qui les rejetait. C’était aussi l’année où en plein hiver l’abbé Pierre lançait son appel en faveur des sans logis, à Paris.

 

Pour beaucoup de prêtres ouvriers la question s’est donc posée de savoir où se trouvait le christianisme et ce qu’il devait être. Ce n’est pas une question courante et habituelle mais pour beaucoup d’entre eux, la découverte du monde du travail s’est accompagnée d’un pas décisif qui était plus un engagement qu’une rupture. Il devenait difficile pour eux de garder des contacts et de vivre des relations sur deux plans aussi différents. Des choix se sont imposé à eux de plus en plus clairement : l’Evangile ou l’institution, car de toute évidence les deux ne coïncidaient pas. Si certains ont alors rejeté l’obligation du célibat et relativisé la promesse d’obéissance faite à l’évêque, si certains ont alors pris des engagements syndicaux ou des responsabilités politiques, c’était dans la logique des choses et on ne peut pas dire pour autant, comme certains l’ont fait, qu’ils avaient choisi la voie royale pour sortir de l’Eglise.

 

La grande découverte des prêtres ouvriers ce sont les valeurs évangéliques vécues par les pauvres, les petits, et cela a provoqué chez eux une contestation radicale d’un système ecclésiastique qui avait au cours des siècles accumulé sur ces valeurs, des rites, des dogmes, des sacrements, qui finalement les trahissaient beaucoup plus qu’ils ne les traduisaient et les livraient au monde.

 

La grande découverte des prêtres ouvriers n’a pas transformé l’Eglise pour autant, car le nombre de prêtres s’est progressivement réduit à l’extrême en Occident, ainsi que les emplois ouvriers, d’ailleurs. Un prêtre qui voudrait vivre aujourd’hui une intégration totale à la société ne devrait-il pas devenir plutôt chômeur, demandeur d’emploi permanent ? On reproche parfois aux prêtres ouvriers qui survivent aujourd’hui d’avoir acquis une mentalité d’ancien combattant, par rapport à l’Eglise institutionnelle, mais est-ce vraiment leur faute, et n’était-ce pas pour beaucoup le dernier combat ?

 

 

Ils ne sont pourtant pas les seuls à avoir fait cette découverte. En Amérique latine principalement, du temps des dictatures militaires, les théologiens de la libération ont également compris quels étaient les engagements qui s’imposaient à ceux qui voulaient vivre l’Evangile. Jean-Paul II les a condamnés sans appel et n’a pas hésité à supprimer dans le Magnificat qu’il lui est arrivé de chanter en Colombie, les deux lignes qui les justifiaient : Il a renversé les puissants de leur trône et Il a élevé les opprimés

                         

Les mouvements qui ont, durant des années, mené la contestation dans l’Eglise, comme Echanges et Dialogue, qui avait recueilli les signatures de plus de mille prêtres francophones, avaient eux aussi fait cette découverte et pris des engagements dans ce sens. On a refusé de les écouter et les vocations se sont faites dès lors de plus en plus rares. Les jeunes ne sont cependant pas moins généreux. Peut-être ont-ils compris eux aussi qu’il valait mieux chercher l’Evangile là où il était ?

Jacques MEURICE, prêtre ouvrier en retraite.

Adieu l’Eglise, chemin d’un prêtre ouvrier, L'Harmattan, Paris, 2004.

 

 

Jésus sans mythe et sans miracle, l’Evangile des zélotes,Golias, Villeurbanne, 2009

31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 09:12

La question première que se pose ou devrait se poser chaque chrétien : de quoi ai-je besoin pour vivre et déployer ma référence à Jésus, pour poursuivre ma recherche de Dieu, et cela à mon rythme et dans le respect de ma cohérence profonde ?  Ce qu'en pense ou permet l'autorité est second.  J'ai à exister personnellement ; il y a là une exigence vitale.  Il me faut respirer.  Ce n'est pas facultatif ; c'est vital.  Quand on est menacé d'étouffement, on cherche avidement les bouffées d'air qui revigoreront nos poumons.  Le nouveau-né ne demande pas l'autorisation de respirer.  Il pousse un cri, et se met à dilater ses poumons.    " Un ciel nouveau et une terre nouvelle " s'ouvrent à lui.

