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18 mai 2019 6 18 /05 /mai /2019 08:00
André Verheyen Aspects de le Foi
André Verheyen

En partant d'une phrase de Paul Valadier dans les "Etats Généraux de l'Espérance", à la page 31 : "Nous ne mettons pas notre confiance en nous-mêmes… Certes nous essayons d'avoir des idées et perspectives audacieuses ; nous souhaitons être des femmes et des hommes déterminés, mais nous mettons notre espoir en Celui qui est maître de l'avenir…" je suis amené à une interrogation sur ma possibilité de souscrire sincèrement à cette affirmation.

Où est le problème ?

Ma nature optimiste et mon tempérament entreprenant me procurent une expérience qui semble dire au contraire : lorsque je fais ce qu'il faut avec compétence, il se passe quelque chose mais si je prie sans faire moi­ même ce qu'il faut, il ne se passe rien.

Pour l'exprimer avec humour, j'aime bien cette anecdote d'un évêque qui disait à un prêtre de paroisse nommé depuis un an dans une situation paroissiale déplorable : "Eh bien, monsieur le curé, c'est merveilleux ce que le Saint Esprit a réalisé dans cette paroisse depuis un an !"

Et puis, sentant bien qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, l'évêque ajouta après quelques secondes: "… avec vous évidemment." Et le curé de répondre avec quelque malice: "Ah oui, Monseigneur, surtout que vous auriez dû voir comment c'était lorsque le Saint Esprit était tout seul !"

Ne serait-ce pas toujours l'association subconsciente entre "Celui qui est maître de l'avenir" et les images et le langage qui lui ont souvent été attachés?

Lorsque ces associations remontent au niveau de la conscience, il devient possible de dire : Evidemment , je ne réussirai rien du tout si je ne me laisse pas guider par l'Esprit de Vérité, de Justice, d'Amour, de persévérance, … Et cet Esprit, c'est bien Lui qui est le "Maître de l'avenir".

Y a-t-il une autre image de Dieu qui puisse tenir aujourd'hui?

Je ne le crois pas. Sauf, bien sûr, à usage interne pour des groupes qui vivent une expression plus émotionnelle, naïve ou lyrique de leur foi. Mais dans le dialogue avec le monde sécularisé qui est celui dans lequel nous vivons aujourd'hui, il faut plus de rigueur intellectuelle. Et c'est dans ce sens également que j'interprète ce que Jacques Scheuer écrit dans "En diirect" (n° 156, p. 12) :

"Un rééquilibrage significatif suppose, entre autres choses, une profonde mutation des perceptions que les diverses cultures et religions ont les unes des autres. Ce ne serait, dira-t-on, que stricte justice. Mais il s'agit d'une véritable conversion. Cela requiert une critique et une déconstruction des mythes de puissance et de domination, à commencer par eux qui s'appuient sur un langage, des arguments et des images de type religieux."

Je sais bien que l'optique de Jacques Scheuer, dans l'article cité, n'est pas tant philosophique ou théologique que socio-politique dans le problème de la paix et que les rééquilibrages dont il parle sont avant tout des "rééquilibrages entre continents, notamment le Nord et le Sud".

Mais si i nous admettons que la paix est une réalité plus riche et plus profonde que l’absence de guerre, nous serons sans doute convaincus également de l'intérêt d'une analyse sérieuse des comportements des "croyants" (les religions) en particulier vis-à-vis des "incroyants".

N'est-il pas significatif que l'usage a consacré pour désigner les interlocuteurs des religions un terme négatif: "incroyant"? Et n’est-il pas difficile pour les croyants, même lorsqu'ils font de merveilleux efforts, d’'ouverture et de dialogue, d'échapper à une conviction de supériorité de celui qui a la foi que l'autre n'a pas, qui perçoit ce que l'autre ne perçoit pas, comprend ce que l'autre ne comprend pas?

Attardons-nous un instant à un aspect caractéristique de cette conviction de supériorité, qui s'exprime d'ailleurs aussi à l’intérieur des milieux croyants, et qui prend la forme d'une méfiance, voire d'un certain mépris, vis-à-vis de l'intelligence, de la science, de la critique, etc.

Une manière dont beaucoup de chrétiens pensent faire confiance à Dieu - et donc vivre une foi intense - est de dire à propos de beaucoup de points de la doctrine chrétienne : "Il ne faut pas essayer d'expliquer ou de comprendre; il faut avoir l'humilité des "petits" et l'on cite volontiers la parole de Jésus rapportée en Saint Matthieu : "Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits." (XI, 25)

Il est évident qu'il y a assez de passages dans la Bible pour valoriser aussi la sagesse, l'intelligence, la perspicacité et la recherche de sens. (1) "Heureux l'homme qui médite sur la Sagesse et qui raisonne avec son intelligence, qui réfléchit dans son cœur sur les voies de la sagesse et qui s'applique à ses secrets."(Ecclésiastique, XIV, 20)

C’est pour cette raison que j’aime la parole du père Charlier : "La parole de Dieu mérite l’hommage de notre intelligence"

Cette sagesse, cette intelligence, cette honnêteté intellectuelle, ne m'empêchent pas d'estimer à leur juste valeur toutes les autres approches de la réalité : affective, intuitive, volontaire, etc. Mais il ne semble vraiment pas y avoir de raison valable de reléguer l'approche intellectuelle à un rang inférieur par rapport à l'approche intuitive ou émotionnelle. Toutes ces facultés sont au même titre dons du Créateur.

Le C. de L.P.C. indique bien que nous sommes de la famille chrétienne et nous connaissons notre famille ; nous comprenons les différentes composantes de notre famille, y compris la composante charismatique. Ce sera donc probablement une tâche de L.P.C. d'attirer l'attention des croyants de type charismatique sur la valeur et l'importance de ce don du Créateur, de cette faculté qui veille à la rigueur intellectuelle, à la pertinence critique, à la vérification de la conformité au réel.

Et, comme un plaisir vaut l'autre, les chrétiens qui ont reçu le don d'une affectivité très riche auront à cœur de nous éclairer fraternellement si nous devions passer à côté de richesses et de beautés émotionnelles.

André Verheyen - septembre 1992

(1) Ex. 31,3 et 35, 31 - I Rois, 5,9 - Judith, 8,29 - Proverbes, 2,3,6,11 - Proverbes, 4, 5 et 7 - Proverbes, 16,16; 19,8; 23,23 -tout le livre de la Sagesse, par exemple : 7,7 et ssvv. ; 7,17 – Tout le livre de l’ Ecclésiastique, par exemple : 1,19 ; 6,32 ; 10,3 ; 14,20 (voir ci-dessus) ; 17,7; en particulier 39,1-11 - Isaïe, 11,2 - I Jean, 15,20 - II Pierre, 3,1 - Col., 2,2 et 1,9 - Gal., 3,3 - Luc, 24,45. Marc, 12,33 et surtout peut-être I Corinthiens, 14, 15 et 19. (retour)
20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 08:00
Jacques Musset La vraie vie selon Jésus - Actualiser « la vraie vie » selon Jésus (suite et fin)
Jacques Musset

Des formes problématiques

- Suffit-il de proclamer à grands renforts de voix et de lumières « Jésus est ressuscité... » pour que le coeur du message évangélique manifeste sa fécondité ? Durant la nuit pascale, des foules scandent ce refrain, soutenues par les musiques des trompettes et des orgues. Mais qu’en reste-t-il au fond des consciences une fois que tout le monde est rentré chez soi ? Que change l’effervescence d’une célébration dans le for intérieur de ses participants? A quelles prises de conscience éveille-t-elle ? A quelle conversion invite-t-elle ? On peut et on doit s’interroger.

- Suffit-il également pour actualiser « la vraie vie » selon Jésus de participer chaque dimanche à l’Eucharistie qui, selon le Catéchisme de l’Eglise catholique de Jean-Paul II (CEC), est « source et sommet de toute la vie chrétienne » parce qu’ « actualisant l’unique sacrifice du Christ sauveur » (CEC 1324) ? Mais que vaut cette affirmation quand on se rappelle que pour Jésus la venue du règne de Dieu et de son royaume ( donc « la vraie vie ») se manifeste d’abord dans ce qui contribue à humaniser l’homme en toutes ses dimensions ? A ses yeux, amour de Dieu et amour du prochain ne font qu’un, au point que c’est l’amour du prochain qui est le critère de l’amour de Dieu. Pour les premiers chrétiens, cela ne fait aucun doute. La grande mise en scène du jugement dernier en Mathieu 25,31-46 ( relisez-la) rappelle que la valeur des vies humaines aux yeux de Dieu ne dépend pas de leur accomplissement ou non de gestes religieux mais essentiellement de la manière dont elles se mettent au service de leur prochain, de celui qui a faim et soif, est malade, nu, étranger, en prison ( et il y a mille façons d’être en ces situations). Là est « la vraie vie ». Dans cette perspective, la célébration de l’Eucharistie ( de la Cène ) est importante si les participants en faisant mémoire du témoin par excellence de « la vraie vie » sont stimulés à en être eux-mêmes acteurs.

