Aspects de le Foi | |
André Verheyen |
En partant d'une phrase de Paul Valadier dans les "Etats Généraux de l'Espérance", à la page 31 : "Nous ne mettons pas notre confiance en nous-mêmes… Certes nous essayons d'avoir des idées et perspectives audacieuses ; nous souhaitons être des femmes et des hommes déterminés, mais nous mettons notre espoir en Celui qui est maître de l'avenir…" je suis amené à une interrogation sur ma possibilité de souscrire sincèrement à cette affirmation. Où est le problème ?Ma nature optimiste et mon tempérament entreprenant me procurent une expérience qui semble dire au contraire : lorsque je fais ce qu'il faut avec compétence, il se passe quelque chose mais si je prie sans faire moi même ce qu'il faut, il ne se passe rien. Pour l'exprimer avec humour, j'aime bien cette anecdote d'un évêque qui disait à un prêtre de paroisse nommé depuis un an dans une situation paroissiale déplorable : "Eh bien, monsieur le curé, c'est merveilleux ce que le Saint Esprit a réalisé dans cette paroisse depuis un an !" Et puis, sentant bien qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, l'évêque ajouta après quelques secondes: "… avec vous évidemment." Et le curé de répondre avec quelque malice: "Ah oui, Monseigneur, surtout que vous auriez dû voir comment c'était lorsque le Saint Esprit était tout seul !" Ne serait-ce pas toujours l'association subconsciente entre "Celui qui est maître de l'avenir" et les images et le langage qui lui ont souvent été attachés? Lorsque ces associations remontent au niveau de la conscience, il devient possible de dire : Evidemment , je ne réussirai rien du tout si je ne me laisse pas guider par l'Esprit de Vérité, de Justice, d'Amour, de persévérance, … Et cet Esprit, c'est bien Lui qui est le "Maître de l'avenir". Y a-t-il une autre image de Dieu qui puisse tenir aujourd'hui?Je ne le crois pas. Sauf, bien sûr, à usage interne pour des groupes qui vivent une expression plus émotionnelle, naïve ou lyrique de leur foi. Mais dans le dialogue avec le monde sécularisé qui est celui dans lequel nous vivons aujourd'hui, il faut plus de rigueur intellectuelle. Et c'est dans ce sens également que j'interprète ce que Jacques Scheuer écrit dans "En diirect" (n° 156, p. 12) : "Un rééquilibrage significatif suppose, entre autres choses, une profonde mutation des perceptions que les diverses cultures et religions ont les unes des autres. Ce ne serait, dira-t-on, que stricte justice. Mais il s'agit d'une véritable conversion. Cela requiert une critique et une déconstruction des mythes de puissance et de domination, à commencer par eux qui s'appuient sur un langage, des arguments et des images de type religieux." Je sais bien que l'optique de Jacques Scheuer, dans l'article cité, n'est pas tant philosophique ou théologique que socio-politique dans le problème de la paix et que les rééquilibrages dont il parle sont avant tout des "rééquilibrages entre continents, notamment le Nord et le Sud". Mais si i nous admettons que la paix est une réalité plus riche et plus profonde que l’absence de guerre, nous serons sans doute convaincus également de l'intérêt d'une analyse sérieuse des comportements des "croyants" (les religions) en particulier vis-à-vis des "incroyants". N'est-il pas significatif que l'usage a consacré pour désigner les interlocuteurs des religions un terme négatif: "incroyant"? Et n’est-il pas difficile pour les croyants, même lorsqu'ils font de merveilleux efforts, d’'ouverture et de dialogue, d'échapper à une conviction de supériorité de celui qui a la foi que l'autre n'a pas, qui perçoit ce que l'autre ne perçoit pas, comprend ce que l'autre ne comprend pas? Attardons-nous un instant à un aspect caractéristique de cette conviction de supériorité, qui s'exprime d'ailleurs aussi à l’intérieur des milieux croyants, et qui prend la forme d'une méfiance, voire d'un certain mépris, vis-à-vis de l'intelligence, de la science, de la critique, etc. Une manière dont beaucoup de chrétiens pensent faire confiance à Dieu - et donc vivre une foi intense - est de dire à propos de beaucoup de points de la doctrine chrétienne : "Il ne faut pas essayer d'expliquer ou de comprendre; il faut avoir l'humilité des "petits" et l'on cite volontiers la parole de Jésus rapportée en Saint Matthieu : "Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits." (XI, 25) Il est évident qu'il y a assez de passages dans la Bible pour valoriser aussi la sagesse, l'intelligence, la perspicacité et la recherche de sens. (1) "Heureux l'homme qui médite sur la Sagesse et qui raisonne avec son intelligence, qui réfléchit dans son cœur sur les voies de la sagesse et qui s'applique à ses secrets."(Ecclésiastique, XIV, 20) C’est pour cette raison que j’aime la parole du père Charlier : "La parole de Dieu mérite l’hommage de notre intelligence" Cette sagesse, cette intelligence, cette honnêteté intellectuelle, ne m'empêchent pas d'estimer à leur juste valeur toutes les autres approches de la réalité : affective, intuitive, volontaire, etc. Mais il ne semble vraiment pas y avoir de raison valable de reléguer l'approche intellectuelle à un rang inférieur par rapport à l'approche intuitive ou émotionnelle. Toutes ces facultés sont au même titre dons du Créateur. Le C. de L.P.C. indique bien que nous sommes de la famille chrétienne et nous connaissons notre famille ; nous comprenons les différentes composantes de notre famille, y compris la composante charismatique. Ce sera donc probablement une tâche de L.P.C. d'attirer l'attention des croyants de type charismatique sur la valeur et l'importance de ce don du Créateur, de cette faculté qui veille à la rigueur intellectuelle, à la pertinence critique, à la vérification de la conformité au réel. Et, comme un plaisir vaut l'autre, les chrétiens qui ont reçu le don d'une affectivité très riche auront à cœur de nous éclairer fraternellement si nous devions passer à côté de richesses et de beautés émotionnelles. |
André Verheyen - septembre 1992 |
(1) Ex. 31,3 et 35, 31 - I Rois, 5,9 - Judith, 8,29 - Proverbes, 2,3,6,11 - Proverbes, 4, 5 et 7 - Proverbes, 16,16; 19,8; 23,23 -tout le livre de la Sagesse, par exemple : 7,7 et ssvv. ; 7,17 – Tout le livre de l’ Ecclésiastique, par exemple : 1,19 ; 6,32 ; 10,3 ; 14,20 (voir ci-dessus) ; 17,7; en particulier 39,1-11 - Isaïe, 11,2 - I Jean, 15,20 - II Pierre, 3,1 - Col., 2,2 et 1,9 - Gal., 3,3 - Luc, 24,45. Marc, 12,33 et surtout peut-être I Corinthiens, 14, 15 et 19. (retour) |
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