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6 juin 2020 6 06 /06 /juin /2020 08:00
Jean-Louis SCHLEGEL Pourquoi on ne va plus à la messe ? III
Jean-Louis SCHLEGEL

3ème partie

Qu'est-ce qu'une liturgie vivante ?

Pour les tenants de la messe en latin, la « messe de Paul VI » était une tragédie. Contre eux, l'immense majorité des catholiques a désiré et approuvé cette messe, mais sans en soupçonner toutes les conséquences. Substituer au latin - langue éminente et magnifique de la liturgie catholique, mais langue morte - des langues vivantes, n'était pas anodin car, non seulement cela ouvrait à tous les fidèles le sens du langage liturgique, mais aussi leur donnait la parole. « Langue vivante »: il faut prendre l'expression au mot. La vie des langues vivantes n'est pas un état, c'est une puissance permanente d'invention, de création, de transformation, de reformulation, de dialogue..., et de désir qu'il en soit ainsi. Du point de vue théologique, on pourrait argumenter (avec Christoph Theobald) que, si Jésus n'a rien écrit, ceux qui l'ont suivi ont pu prendre la parole, traduire sa parole en grec et, le jour de la Pentecôte, la comprendre et la reprendre chacun dans sa propre langue. Au lieu de mettre en avant d'équivoques « glossolalies », il serait bien plus important de retrouver constamment le sens du feu qui suscite l'envie de parler avec des mots neufs, dans toutes les langues, de cet homme, Jésus qui, selon les Actes des Apôtres, « est passé en faisant le bien» et que « Dieu a ressuscité d'entre les morts ».

Traduire le latin, ou plutôt passer du latin aux langues vernaculaires, c'était installer la vie dans la liturgie et la liturgie dans la vie. Pour cette raison, les efforts permanents de Benoît XVI (et d'autres) pour recréer dans la nouvelle liturgie l'esprit et les formes de l'ancienne, voire pour la restaurer, de même que les efforts, dans divers pays, pour rendre les traductions liturgiques plus littérales, n'ont pas de sens et sont même contre-productifs. C'est l'inverse qui serait souhaitable: imaginer ce que devrait être la « messe de Paul VI » pour être à la hauteur du présent et de l’avenir. Manifestement tout son souci de garder ou de reverser l'ancien dans le nouveau, Benoît XVI aurait-il oublié qu'on ne met pas « du vin nouveau dans de vieilles outres » ?

Néanmoins, il ne faut pas se méprendre. On ne réclame pas du tout ici une messe (en tout cas une messe ordinaire du samedi et dimanche) avec « du bruit et de la fureur ». Des messes vivantes, participantes, oui, mais aussi recueillies, permettant d'intérioriser les paroles et les gestes, avec une invention de formes et de gestes, de la beauté (oui, de la beauté!) pour une « liturgie » qui tout simplement donne tout son sens à l'eucharistie... La messe selon Benoît XVI est finalement « bavarde », en multipliant de nouveau lourdement, sans grâce ni nécessité ni beauté, les paroles, les rites et les gestes obligés. Le rite de la communion, par exemple, qui pourrait être si simple, est devenu interminable avec toutes les précautions rituelles qu'il faut prendre avant et après, au nom d'un respect quasi « fétichiste » des saintes espèces. De nouveau et inutilement, tout s'est compliqué au nom du rituel scrupuleusement respecté, comme si trop de respect tuait le respect... et la dynamique de la vie. C'est une messe pesante, formatée, engoncée dans le rituel, qui est proposée à la communauté réunie pour célébrer sa foi. Il faut bien le dire : c'est un spectacle médiocre qui est proposé. Tout célébrant ne devrait-il pas se demander : de quelle messe a donc besoin l'assemblée qui est venue pour l'eucharistie ? Si les expressions du «souffle» présent dans la messe de Paul VI sont très handicapées voire presque empêchées par la plupart des bâtiments existants, quelles initiatives faudrait-il prendre, dans l'espace de liberté qui existe, pour que l'assemblée dans sa diversité participe pleinement à l'action liturgique et en tire quelque fruit pour raviver sa foi et son espérance ?

Une cote mal taillée qui ne satisfait personne

Au fond, la messe de Paul VI est devenue le mélange ou la fusion de facto de deux conceptions ou de deux formes qui, en réalité, s'opposent profondément, à la fois du point de vue théologique et dans la sensibilité des catholiques. Des différences théologiques et anthropologiques profondes séparent les deux conceptions: l'une, encouragée par Benoît XVI, est organisée autour de la « Présence réelle » du Christ dans le pain et le vin, et elle tend par nature pour ainsi dire à multiplier la part du « sacré » intemporel : moments, paroles et gestes privilégiés, signes marqués de respect et de piété tant du côté du célébrant que de l’assemblée, priorité donnée à l'adoration, à la célébration d'une « Présence » immédiate, à la « messe traditionnelle » sans participation autre (au mieux!) qu'intérieure. Elle a le vent en poupe aujourd'hui pour des raisons que les sociologues de la religion ont analysées depuis longtemps : devant la misère des temps, on assiste à une surréaction à la fois conservatrice, identitaire et pieuse, qui gagne du terrain si elle n'a pas déjà gagné tout court dans nombre des « messes qui restent ».

L'intuition essentielle de la « messe de Paul VI » privilégiait au contraire le rapport à la parole de Dieu, le récit des Écritures, le mémorial de la mort du Seigneur, de sa Passion et de sa Résurrection, l'espérance qui en naît et l'action dans le monde qui en résulte.

Ce n'est pas la piété et l'adoration, ou le déroulement obsédé par les paroles et les gestes rituels, qui importent mais (comme pour les disciples d'Emmaüs) l'expérience de la reconnaissance de Jésus dans la fraction du pain, ou de se reconnaître en elle comme communauté de disciples engagés à sa suite. C'est aussi l'expérience d'une absence, du « tombeau vide » ou de l'Ascension (« Hommes de Galilée, que cherchez-vous dans le ciel ? »). En d'autres termes, ce qui importe, c'est l'historicisation et l'actualisation permanentes de l'eucharistie, l'envoi au moins autant que la présence. On a grossi, dans ce qui précède, les différences. Et, naturellement, dans une perspective qui croit faire preuve de coexistent, qu'elles s'enrichissent mutuellement, etc. Peut-être. Peut-être faut-il en effet « faire avec » ce mélange, quand on est catholique aujourd'hui. Sauf que cette messe hybride, bâtarde, n'est guère satisfaisante, ni pour l'esprit, ni pour le cœur, ni pour l'intelligence, ni pour le corps. Preuve en sont, justement, celles et ceux qui déclarent forfait et s'en vont : comme c'est la « messe restaurée » qui a le vent en poupe et s'impose partout, ils finissent par s'y sentir étrangers et par s'abstenir de participer à un rendez-vous cultuel où ils ne se reconnaissent plus. Dieu merci, nombre de prêtres ne s'y reconnaissent pas non plus ! Dans les lieux encore propices, avant tout urbains, on peut, et beaucoup le font, aller chercher son bonheur ailleurs, mais, pour diverses raisons, ce n'est guère satisfaisant (à la campagne, c'est de toute façon impossible, sauf à faire des kilomètres en voiture).

On dira : mais l’”obligation” ? Malheureusement pour l’Eglise, ce qui pouvait marcher en d'autres époques, où le catholique « pratiquait » même si c'était sans enthousiasme - tout simplement par obéissance aux commandements de l'Église - est devenu impossible : sans démarche personnelle motivée intérieurement, sans le désir d'en être et d'en vivre, la messe obligatoire est aussi lourde qu'une visite médicale obligatoire ou tout autre rendez-vous pénible. S'il ne s'agissait que de grognards conciliaires à bout de souffle, on pourrait hausser les épaules. Mais la chute catastrophique et continue, durant les décennies récentes, dans de nombreux pays d'Europe ou sous influence européenne, de la « civilisation paroissiale », du nombre des pratiquants et même des croyants, donne à penser qu'on est dans une impasse et qu'il faut en chercher les raisons non pas dans un Concile qui s'est trompé de liturgie ou dans des excès liturgiques, mais dans une Église qui ne l'a pas assez prolongé et n'est pas à la hauteur des défis du temps présent. La messe du dimanche n'est pas tout, certes, et il y a un vaste contexte de la violente crise actuelle des Églises en Europe, et ailleurs. Mais, au moins, ce moment, qui relève directement de la responsabilité de l'Église, devrait-il être un lieu et une heure qui donnent envie de croire et de continuer l'aventure.

Lex orandi, lex credendi! Ce n'est manifestement pas le cas.

Fin

Jean-Louis SCHLEGEL Etudes Octobre 2019, n° 4264 pp. 83 – 95.

23 mai 2020 6 23 /05 /mai /2020 08:00
Jean-Louis SCHLEGEL Pourquoi ne va–t-on plus à la messe? II
Jean-Louis SCHLEGEL

2ème partie

Resacralisation et adoration

Souci de réparer le « laisser-aller » qui s'était installé ? En tout cas, sous prétexte de restauration, on a aussi assisté sous Jean Paul II et Benoît XVI à une incontestable « Resacralisation » doublée d'une « recléricalisation » , en particulier dans la zone du chœur. Les mains naturellement croisées (ou non) du célébrant conciliaire, dans une attitude d'accueil et de dialogue avec l'assemblée, sont devenues chez nombre de prêtres actuels des mains jointes strictement, qui renforcent le hiératisme de l'action liturgique (hieros veut dire « sacré », en grec), et la création d'une sorte de sphère séparée où évoluent un hiérarque et ses servants. Les gestes et postures corporelles sont à l'unisson. La simple inclinaison du corps pour marquer le respect est devenue insuffisante : elle a été souvent remplacée par des agenouillements copieux, longs et « appuyés », que nul n'est censé ignorer. De même pour l'ostension de l'hostie et du calice au moment de la consécration : nul ne peut, de la sorte, ignorer qu'on est au sommet sacré de la messe.