- Suffit-il enfin, pour actualiser « la vraie vie » selon Jésus de respecter les normes de l’Eglise catholique sur le plan de la morale ? Certains chrétiens ( évêques, prêtres et laïcs) l’affirment à grand bruit. Ils se font un devoir de proclamer que Dieu a donné une loi naturelle aux hommes et que les responsables de l’Eglise en sont les interprètes autorisés. « Cette loi est immuable et permanente à travers les variations de l’histoire ; elle subsiste sous les flots des idées et des moeurs et en soutient le progrès (CEC,1967). » Ainsi selon cette loi naturelle, le divorce est « une grave offense à la loi naturelle... et le conjoint remarié se trouve dans une situation d’adultère public et permament » (CEC 2384). Il en va de même pour la contraception, l’avortement et l’homosexualité, « intrinsèquement désordonnée » ( CEC, 2357), à fortiori, pour le mariage entre deux personnes du même sexe, ainsi que pour l’euthanasie « moralement inacceptable ».

L’insistance à promouvoir cette morale intransigeante et tatillonne dont on sait maintenant qu’elle a une origine tout à fait humaine et non divine n’est pas dans l’esprit de Jésus. Tout dans ses paroles et ses actes montre au contraire qu’il appelle chaque personne à conduire sa vie en conjuguant liberté et responsabilité.

Des critères incontournables

Arrivons-en à ce qui pourrait être considéré comme critères évangéliques d’actualisation de la « vraie vie » selon Jésus. Je les tire de quelques phrases des évangiles et de la 1ère l’épître de St Jean. Elles sont nées de la méditation des premiers chrétiens sur la pratique de Jésus. Elles résument l’expérience chrétienne valable en tout temps et en tout lieu, à charge cependant aux disciples de Jésus de l’incarner d’une façon inédite dans les contextes qui sont les leurs à longueur de siècles.

- « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. (I Jn 3 14 )

Voilà le premier critère. Tout est dit là en quelques mots, simplement mais avec quelle force ! « Nous savons » est une profession d’expérience non de foi. Il n’est pas dit « nous croyons » mais nous avons la certitude intérieure. De quoi ? De cette vérité expérimentale que « nous sommes passés de la mort à la vie », ici et maintenant, pas au terme de notre existence, mais au cours même de notre itinéraire humain, à l’intérieur même de ce que nous vivons chaque jour, dans l’épaisseur et l’ordinaire de nos vies. Nous sommes déjà des ressuscités, nous éprouvons et vérifions, tout bancals et tordus que nous sommes, ce qu’est « la vraie vie », non pas en sortant du monde mais au coeur du monde, de ses aléas, de ses tourments, de ses incertitudes. Et qu’est-ce qui nous donne cette conviction si assurée dont rien ne peut nous faire douter ? C’est « parce que nous aimons nos frères », ce n’est que cela mais c’est tout cela ! C’est parce que nous nous efforçons de les aimer à la façon dont Jésus a aimé celles et ceux qu’il a rencontrés : en les accueillant, en les écoutant, en ayant foi en eux, en les accompagnant sur leurs sentiers éprouvants, en leur redonnant confiance en eux-mêmes, en les aidant à trouver leur propre voie. Il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour expérimenter et témoigner que l’amour véritable rend pleinement vivant. Mais on ne peut être chrétien sans emprunter ce chemin. La phrase de la lettre de St Jean pourrait être un mantra que nous nous redisons à longueur de jour pour nous stimuler, nous encourager, nous secouer aussi.

- Celui qui fait la vérité vient à la lumière

Voilà un second critère qui nous assure que nous sommes sur le chemin de « la vraie vie ». Mais qu’est-ce que « faire la vérité », et d’abord qu’est-ce que « la vérité » ? La vérité au sens évangélique est existentielle, c’est la réalisation concrète de ce que les évangiles appellent le royaume, c’est à dire le monde nouveau dont Jésus n’a cessé de faire les travaux pratiques. « Je suis né et je suis venu dans ce monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix », telles sont les dernières paroles du Jésus de l’évangile de Jean devant Pilate, à quelques heures de sa condamnation et de son exécution. Pour lui, témoigner de la vérité a été son engagement à combattre sans concession ce qui était source de déshumanisation pour les humains de son temps. Faire la vérité s’est exprimé de sa part en paroles et en actes libérateurs. Pour lui la cause de Dieu était celle de l’homme et inversement. A nous de rendre le relais.

- La loi est faite pour l’homme et non le contraire

Ce troisième critère est aussi déterminant pour apprécier si nos choix vont dans le sens de « la vraie vie » selon Jésus. Si les lois sont nécessaires pour baliser les chemins humains, elles doivent être interprétées en fonction des situations concrètes dans lesquelles se trouvent les personnes et des besoins qui sont les leurs. Jésus a lutté contre le légalisme strict de la religion juive de son temps, selon lequel le bon croyant devait obtempérer au doigt et à l’oeil aux 613 prescriptions de la loi orale. Moyenant quoi, puisqu’il était formellement interdit de travailler durant tout le sabbat, il fallait en attendre la fin pour retirer le pauvre boeuf tombé malencontreusement dans un trou ou pour venir au secours d’un estropié mal en point. Ou encore on ne devait en aucun cas le jour du sabbat arracher des épis de blés et les manger (Mt 12,1-8). Jésus remet les choses à l’endroit : c’est le bien de l’homme qui importe en toute occasion et non le respect littéral de la Loi. Aussi l’a-t-il transgressée à maintes reprises au grand dam de ses gardiens sourcilleux. Aujourd’hui, il est maints domaines de la vie où les choix qui ressortent d’un discernement responsable peuvent contrevenir aux valeurs reconnues ou aux lois en vigueur. Seules la ou les personnes concernées savent, après mûre réflexion, ce qui est humainement bon pour elles. Les responsables de l’Eglise catholique font encore trop souvent la sourde oreille à la pratique libératrice de Jésus en ce domaine.

- La lampe du corps c’est l’oeil. Si donc ton oeil est sain, ton corps tout entier sera dans la lumière. Mt 6, 22

Ce dernier critère renvoie chacun à l’esprit qui l’anime, aux intentions qui le mobilisent. Il appelle à la lucidité sur soi, aux motivations intimes de ses engagements dans tous les domaines de son existence, personnel, familial, professionnel, associatif, social et politique. Jésus n’a cessé de dénoncer le souci des façades, l’égocentrisme, l’instinct de domination déguisés en générosité et en bonnes actions. Il a invité sans discontinuer à agir sans arrière-pensée dans la relation avec son prochain et d’une manière générale dans toutes ses actions, car tout prend de la valeur ou au contraire tout est perverti selon qu’on est ou pas animé par une démarche intérieure de droiture et de désintéressement. Il est bon de temps en temps de faire le point sur nos motivations.

Une fécondité sans frontière, aux visages inédits

Jésus parti, l’avènement de « la vraie vie » se poursuit sous toutes les latitudes. Elle advient mystérieusement mais réellement en toutes les terres humaines, comme une semence qui germe et grandit on ne sait comment ( Mc 4,26-29), comme un levain qui fait monter la pâte, (Mt 13,33) comme du blé qui pousse mêlé à l’ivraie sans être étouffé par lui (Mt 13,24-26). Elle ne se cantonne pas dans les enclos religieux ; elle les déborde largement et on la trouve là où on ne l’imaginerait pas. Ses promoteurs sont légion, avec ou sans étiquette chrétienne. Comment expliquer cette fécondité indéfiniment renouvelée, alors même que le christianisme est en déperdition sociologique, du moins en occident ?

C’est qu’au coeur de chaque humain il est une force d’inspiration qui l’invite et même le presse, s’il y est fidèle, à créer de « la vraie vie ». En langage chrétien, on parle de Souffle intérieur. Jésus était persuadé qu’après lui le relais serait pris : C’est votre avantage que je m’en aille, en effet, si je ne pars pas, le Souffle ne viendra pas à vous (Jn 16,7). Sommes-nous convaincus que, quelles que soient les vicissitudes actuelles des religions et du monde, le Souffle n’a pas déserté les consciences humaines et qu’il est toujours à l’oeuvre ? Sommes-nous attentifs à ses manifestations d’humanité ici et là, dans notre environnement aussi bien immédiat que lointain ? Nous réjouissons-nous de cette « vraie vie » qui affleure partout et prend corps selon des formes tout à fait inédites ?

Jésus, dans l’évangile de Jean, nous a pourtant prévenus : « En vérité je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les oeuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes » (Jn14, 12). La réalité est là sous nos yeux. La voyons-nous ? Et croyons-nous que cette parole s’adresse aussi à chacun de nous ? Là où nous vivons, dans l’épaisseur de nos existences, comment faisons-nous advenir cette promesse ?

Au terme de cette méditation sur « la vraie vie » selon Jésus, on pourrait dire : la barre est bien haute. C’est vrai, vivre de l’Evangile n’est pas une sinécure mais ce n’est pas non plus un parcours du combattant. A chacun est confiée la responsabilité de faire fructifier « la vraie vie » selon ses possibilités. A personne n’est demandé de réaliser des prouesses, mais seulement de faire valoir au mieux ce qui lui est confié. La parabole des talents met en scène deux attitudes possibles : celle qui ose et en accepte le risque ; celle qui fait le mort par peur du risque. La première est féconde, la seconde est stérile. Le choix est entre nos mains ; si l’aventure est exigeante, c’est une belle et heureuse aventure !