 

De quoi ai-je besoin pour vivre ma foi chrétienne, inséré dans le monde d'aujourd'hui ?  C'est cela avant tout qu'il est bon de creuser.  Personnellement d'abord.  Puis, de se confronter là-dessus avec d'autres.  Ce qui amènera probablement à découvrir tout ce que nous avons en commun dans nos besoins et nos exigences évangéliques.

 

Pierre de Locht : La foi décantée 

27 décembre 2010 1 27 /12 /décembre /2010 19:10

De la foi difficile à l'émerveillement

 

Combien j'enviais jadis, ceux dont la foi semblait évidente!  Déjà dès ma lointaine enfance j'avais bien du mal à accepter ce Dieu que l'on disait BON comme un père, mais qui, dans certains récits de la Bible, me semblait plutôt ressembler à un père fouettard toujours prêt, à se venger (...).  Il était bien loin des pères que je connaissais, à commencer par le mien.  Il ne faut pas oublier que les bons milieux catholiques de l'époque étaient confinés dans une incroyable rigidité.  Le péché nous guettait partout et les flammes de l'enfer nous menaçaient à tous les virages.  Se faire plaisir, même innocemment, était déjà suspect, et il semblait que seules nos souffrances et nos privations plaisaient à Dieu.  Pire encore, l'on vous faisait croire que plus il nous envoyait de souffrances, plus il nous aimait.  D'où cette phrase célèbre et pleine de bon sens de Sainte Thérèse d'Avila : " Si c'est ainsi que Dieu traite ses amis, on comprend qu'il en ait si peu!"

 

Cette vision de Dieu à la fois m'effrayait et me révoltait car elle correspondait si peu au sentiment spontané d'amour profond que je ressentais au fond de mon jeune coeur.  N'est-ce pas ce que Louis ( Evely) veut dire quand il écrit :  "On devient athée quand on se sent meilleur que le Dieu que l'on prie ?"

 

Ce qui rendait ma situation encore plus inconfortable, c'est que, perdre la foi en ce Bon Dieu, était considéré, à l'époque comme une faute mortelle, et les descriptions de cet enfer où il nous faudrait éternellement rissoler, n'étaient vraiment guère attirantes.  Aussi je ne savais vraiment plus à quel saint me vouer et je me sentais bien mal.  D'autant plus que tout cela ne semblait pas choquer mon entourage.  J'en étais petit à petit arrivée à me croire anormale, et ce n'était pas du tout confortable à vivre.

 

Il a fallu qu'un jour je rencontre Louis qui m'a le premier fait découvrir le vrai visage de Jésus, et le courage qu'il a eu en osant révéler un Dieu d'amour, un Dieu qui ne juge personne, et dont la seule loi était de s'aimer les uns les autres.  Je n'étais donc pas si anormale que cela, et je n'étais peut-être pas la seule à ne pas être "aux normes". OUF !

 

C'est à partir de là que j'ai pu commencer à me reconstruire avec la liberté de celui qui fait confiance à son inspiration plutôt qu'à un enseignement extérieur.  "Ou bien on a sa foi, ou bien on a celle d'un autre, il faut choisir !" nous disait-il.

 

Mary Evely   Extrait de "Libres échanges" n°136 septembre 2009

25 novembre 2010 4 25 /11 /novembre /2010 15:19

"Si chacun osait dire sa petite vérité de sa propre voix, écrivait Jean Sulivan, alors beaucoup entendraient la vérité qui sommeille en leur coeur, la même et différente."   Je l'ai maintes fois vérifié en moi-même et chez autrui et je l'expérimente toujours : la parole d'un être qui s'efforce d'être vrai et authentique, cette parole qui vient du plus intime, enracinée dans la réalité de son vécu et passée au laminoir des crises de l'existence, rejoint les profondeurs de son vis-à-vis, si ce dernier s'exerce de son côté à vivre dans la présence à lui-même.  Et il n'est pas besoin entre humains de se fréquenter de longue date pour éprouver cette connivence intérieure.  C'est à ce niveau que les êtres humains expérimentent entre eux une véritable communion et non pas en se contentant de professer d'une même voix des doctrines qui leur viennent  de l'extérieur.  Nécessaires sans doute au point de départ de l'aventure spirituelle, elles peuvent devenir des paravents voire des poisons si on les sacralise, sans se les approprier personnellement et sans les réinterpréter.  Car le chemin  de  chacun ne peut être que particulier.  C'est donc à travers la singularité des voies suivies par les uns et les autres qu'il est possible de percevoir ce je-ne-sais-quoi qui nous anime en commun, au coeur et au-delà de toutes les différences d'itinéraires, de culture, de religion ou d'absence de religion, de lieux et d'époques et que " les hommes divers nomment de divers noms" selon la belle expression de Lanza del Vasto.  Car il faut bien balbutier l'Indicible à travers nos pauvres représentations contingentes, sans jamais oublier qu'elles sont relatives.[...] 