Deux remarques s’imposent à ce sujet. D’une part, pour les fidèles dans l'assemblée, la piété très démonstrative - et très subjective - dont témoignent ainsi ces prêtres et qu'ils souhaitent imposer à tous est pénible. Les « anciens » avaient compris qu'une certaine « retenue » ou une « sobriété » dans l'expressivité respectaient la subjectivité des autres... D'autre part, on voit bien ce qui est mis en avant à sens unique dans la richesse de sens de l'action eucharistique : c'est la centralité absolue de la consécration (et de la transsubstantiation) et l'adoration de la Présence réelle.

Le revers non- dit ou non perçu de l'insistance sur la consécration ne serait-il pas que tout le reste est finalement moins important et même second ? Les gestes ostensiblement accentués pour souligner, immobiliser pour ainsi dire, la Présence réelle dans l'hostie et le calice rendent-ils justice à la dynamique infiniment plus large et profonde de l'eucharistie, en particulier à sa dimension historique, qui a un sens théologique rappelé par les paroles de l'institution (« La nuit où il fut livré.., au cours d'un repas... ») et à la dimension d'avenir et d'attente qu'exprime l'anamnèse qui suit la consécration, donc à une tension vers l'avant ? Au moins faudrait-il avoir conscience, comme des théologiens du XXe siècle (y compris catholiques) l'ont rappelé, qu'il peut y avoir une antinomie entre le « sacré » des religions et la « foi » au Christ ressuscité. Et, du reste, des « gestes d'adoration » garantiraient-ils automatiquement la dimension de profondeur et d'intériorité? L'adoration, pendant la messe ou hors de la messe, est parfaitement louable, mais n'est-il pas anormal que cette dévotion tardive occupe désormais à ce point le devant de la scène durant la messe dominicale et dans la vie de certaines paroisses ? Alors que la traduction rappelle à tous les participants ce qui s'est passé « la veille de sa mort », c'est-à-dire le déroulement même de la Cène du Seigneur, on a l'impression qu'on s'ingénie de nouveau à éloigner l'événement concret du sentiment et de l'imagination des participants.

Recléricalisation: sauver le prêtre

En même temps qu'à une resacralisation, on a assisté à une forte recléricalisation de la messe, surtout dans sa seconde partie : elle est, au fond, comme on l'a suggéré, redevenue la seule vraiment importante, car le déséquilibre entre liturgie de la parole et liturgie de l'eucharistie est patent (ce qui accentue encore le rôle décisif du célébrant).

On pouvait penser pourtant que la messe de Paul VI appelait par elle- même une distribution plus équilibrée à la fois des « masses » de la messe et des places et interventions respectives du célébrant et des laïcs. Au moment où la disette de prêtres se fait de plus en plus intense et pose toute sorte de problèmes, y compris de survie, aux paroisses, on pourrait même se dire qu'il n'y a qu'une urgence : accélérer la prise de responsabilité des laïcs (à défaut de prêtres mariés ou de femmes prêtres), les former et les préparer concrètement pour le moment où ils devront par force suppléer les prêtres dans certaines fonctions, y compris eucharistiques.

Mais c'est l'inverse qui s'est produit et continue de s'accentuer : on n'a cessé et on ne cesse de réaffirmer le rôle unique et irremplaçable du prêtre dans l'assemblée, et des prêtres tiennent plus que jamais à ce rôle exclusif. Quand les laïcs ont un « petit rôle » (par défaut de prêtres, et non pour les promouvoir!), on les cléricalise aussi : ainsi, au moment de la communion, celles - si « elles » y sont admises - et ceux qui distribuent la communion doivent porter des écharpes « blanches », comme si toute fonction liturgique, même la plus humble, d'un ou d'une laïque devait être clairement signifiée et encadrée, c'est-à-dire implicitement cléricalisée... Il est important de rappeler, à ce sujet, une des décisions les plus discutables de Jean Paul II: la suppression des « assemblées dominicales en l'absence [devenue parfois "en l'attente"' de prêtres» (Adap) ? Au vu de la situation sur le terrain, il y avait, déjà en 1988, quelque chose de problématique dans ce genre de décision, car elle privait des laïcs actifs d'un apprentissage de l'action liturgique : on aurait, en effet, pu envisager des formations théologiques pour appuyer ces valeureux militants de la messe. Ils n'avaient aucune envie de «jouer au prêtre », voire d'être prêtres, mais ils étaient simplement conscients de l'urgence et de leur responsabilité pour transmettre la foi. Mais, voilà : une fois encore, il fallait sauver le sacerdoce, quitte à aggraver la crise (la création des « servantes d'assemblées », pour enlever l'envie aux petites filles d'être « enfants de chœur » et le désir éventuel d'être prêtres, relève de la même logique, en plus tordu). On se demande à quel étiage devra descendre le nombre de prêtres pour que des laïcs, femmes et hommes, puissent reprendre une part de leurs activités ou, tout simplement, jouer pleinement leur rôle... en restant laïcs. Mais, alors qu'il y a quarante ans, on pouvait encore trouver des laïcs disponibles et capables d’assurer des Adap, on peut douter que ce soit encore possible aujourd'hui, en particulier dans les campagnes désertées.

On pourrait aussi, dans le même sens, évoquer l'homélie. La piété, ostensible ou non, n'a jamais été le gage d'une bonne homélie : en tout cas, on n'a pas vu qu'elle ait amélioré la qualité des prestations (elle les a surtout tirées dans le sens de la longueur...). Mais alors que nombre de laïcs (et plus encore de laïques) ont des diplômes en théologie pour lesquels il n'y a pas d'emploi réel en France, serait-il incongru de penser qu'ils pourraient prêcher à la messe s'ils sont compétents et désireux de « s'y coller » (rappelons qu'ils ont le droit de le faire ailleurs qu'à la messe) ?

Quoi qu'il en soit, l'assemblée en est plus que jamais réduite à écouter religieusement la prière eucharistique que le seul célébrant prêtre est habilité à adresser au Père. Pour les paroissiens moins motivés, pour les jeunes aussi, sa longueur et surtout son écoute passive rendent pénible ce moment, qu'ils subissent. Il y a une dispute pour savoir si le prêtre agit alors « à la place » du Christ (dans un rôle « fonctionnel ») ou s'il est « ontologiquement », dans son être même, un « autre Christ »... Même dans l'hypothèse « haute » (la seconde), est-il permis de penser que quelques interruptions pour permettre à l'assemblée de ranimer son attention et son désir de participation en rendant grâce, en acclamant..., ne seraient pas du luxe ? Et, même, pourquoi les fidèles ne réciteraient-ils pas une ou des parties de cette prière avec le prêtre?

Rappelons encore qu'il fut un temps où la doxologie de la prière eucharistique (« Par lui, avec lui et en lui... ») a été, comme l'anamnèse aujourd'hui, chantée ou prononcée de bon cœur et presque naturelle- ment par l'assemblée, mais qu'un coup d'arrêt a été donné à cette pratique : n'attentait-elle pas à une exclusivité réservée au prêtre, « autre Christ » ? Exemple caricatural où, pour les vigilants de la liturgie, quelques mots accordés à l'assemblée des non-prêtres étaient déjà de trop. À leurs yeux, on n'en fait jamais assez pour distinguer le prêtre et signaler sa fonction suréminente. De même quant à l'usage, de nouveau fréquent, de l'encens : force est de constater là encore une exagération typique puisque, après l'autel (surabondamment encensé en général) et avant le peuple de Dieu rassemblé, le prêtre a droit à un encensement exclusif. Pourquoi le prêtre ne descendrait-il pas quelques marches pour se faire encenser avec le peuple dont il fait partie ?

Pour mémoire, on rappellera qu’on a aussi supprimé la louange qui concluait le Notre Père (« Car c'est à toi... »), qui avait été spontanément adoptée par les fidèles parce qu'il ne fallait rien concéder aux protestants, qui pratiquent cet usage, ou par horreur, justement, du « spontané»?

… à suivre

Jean-Louis SCHLEGEL

9 mai 2020 6 09 /05 /mai /2020 08:00
Jean-Louis SCHLEGEL Pourquoi on ne va plus à la messe? I
Jean-Louis SCHLEGEL

1ère partie

Les causes de la chute de la pratique dominicale sont sans doute nombreuses. Parmi elles, il faut faire sa place à l'évolution récente des styles liturgiques. Alors que la réforme conciliaire voulait promouvoir une réelle participation de tous à l'action liturgique, une « resacralisation » a creusé de nouveau la distance entre clergé et fidèles.

La chute de la " pratique ", dans sa dimension liturgique, est impressionnante. La participation à la messe dominicale avoisine sans doute maintenant les 3 % de catholiques, sinon moins. Qui eût imaginé cela dans les années 1960 en France, quand on était encore à 20 % ou 25 % ? On se récriait alors devant les films de Carl Theodor Dreyer ou d'Ingmar Bergmann qui exposaient la « mort de Dieu » dans les pays luthériens de Scandinavie, où le taux de pratique était déjà tombé à moins de 2 %.

Et de se féliciter que la France n'en soit pas là. Un peu plus de cinquante ans plus tard, nous y sommes... Les interprétations du recul sont variées : chute du nombre de croyants, exculturation de l'Église dans une société très sécularisée, désaccords intellectuels (en matière de bioéthique, par exemple) et pratiques (écarts par rapport à ses normes sexuelles et conjugales), liberté par rapport à l'obligation, pratiques individualistes « à la carte », croissance exponentielle des activités de détente et de sport durant le week-end... On invoque surtout, ce faisant, des raisons extérieures. Rarement sont mises en cause la célébration eucharistique elle-même et les formes qu'elle a prises, le fait que beaucoup de ceux qui abandonnent la pratique (et qui sont de tous âges) pourraient tout simplement « ne pas s’y retrouver ».

Posons pourtant la question : dans quoi ne se retrouvent-ils pas ?