Jacques Musset

13 avril 2019 6 13 /04 /avril /2019 08:00
Jacques Musset La vraie vie selon Jésus - Jésus le vivant dans les récits évangéliques de la résurrection
Jacques Musset

L’exigence du décryptage

A lire d’une manière littérale les récits évangéliques concernant la résurrection de Jésus, on pourrait les prendre pour des reportages palpitants. Cette lecture fondamentaliste serait une impasse. Ces textes écrits il y a vingt siècles dans des formes littéraires et avec des représentations qui ne sont plus les nôtres appellent de notre part un décryptage, si nous voulons en recueillir les messages. C’est le travail de ce qu’on appelle l’exégèse et il doit s’exercer sur tous les textes des évangiles, sous peine de contre-sens ou de non-sens. Il ne concerne pas seulement les spécialistes, mais n’importe quel lecteur et à fortiori les chrétiens, ce qui, hélas, n’est pas la pratique la plus répandue. Ceux-ci ont besoin d’un minimum de clés pour lire intelligemment les témoignages de foi des premiers chrétiens sur Jésus ressuscité et, à travers eux, percevoir qui fut le Jésus historique et ce sur quoi il a misé sa vie.

Relation de faits historiques ou témoignages de foi ?

Faisons l’exercice sur les récits évangéliques concernant la résurrection de Jésus. Une simple comparaison de leurs contenus fait apparaître quelques points communs mais beaucoup de différences, dont certaines sont même contradictoires. Par ailleurs, ces récits sont remplis de manifestations surnaturelles qui tiennent du prodigieux. Ce sont déjà des indications signalant que ces textes n’ont pas de prétention historique, même s’ils en ont l’air.

Regardons-y de près pour confirmation et décodage. Examinons d’abord les récits autour du tombeau vide, puis ceux relatifs aux apparitions du ressuscité (je ne tiens pas compte de textes ajoutés après coup en Marc (16, 9-20) et Jean (21).

Que lit-on ? Chez les trois synoptiques uniquement (Marc, Matthieu et Luc), le premier jour de la semaine (le dimanche), des femmes (dont Marie de Magdala) vont au tombeau pour rendre les derniers hommages au crucifié ; la pierre d’entrée en est roulée, le corps de Jésus a disparu, et un ou deux anges resplendissant de lumière leur annoncent solennellement que le crucifié est vivant, qu’il s’est éveillé des morts. Ajout corsé en St Matthieu : les gardes des grand-prêtres qui ont été postés près du tombeau pour le surveiller et empêcher tout vol du corps partent à la renverse face à la manifestation angélique très spectaculaire ! Les apôtres avertis par les femmes crient cependant au radotage.

En Saint Jean uniquement, Marie de Magdala va seule au tombeau pour honorer son ami défunt, elle constate que la pierre est roulée et, faisant l’hypothèse que le corps a été dérobé, court avertir Pierre et Jean qui en concluent que Jésus est ressuscité. Marie restée sur place ne semble pas convaincue. Elle se lamente et voilà que, sans le reconnaître, elle est interpellée par Jésus en chair et en os qu’elle prend pour le jardinier du cimetière. Lorsque Jésus l’appelle par son nom, elle le reconnaît, et veut le toucher mais Jésus l’envoie transmettre la bonne nouvelle aux disciples.

Chez Luc, la nouvelle leur est confirmée en soirée par les deux disciples qui découragés et rentrant chez eux ont reconnu Jésus sur la route de Jérusalem vers Emmaüs.

Les récits concernant les rencontres du ressuscité avec ses apôtres et disciples posent également bien des problèmes. D’une part, ces rencontres divergent grandement quant au calendrier et aux lieux. Chez Matthieu, elles durent au moins plusieurs jours ; chez Luc tout est bouclé en une seule journée qui se termine par l’ascension au ciel de Jésus ( pourtant le même Luc, auteur des Actes des apôtres, parle de rencontres qui ont lieu pendant quarante jours à l’issue desquelles se situe l’ascension) ; chez Jean, Jésus s’attarde huit jours pour retrouver Thomas absent lors de la première apparition ; lors du premier rendez-vous, Jésus donne l’Esprit à ses apôtres ( la Pentecôte a lieu dans les Actes des apôtres cinquante jours après Pâques). Quant aux lieux de rendez-vous, c’est également très contrasté. Chez Luc et Jean, c’est à Jérusalem ; Jésus en a donné la consigne. Chez Matthieu, c’est en Galilée que Jésus leur a expressément ordonné de se rendre pour l’ultime adieu. D’autre part, la manière dont celui qui a franchi les barrières de la mort se manifeste sont étranges et même invraisemblables : il traverse les murs, surgit à l’improviste, n’est pas reconnaissable par ses amis dans un premier temps, puis se laisse identifier, donne ses instructions, disparaît comme il est venu et réapparaît à son gré tantôt à Jérusalem, tantôt sur les routes de Judée et en Galilée avant de monter vers le ciel. Il est de nombreux chrétiens aujourd’hui qui entendant ces récits mais n’ayant pas les clés pour les interpréter, les prennent pour de belles histoires merveilleuses, comme on en trouve dans les contes. C’est trop beau pour être vrai ! Et quand ils pensent et disent « vrai », ils pensent spontanément vérité historique.

Des clés pour comprendre

Or la vérité de ces récits n’est pas d’ordre historique mais de l’ordre de la foi. Ils visent à exprimer la conviction qui s’est imposée aux apôtres et disciples après la mise à mort violente de leur maître : Celui-ci, loin d’être un imposteur comme on le disait, est en réalité l’initiateur du Royaume tant attendu, la mort n’a pas eu raison de lui, Dieu l’a réhabilité en le ressuscitant (1) et la Voie qu’il a inaugurée est chemin de « la vraie vie ».

Cette certitude toute intérieure, les disciples l’ont proclamée au point de départ en quelques phrases lapidaires que l’on trouve dans les Actes des apôtres (Actes 2, 22-24). Puis au fur et à mesure, les premières générations chrétiennes du premier siècle l’ont exprimée à travers des récits, en reprenant l’imagerie et les mises en scènes littéraires utilisées dans des textes de l’Ancien Testament, pratiques courantes chez les auteurs bibliques. Par exemple, les interventions des anges signifient (pour le croyant) que Dieu est impliqué positivement dans les événements dont on parle. De même, la soudaineté avec laquelle se produit l’inattendu et l’impossibilité de le maîtriser signifie que Dieu est à l’œuvre. De même encore, l’expérience du doute signifie que la reconnaissance de la présence de Dieu ne va pas de soi ; la peur, la sidération, le silence manifestent aussi la présence du divin qui submerge. Tous ces langages sont codés. Ainsi les auteurs des récits évangéliques les ont construits en employant pour une part leurs matériaux dans la littérature biblique, mais ils les ont agencés avec originalité pour signifier le message qu’ils souhaitaient transmettre.

Signification des lieux : Galilée et Jérusalem

Faute de place pour une démonstration précise des contenus des textes, j’attire l’attention sur la signification des deux lieux où le ressuscité donne rendez-vous à ses disciples en Luc (Jérusalem) et Matthieu (la Galilée). Une lecture littérale n’en voit pas l’importance. Pourtant à travers cette présentation deux messages essentiels mais différents sont délivrés. Ils ne sont pas contradictoires, mais chacun a son originalité qui met en relief une dimension particulière du message évangélique.

Chez Matthieu, le thème de la Galilée est capital. Le ministère de Jésus commence en cette région (4, 12-17) et s’y achève (28, 16-28). Quelle signification faut-il y lire ? La Galilée est appelée en 4,15 « la Galilée des nations », expression qu’on trouve dans le prophète Isaïe. C’est une terre de frontières bordée par des nations païennes, en contact direct avec le monde non-juif, une terre soupçonnée par les gens de Jérusalem de professer une foi peu orthodoxe, pas « très catholique ». Isaïe annonçait qu’à la fin des temps, c’est là que Dieu se manifesterait aux nations. Relisant ce passage biblique, Matthieu présente Jésus dès les premiers chapitres comme lumière pour ceux qui sont au pays de la nuit (4, 12-17) et à la fin, si le ressuscité se manifeste d’une manière ultime en Galilée et pas ailleurs, c’est pour signifier que la bonne nouvelle de Pâques n’est pas confinée dans les clôtures de la stricte observance juive mais qu’elle est offerte à tous les humains sans préalable et sans distinction, qu’elle est appelée à franchir les frontières, prête à s’enraciner en n’importe quelle terre, à commencer par celles auxquelles on ne songerait pas. En écrivant pour des chrétiens d’origine juive, Matthieu souligne que le terrain du Ressuscité ce n’est plus le domaine juif, c’est le vaste monde des hommes. En Jésus, Dieu n’est plus assigné à résidence, il ne connaît pas de frontières. Le thème « Galilée » chez Matthieu exprime l’universalisme du monde nouveau, mis en relief d’une façon singulière par Jésus durant sa vie publique (Mt 28,16-20). « La vraie vie » est offerte à tous.

La perspective de Luc est très différente : le lieu de rendez-vous du ressuscité avec ses disciples est Jérusalem. Que signifie ce thème ? Pour le découvrir, il faut considérer ensemble les deux livres de Luc : son évangile (autour de l’événement Jésus) et les Actes des apôtres qui en est la suite (autour de la diffusion dans le monde de la Bonne Nouvelle évangélique). Jérusalem est au centre de la composition : tout converge vers Jérusalem dans l’évangile de Luc, tout part de Jérusalem dans les Actes.