L'essentiel est que la parole de chacun, issue de ses profondeurs et enracinée dans l'épaisseur de sa vie, soit offerte et partagée d'une manière ou d'une autre et qu'elle continue à ricocher d'une conscience à une autre.  Ces échos d'humanité qui se propagent souvent silencieusement d'être à être, ne serait-ce pas le sel de la terre qui empêche notre monde de s'affadir ?  Ne serait-ce pas en définitive pour cette raison que notre humanité si fragile, si vulnérable, si improbable, si menacée, ne s'écroule pas mais " re-suscite" jour après jour, loin du feu des rampes sans doute mais d'une manière infiniment plus réelle qu'on peut l'imaginer et le soupçonner ?

 

Jacques Musset  "Une vie en chemin" Ed. Siloë ( pp.17-18 Noël 2006)

25 août 2010 3 25 /08 /août /2010 16:11

 

Maurice Bellet, philosophe, théologien et psychanalyste nous donne quelques réponses lors d’une conférence organisée par les "Semaines sociales" à Paris en 2005. Conférence relatée par Myriam TONUS dans "Entrées libres 3/2005" et reprise ici très librement.

 

"L’être humain, une fois né, doit pourtant encore naître à son humanité".  Est-ce une "affaire de pédagogie, de bonnes méthodes éducatives, de judicieux programmes ?  Sans doute.  Mais tout cela est second, absolument second, par rapport à la question primordiale : qu’est-ce qui fait notre propre vie, qu’est-ce qui lui donne goût et force ?

Savoir lire permet de lire, savoir raisonner permet de circuler dans les sciences, parler plusieurs langues permet d’entrer dans des univers différents, etc..  Dans la diversité même des cultures et les limites inévitables, n’est-ce pas là comme une première communion humanitaire ? "

 

Cependant la culture, les connaissances ne sont pas des garanties d’humanité. Maurice Bellet nous rappelle la pensée du philosophe George Steiner : la culture ne protège pas de la barbarie.  " Il y avait chez les nazis, de bons musiciens, d’excellents scientifiques, des médecins compétents.  Et il se trouve, aujourd’hui même, d’éminents spécialistes dont l’inhumanité est elle aussi éminente : incapables d’écouter et d’entendre, féroces envers leurs proches,  manipulateurs, avides de pouvoir et d’argent, apprentis sorciers que la fabrication du pire n’effraie pas, si elle leur donne la joie de la découverte et des moyens de réussite".

A ces propos pessimistes, Maurice Bellet ajoute cependant que "l’humain n’a pas disparu ; il vit et se transmet, et fait que parmi les jeunes générations, il y a autant d’espoir de vie, de vie humaine, que naguère ou autrefois".

Mais il faut rester lucide : "Le train où va le monde risque bien de nous mener vers un mur ou vers un trou, et il y a assez de symptômes de la fragilité de ce monde actuel pour s’en inquiéter".

 Il pointe alors une forme de mal-être diffus, larvé, à l’œuvre souterrainement dans bien des vies, y compris les plus réussies en apparence. "C’est là. Mais, par rapport à d’autres périodes, c’est comme sous anesthésie.  Même si ça déferle dans les médias, information ou fiction, c’est comme si cela n’entamait pas le joyeux entrain du jeu universel".  Le bonheur comme religion unique est devenu une forme d’évidence : "C’est toute la puissance de la religion sans la référence à Dieu, à moins qu’on ne le nomme comme en l’Évangile : Mammon, l’Argent.  Cette religion-là, bien sûr, a son credo, son culte, sa morale.  Elle veut, en particulier, que nous soyons heureux, c’est-à-dire que nous devons en tout cas en avoir l’air et que les détresses métaphysiques comme les questions abyssales relèveraient désormais de la pathologie ou de la préhistoire"