Les traditionnalistes de toutes tendances (ceux qui préfèrent le rite, devenu « extraordinaire », en latin, et ceux qui regrettent toujours les messes d'antan tout en venant à celles en français) accusent volontiers la « messe de Paul VI », instituée après le concile Vatican II, sinon d'être l'origine et la cause du déclin, du moins d'y avoir fortement contribué. On voudrait soutenir ici la thèse exactement inverse : c'est faute d'être allée jusqu'au bout de la réforme cultuelle qu'impliquait la messe de Paul VI que l'Église a subi et subit toujours le désintérêt liturgique des uns - celui des générations nouvelles qui s'arrêtent de venir à la messe dès l'adolescence, ou un peu plus tard - et la défection continue de nombreux autres, y compris de « vieux pratiquants » jusque-là fidèles. Les uns et les autres ne lâchent pas tout, loin de là, et même la messe leur manque au point d'aller ailleurs dès qu'ils peuvent. Mais, pour la messe dominicale, ils n'ont plus la force intérieure de se déplacer pour « assister » à un événement qui ne leur apporte rien, ou n'apporte pas en tout cas ce qu'ils en attendent : nourriture spirituelle et plaisir de se retrouver dans la communauté qui prie. Comment comprendre cette « acédie », comme disaient les Pères de l'Église, partagée par de nombreux catholiques (même par ceux qui ne partent pas) ?

Les réflexions qui suivent ne font le procès de personne : même si elles nomment des causes et des acteurs, une part des évolutions liturgiques s'est faite sans eux et parfois à l'encontre de ce qu'ils voulaient. Elles veulent avant tout poser la question de ce qui est proposé et vécu aujourd'hui dans la liturgie dominicale. Elles défendent l'idée que non seulement la réforme liturgique d'après Vatican II n'est pas allée à son terme, mais qu'on a assisté à une dérive de la messe dite « de Paul VI », en l'occurrence à une réorientation vers un cérémonial figé, qui fait que la communauté assiste à la messe sans être invitée à une réelle participation. Cette dérive est allée de pair avec une sacralisation et une cléricalisation qui font que toute l'action liturgique, ou presque, se passe dans le chœur, devant un peuple de laïcs transformés en spectateurs passifs d'une action qui certes les concerne, mais de l'exécution de laquelle ils sont totalement exclus - pour de mauvaises raisons.

Une « réforme de la réforme » pour « restaurer ».

Le premier constat qui s'impose, à écouter de nombreuses doléances, c'est l'impression d'ennui. On parle couramment d'« assister à la messe » de gens passifs réunis dans une nef plus ou moins lointaine, de suivre quelque chose qui se passe à l'avant, dans le chœur. Là, le rôle du prêtre est absolument dominant. Autour de lui, seuls sont actifs des acolytes, des paroissiens dévoués, membres de l'équipe liturgique, qui se chargent de tout : des chants, de la prière universelle, de la délégation de celles et ceux qui vont donner la communion. Selon les lieux, une chorale peut rehausser la participation de l'assemblée ou la limiter. Il reste en partage aux "messalisants" des chants communs ou d'accompagnement en fonction des dimanches (encore faut-il les connaître: il arrive qu'on n'en sache aucun, et qu'ils soient comme réservés à quelques-uns dans l'assemblée), quelques invocations ou refrains courts, des répons brefs. Au total, peu de chose, même si la liturgie de la parole est forcément plus lieu d'un « participer », que dire d'autre ?

Durant ces dernières décennies, s'est produite une très paradoxale évolution, qu'on pourrait résumer ainsi : nous sommes toujours dans « la messe de Paul VI » mais, sous couvert de contrer ou d'éviter certaines dérives considérées comme illégitimes et d'une compréhension contestable de l'eucharistie, on est plus ou moins subtilement revenu à une messe qui ne peut que rappeler à celles et ceux qui l'ont connue la messe en latin d'avant le Concile, et désespérer celles et ceux qui en attendent autre chose. Plus que Jean Paul II, le promoteur de cette tendance a sans doute été le cardinal Ratzinger, devenu ensuite Benoît XVI. Quand on lit ses nombreux textes sur la liturgie, comme théologien, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi puis pape, on est certes frappé par la clarté éclairante de ses réflexions, mais aussi par son obsession d'un « ordre liturgique » où tout dans l'action eucharistique, du début à la fin, doit être parfaitement défini, cadré, encadré et recadré : rien n'est laissé au hasard, et encore moins à l'invention ou à l'initiative personnelles. S'il plaide malgré tout pour la « participation », elle est avant tout comprise comme intérieure. Donc, non comme une participation aussi extériorisée dans des paroles et des gestes concrets de l'assemblée, avec et dans le corps, mais dont le Christ tête, est à même de présenter à Dieu le Père, selon un schéma rituel immuable, dont la moindre action, le moindre geste sont prévus dans le détail.

Le respect du rituel garantirait-il le respect dû au mystère infini qui se joue sur l'autel ? Toutes les rubriques doivent être suivies à la lettre, de manière à prévenir et à empêcher tout abus d'où qu'il vienne, du célébrant surtout mais aussi de l'assemblée. Le symbole de cette répartition est la « partition des deux espaces (nef et chœur) » où « clercs et laïcs se trouvent en position d'affrontement de regard sans médiation » (Nicolas de Brémond d'Ars) - sauf que c'est le prêtre qui décide du « spectacle» qu'il veut imprimer et de la participation qu'il veut bien accorder à l'assemblée. Pourtant, dans la « messe de Paul VI », le prêtre faisant face à l'assemblée (et ne lui tournant plus le dos) n'était certainement pas destiné à délimiter un espace du chœur et un espace de la nef ! Il était plutôt destiné à leur franchissement. La célébration « face au peuple » est devenue un « face-à-face » ! Alors qu'un minimum d'initiative pourrait facilement y remédier : le prêtre pourrait très bien, à certains moments, prier avec le peuple en direction de l'autel, en se plaçant à droite ou à gauche de ce dernier.

Le passage du latin aux langues vivantes relève de la même méprise. Le changement de langue n'a rien changé sur le fond : « l'esprit de la liturgie » doit rester le même. La traduction dans la langue de chaque pays était pourtant en soi un événement majeur : même si on ne peut refaire l'histoire, on pourrait discuter rétrospectivement des délais rapides de la transition, mais certainement pas soutenir la fiction que le changement de langue était de pure forme et que tout continuerait comme avant, tant sur le fond que dans la manière de célébrer et de participer. Aucune traduction n'est innocente ni sans conséquence, a fortiori une traduction qui passe d'une langue morte à une langue vivante, et d'une forme chantée à une autre.

Alors que non seulement le concile Vatican II, mais déjà tout le mouvement liturgique avant lui au XXe siècle, voulaient promouvoir une participation plus forte ou plus active des laïcs, comment imaginer qu'une participation effective, vivante, soit possible en fixant à l'avance les moindres paroles et les moindres gestes, en instituant tout simplement un carcan de rites immuables et intouchables ?

Invoquer la société de la nouveauté, de l'accélération, de l'attention limitée, de la multiculture ne serait certes pas un argument suffisant pour justifier une messe plus ouverte à l’invention libre de paroles et de gestes : on comprend bien qu'en matière liturgique, le chamboulement permanent pour des raisons de société qui évolue n'a aucun sens. La raison théologique reste essentielle. Mais ignorer purement et simplement les mutations dans la culture, l'habitus du « mouvement » et de la dissémination qui s'est installé, en lui opposant l'immobilité voire l'éternité du rite, est un pur contresens, en tout cas en régime chrétien, où l'incarnation de Dieu dans l'Histoire a, de fait, changé la donne. Les pentecôtistes, qu'on n'est pas obligé d'imiter en tout (il y a aussi chez eux un enthousiasme démonstratif insupportable), mais dont le succès ne se dément pas, l'ont bien compris depuis longtemps. On peut d'ailleurs constater non sans ironie - ou tristesse - que, dans la messe dominicale, le pentecôtisme catholique n'a importé que l'élévation des mains lors du Notre Père et que, pour le reste, ses membres prêtres sont souvent parmi les plus fervents piliers de la « messe figée », où la participation de l'assemblée est a minima...

… à suivre

Jean-Louis SCHLEGEL

29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 09:00
bateau lpc De la prêtrise à l’abandon des doctrines
Réactions
Pascal, Henri, J.M., Francis

Le livre de Roger a été classé "meilleure vente" sur le site AMAZON pendant une semaine (catégorie "théologie")

Réaction de Pascal Hubert dans Golias Hebdo n°533

« Mon livre va à contre-courant de la mentalité croyante ambiante, car il témoigne de mon abandon de l’Église Catholique et de mon cheminement vers l’incroyance religieuse avec sa justification. » Roger Sougnez

Je lis en ce moment De la prêtrise à l’abandon des doctrines. Un livre de déconditionnement salutaire, de Roger Sougnez. S’il n’a pas la forme du pamphlet, il n’en conserve pas moins le tranchant de l’épée. Venant d’un prêtre qui a quitté le sacerdoce en 1987, âgé aujourd’hui de 92 ans, c’est chose suffisamment rare et précieuse pour s’y arrêter un instant. En d’autres temps, à n’en pas douter, pareille audace aurait valu à son auteur la mise à l’Index et les bûchers de l’Inquisition. Mais, au XXIe siècle, comment croire encore à tant inepties religieuses ?