En effet, l’évangile de Luc est construit comme une marche de l’envoyé de Dieu de Galilée vers Jérusalem (9,51), la ville sainte, lieu traditionnel de la Présence de Dieu au cœur du Temple. Son but : signifier que Jésus est le point d’aboutissement de toute l’aventure spirituelle d’Israël. Son témoignage culmine sur la croix du Golgotha, une des collines de Jérusalem ; là, Jésus révèle, à qui voit au- delà des apparences, le visage d’un Dieu qui s’offre à tous les hommes et les appelle à expérimenter « la vraie vie ».

Dans les Actes des apôtres de Luc, la diffusion de « la vraie vie » part de Jérusalem pour rayonner dans toutes les villes de l’empire romain, grâce à l’action des apôtres et des disciples et notamment à Paul, particulièrement actif et créatif. Jérusalem n’est désormais plus la demeure de Dieu par excellence, puisque Dieu a émigré partout où vivent des humainss ; le Temple est caduque, puisque le culte véritable se vit au plus intime de soi et dans le service des humains, chrétiens ou non ; nombre de prescriptions légalistes de la loi de Moïse n’ont plus de raison d’être, ce qui compte c’est la droiture du cœur et l’engagement sur les traces de Jésus.

En définitive, le thème de Jérusalem en Luc souligne d’une part (dans son évangile) l’enracinement juif de l’événement Jésus et l’accomplissement en lui de la vocation d’Israël. Il manifeste d’autre part (dans les Actes) la fécondité du témoignage de Jésus se répandant et s’incarnant dans une multitude de nation et de cultures, et y faisant fleurir partout « la vraie vie » de manière inédite.

Jésus, est et sera toujours Jésus selon...

Matthieu et Luc, deux présentations de Jésus ressuscité, deux interprétations liées aux auteurs et aux communautés auxquelles ils appartenaient. Il en va ainsi chez les deux autres évangélistes et aussi dans les autres textes qui constituent le Nouveau Testament. Il y a autant de visages de Jésus que d’auteurs. Chacun met l’accent sur telle ou telle dimension du message et de la pratique du nazaréen en fonction des questions et situations des auteurs et de leurs communautés et chacun l’exprime à sa manière et dans sa culture. Il ne peut en être autrement aujourd’hui : actualiser « la vraie vie » selon Jésus en paroles et en actes est une responsabilité qui ne consiste pas à répéter l’héritage reçu mais à le recréer dans les conditions présentes. C’est le sujet du dernier article.

(à suivre)

Jacques Musset

(1) Evidemment, reste à comprendre ce qu’ils entendent par « ressusciter »dans leurs représentations et comment comprendre aujourd’hui ce mot dans notre culture. Voir mon livre : Etre chrétien dans la modernité, Ed . Golias, Chapitre 6 (retour)
6 avril 2019 6 06 /04 /avril /2019 08:00
Jacques Musset "La vraie vie" selon Jésus - Pâques : la révélation de la vraie vie
Jacques Musset

Les apôtres et disciples de Jésus fuient lors de son arrestation et se retrouvent anéantis par l’extermination brutale et infamante de leur maître. Pour eux, l’aventure avec Jésus semble terminée. Ils retournent à la profession qu’ils exerçaient avant l’appel reçu auquel ils avaient répondu avec enthousiasme. Pierre, André, Jacques, Jean rentrent en Galilée et retrouvent leurs filets sur les bords du lac de Tibériade.

Comment comprendre qu’ils puissent proclamer, quelque temps après, la détonnante nouvelle, scandaleuse pour beaucoup de juifs : celui qui est mort comme un renégat ( 21, 22-23) est, en dépit des apparences, le véritable messie de Dieu qui inaugure son Royaume ; et Dieu, en raison de sa fidélité exemplaire, l’a ressuscité d’entre les morts. Que se passe-t-il pour que s’opère en eux ce revirement copernicien à contre-sens de l’opinion commune pour qui l’affaire de Jésus, dangereux novateur, imposteur et séditieux est définitivement classée ?

Le travail fécond de la mémoire vive

En fait, l’expérience exceptionnelle qu’ils ont vécue dans l’intimité de Jésus durant une année ou deux non seulement ne s’est pas dissipée après la mort de leur maître. Elle demeure fortement présente à leurs esprits et leurs cœurs et les travaillent intérieurement. Comment oublieraient-ils ce compagnonnage extraordinaire ? Ainsi en se le remémorant, découvrent-ils mieux qu’au temps où ils étaient aux côtés de Jésus le secret de son être qui à la fois les étonnait, les scandalisait mais aussi les fascinait par sa liberté intérieure, sa droiture, son courage tranquille face aux pouvoirs politiques et religieux, sa dénonciation de l’hypocrisie, son souci des exclus et sa manière de les réhabiliter, son refus du compromis et du mensonge, sa parole incisive, son intériorité ressourcée dans les nuits de silence à « l’écoute » de son Dieu.

Ils ne peuvent pas ne pas s’interroger sur son identité, sa mission et son rapport avec l’avènement du règne de Dieu au service duquel il s’est tant engagé. Ils ont été les témoins privilégiés de la façon originale dont Jésus en parlait et qui était aux antipodes de la conception des autres groupes religieux du temps. Si Jésus n’a jamais revendiqué d’être le messie ni le mystérieux Fils de l’homme, ces deux figures emblématiques de l’imaginaire juif considérées comme les promoteurs du règne de Dieu, il avait une vive conscience que son action et ses paroles participaient d’une manière active et décisive à la venue de ce règne. Comment la proximité vécue avec Jésus de jour et de nuit, dans les bons et les mauvais jours, au temps des enthousiasmes populaires et des affrontements sans merci avec les tenants d’une religion sclérosée, ne les aurait-il pas marqués profondément ? La meilleure preuve, c’est qu’en dépit de l’abandon progressif des foules et de l’hostilité croissante de ses ennemis, ils sont restés attachés à la personne de leur maître jusqu’au bout, le dernier repas partagé avec lui la veille de sa mort revêtant une gravité et une intensité exceptionnelle. S’ils ont fui au moment de son arrestation, peuvent-ils oublier l’intense compagnonnage partagé avec lui ? Leur lâchage au moment critique dont ils ne sont pas fiers n’est pas un abandon de leurs convictions mais un moment de faiblesse due à la peur d’être eux-mêmes liquidés. Lorsque le danger se manifeste, qui peut être assuré de ne pas défaillir ?

Est-il étonnant dès lors qu’après un temps de déroute ils se ressaisissent. Il leur paraît évident que Jésus n’était pas un imposteur ni un fossoyeur de la religion comme on le disait. Tout ce qu’il a dit au sujet de l’avènement du Royaume ; ce n’était pas de belles paroles, il en a fait d’ailleurs « les travaux pratiques » à ses risques et périls. Devant eux, les boiteux se sont mis à marcher, les sourds à entendre, le aveugles à voir, les marginalisés à retrouver leur dignité, les désespérés à recouvrer des raisons de vivre. Il n’est pas possible à leurs yeux que ce mouvement de vie soit inspiré par les forces du mal, comme l’insinuaient et même le criaient rageusement ses adversaires. C’était bien au contraire le signe que Dieu était à l’œuvre et que le monde nouveau avait commencé d’advenir.

La relecture des Ecritures

Ils relisent les Ecritures pour trouver sens à l’aventure de Jésus. Elles affirment que le règne de Dieu sera inauguré par son messie (son délégué en quelque sorte), ou encore par « le Fils de l’homme » (personnage mystérieux mandaté par Dieu). Ils en viennent à la conviction que Jésus est bien ce messie, ce Fils de l’homme. Cette conviction, certes, contrecarre les représentations grandioses de l’avènement du règne de Dieu et de l’intervention spectaculaire de son envoyé, telles qu’elles circulaient dans le peuple et dont les apôtres et disciples eux-mêmes n’ont pas été indemnes. Mais la rumination intérieure de leur expérience passée les conduit à cette certitude : sous des apparences imprévues, inattendues, voire provocantes, Jésus est sans nul doute le messie et le Fils de l’homme inaugurant le Royaume. De plus, sa mort injuste et cruelle, à regarder de près les textes bibliques, est dans la ligne des persécutions qu’ont subies avant lui les nombreux justes qui ont consenti à sacrifier leur vie par fidélité à Dieu. Dans maints psaumes (22,par exemple), on proclame la fécondité de leur existence. Pour ses disciples, Jésus devient, aux yeux de ses disciples, le juste persécuté par excellence. Le recours aux Ecritures leur assure en même temps que la fin des temps coïncide avec la venue du règne de Dieu. Commencée avec Jésus mais non achevée, cette fin des temps s’achèvera par la résurrection de tous les humains. Moment ultime et décisif pour chaque existence qui verra révélée sa valeur véritable. Pour les apôtres et disciples, il va de soi que Jésus qui a inauguré à ses risques et périls le Royaume devient « le premier né d’entre les morts », comme dira St Paul. Dieu le ressuscite avant tout le monde en raison de la fidélité exemplaire à sa mission.