 

Dans ce contexte "le retour du religieux" est un symptôme parmi d’autres, celui d’un besoin plus fondamental.  "Nous habitons un monde désenchanté ; et le réenchanter avec nos théories et nos produits ne va pas de soi.  La faim en l’homme n’est pas seulement faim de pain ou de viande, mais d’une parole qui l’autorise à être" Dans une société de compétition féroce, comment être humains ?  Tel est en effet le besoin premier, présent au cœur de tout homme, de toute femme.  "Qu’est-ce qui fait humaine la vie humaine ?  C’est que l’être humain soit accepté, reconnu, écouté, nourri de présence, d’affection, de parole ; enfin, lâchons le mot parce qu’il n’y en a pas d’autre, ce dont l’être  humain a besoin, c’est d’amour.  Ce que nous avons à transmettre, ce n’est pas seulement tel bien, tel savoir, telle conviction, telle technique.  C’est une relation, qui court parmi les humains, qui passe de génération en génération, comme le bâton témoin dans une course de relais" L’amour dont il est ici question  n’a rien du "bavardage sentimental»  "C’est le tout à fait minimum : que chaque humain soit considéré comme humain, et non comme une bête, une chose, mais c’est aussi le maximum : une humanité faite d’humains qui sont les uns pour les autres accueil, bienveillance, respect, écoute réciproque, tendresse mutuelle, non-jugement…".  Et il ajoute : "L’amour vous paraît simple et niais ?  Essayez donc de vous y mettre, dans cette dimension-là…".

 

Dans cette œuvre d’humanisation, la mémoire occupe un rôle central : "Nous savons désormais qu’il n’est d’avenir qu’à proportion de la mémoire qu’on sait garder ; sinon le temps compressé, haletant, devient cette surface glissante où ne compte plus que l’immédiat, le court terme"  C’est là que peut trouver place et sens ce que Maurice Bellet appelle les grandes paroles initiatrices.  Celle de l’Évangile, bien évidemment, mais elle n’est pas la seule.  Qu’y a-t-il, par là, qui ne doit pas mourir, qu’il faut absolument transmettre ?  Et pas comme un contenu à répéter, mais bien comme une source à redécouvrir…L’enjeu n’est pas la survie de telle ou telle religion, mais bien  de trouver, dans ces paroles premières, de quoi penser le développement de l’humain en l’homme.  "Nous devons avoir le courage de dépasser les remuements de la surface, de risquer le long et le très long terme.  C’est-à-dire : nous devons avoir le courage de penser, dans une société où il semblerait, à certains symptômes, que penser, ce qui s’appelle penser, devienne de plus en plus difficile".  Plaidoyer pour un travail de la raison, non seulement dans le champ des savoirs, mais encore dans tout ce qui concerne l’humain.  Notre monde est apparemment régi par deux principes : "Tout est possible, tout est permis : principes ô combien séduisants mais qui, si nous y sommes livrés sans reste, sont proprement délirants"  C’est pourquoi, l’œuvre d’éducation s’apparente désormais à une forme de résistance critique.  Et dans cette œuvre, l’école à un rôle fondamental à jouer.  S’il ne s’agit pas de nourrir une adhésion aveugle au monde tel qu’il va, il ne s’agit pas davantage de le mépriser.  L’éducation se doit désormais d’envisager le long terme.  Ce qu’il faut transmettre, c’est essentiellement "une attitude, l’attitude juste.  C’est d’abord, la lucidité ; le courage, sans faiblesse, de faire la vérité, de voir ce qu’il en est.  C’est aussi, dans ce qui reste de marge, faire tout ce qui est dès maintenant possible, par rapport aux grandes exigences du respect de la nature, du respect de l’homme, de la solidarité, de la préservation de l’avenir – et il apparaît que nous pouvons sans doute faire beaucoup plus que nous ne croyons"

 

Pour terminer, Maurice Bellet trace la voie en trois propositions : réaliser le possible, préparer le souhaitable, discerner le nécessaire.  "Le problème-clé de la transmission, c’est que nous soyons capables d’avenir, vivant non seulement au jour le jour et résignés au train des choses, mais portant une espérance qui sera ressentie comme ce qui donne le goût de vivre".