Ce livre, sans langue de bois et d’une parfaite cohérence, sera incontestablement apprécié des croyants qui sont mal à l’aise dans leur foi du fait des dogmes et des enseignements du Magistère qu’ils ressentent de plus en plus comme d’un autre temps. Disons-le sans détour : arguments à l’appui, ils seront confortés à les abandonner purement et simplement et à se faire enfin confiance. À l’inverse, ce livre sera honni par celles et ceux qui s’en tiennent encore à la Bible et à la Tradition comme « Parole de Dieu » donnée et interprétée infailliblement par la seule « Église une, sainte, catholique et apostolique ». Comment s’en étonner d’ailleurs ? Toute remise en question du Magistère a toujours été clivante (la « crise moderniste » est lourde d’enseignements à cet égard) : elle en libérera certains d’un joug devenu insupportable, en insécurisera d’autres qui pensaient vivre de certitudes et ne plus avoir à chercher ni à douter. Parce qu’il ne s’agit pas, en l’espèce, de proposer quelques réformes d’ordre pastorales, mais bien de saper l’autorité de l’Église Catholique comme étant définitivement inapte à guider – et à fortiori, à « sauver » ! – l’humanité. Jugez-en plutôt : exit le péché originel, clef de voûte de tout l’édifice religieux ; exit les dogmes aussi fondamentaux que la divinité de Jésus, la Trinité, Marie vierge et mère de Dieu, l’Enfer et la Résurrection ; exit les sacrements ; exit encore l’historicité de la Bible et de ses miracles, exit enfin le monumental catéchisme de l’Église catholique, promulgué par le pape Jean-Paul II en 1992 et qui s’avère totalement anachronique et non crédible…

Reprenant les mots d’Albert Einstein, la pensée de Roger Sougnez pourrait se résumer ainsi : « Le mot Dieu n’est pour moi rien de plus que l’expérience et le produit des faiblesses humaines, la Bible un recueil de légendes, certes honorables, mais primitives qui sont néanmoins assez puériles. Aucune interprétation, aussi subtile soit-elle ne peut selon moi changer cela. »

Mais, cela dit, vous ne trouverez aucune rancœur ni règlement de compte dans le propos. Roger Sougnez, désormais athée tranquille, s’est laissé guider par le seul souci de vérité, de fidélité à soi et d’honnêteté à l’égard de ses anciens paroissiens et étudiants qu’il regrette d’avoir involontairement induits en erreur. Ses propos sont, en effet, le fruit d’un long cheminement et de recherches rigoureuses qui l’ont amené à ne plus enseigner ce qu’il percevait peu à peu comme des chimères. Évoquant Albert Jacquard, éminent généticien et biologiste, il estime qu’ « il n’y a rien de pire que de ne pas s’autoriser à dire ce que l’on pense vraiment ». Et cette réalité vaut évidemment pour tant d’autres dans l’Église qui ne partagent plus les enseignements du Magistère, mais n’osent pas encore le dire, par crainte d’ébranler la foi des croyants, par obéissance à l’Institution ou par manque de courage. Exception faite de quelques-uns cités par Roger Sougnez, dont Jacques Musset (qui préface le livre), Gérard Fourez, Jean Kamp, Roger Lenaers ou encore Lytta Basset.

La question légitime que l’on se pose inévitablement face à pareil « retournement » : mais que reste-t-il de vrai alors ? Sur quoi ou sur qui encore s’appuyer ? Roger Sougnez croit en l’historicité de l’homme Jésus, un homme exceptionnel, mais qui, lui aussi, fut soumis à son temps et dont, en définitive, nous savons bien peu de choses. Ainsi, reprenant les propos de Gérard Mordillat : « Personne ne peut affirmer avec exactitude où les évangiles ont été écrits. Ni quand ni par qui ni pour qui ni contre qui. » Tout au plus peut-on considérer que « son message [de Jésus] et sa vie d’ouverture, de vérité, de paix et d’amour, dénonçant mauvaise foi, hypocrisie et suffisance ont permis à l’humanité de connaitre un progrès substantiel ». Mais, Roger Sougnez de nous mettre en garde : « Remarquons que deux dangers guettent celui qui a le souci de prendre Jésus comme modèle. Premièrement, le monde actuel est tellement différent, qu’il faut une grande prudence dans cette imitation. Ce qui était excellent à une certaine époque peut être contre-indiqué à une autre. Deuxièmement, l’important pour un être humain n’est pas d’imiter un autre, mais de découvrir son projet personnel de vie où il pourra développer au mieux ses propres potentialités. » Ce point me paraît fondamental : il ne s’agit plus de vivre sa vie par procuration, mais d’oser enfin la vivre pleinement par soi-même. C’est là une révolution copernicienne, un changement de paradigme, une véritable entreprise de libération intérieure. En conclusion du chapitre sur « La morale », Roger Sougnez entend d’ailleurs rencontrer l’objection selon laquelle son livre aboutirait à ôter tout « sens à la vie ». « Bien au contraire ! », affirme-t-il. « Ne plus adhérer à la morale catholique traditionnelle, dont beaucoup de points ne sont plus pertinents, ne signifie nullement vivre sans morale ! Ce serait ignorer la multitude des humains et singulièrement les athées et les agnostiques, qui ont choisi de vivre leur engagement autrement en osant le libre examen. Nous devrions nous efforcer de déployer notre énergie afin de promouvoir des valeurs, qu’elles soient individuelles et sociétales, authentiques même si elles sont exigeantes, qui donneront sens à notre existence : davantage de vérité, de justice, d’honnêteté, de souci de l’autre, etc. C’est là un programme exaltant. »

Nous le voyons, pareille prétention est à mille lieues du discours ecclésial qui entend soumettre la vie de tout croyant à la « Parole de Dieu » et à la « Sainte Tradition » comme seules « Vérité » de nature à nous conduire au Salut… Et comment ne pas s’apercevoir que la peur de l’enfer et la culpabilité de vivre sa vie auront permis à l’Église de maintenir leurs ouailles sous l’emprise de ses enseignements, y compris ceux que les sciences ont démentis depuis longtemps (à commencer par la Création de l’univers et de l’être humain, selon le livre de la Genèse…). Un livre de déconstruction méthodique donc, aux accents nietzschéens – « Et pourquoi n’irais-je pas jusqu’au bout ? J’aime à faire table rase » –, qui ravira les plus audacieux. Mais Roger Sougnez le sait parfaitement : malgré toutes les bonnes raisons d’abandonner des croyances illusoires, elles n’en restent pas moins profondément ancrées au point où les remettre en question peut se révéler impossible pour nombre de croyants.

Un livre captivant, à lire lentement, à méditer, à laisser descendre au fond de soi et à reprendre encore, tant nous avons été bercés par de douces illusions et tant les sujets révisés sont nombreux : la Révélation, quelques grands dogmes, les sacrements, la morale, l’élaboration du catholicisme, la religion, sans oublier le parcours lent et lucide qui amènera peu à peu Roger Sougnez à l’incroyance, ainsi que les raisons impérieuses d’un tel travail. Un livre qui fait du bien, mais qui invite à un décapage radical. C’est précisément, on l’aura compris, ce qui fait de ce livre un grand livre qui vient combler un vide « en passant au crible les positions fondamentales du catholicisme pour en dénoncer l’inconsistance ». Au fond, s’il fallait une justification à ce livre et une excellente raison de le lire, ce serait celle-ci : « Il n’est pas éthiquement défendable de dissimuler des faits pour la seule raison qu’ils pourraient entrer en conflit avec des croyances auxquelles on est attaché. Qui plus est, c’est une insulte à l’égard de nos semblables, qui sont ainsi traités comme des enfants trop immatures pour regarder la vérité en face. »

Le témoignage de Roger Sougnez me fait songer au Testament de Jean Meslier, autre prêtre devenu athée, qui au XVIIIe siècle déjà osait affirmer : « Pesez bien les raisons qu’il y a de croire ou de ne pas croire, ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige si absolument de croire. Je m’assure que si vous suivez bien les lumières naturelles de votre esprit, vous verrez au moins aussi bien, et aussi certainement que moi, que toutes les religions du monde ne sont que des inventions humaines, et que tout ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige de croire, comme surnaturel et divin, n’est dans le fond qu’erreur, que mensonge, qu’illusion et imposture. »

C’est précisément ce que refuse l’Église Catholique et que Roger Sougnez – avec quelques rares pionniers qu’il faut espérer de plus en plus nombreux – nous propose d’oser enfin : l’abandon des doctrines.

Et le livre de se refermer sur une urgence à vivre : « Il nous appartient d’inventer notre propre parcours de vie, avec lucidité sur nous-mêmes et sur nos croyances et avec empathie pour les humains, sans nous laisser enfermer dans d’anciens canevas de pensée. La vie est si précieuse et si courte, veillons à ne pas la gâcher. »

Pascal HUBERT, Golias Hebdo, n° 533

Réaction de Henri Huysegoms

J’apprécie hautement le livre « De la prêtrise à l’abandon des doctrines » que je possède et relis de temps en temps. Je suis totalement d’accord avec son contenu.

Sougnez a attendu le grand âge pour le faire publier. Comme je le comprends.

Je me trouve aussi parfois confronté à la pensée de gens qui acceptent totalement tout ce qu’a promulgué l’Église comme vérité absolue.

Si on faisait douter ces gens de la véracité des affirmations dogmatiques, de leurs « certitudes », cela n’aboutirait qu’à les déboussoler.

Je n’ai pas encore le franc parler de Spong et de beaucoup d’autres.

Amitiés,

Henri Huysegoms

Réactions personnelles à la lecture du livre de Roger Sougnez

Malgré quelques petits problèmes rencontrés pour me le procurer, j’ai reçu et lu le livre de Roger Sougnez recommandé par LPC.

Je le trouve très richement documenté. En quelque 200 pages, il rassemble de nombreuses citations du Catéchisme de 1992, un relevé de multiples contradictions entre les évangiles, des exemples de mauvaises traductions de l’hébreu ou du grec qui aboutissent à des dogmes contestables, des tas de remarques judicieuses sur l’abus de pouvoir de l’Eglise. Il reconnaît par ailleurs que les valeurs prônées et vécues par Jésus restent riches (p.62) et il exprime une certaine admiration pour le pape actuel.

Voilà pour les aspects positifs.

Néanmoins ce livre me déçoit profondément. D’abord parce qu’il ne m’apprend rien. Il y a bien longtemps que grâce à des livres qu’il cite (Lenaers, Musset, Kamp), grâce aussi à LPC, de nombreux chrétiens progressistes ont pu déjà faire un cheminement analogue sans tomber pour autant dans un nihilisme qui frôle le désespoir. L’auteur a beau se défendre d’être matérialiste, il ne laisse aucune place à un mystère, une transcendance, un au-delà de l’homme. S’il démolit l’Eglise catholique, il aurait peut-être pu laisser de la place pour un Christianisme libéré des dogmes (il le fait mais à peine). Il ne croit pas à la Résurrection de Jésus, moi non plus mais je crois qu’au matin de Pâques les apôtres se sont relevés et eux sont donc ressuscités d’une certaine manière et ont transmis un message extraordinaire même si son expression a pris quelques rides au fil du temps.

On dirait que l’auteur n’a pas réussi à dépasser la critique négative propre à l’adolescence pour arriver à reconstruire à partir des « mythes » anciens un questionnement nouveau qui dépasse le fondamentalisme tout en redonnant du sens.