L’unité du message pascal

Ainsi les apôtres et les disciples proclament-ils tout à la fois : Jésus est bien le « messie » et le « Fils de l’homme » attendu, révélant la couleur véritable du Royaume de Dieu ; il l’a été à la manière des justes souffrants qui pour défendre la cause de Dieu ont enduré incompréhensions et mauvais traitements ; enfin Dieu l’a tiré de la mort en le ressuscitant, il est vivant de la Vie même de Dieu. C’est là le triple message de Pâques qui n’en fait qu’un en réalité. Pour le dire d’une autre façon, la foi des disciples en la résurrection de Jésus dépend intrinsèquement de leur conviction qu’il est le messie attendu, inaugurant simultanément et le règne de Dieu et la fin des temps dont la réalisation plénière reste à venir.

La résurrection de Jésus, révélation de la valeur de ses engagements

Comme on le voit, la résurrection de Jésus n’est pas présentée comme une simple victoire sur la mort, en tant que réalité naturelle de la vie, comme on la décrit parfois à tort. Là n’est pas le cœur du message évangélique. Les disciples de Jésus disent tout autre chose. La résurrection de leur maître est, selon eux, comme la solennelle approbation divine de son engagement en paroles et actes libérateurs pour la manifestation du Règne de Dieu et de son royaume, la croix étant l’ultime témoignage de sa fidélité. Au plus intime de leur conscience croyante, la résurrection de Jésus, œuvre de Dieu, signifie que la manière d’être et de vivre du nazaréen est solennellement reconnue.

Les récits évangéliques sur la résurrection de Jésus : vérité historique ou vérité de foi ?

Mais objectera-t-on, les textes de nos quatre évangiles ne parlent pas de cette prise de conscience des apôtres et disciples après la mort de Jésus. Ils font état de rencontres avec Jésus ressuscité. Celui-ci leur apparaît sans crier gare, ils le voient, le touchent, mangent avec lui (1) ; ils l’entendent et reçoivent de lui des consignes, parlent avec lui, avant qu’il ne s’élève vers le ciel. C’est vrai : les choses sont bien racontées ainsi. Mais gardons-nous de lire ces textes magnifiques d’une manière littérale et fondamentaliste. Un peu de décodage des textes s’impose. Nous verrons dans le prochain article comment décrypter ces récits qui ne sont pas des reportages en direct avec le ressuscité, mais des récits, comme tant d’autres dans la Bible et les évangiles, dont la vérité n’est pas historique mais de l’ordre de la foi.

(à suivre)

Jacques Musset

(1) Ainsi lors de l’émission de France Culture du 25 février animée par Alain Finkelkraut sur le thème « Etre catholique aujourd’hui », les deux invités, les philosophes Denis Moreau et Rémy Brague n’ont évoqué la résurrection du Christ que comme la promesse pour tout homme d’une vie future après la mort, en faisant l’impasse sur ce fut la mort violente de Jésus ; infligée par ses ennemis, elle visait à faire taire un fieffé hérétique ; pour Jésus elle fut le dernier acte de fidélité à sa mission d’inaugurer le Royaume. Comment peut-on évoquer la résurrection de Jésus en omettant son engagement pour la cause de Dieu qui se confond avec la cause de l’homme. En ressuscitant Jésus, Dieu donne raison à son témoignage en paroles et en actes. C’est là l’originalité de l’affirmation.(retour)
30 mars 2019 6 30 /03 /mars /2019 09:00
Jacques Musset "La vraie vie" selon Jésus - Jésus crucifié, un échec ?
Jacques Musset

Oui, socialement et religieusement selon la religion établie de son temps.

Le contexte : l’attente fiévreuse du règne de Dieu dans de brefs délais.

Rappelons-nous l’ambition de Jésus : non seulement annoncer le règne de Dieu qui vient mais être le témoin et l’agent actif de ce monde nouveau. Le règne de Dieu est le grand thème qui traverse à quelques exceptions près le judaïsme au temps de Jésus. C'est en réalité une vieille idée récurrente qui court à travers toute l'histoire biblique, surtout dans les temps de crises. On attend au début de notre ère une intervention décisive de Dieu qui mettra fin à la situation de tension que vit le peuple juif. La Palestine est en effet sous domination politique de Rome qui réprime sans ménagement toute opposition. La majeure partie du peuple est par ailleurs dans un état de pauvreté et de précarité matérielle qui le fait aspirer à des changements sociaux : bon nombre de gens sont employés à la journée dans des grandes exploitations agricoles et vivent dans l’insécurité quotidienne. De plus ces mêmes gens, lors de la levée des impôts pour Rome et pour l’administration juive, se font gruger par les percepteurs qui les raquettent et s’en mettent dans leurs poches.

Tous les groupes religieux ont leur idée pour hâter l’avènement du règne de Dieu. Pour les pharisiens et les scribes, c’est l’observance scrupuleuse de la loi écrite et orale qui va déclencher la fin du vieux monde et l’avènement du monde nouveau. Seuls seront sauvés ceux qui observent la lettre de la Loi orale et écrite (dont les fameux 618 commandements qui régissent avec précision les actes de la vie quotidienne). Pour les esséniens, plus radicaux encore que les précédents, obsédés par le souci de la pureté rituelle et la préoccupation d'éviter les occasions d’impureté légale, Dieu choisira son messie (son lieutenant) dans leur communauté et sans doute en la personne de leur responsable. Pour les Zélotes, il ne suffit pas d’observer la Loi, il faut ouvrir à Dieu le chemin de la libération en faisant le coup de main contre l’ennemi dans des embuscades, des guet-apens, des assassinats. Pour les baptistes, dont Jean est un illustre représentant, c’est la conversion du cœur qui donne accès au monde nouveau. Il n’y a guère que l’aristocratie sacerdotale et sociale juive qui, à cause de ses intérêts économiques liés au Temple et d’une entente cordiale avec les occupants, n’attendent rien d’un bouleversement divin qui mettrait en péril leurs privilèges.

L’avènement du règne de Dieu selon Jésus

Dans l’atmosphère enfiévrée de son temps, Jésus annonce, lui aussi, la venue du Règne de Dieu et du monde nouveau qui en résulte (le Royaume) mais prend à contre-pied les positions ambiantes. Ce royaume n’est pas à mériter ni à conquérir. Il advient comme un don gratuit et donc est offert à tous ; seule importe la disponibilité intérieure du cœur pour en devenir membre. Ce royaume n’est pas un royaume matériel mais une manière d’être et de vivre qui se manifeste dans toutes les dimensions d’existence personnelle et sociale. « Le Royaume est au-dedans de vous », proclame Jésus. La formule est plus forte que « au milieu de vous ». Ce Royaume n’est pas seulement pour demain, il est déjà là aujourd’hui : tout homme et toute femme, absolument tous les humains sans distinction sont conviés. Les barrières de pureté et d’impureté légale, définies par la Loi juive comme critères du bon et du mauvais croyant, sont pulvérisées. S’il y a pureté ou impureté, selon Jésus, ce n’est pas en fonction de l’observation des rites religieux ou de l’appartenance à tel ou tel métier (il y en a qui rendent impurs !), c’est au niveau du cœur et des dispositions intimes. Dans ce royaume, la loi n'est pas dépassée mais elle est faite pour l’homme et non le contraire. C’est l’esprit qui compte, non la lettre. Ce qui prime, c'est la justice, l'attention à autrui et notamment à ceux qui souffrent. Dans ce royaume, le Temple est une institution bien relative. Les vrais adorateurs de Dieu adorent en esprit et vérité. Jésus va jusqu’à affirmer que le grandiose monument de pierre n’est pas éternel. Pour promouvoir ce royaume, la violence et les armes guerrières sont périmées car dans le monde nouveau les conflits ne se règlent pas par la violence mais par la parole et le débat ; la résistance légitime utilise les moyens de la non-violence active (pour employer une expression moderne) qui n’a rien d’une démission.

Où Jésus puise-t-il ces convictions qui font que pour lui la cause de Dieu et l'humanisation de l'homme dans toutes dimensions de son être ne font qu'un ? C'est que loin du légalisme et du ritualisme qui corrompent sa religion, il se ressource au cœur de sa foi juive, celle qu'ont rappelée au long des siècles les prophètes et qu'on peut résumer ainsi : on ne peut honorer Dieu si l'on bafoue son frère, autrement dit : le seul critère du véritable culte rendu à Dieu, c'est de vivre une relation juste avec son prochain.

Sa manière de s'impliquer dans la venue du règne :

Ayant la conviction que le royaume, le monde nouveau, est déjà là, Jésus s'en fait le témoin. Puisque ce royaume est offert à tous sans préalable et sans distinction, il se fait proche de tous les hommes et de toutes les femmes qu'il rencontre et notamment de ceux qui sont marginalisés, méprisés et ignorés pour quelque raison que ce soit. Il leur redonne dignité et confiance en eux-mêmes. Il prend parti en paroles et en actes contre les discriminations et les injustices fondées sur le légalisme et le ritualisme ambiant. Il condamne les perversions que sont la religion de façade, l'hypocrisie, l'addiction aux richesses, aux honneurs, l'oppression de son semblable. Toutefois, il ne condamne pas les personnes qui peuvent toujours changer et se convertir. Il va même jusqu'au pardon des ennemis. Il fait indéfiniment appel aux consciences, y compris à celles de ses adversaires: il invite sans cesse chacun à faire des choix qui l'humanisent dans le respect des autres.