Personnellement il y a longtemps que je ne crois plus aux dogmes, que je trouve le langage de l’Eglise tout à fait inadéquat, même s’il y a une légère avancée, beaucoup trop lente sans doute. Je crois cependant l’institution nécessaire pour transmettre l’évangile qui ne peut se vivre que dans une communauté. Et je reste à l’intérieur avec l’espoir, illusoire peut-être, de contribuer à la faire évoluer un peu à la fois en collaborant avec d’autres chrétiens progressistes. J’essaie cependant de ne pas choquer ceux qui ne pensent pas comme moi afin de ne pas rompre à l’avance toute possibilité de dialogue.

D’autres lectures me semblent beaucoup plus judicieuses pour faire évoluer les mentalités. Je pense aux livres de Marie Balmary qui donnent des interprétations de passages de l’ancien et du nouveau testament qui les rendent parlants pour notre temps. Je pense aussi à un livre tout récent : Jésus selon Mathieu. Héritages et rupture par Colette et Jean-Paul Deremble qui propose verset après verset une relecture de Mathieu qui s’appuie sur tous les outils modernes de l’analyse de textes. Ces livres-là sont porteurs d’Espérance tout en dépassant l’obscurantisme.

J.M. 6 juin 2018

Réaction au livre de Roger Sougnez

Chères amies, chers amis,

Je reste tout de même un peu songeur devant ce programme et ce titre, car que reste-t-il finalement ?

Souvenons-nous de cette petite pointe de colère d'André Verheyen face à qui lui disait "je ne sais plus que croire" et, dès lors, estimait qu'on faisait du mauvais travail.

Autant je suis contre l'hyper-conservatisme (nous avons "souffert" récemment en assistant par hasard et sans nous y attendre, à une messe Lefèvriste à Saint-Brieuc qui nous a démoli le moral pour tout un moment), autant je me reconnais désarçonné ici par ce côté "tabula rasa" : c'est ainsi.

Bien amicalement,

Francis 7 février 2019

15 août 2019 4 15 /08 /août /2019 08:00
André Verheyen Le XXIème siècle sera-t-il moderne?
André Verheyen

En novembre 1995, André Verheyen écrivait :

Au fur et à mesure que nous nous approchons de la fin de ce siècle, nous entendons de plus en plus de considérations sur le siècle suivant.

Beaucoup de gens s'essayent au rôle de Madame Soleil et y vont de leur prédiction. Une phrase d’André Malraux joue un certain rôle également. Mais comme elle n'est pas immédiatement évidente, on comprend qu'elle ait été quelque peu déformée. La voici citée par Edmond Blattchen dans son émission "Nom de dieux" :

"Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu'ait connue l'humanité, va être d'y réintégrer les dieux" (André Malraux en 1955)

Certains l'ont simplifiée comme suit : "Le 21ème siècle sera religieux ou ne sera pas." Et c'est cette formule simplifiée qui a fait fortune et qu'on entend un peu à toutes les sauces: le 21ème siècle sera… ou ne sera pas.

L'hebdomadaire Dimanche (15/10/95) publie une brève interview du théologien Adolphe Gesché qui dit: "Je ne pense pas que le 21ème siècle sera religieux, mais je crois qu'il sera "théologique…" Voilà qui est surprenant si on ne replace pas cette phrase dans son contexte.

Voici donc le paragraphe en question: "On parle aujourd'hui de l'oubli de Dieu. Ce n'est plus la négation ou le refus, à la manière de Sartre. Le mot lui-même disparaît. On ne sait plus ce que cela veut dire. Dieu s'en va sur la pointe des pieds. C'est peut-être une chance. Cela permet de renouveler les choses. Je crois que le monde est prêt à écouter la foi à frais nouveaux. Il ne s'agit pas de prouver, mais de rendre intelligibles et lisibles les mots de la foi. Ils ne sont pas vides de sens. Mais tous ces mots sont devenus inintelligibles, usés. Il faut les rendre à nouveau lisibles à l'intelligence et au cœur. Je ne pense pas que le 21ème siècle sera religieux, mais je crois qu'il sera théologique, pour préparer de nouvelles voies à Dieu."

Je ne sais pas si le 21ème siècle sera moderne ou non ; je pense qu'il aura ses modernistes et ses traditionalistes. Ce que je sais c'est que si LPC a la joie d'entrer dans le prochain siècle, c'est avec le même enthousiasme et avec la même conviction que nous continuerons notre effort pour "rendre intelligibles et lisibles les mots de la foi".

Cette conviction et cet enthousiasme ont encore été confirmés le 15 août dernier, lorsque nous avons entendu dans les médias ce qu'"on" dit toujours de l’Assomption de Marie.

Le matin c'était sur les ondes de la RTBF que le commentateur attitré des questions religieuses expliquait qu'il y a deux traditions, l'orientale qui parle de 'dormition' (Marie n'est pas morte, elle s'est endormie) et l'occidentale qui parle d'Assomption (Marie a été élevée au ciel sans connaître la corruption du corps).

J'espérais un petit mot d'explication ou d'actualisation mais non, rien !!!

Le midi, c'était sur France 2, à l'occasion de la messe télévisée. Le journaliste présentait son micro aux personnes en leur demandant "Et pour vous, monsieur, madame, c'est quoi, l'Assomption?" Et, invariablement, c'était le même discours, appris par cœur, "Marie a été élevée au ciel avec son âme et avec son corps" !

C'est le dernier témoignage qui m'a le plus dérangé : un monsieur très gentil s'adresse à une petite fille de 11 ou 12 ans. Même question: "et pour toi, qu'est-ce que c'est, l’'Assomption?"

  • ???
  • Tu ne sais pas ça ?
  • ???
  • On ne vous apprend pas ça au catéchisme ? (Là, je me suis demandé si ce n'était pas le curé de la paroisse.)
  • ???
  • Eh bien, moi je vais te le dire : c'est que Marie a été élevée au ciel avec son âme et avec son corps" !

Et je me demandais ce que cela pouvait bien signifier pour cette enfant de 12 ans ! Alors que n'importe quel enfant de 12 ans peut comprendre, si on le lui explique de manière intelligible, que la clé de lecture de l’ Assomption de Marie est l'Ascension de Jésus et que la clé de lecture de l'Ascension de Jésus est l'ascension du prophète Elie (voir le deuxième chapitre du deuxième Livre des Rois).

Si une théologie peut se dire moderne dans la mesure où elle tente d'actualiser, pour les rendre intelligibles, les images, les symboles, les mythes ou les procédés littéraires de la tradition, alors le moins qu'on puisse dire, c'est que le 21ème siècle - dont le Professeur Gesché disait qu'il serait théologique- devra être moderne.

Je pourrais utiliser la formule à succès et ajouter : "ou bien il ne sera pas" mais ce ne serait pas pertinent. Le 21ème siècle sera de toute manière. Mais la question est de savoir ce que sera la foi ou la spiritualité au siècle prochain.

Une dernière réflexion à l'intention de ceux et celles que le mot "théologie" effraye.

Nous faisons tous de la théologie: quand "monsieur tout-le-monde" dit qu'il a difficile à croire en un Dieu tout-puissant en voyant le mal et la souffrance dans le monde, il fait de la théologie!

Alors, tant qu'à faire, faisons-la de la manière la plus intelligible possible !

André Verheyen - novembre 1995

13 juillet 2019 6 13 /07 /juillet /2019 08:00
Paul Löwenthal Commentaire général sur l’article de Charles Delhez
« L’Église, un système qui s’effondre »
Paul Löwenthal

Le diagnostic de Charles Delhez est très lucide, sans fards, et il émane d’un prêtre respecté dont la loyauté ecclésiale est indiscutée. C’est donc important. Pour maximiser son impact, l’objectif à atteindre – à long terme – mériterait toutefois d’être clarifié, car la connivence frappante entre les réformes bottom-up proposées pour l’Église et pour la démocratie, suggère des contagions dont certains ne manqueront pas de tirer argument pour y objecter (« l’Église n’est pas une démocratie »).

Le parallèle entre démocratie et Église est triple. Primo, les deux institutions sont simultanément en crise. Secundo, on veut dans les deux cas prendre au sérieux notre liberté de conscience responsable et dépasser les élites, élues ou non, pour faire participer tout le monde à tout : initiatives, débats, responsabilités et prises de décision. Tertio, une condition nécessaire aux précédentes est de sortir les « peuples » de leur immaturité en les éduquant aux discernements : des têtes bien faites plutôt que bien pleines, libres et responsables, et dépassant les finalités utilitaires. Ce qu’on demande depuis... Platon !

Un bref historique

Les influences entre Église (chrétienne puis catholique) et société (les États, en Europe) ont été réciproques. Cela permet un rapprochement sur le fond : des éthiques, mais cela suscite aussi des réflexes d’auto-défense.

IVe siècle : le cadeau empoisonné de Théodose : le christianisme devient la religion officielle de l’empire, ce qui rapproche leurs autorités, et leurs modèles institutionnels.

XIe siècle : avec la réforme grégorienne, l’empire (écroulé...) inspire ouvertement l’organisation pyramidale de l’Église, désormais coulée en doctrine.

XIe - XVIe siècle : l’Église « consacre » les pouvoirs profanes (couronnement d’empereurs, rois de droit divin) pour conserver sa primauté.

XVIe - XVIIIe siècle : la sécularisation humaniste redécouvre (honte sur nous !) des valeurs évangéliques (dignité humaine, droits de l’homme) et s’en inspire pour l’État moderne. La Réforme protestante va dans ce sens, mais Rome réplique par sa trop bien nommée Contre-Réforme.

XIXe siècle : au lieu de se reconnaître dans un humanisme qui est né de la culture chrétienne, l’Église (Pie IX) anathémise les droits de l’homme et la démocratie, l’autonomie humaine qui y est affirmée étant vue comme une marque d’orgueil humain niant la primauté du divin – infailliblement traduit par le magistère ecclésiastique romain. L’Église ne se relèvera jamais de ce reniement de ses fondements christiques. La dignité humaine et son autonomie responsable sont désormais reconnues plus complètement par l’humanisme athée que par la doctrine officielle catholique...

XXe - XXIe siècle : l’Église doit à la fois évoluer en elle-même et assurer sa coexistence avec les pouvoirs civils dans des sociétés qui, chez nous, sont désormais plurielles.

L’Église ne peut plus revendiquer une primauté éthique de ses fondements sur la loi civile, sauf à faire reconnaître des transgressions légitimes au nom de la liberté de conscience (individuelle...). C’est l’État censément laïque, mais souvent anti-religieux, qui est désormais le garant du bien commun, et il doit imposer ses normes fondamentales aux convictions « particulières » des religions.

Pouvoir civil et autorité spirituelle : la vieille querelle

Les convergences sont nombreuses et essentielles, mais dans quelle mesure l’Église peut-elle ou devrait-elle se laisser inspirer par les expériences profanes, et notamment par leur libéralisme ? Les conflits sont nombreux aussi ; la nécessité de vivre ensemble une culture commune ne suffira pas à les résoudre. Qui primera ?

À la fin du Ve siècle, le pape Gélase Ier décrète que le pouvoir temporel des rois s’étend à l’Église, cependant que l’autorité spirituelle de l’Église s’étend aux princes. Mais on ne s’est jamais accordé sur la distinction entre pouvoir et autorité... Aujourd’hui, on dirait que l’autorité guide et que le pouvoir commande. « Les lois ne doivent pas être respectées parce qu’elles sont bonnes, mais parce qu’elles sont la loi » constatent en chœur Montaigne, Pascal, Kant et Ricœur. Alors que Jésus Christ nous fait passer de la Loi à la Foi qui libère, et qu’on attend donc de l’autorité ecclésiale qu’elle... autorise, en éduquant à une éthique autonome. La loi et la morale canalisent, l’autorité et l’éthique balisent.

Les philosophies politiques implicites aux États sont aussi diverses que les éthiques des religions, y compris en leur sein. Et nos États ne sont pas plus laïques que notre religion n’est chrétienne ! Nous ne pouvons résoudre ces tensions par la seule vertu de procédures communicationnelles à-la-Habermas.

Sécularisations : acculturer ou inculturer ?

Charles Delhez distingue la sécularisation objective, ou laïcisation des institutions, et la sécularisation subjective, ou effacement culturel de la religion. Le sociologue des religions Karel Dobbelaere(1), lui, distingue sécularisations globale, organisationnelle (par exemple religieuse) et personnelle. Faute pour l’Église de s’être sécularisée elle-même (statut de la raison, de la liberté, des laïcs, des femmes,...) les catholiques de nos pays ont sauté le stade ecclésial et plongé dans la sécularisation globale. Bravo, les pasteurs ! Retenons qu’il est une sécularisation chrétienne acceptable, et même souhaitable : celle qui déplace les actes et leur responsabilité de Dieu aux hommes, sous la grâce mais en autonomie (Lc 12, 57).

La tendance actuelle est à favoriser la participation effective des populations : celle des citoyens au débat (decision making), mais aussi à la délibération politique (decision taking), et celle des fidèles à l’élaboration (jamais acquise) d’un sensus fidelium et au discernement pastoral, au-delà d’un sensus fidei qui ne relève que de la sociologie religieuse.

Mais devons-nous acculturer (l’ad-culturer) l’Église à la société, l’ajuster à la culture locale ou aux « signes des temps, ou l’inculturer (l’in-culturer) en la greffant sur cette culture pour l’înfluencer dans le sens chrétien ? Un peu des deux, bien sûr.

1. Vouloir acculturer le catholicisme à nos sociétés sécularisées suppose une connivence profonde entre les deux. Elle existe, sauf à réunir quelques conditions que chacun sait manquer aujourd’hui : un vrai respect public pour les religions sous l’égide de la dignité humaine, valeur fondamentale commune ; et un vrai respect ecclésial pour la société plurielle qui l’accueille et pour l’État qui, face à la pluralité, est forcément le garant légitime du bien commun.

Cela suppose que les religions prennent davantage de recul par rapport à des traditions dogmatiques ou morales qui ne répondent plus aux quêtes spirituelles contemporaines – ni aux exégèses(2). Le culte a gardé une vision naïve des sacrements et de l’action de Dieu dans le monde, des lectures littérales des Écritures, des accents qui retrouvent les obsessions vétéro-testamentaires du sacré ou de la pureté – et un cléricalisme obstiné qui décourage les chrétiens. Tous traits qui contredisent le message du Christ.

Or, l’Église, peuple de Dieu, est aussi en porte-à-faux d’une société individualiste et matérialiste qui est pourtant née de la société chrétienne et qui assume, en mots sinon en fait, nombre de « valeurs chrétiennes ». Acculturer le catholicisme viserait à infléchir cette société de l’intérieur, en suivant ses démarches (le droit et la démocratie), et sans nécessairement afficher sa foi. Les participations populaires que Charles Delhez préconise viseraient alors l’efficacité pastorale à l’égard de « brebis perdues ». Et elles conduiraient, dans la société, à agir spécifiquement (droits humains dans l’UE) ou localement (migrants), ou à soutenir les ONG, chrétiennes ou non, qui s’en chargent. Les chrétiens se fonderaient dans la société et laisseraient la lumière sous le boisseau : pas de place pour une pastorale.

2. Les convergences entre réformes démocratiques et ecclésiales seraient cependant propices à ce que le christianisme inculture(3) la société, la réinvestisse. Les participations populaires seraient alors le levain dans la pâte. Comme le sont les initiatives citoyennes dans leur ordre, et en complicité avec elles, mais en se réclamant de la religion.

L’alternative a ceci de sympathique, que ses deux membres excluent de « verser le vin nouveau dans de vieilles outres ». Avec d’autres religions ou philosophies nous pourrions fabriquer ensemble de nouvelles outres. Avec l’inculturation, l’Église conserverait en outre, ou retrouverait, son identité évangélique, mais elle devrait renoncer à son identité historique, sacrificielle, donc cléricale, et se séculariser en donnant à l’homme la place qui lui revient : le centre de notre agir. « Ce que nous attribuons à Dieu, nous l’ajoutons à l’homme » disait Jean Ladrière.

Irons-nous vers une Église « liquide en réseau » (Arnaud Join-Lambert) qui se voudrait chrétienne plutôt que catholique romaine ? Le fait est que l’Église nous « parle » de moins en moins. « Mes brebis entendent ma voix ; je les connais, et elles me suivent » (Jn 10, 27) : il y a longtemps que l’Église – de Rome à nos paroisses – ne peut plus reprendre cette phrase à son compte.

Paul Löwenthal – 3 juin 2019

(1) Secularization : An Analysis at Three Levels. Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2002. (retour)
(2) Lire la réaction de Ph.Soudon à l’article de Ch.Delhez. (retour)
(3) J’utilise ce verbe transitivement pour suggérer qu’il s’agit d’une démarche « invasive ». Les réductions jésuites au Paraguay... (retour)
6 juillet 2019 6 06 /07 /juillet /2019 08:05
Charles Delhez sj L’Église, un système qui s’effondre
Charles Delhez sj

 

S’il ne se passe rien, on peut dire que dans un siècle, il ne restera en Europe plus grand-chose du christianisme. Mais il peut être totalement transformé par des innovations dont nous n’avons pas aujourd’hui la moindre idée(1).

Marcel GAUCHET

 

Il m’arrive souvent, de ces temps-ci, de penser au pape François. Quel poids ne porte-t-il pas sur ses épaules ? Son nom dit bien sa mission. « L’Église a besoin d’un nouveau François : tout ce qui nous encombre, il ne l’avait pas, tout ce dont nous avons besoin, il l’avait », avait déclaré feu le cardinal Danneels avant son élection. Le saint d’Assise est en effet bien connu pour son amour de la nature et sa « sobriété heureuse ». Le Poverello était aussi intensément attaché au Christ – rappelons-nous les stigmates – et soucieux de toute l’Église. Dans la chapelle lézardée de San Damiano, il avait entendu Jésus lui dire : « Rebâtis mon Église ! » Le jeune converti avait d’abord cru qu’il s’agissait de maçonner. Mais très vite, il comprit qu’il était question de l’Église avec une majuscule. Par les nombreuses communautés nées dans sa mouvance, François apporta la réponse à l’Église de l’époque.

C’est souvent par le bas que l’Église a pu renaître, à partir de petites poches de fraternités évangéliques. Ne serait-ce pas ce dont cette institution bimillénaire a un urgent besoin ? Nous traversons en effet une crise profonde, la plus forte depuis 400 ans, a pu dire Odon Vallet, historien des religions. Dans nos pays, cette crise me semble double : globale, d’une part ; interne de l’autre.

Une crise religieuse globale

Nous assistons à la disparition de la « matrice catholique » de notre société, à la fin du « modèle paroissial ». Celui-ci est exsangue dans les campagnes et survit à peine dans les villes. Jadis, l’institution romaine quadrillait tout le territoire. Chaque étape de la vie était encadrée par elle, quasi chaque association avait son aumônier. L’Église dictait les valeurs, soutenait les arts, organisait les universités et offrait un sens à la vie par sa spiritualité. Notre société était chrétienne. On en est loin aujourd’hui. Les institutions sont désormais laïques et la culture se sécularise, les citoyens se défont de la religion(2).

L’Église, qui était au centre, se retrouve à la marge, « exculturée », selon le mot de Danièle Hervieu-Léger. La sociologue française des religions a pointé trois domaines où le fossé entre la culture héritée du christianisme et celle de la modernité s’élargit, ceux du rapport à l’au-delà, à la nature, à la hiérarchie. Voyons.

La prédication partait des manques de l’existence et présentait un au-delà où ils seraient comblés. Nous sommes désormais – mais non pas tous – dans une société d’abondance et de surconsommation. L’inquiétude pour la moisson n’est plus notre souci quotidien. La croyance en un au-delà compensatoire disparaît au profit de la valorisation de l’ici-et-maintenant.

Dans la nature, on pouvait lire la volonté de Dieu, puisqu’il en était le Créateur. Aujourd’hui, elle est ce que l’homme domine, transforme, utilise. L’homme n’est plus devant elle comme devant un grand livre ouvert, mais au-dessus d’elle comme un manager. Il n’interroge plus la Bible, mais il met en place des comités éthiques.