Par ses manières de réagir, Jésus n'est pas un « révolutionnaire » à la manière des zélotes dont le but est de bouleverser les structures politiques et religieuses injustes. Il l’est autrement; son souci est d'abord de dénoncer en paroles et en actes ce qui doit l'être, de défendre les personnes injustement traitées, de rappeler que tout engagement doit provenir d'un cœur droit et que tout changement de structures, si nécessaire soit-il, est insuffisant s'il n'est pas animé de l'intérieur par des motivations de justice, sans esprit revanchard ni volonté de domination.

Ses engagements déclenchent des conflits mortels

Il était inévitable que sa conception du règne de Dieu et ses engagements en paroles et en actes pour en révéler la venue suscitent des oppositions dans le judaïsme de son temps. Sa famille (Mc 3,20-21) ne le comprend pas et ses disciples ont par moments bien de la peine à adhérer à sa démarche. A fortiori les responsables et membres des différents groupes religieux sont-ils remontés contre lui et notamment les tenants de la Loi écrite et orale, transformée en légalisme ainsi que les responsables du Temple, devenu une puissante machine ritualiste, financièrement très rentable. Pour eux Jésus est insupportable, il est un fossoyeur de la religion officielle. Jésus, lui, en dépit des incompréhensions qui l’affectent, ne dévie pas de ses choix et de sa pratique, avec comme seule boussole le constant souci d’être fidèle aux exigences qui naissent de ses profondeurs. C’est là que son Dieu lui « parle ». Il constate d’ailleurs que son action est libératrice.

Jésus est finalement arrêté par les gens du Temple, condamné selon une procédure expéditive par le conseil des juifs (le sanhédrin) et livré au pouvoir romain pour être exécuté. On remarquera la fourberie de ses accusateurs : si Jésus est à leurs yeux un dangereux déviant religieux, ils le présentent à Pilate comme un agitateur politique en rébellion contre le pouvoir de l’empereur Romain. La fin justifie les moyens ! Jésus meurt donc sur une croix, supplice des esclaves et des meneurs séditieux contre César. Il meurt dans la solitude, abandonné de ses disciples et dans le silence de son Dieu qui semble approuver ses opposants et lui donner tort. Un verset de la Loi (Dt 21,22-23) ne dit-il pas que ceux qui sont pendus au bois sont réprouvés de Dieu ?

Apparemment, l’aventure de Jésus se termine aux yeux de tous comme un cuisant échec. Les responsables juifs peuvent être rassurés. La religion telle qu’elle fonctionne est sauvée. On comprend que les disciples de Jésus aient pu être déboussolés ! Et pourtant, on les retrouve quelque temps plus tard affirmant que leur maître loin d’être fossoyeur de la religion est le témoin même du règne de Dieu, et vit désormais de sa Vie. Son aventure se poursuit en tous ceux et celles qui, mettant leurs pas dans les siens, font advenir le monde nouveau en eux et autour d’eux. Que s’est-il passé ? Quel est l’étonnant message qu’ils proclament et qui n’en finit pas d’être levain dans la pâte humaine ? De quelle manière ? C’est l’objet du prochain article. : « Jésus ressuscité, la révélation d’une vie réussie et féconde, la vraie »

(à suivre)

Jacques Musset

23 mars 2019 6 23 /03 /mars /2019 09:00
Jacques Musset « La vraie vie » selon Jésus
Jacques Musset

Dans Une saison en enfer, Rimbaud écrit : "La vraie vie est absente". On lui prête également mais à tort l’expression : "La vraie vie est ailleurs." Mais qu’est-ce que « la vraie vie » ? C’est la question capitale que les hommes se posent depuis qu’ils pensent. Question existentielle inévitable. Toutes les philosophies et les religions depuis l’antiquité proposent des voies de sagesse et de salut grâce auxquelles les humains peuvent trouver sens à leur vie individuelle et collective. Ces chemins on les trouve aussi bien en Chine avec le Tao, au Tibet avec le Bouddhisme, en Inde avec l’Hindouisme, en Palestine et sur le pourtour méditerranéen avec la religion juive, qu’en Grèce avec les écoles stoïciennes, épicurienne, platonicienne, aristotélicienne. La question du sens est inhérente à tout humain qui ne se contente pas de vivre comme une girouette, un somnambule, une marmotte. Se la poser sérieusement et sans a priori (et pas seulement d’une façon théorique et abstraite) est le commencement d’une démarche féconde. Chercher et trouver le chemin qui fait expérimenter « la vraie vie » est la grande affaire de chacun qu’il ne peut déléguer à personne, même s’il y chemine avec d’autres. Il en vérifie en route les bienfaits: sa réflexion et sa pratique le libère des illusions, l’ouvre sur une relation juste avec lui-même et autrui, l’entraîne sans cesse à creuser les interrogations essentielles et à affiner voire corriger ses manières de voir et d’agir.

La voie évangélique est l’un des humanismes qui s’offre à tout humain pour expérimenter ce qu’est « la vraie vie ». On la trouve vécue par Jésus de Nazareth, présentée par ses apôtres et disciples quelque temps après sa mort et des années ensuite notamment dans les évangiles. En quoi consiste « La vraie vie » selon Jésus ? Comment sa mort en croix, malgré les apparences d’un échec cuisant, leur en est-elle apparue comme le vivant témoignage ? Comment en sont-ils venus à cette certitude intérieure ? Avec quels langages les premiers chrétiens l’ont-ils exprimée dans les évangiles et comment les décoder ? Comment actualiser en paroles et en actes cette « vraie vie » dont Jésus est le témoin ? A l’approche de Pâques et dans la lumière de Pâques, prêtons l’oreille à la proposition évangélique de « la vraie vie ».

Nous la déclinerons en quatre articles :

  1. Jésus crucifié, un échec ?
  2. Pâques : révélation de « la vraie vie »
  3. Décoder les récits évangéliques sur la résurrection de Jésus : une nécessité.
  4. Donner corps aujourd’hui à « la vraie vie » selon Jésus.

 

Jacques Musset

6 janvier 2018 6 06 /01 /janvier /2018 09:00
Herman Van den MeersschautVous avez dit : lieux saints ?
Herman Van den Meersschaut

Les tragiques événements du Moyen-Orient me posent toujours de nombreuses et difficiles questions. Comment, par exemple, un groupe humain peut-il se considérer comme élu par Dieu?

Si nous critiquons violemment les sectes qui usent abondamment de cette prérogative, nous n'osons souvent pas remettre cela en question lorsqu'il s'agit du peuple hébreu. Sans doute, craignons-nous d'être taxés d'antisémites. Peuple élu sur une terre sainte, parce que reçue de Dieu? Et pourtant, Israël n'a-t-il pas conquis son territoire de haute lutte, comme tout autre peuple de cette époque, au détriment de ceux qui l'habitaient? L’occupation de Canaan ne se différencie en rien des autres guerres de conquête. Les plus forts dictaient leur loi aux plus faibles. Israël en sera d'ailleurs victime tout au long de son histoire nationale.

Assyriens, Babyloniens, Perses, Grecs domineront la région, pour finir par les Romains qui rayeront Israël de la carte en 70 et disperseront le peuple (diaspora).

Comment ce peuple a pu maintenir son identité, sa culture, à travers toutes les avanies que le monde chrétien lui a fait subir, est tout à fait unique dans l'histoire des hommes. Ce qui a permis sa survie est, sans conteste, sa détermination de transmettre la foi des ancêtres à travers le judaïsme et aussi d'entretenir la nostalgie d'un retour proche à Jérusalem (1). Il faudra près de deux millénaires pour voir apparaître le mouvement sioniste et la revendication très nette du retour des Juifs sur leur "Terre promise".

Traumatisée par le choc de la Shoah perpétrée par les nazis, la communauté internationale exprima un désir de réparation évident et étudia la possibilité de la création d'un Etat juif en Palestine, région occupée majoritairement par des populations arabes, musulmanes et chrétiennes. On sait ce qui advint : les Etats arabes refusèrent catégoriquement le partage de la Palestine proposé par l'ONU, l'avis des populations concernées n'ayant même pas été sollicité. On peut mesurer la dose de mépris dont faisaient preuve les acteurs politiques de l'époque, en plaçant ainsi deux peuples sur des territoires invivables, dans une situation conflictuelle inévitable. La guerre éclata d'ailleurs au lendemain de la naissance de l'Etat d'Israël. Cela a placé tout de suite les Israéliens et les Palestiniens dans une optique de reconquête qui, depuis, ne les a pas quittés.

Il fallait être totalement ignorant du judaïsme en créant un Israël sans Jérusalem, la cité sainte-sacrée par excellence non seulement pour les juifs mais aussi pour les musulmans et les chrétiens. La composante religieuse du problème ne peut pas être sous-estimée. La religion est omniprésente à Jérusalem. Alors que l'Etat d'Israël a une constitution laïque, la vie quotidienne y est complètement dominée par la religion. Il n'y a qu'à observer l'arrêt complet de la vie courante que provoque le shabbat à Jérusalem ou les règles alimentaires très largement répandues. Il y a à Jérusalem une sacralisation extrême de la terre et de lieux divers. Le mot "sacré" n'est plus ici, simplement, "ce qui a rapport à la divinité", comme le dit le dictionnaire, mais "sacré" dans le sens de "intouchable", "à quoi on doit un respect absolu", puisque, d'une certaine façon, Dieu l'a touché.