Depuis la Révolution française, enfin, la société a essayé d’éliminer toute hiérarchie et mis en place des « républiques d’égaux ». Même la famille est concernée. L’Église catholique, elle, est une société fortement hiérarchisée où l’argument d’autorité reste souvent utilisé.

Le christianisme peut-il se dire dans la modernité ?

Le christianisme s’est dit dans la brillante culture religieuse du Moyen Âge, par exemple, ou dans celle du Baroque. Mais ceci est du passé. Notre présent, c’est la modernité. La religion a cessé d’envelopper toute la société, de l’organiser et d’être le premier lieu de sens pour l’individu et son rapport au monde. Jésus avait fait entendre son Évangile dans un monde spontanément religieux ; les premiers chrétiens parlaient d’une voie, d’un chemin. L’Église en a fait une religion. Le défi est aujourd’hui de redire l’originalité chrétienne dans un paysage sorti de la religion, où Dieu n’est plus évident.

Certes, la « chrétienté », cette collusion de la hiérarchie ecclésiale avec le pouvoir civil, est morte. Mais pas le christianisme. Un christianisme pauvre, nettement minoritaire dans nos régions, mais plus évangélique, va pouvoir apparaître. Un homme comme le jésuite Joseph Moingt a acquis la conviction que seul un recentrage sur l'Évangile plutôt que sur la religion pourrait permettre que le message soit entendu du monde actuel. Le théologien parisien parle d’un « humanisme évangélique(3)».

Le centre unique n’est désormais plus la paroisse, lieu d’accueil pour tous, mais le monde lui même où, au coude à coude avec les hommes et les femmes de bonne volonté, les chrétiens créent d’autres lieux – éventuellement provisoires – où se vivent différents aspects de notre humanité, qu’ils soient spirituels, culturels ou humanitaires, incarnant différentes valeurs de l’humanisme chrétien. Ce serait des « tiers-lieux ecclésiaux », selon l’expression d’Arnaud Join-Lambert(4), des espaces hospitaliers et innovants ouverts à tous. Cette Église sera donc multipolaire, en réseau. Le Pape François utilise souvent, pour la décrire, l’image géométrique du polyèdre, une unité, mais dont chacune des parties a sa particularité, son charisme.

La paroisse traditionnelle peut être un de ces lieux, mais ne sera plus le seul. Les monastères et abbayes aussi, comme le montre Danièle Hervieu-Léger dans son récent livre Le temps des moines. Clôture et hospitalité(5). « La conviction théologique qui fonde [cette] démarche, écrit-elle, est qu’à la pluralité de la société doit correspondre une pluralité de communautés afin que la mission chrétienne pour suivre sa course. »

C’est en se décentrant vers le monde que, paradoxalement, l’Église pourra se régénérer. Cela fait clairement écho au pape François qui, dès le début de son pontificat, a parlé d’une « Église en sortie ». Tout à l’opposé donc de la structure concentrique héritée de la réforme grégorienne du XIe siècle. Dans l’optique chrétienne, en effet, ce qui devrait importer, ce n’est pas que l’institution perdure, mais que le message continue à être annoncé. Sous cet angle, le ministère sacerdotal, par exemple, n’est plus l’incontournable, l’intouchable, celui qui exerce un quasi monopole. Le rôle du prêtre peut être revu afin de correspondre mieux au message lui-même en contexte de postchrétienté. Nous y reviendrons.

Les trois cercles concentriques

Les « valeurs » de l’Évangile sont universelles. Qui ne reconnaît pas dans le partage, le pardon, la solidarité, un supplément d’humanité ? Ces valeurs ressemblent à celles promues et vécue par Jésus qui, aux yeux des chrétiens, est la figure de l’humain accompli. Tout humain « de bonne volonté » peut se reconnaître dans l’Évangile. Tous ceux qui vivent leur existence en vérité de conscience(6), qui tentent d’humaniser toute situation, œuvrent dans le sens des droits humains et cherchent à être des humains parmi les humains, malgré leurs incohérences — mais qui n’en a pas ? — tous ceux-là, quelle que soit leur foi religieuse sont, aux yeux des croyants, animés par l’Esprit de Dieu.

D’un point de vue chrétien, j’aime voir trois cercles concentriques, séparés par une frontière en léger pointillé. Il y a ceux qui, appartenant à d’autres religions ou même s’opposant à toute religion, vivent des valeurs semblables à celles de l’Évangile. Ils puisent dans le fonds commun de l’humanité qui, aux yeux du chrétien, est créée à l’image de Dieu, sans distinction de race ou de religion. Ce qui ressemble à l’Évangile, même s’il ne s’en revendique pas, rend Dieu présent et contribue à la croissance du Royaume, c’est-à-dire de ce monde enfin transfiguré de part en part par l’amour, conformément au projet divin.

Il y a, deuxième cercle, ceux qui se réclament des valeurs chrétiennes, mais sans les enraciner dans une transcendance ni entretenir une relation avec le Christ. Ils ont hérité de ces siècles d’imprégnation chrétienne. Ces valeurs prennent corps dans bien des institutions : les caisses de solidarité sociale, la Justice qui respecte le droit de la défense, l’enseignement qui se veut le plus égalitaire possible, les hôpitaux qui accueillent les malades et promeuvent la santé pour tous, indépendamment des classes sociales. Le christianisme a gagné, estime Luc Ferry : ses valeurs — essentiellement l’égalité démocratique et la logique d’amour — ont été intégrées par la société. Notre société occidentale est bien « sortie de la religion », selon la formule de Marcel Gauchet.

Enfin, troisième cercle, la koinonia, communion fraternelle en Jésus, l’Église proprement dite. Les croyants pratiquants entretiennent explicitement dans leur communauté la mémoire de ce Jésus parce que son message et sa personne demeurent subversifs jusqu’à la fin des temps. Le sacrement de l’Eucharistie donne une visibilité rituelle à leur utopie d’un banquet offert à toute l’humanité. Jésus a plus d’une fois utilisé cette image et lui-même partageait volontiers la table avec ceux qui l’invitaient, pharisiens ou pécheurs.

La communauté est ici importante. On ne peut être chrétien tout seul. Et c’est peut-être là que le bât blesse. La petite communauté des disciples autour du Christ ou au lendemain de la Pentecôte est devenue une gigantesque institution qui a traversé, bon an mal an, les siècles. Ses membres ne sont plus à portée de voix, mais en relation hiérarchique. Elle est maintenant ce système que nous voyons bien malade aujourd’hui. L’institution — sans doute nécessaire — est devenue lourde et fragile, passible de tous les dérapages et scandales. La pédophilie des clercs, les abus sexuels, les doubles vies n’en sont que des symptômes. Le mal est plus profond. Le système pyramidal s’effondre. L’Église est désormais pour beaucoup un obstacle à ce qui demeure prioritaire : l’annonce de la bonne nouvelle évangélique. Or, Jésus n’était pas venu fonder une institution garantissant au monde la véritable religion. Il avait simplement mis en marche une « mouvance de disciples » et leur avait donné mission d'annoncer et de répandre son projet de Royaume de Dieu.

Notons au passage l’attente grandissante de communautés plus émotionnelles où des sentiments intenses sont partagés, les Églises traditionnelles apparaissant comme froides et figées. On assiste en effet à une véritable explosion de communautés protestantes évangéliques et pentecôtistes partout dans le monde. Elles parviennent à susciter chez leurs fidèles, en terme de pratique, ce que les Églises historiques n’obtiennent plus.

Cette Église est actuellement en situation de diaspora. Elle s’inscrit dans la mosaïque sociale avec de moins en moins de privilèges. Elle a droit à la parole comme les autres, mais ne peut plus parler plus haut que les autres. Cette étape de la modernité, Habermas l’appelle « postséculière ». Les croyants, estime-t-il, ont le droit de contribuer aux débats publics par des arguments religieux. Il parle de « réserves de valeurs » présentes dans la société civile grâce, par exemple, aux Églises. La vision de Paul VI était prophétique : « L’Église se fait conversation avec la société, de laquelle elle se reconnaît intimement solidaire » (Ecclesiam Suam, (6 août 1964). Mais un petit nombre, s’il vit le message en vérité, ne peut-il pas soulever le monde ? Jésus évoquait le peu de levain capable de faire lever toute la pâte.

La lettre à Diognète, un anonyme du IIe siècle, mérite ici une mention spéciale :

Les chrétiens ne se distinguent pas des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Leur genre de vie n’a rien de singulier. Ils se conforment aux usages locaux, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois… En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde.

Une institution en péril

La crise est aussi interne. Notre propos sera ici limité. Nous nous en tiendrons à l’organisation de l’Église dans nos pays de postchrétienté. Ce système, aujourd’hui, s’effondre, mais l’Église peut survivre autrement.

Dans son livre Réinventig organizations, Frédéric Laloux veut contribuer à des relations plus participatives ou collaboratives et davantage horizontales que verticales dans le monde de l’entreprise. Il classe les différents modèles d’organisation et leur donne une couleur : le rouge pour l’autorité forte, l’ambre pour les structures pyramidales rigides et stables, qui répètent toujours le passé, l’orange pour le modèle méritocratique, le vert pour le type plus familial et l’opale pour celles fondées sur la valorisation de la contribution de chacun tout en permettant des prises de décision efficaces, la résolution de conflits et une centration sur les objectifs fondamentaux.

L’Église ne devrait-elle pas prendre exemple sur le modèle opale et renoncer au fonctionnement rouge ou ambre qui ressemble si peu à ce que Jésus présente dans l’Évangile ? Qu’on se souvienne du Lavement des pieds (Jean 13, 1-17), épisode propre à Jean mais qui trouve un quasi un correspondant dans l’évangile de Luc, situé aussi le Jeudi, veille de la mort du Christ. Je ne peux m’empêcher de le citer. Jésus vient de partager le pain et le vin en signe de sa mort prochaine et d’annoncer la trahison de Jésus. Voici ce qui suit immédiatement :

24 Ils [les apôtres] en arrivèrent à se quereller : lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ?

25 Mais il leur dit : « Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs.

26 Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert.

27 Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert(7).