Le thème de la "Terre promise", qui traverse une bonne partie du premier Testament, est souvent interprété par beaucoup d'entre nous d'une façon symbolique. Chacun de nous marche vers sa terre promise, image d'une vie meilleure, d'un bonheur à découvrir, à construire. Pour beaucoup de juifs, et pas seulement les fondamentalistes, cette terre promise ne peut être qu'Israël, ce petit bout de terre bien concret : le grand Israël de Salomon, reçu de Dieu lui-même.

Nous sommes ici dans une logique de "droit du sol" et de "droit divin", donc indiscutable. Les droits des hommes semblent ici relégués aux oubliettes. En Belgique, nous savons bien à quelles aberrations peut conduire le "droit du sol". Mais heureusement, nos nombreux "compromis à la belge" nous ont permis d'éviter des conflits majeurs. Il y a de toute évidence une sacralisation du sol dans tous les mouvements nationalistes.

En tous cas, l'exercice du compromis ne semble pas se pratiquer dans les milieux religieux puisque le "droit divin" légitime leurs actions. Dieu est-il plus présent là-bas qu'ici ?

Les trois religions monothéistes ont- elles vraiment le même Dieu? Théoriquement oui. Mais sur le terrain on ne peut qu'en douter, lorsqu'on voit chacun prier dans son coin : les juifs devant le Mur des Lamentations, les musulmans vingt mètres plus haut sur l'Esplanade des mosquées, et les chrétiens qui se disputent un Saint- Sépulchre délabré. Les "lieux saints" de Jérusalem valent-ils vraiment tant de souffrances humaines?

Jésus, en son temps, pleurait déjà sur Jérusalem. Pauvres peuples de Palestine, que d'erreurs au nom de Dieu!

Herman Van den Meersschaut - LPC février 2001

(1) Une prière commence par ces mots: "L'an prochain à Jérusalem". (retour)

Note de l’auteur

Chacun sait combien le dramatique conflit du Proche-Orient est complexe. Aussi, la mention de certains aspects historiques et politiques n'implique en rien une prise de position de notre part, mais se veut seulement le rappel du contexte dans lequel on ne peut que déplorer les souffrances et dommages sans nombre causés par le fondamentalisme et l'intégrisme dans les deux camps.

"Ainsi, contrairement aux idées reçues,... Pour la tradition juive, le saint et la promesse divine, sont liés au comportement moral des hommes et non pas à une valeur intrinsèque d'un bout de terre, quel qu'il soit.

Rabbin David MEYER (La Libre Belgique - 11 janvier 2001)

16 décembre 2017 6 16 /12 /décembre /2017 09:00
André VerheyenApparitions, miracles, etc…
André Verheyen

Les spiritualités catholiques traditionnelles font une large place aux apparitions de la Sainte Vierge (Lourdes, Banneux, Beauraing, etc.) et les considèrent comme miraculeuses. Les guérisons médicalement inexpliquées sont généralement considérées comme des preuves de l'authenticité des apparitions et donc de l'intervention qualifiée de "surnaturelle" de la Sainte Vierge.

Les adeptes de ces spiritualités traditionnelles savent probablement que l'Eglise "n'oblige pas à croire" aux apparitions ni aux miracles. Mais l'Eglise les encourage, par sa pratique liturgique, par sa pratique des dévotions et par sa conception de la piété mariale, à considérer ces phénomènes comme faisant partie intégrante de leur foi. Il en va de même pour le culte des saints en général et pour ce qui concerne les miracles requis dans les procédures de béatification et de canonisation.

Il n'est pas exagéré de dire que quelqu'un qui prend ses distances vis-à-vis de tous ces phénomènes miraculeux est considéré dans les milieux traditionalistes comme "incroyant". C'est pourquoi il me paraît utile de proposer quelques réflexions concernant cette matière sujette à controverses.

Rappelons tout d'abord que les phénomènes dits miraculeux ne sont pas le monopole de "la vraie religion". Il en est déjà ainsi dans le Premier Testament où Dieu dit à son peuple: "Si quelque prophète ou faiseur de songes surgit au milieu de toi, s'il te propose un signe ou un prodige et qu'ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s'il te dit alors: "Allons suivre d'autres dieux..." (Deut. 13, 2 et3)

Dans le Nouveau Testament également, nous voyons qu'il n'y a pas que Jésus qui expulse des démons ou qui fait des miracles:

"Et si c'est par Béelzéboul que moi, je chasse les démons, vos disciples (ndlr. les disciples des pharisiens), par qui les expulsent-ils?" (Mt. 12, 27) "Beaucoup me diront en ce jour-là: "Seigneur, Seigneur! n'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous avons fait de nombreux miracles?"

Alors je leur déclarerai: "Je ne vous ai jamais connus; écartez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité!" (Mt. 7, 22-23)

Il n'est donc pas sérieux d'utiliser ces prodiges et exorcismes comme preuves en faveur de notre propre religion.

Une deuxième constatation, qui est curieusement absente de la doctrine traditionnelle, c'est que Jésus refuse d'asseoir son autorité sur des signes et des prodiges.

C'est la deuxième tentation au désert (Mt. 4, 5-7):

"Alors, le diable l'emmène dans la Ville Sainte, le place sur le faîte du Temple et lui dit: "Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit: Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t 'éviter de heurter du pied quelque pierre." Jésus lui dit: "Il est aussi écrit: Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu".

Il peut alors sembler contradictoire que les évangélistes font tout le contraire: ils utilisent les signes et les prodiges comme preuve de l'autorité divine de Jésus.

Effectivement, c'est contradictoire.

Cela s'explique par le fait que nos évangélistes n'ont pas les mêmes préoccupations logiques et rationnelles que nous, d'autant plus qu'ils ont le modèle biblique "épique" dans le cycle des miracles d'Elie (1er livre des Rois) et d'Elisée (2è livre des Rois) et qu'ils tiennent à dire qu'en Jésus il y a beaucoup plus qu'Elie et Elisée.

D'ailleurs, la Bible n'est pas à un paradoxe près. Après avoir énoncé le principe génial "Tu ne feras pas d'images de ton Dieu" (Ex. 20, 4), les auteurs bibliques ne font que ça, faire des images de Dieu: un Dieu qui se fâche, qui regrette d'avoir créé l'humanité, qui la détruit par le déluge, qui est aux côtés des Hébreux dans leurs guerres, etc.

Alors, qu'en est-il de la Bible?

Il faut savoir y distinguer les perles qui font que nous l'appelons "Parole de Dieu". L'émancipation par rapport aux images de Dieu et l'émancipation par rapport au miraculeux sont deux de ces perles, même si, par la suite, les auteurs bibliques n'en profitent pas.

Revenons maintenant à nos miracles.

Ce qui est en cause, c'est précisément l’image que nous faisons de Dieu, un Dieu qui se manifesterait de préférence dans les phénomènes paranormaux ou parapsychologiques ou dans les fameuses "exceptions aux lois de la nature".

Dans le livre "Les miracles, un défi pour la science?" (Duculot 1997), Pierre DELOOZ fait une remarque intéressante concernant l'évolution de la procédure de reconnaissance des guérisons miraculeuses requises pour les canonisations.

Actuellement, la Congrégation des Rites demande aux experts médicaux de "se prononcer sur le caractère inexplicable d'une guérison dans l'état actuel de nos connaissances". Et il ajoute: "On voit donc qu'une canonisation dépend désormais d'un jugement profane portant sur l’inexplicabilité d'une guérison en fonction de critères scientifiques, non religieux". (o.c. page 21)

Pour ce qui est des miracles de Lourdes ou d'autres lieux de pèlerinage, il en va de même en ce sens que le caractère miraculeux dépend, là aussi, d'un jugement scientifique. On est ici au cœur d'un problème très intéressant: qu'est-ce qui peut être objet de foi ou de science ? Si nous avons besoin de la vérification scientifique d'une "inexplicabilité" pour pouvoir affirmer qu'il s'agit d'un miracle, pourquoi ne pas demander des preuves historiques de la virginité de Marie ou de l'existence d'Abraham? En effet, avant de tenter une interprétation dans la foi d'un événement, il est normal de s'assurer au préalable que cet événement a bien eu lieu. Et ça, ce n'est pas de la compétence de la foi.

Plus que jamais se vérifie aujourd'hui ce que disait Georges MINOIS, professeur au Lycée Ernest Renan à St Brieuc, dans le livre "L'historien et la foi" sous la direction de Jean Delumeau (Fayard 1996): "Lorsque l'exégèse aura tout expliqué des textes sacrés par la grammaire, la philologie, l'histoire des civilisations, la chronologie - ce qu'elle n'est pas loin d'avoir réalisé - où situera-t-elle le divin?" (o.c. page 207) Et plus loin, "...il ne reste qu'un dilemme: l'athéisme ou une révision complète de la notion de divin. C'est cette direction que le mouvement de l'histoire semble favoriser." (o. c. page 208)

André Verheyen - Réflexions simples pour une crédibilité- 2ème partie-2003- page 12.

11 novembre 2017 6 11 /11 /novembre /2017 11:37
Luc BossusCommentaires à propos de l’article « Des mythes qui donnent à penser » d’Herman Van den Meersschaut
Luc Bossus

Presque à la fin du texte, les phrases « Ce n’est pas parce que la Bible est un texte que l’on dit sacré ("parole de Dieu") qu’il faut renoncer à ce qu’on est en face d’elle. Au contraire même : dans un dialogue vrai, c’est faire honneur à l’autre que de lui résister et de rester soi-même en face de lui. » m’ont interpellé.

Non pas parce que je ne serais pas d’accord avec elles, mais simplement parce qu’il faudrait, je pense, y introduire une petite précision qui a son importance.

A mon avis, pour qu’un dialogue soit vrai, il faudrait qu’une condition soit remplie de la part de chacun. Cette condition, c’est de laisser la porte entr’ouverte pour que les idées de l’un et de l’autre puissent trouver un terrain d’accueil favorable dans l’esprit de chacun. Sans cela, chacun restera sur sa position en résistant aux arguments de l’autre… ! Et là, on ne sera plus dans un dialogue !

Pour permettre d’alimenter la réflexion à propos du « dialogue », voici quelques citations qui me semblent être intéressantes à ce sujet :

« Un véritable dialogue est une aventure dont on ne sait pas où elle peut nous mener. Chacun doit y venir en assumant son histoire, ses convictions. Et seuls ceux qui n’ont pas peur pour leurs idées sont capables de cela. C’est le contraire tout à la fois de l’intolérance et du consensus mou. » Guy HAARSCHER, Doyen de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’ULB

« Dialoguer vraiment, c’est reconnaître l’originalité de l’autre et chercher le meilleur en lui. Il y a des hommes libres partout et des enchaînés partout, plus nombreux que les hommes libres. » Gabriel RINGLET

« Le dialogue est ce moment qui consiste pour chacun à mettre provisoirement entre parenthèses ce qu’il est et ce qu’il pense pour essayer de comprendre et d’apprécier, même sans le partager, le point de vue de l’autre. » Dominique PIRE

Et ce moment peut être fabuleux quand il est vécu dans le respect !

Luc Bossus

14 octobre 2017 6 14 /10 /octobre /2017 08:00
Herman Van den MeersschautDes mythes qui donnent à penser
Herman Van den Meersschaut

Lorsqu'on aborde certains textes comme la naissance de Jésus, l'annonciation ou la résurrection, on peut constater qu'ils ne manquent pas de créer un grand malaise chez certains, quant au "sens" à donner à ces récits.

On sait que le Premier Testament fourmille de récits symboliques et mythiques. Les récits de la Genèse ne constituent-ils pas le mythe fondateur du peuple juif qui s'installe en Canaan et se construit ainsi ses origines.

Si beaucoup acceptent assez facilement le caractère mythique des récits de la Genèse, dès que l'on ose parler de mythe à propos des Evangiles, ils crient au scandale.

Et pourtant !

DREWERMANN n'a-t-il pas raison de dire que :

"Il y a longtemps que le vieil argument de l'historicité du Christianisme, mis en avant depuis l'époque des Pères de l'Eglise, ne fait plus le poids face aux données de l'histoire des religions: ce qui dans les traditions des "païens" n'est que pieuse invention (ou aveuglement diabolique) devient réalité historique dans le Christianisme ...

Si l'exégèse historico-critique se justifie et s'impose, c'est bien précisément parce qu'elle a mis en lumière le caractère an-historique, symbolique, des récits bibliques, de ceux-là mêmes qui constituent le noyau religieux de sa tradition." 1

J'ajouterais qu'il ne faut pas rester à ce constat, mais découvrir alors l'extraordinaire richesse qui se dégage de ces textes, une fois évacué leur "réalisme", leur "historicité".

DREWERMANN pense donc que :

"Les temps devraient être révolus où l'on ne voulait voir dans le monde des représentations mythiques qu'une étape préparatoire à la pensée scientifique, des temps où ce qui était mythique était synonyme de chimérique ou de faux." 2

André WENIN dit que "les récits mythiques, c'est de la philosophie racontée. Au lieu d'utiliser des notions abstraites, des concepts, les anciens recouraient à des récits, des images, des symboles."

Pour DREWERMANN aussi le mythe peut exprimer toute conception de la vie et du monde, il est une forme d'expression incontournable de la foi religieuse.

Mais, poursuit-il :

"Aujourd'hui comme hier, l'Eglise est incapable d'admettre la réalité du mythe dans les textes de la tradition chrétienne. Cette attitude conduit à ériger une sorte de tabou de la pensée qui veut que toutes les affirmations de la foi chrétienne soient "Révélations", tandis que toutes représentations païennes ne seraient que "nostalgie" ou expression des "désirs" des hommes." 3

"Révélation" : le mot est lâché. A partir de là, plus de discussion possible, seul le magistère détient la vérité. Ne serait-il pas plus sage, plus honnête de considérer le trésor qu'est la Bible comme un recueil dans lequel des hommes d'époques différentes nous livrent leurs réflexions, leurs recherches de sens, leurs découvertes concernant l'homme, la vie, la société et ce Dieu indicible qu'ils devinent derrière cet univers. Un Dieu se laissant dévoiler, plutôt qu'un Dieu se révélant à l'un ou à l'autre selon son bon vouloir.

Ces hommes l'ont fait à travers des récits, de la poésie, des mythes. Les auteurs des Evangiles n'ont rien fait d'autre. Le passage bref et fulgurant de Jésus dans leur vie les a bouleversés et a provoqué une réflexion, une vision nouvelle qu'ils ont exprimée avec les techniques littéraires de leur époque, dans des récits qui parfois empruntent d'anciens mythes qu'ils transposent sur la personne historique de Jésus. Personnellement, cela ne me gêne absolument pas.

J'aime beaucoup la façon dont André WENIN aborde les textes bibliques :

"Si on lit encore ces récits, c'est plutôt parce qu'ils abordent à leur manière des questions que nous nous posons encore aujourd'hui et qui touchent au sens de la vie : qui est l'homme ? Comment réussir sa vie ? Pourquoi le mal et la mort ? Etc. Mais si ce sont ces questions que le texte pose, il est clair que nous avons aussi notre avis à donner.

Lire le texte biblique, ce n'est pas y rechercher le sens. C'est entrer en dialogue avec lui, confronter notre point de vue au sien pour tenter d'aller plus loin dans la recherche de la vérité."

"Il faut bien se dire que, de toute manière, on interprète toujours. C'est vrai pour tout texte, biblique ou non. Lire, c'est interpréter; c'est-à-dire entrer en dialogue avec un texte. Et chacune, chacun dialogue avec tout ce qu'il ou elle est. Aussi, deux personnes ne feront jamais exactement la même lecture, ne comprendront jamais un même texte de manière identique. C'est encore plus vrai pour les mythes ou les récits mythiques, puisque non seulement ils parlent des réalités essentielles de la vie humaine, mais encore ils le font en racontant des histoires et en recourant à une symbolique particulièrement riche. Comme disent les philosophes, le mythe donne à penser, c'est-à-dire provoque la réflexion et demande qu'on s’y investisse, non seulement avec son intelligence, mais aussi avec toute son expérience de vie. Il ne s'agit donc pas uniquement de comprendre le mythe, mais aussi de se comprendre en dialogue avec lui.

Dans ces conditions, il n'est ni étonnant ni scandaleux que les interprétations varient. D'ailleurs, si l'interprétation était évidente et s'imposait, où serait encore la liberté du lecteur, sa part d'engagement, de responsabilité ? Du reste, ceci est vrai pour toute la Bible. Et si le livre est enfermant, il faut le fermer... De plus, les différentes interprétations sont une richesse. Car, quand elles entrent en dialogue, elles permettent d'aller plus loin dans la compréhension du texte et de ce dont il parle : il n'y a plus seulement dialogue entre un lecteur et le texte, mais aussi entre les lecteurs à propos du texte. C'est ainsi qu'on peut comprendre l'affirmation selon laquelle l'Ecriture se lit en Eglise.

Ceci dit, il faut ajouter que si la lecture est un dialogue, elle doit faire en sorte que les deux parties en dialogue puissent être vraiment elles-mêmes. D'une part, le lecteur ne doit pas avoir peur de rester lui-même, de garder ses questions et ses convictions face au texte. Ce n'est pas parce que la Bible est un texte que l'on dit sacré ("parole de Dieu") qu'il faut renoncer à ce qu'on est en face d'elle. Au contraire même : dans un dialogue vrai, c'est faire honneur à l'autre que de lui résister et de rester soi-même en face de lui. C'est ainsi qu'on lui ouvre un espace pour qu'il puisse être lui-même en vérité, lui aussi." 4

Voilà, c'est bien dit et je ne puis qu'approuver.

Et vous, qu'en pensez-vous ?

La personne qui m'a dactylographié ce texte, avait été frappée par cette phrase "rester soi-même en face de lui". C'était pour elle comme une découverte. Cela montre bien à quel point le "tabou" dont parle Drewermann est encore profondément ancré dans l'éducation de beaucoup de chrétiens. Etre soi-même en vérité ! Nous voilà bien dans l'esprit L.P.C.

Herman Van den Meersschaut - octobre1998

(1) E. DREWERMANN: "De la naissance des dieux à la naissance du Christ", p. 34 (retour)
(2) idem p. 34 (retour)
(3) idem p. 34 (retour)
(4) André WENIN: "Actualité des mythes" p. 9 et pp. 133-134 (retour)