Il semblerait que l’Église des premiers siècles ait fonctionné selon cette dynamique opale. De nombreux passages évangéliques en sont la trace. Vint le tournant constantinien (313) et surtout celui de Théodose qui érigea le christianisme en religion d’État (380). L’Église s’est alors mise à fonctionner à la manière de l’empire, surtout lorsque celui-ci s’effondra et qu’elle prit le relais. Au XIe siècle, la réforme grégorienne(8) quadrilla tout le territoire selon le modèle hiérarchique, soumettant chaque chrétien à un curé lui-même soumis à son évêque, celui-ci relevant du pape. Ainsi une société parallèle, une societas perfecta, parce que d’origine divine, se constituait et a perduré jusqu’à son effondrement actuel(9). En Europe, en effet, la désertion connaît aujourd’hui une ampleur sans précédent. Les fidèles quittent l’Église de leur enfance et les baptêmes des adultes sont loin de compenser(10).

L’Église semble encore fonctionner de manière autarcique, mais tourne de plus en plus à vide. Les pratiquants de jadis se font absents. Si l’on estimait à 42% dans les années 60 le nombre de pratiquants hebdomadaires, on parle actuellement de 3% au moins une fois pas mois. Nos contemporains croient de moins en moins — « Je crois que je ne crois plus ». Les jeunes particulièrement ne prennent pas le relais. Ils ne se retrouvent pas dans le langage chrétien et ne sentent plus appartenir à l’Église, sauf quelques cercles identitaires, opérant un retour à la tradition. Leurs solidarités sont ailleurs. Ils ont appris à être heureux sans Dieu. En Belgique, selon une étude franco-britannique récente (2018) sur les jeunes de 16 à 29 ans, ils seraient 22% à se dire catholiques, dont seulement 2% de pratiquants. En France, 64% se déclarent sans religion.

À l’occasion de l’affaire « Barbarin (11)», on commence à percevoir que les dérapages du personnel ecclésiastique relèvent de la juridiction civile et pas seulement de celle de l’Église. Les chrétiens aspirent à une autre Église : « La vraie attente des chrétiens du XXIe siècle n’est-ce pas plutôt : la participation, la cogestion, l’égalité, la non-discrimination entre “simples” baptisés et baptisés ordonnés(12)… ? ». Le théologien Yves Congar : « Tout ce qui concerne les chrétiens devrait être décidé avec eux. »

D’une « mouvance » (José Antonio Pagola), le christianisme était devenu une religion avec tous les maux caractéristiques de celles-ci, que Jésus avait voulu combattre. À titre d’illustration qui ressemble à une caricature, mais qui est une citation tout a fait exacte, voici une affirmation de l’encyclique Vehementer nos où Pie X (1906) condamnait la loi française de séparation de l’Église et de l’État : « L’Église est, par essence, une société inégale c’est-à-dire une société comprenant deux catégories de personnes, les pasteurs et le troupeau. » On devine sans peine les conséquences d’une telle vision des choses : patriarcalisme, autoritarisme, cléricalisme…

Les prêtres et le cléricalisme

Toute religion a tendance à s’organiser en institution susceptible de toutes les dérives et oublieuse de son inspiration première. La question du cléricalisme est au centre de la problématique. Elle tourne, bien sûr, autour du statut du prêtre(13) et finalement de la conception de l’Église. Joseph Moingt n’hésite pas à dire : « Une société qui ne produit plus de prêtres est une société qui ne désire plus se reproduire sur le modèle de son passé religieux(14). »

Manifestement, en effet, le modèle actuel du prêtre ne séduit plus la jeune génération. Les séminaires sont vides. Rien ne semble indiquer un redressement de la courbe drastiquement descendante des vocations classiques dans notre pays(15). Et faire appel à des prêtres étrangers, c’est entretenir le système obsolète. On ne résout pas les problèmes avec les outils qui les ont engendrés, disait Einstein. Il s’en suit que les églises se vident et que l’on ne regarde pas le problème en face.

Alors que Jésus avait suscité une fraternité où la seule hiérarchie était vue par le bas, en terme de service, très vite s’est mise en place un « dualisme hiérarchique » (José Arregi), une « structuration binaire » (Hervé Legrand). Ce modèle a engendré une scission dans le corps ecclésial, a pu dire le pape François qui a fait de la lutte contre le cléricalisme un de ses chevaux de bataille.

Le prêtre était devenu un personnage sacré, se tenant à l’écart du commun des mortels jusque dans sa sépulture qui devait être séparée de celle des laïcs et située dans un lieu plus honorable, disait encore le Droit canon de 1917 (1209 § 2). C’est à sa désacralisation qu’il faut travailler. Depuis quelques décennies, le tournant s’opère. On peut maintenant tutoyer le prêtre qui ne porte plus cette soutane qui le mettait à part (même si le « col romain », vestige de l’habit ecclésiastique, a tendance à revenir). Serait-ce un raccourci que de dire que le célibat obligatoire dans l’Église latine en est une traduction, même s’il faut reconnaître que les Églises au clergé marié ne sont pas non plus sans problèmes.

Le registre théologique du sacrifice abonde dans le même sens. Que l’on se souvienne de l’expression, aujourd’hui pratiquement disparue, du « saint sacrifice de la messe ». Toutes les religions ont pratiqué des rites sacrificiels – sacrifices végétaux, animaux et même humains. Or, s’il y a sacrifice, il faut des sacrificateurs. Ces « prêtres » (au sens grec du mot hiereus) sont, par ces rites, en contact direct avec la ou les divinités, et ils en deviennent sacrés, car ils ont accès à ce qui échappe à l’homme ordinaire. Notons que, dans le Nouveau Testament, on ne voit jamais Jésus faire des sacrifices, pourtant fréquents dans l’Ancien Testament. S’il va au Temple, c’est pour enseigner (pour prier, il se retirait dans des endroits solitaires)(16).

Au vingt-et-unième siècle, cette culture sacrificielle n’existe plus guère. Nous nous exprimons dans un autre registre symbolique, que l’on pourrait qualifier d’humaniste. Malgré tout, la conception que l’on a du prêtre ne s’en est pas encore totalement affranchie, et le vocabulaire liturgique non plus. Vatican II, sur ce point, n’est pas encore assimilé. Ce Concile distingue le « sacerdoce commun des fidèles » et le « sacerdoce ministériel ». Si, selon le Concile, y a une différence essentielle et non uniquement de degré entre les deux sacerdoces des prêtres, qui est au service du premier, il n’y en n’a pas pour autant une entre les personnes qui sont appelées à ce service et les fidèles. Tous les chrétiens sont sur pied d’égalité en vertu de leur baptême. Or tel est bien le problème du cléricalisme : le prêtre se réduit à sa fonction et s’attribue dès lors un statut sacré. En découle le syndrome de tout pouvoir. Il est urgent de passer d’une logique sacrificielle à une logique fraternelle.

Les prêtres de demain

Ce qui est notamment en jeu avec la raréfaction des prêtres, c’est la fraction du pain en mémoire de Jésus, la messe. Il ne s’agit de maintenir une structure verticale de l’Église, mais de permettre notamment aux communautés chrétiennes des villages oubliés de faire ce geste en mémoire de Jésus car, pour un catholique, il est fondateur. Et ce problème se posera très prochainement pour les communautés urbaines et pour tous les petits groupes qui, comme au temps des catacombes, se réunissent dans des habitations privées. Il ne faudrait pas oublier le droit d’une communauté à l’eucharistie. Le peuple de Dieu est premier et non la hiérarchie.

La question du célibat « obligatoire » des prêtres revient souvent dans les conversations entre croyants. Il ne s’agit pas de supprimer la vocation au célibat, mais d’accueillir plusieurs manières de vivre ce ministère ordonné. L’évêque Fritz Lobinger, que le Pape a lui-même cité lors de l’interview dans l’avion du retour de Panama, plaide pour une mise en place de deux clergés : l’un marié, appelé « corinthien » (selon le modèle pratiqué par saint Paul à Corinthe et dans les communautés qu’il fondait), à temps partiel, issu de la communauté et reconnu par l’évêque, pour animer la fraternité et présider l’eucharistie ; l’autre « paulinien », engagé dans le célibat, œuvrant à temps plein pour conduire les communautés à l’état adulte, faire le lien entre elles, former et animer les prêtres de communauté. J’avoue être séduit.

En termes techniques, il s’agit de permettre l’ordination des viri probati, de personnes dont la maturité a été éprouvée, de prêtres « corinthiens ». Dans ce cas de figure, il ne s’agirait plus d’être prêtre dès le plus jeune âge (c’est d’ailleurs de moins en moins fréquent), mais d’être un jour ou l’autre choisi par la communauté. On retrouverait ainsi le sens profond du mot grec presbuteros : l’ancien. C’est vers la quarantaine ou la cinquantaine, en effet, que l’on serait appelé à ce service – bénévole ou à charge de la communauté –, après avoir mené à bien sa vie conjugale, familiale, professionnelle. La personne élue sera présentée à l’évêque qui confirmera ce choix en lui imposant les mains. L’exigence de formation qui leur serait demandée ne serait évidemment pas la même que celle d’aujourd’hui pour les prêtres à plein temps et pour toujours. Sept années d’étude après les humanités, ce serait disproportionné.

Problèmes particuliers

Des ministres élus. Aux origines chrétiennes, seul pouvait recevoir l’ordination celui qui était appelé par une communauté déterminée. Le lien avec celle-ci était donc essentiel. S’il cessait d’en être le président, il redevenait laïc au sens plein du terme, c’est-à-dire un baptisé comme les autres. C’était d’ailleurs la communauté tout entière qui concélébrait sous la conduite de celui qui la présidait. Avant le concile de Nicée (325), douze pères de familles avaient droit à un président ordonné par l’évêque. Parfois même un laïc était appelé à célébrer l’eucharistie. Il faut attendre le 2e millénaire pour entrer dans un système binaire et voir la dimension ecclésiale de l’eucharistie réduite au célébrant, la dimension communautaire s’estompant. On en vint à parler, au XIIIe siècle, du « caractère » conféré par ce sacrement, c’est-à-dire une marque indélébile, une empreinte quasi ontologique. On pouvait devenir prêtre « à soi tout seul ». « Celui qui doit présider à tous, disait le pape saint Léon le Grand, au Ve siècle, doit être élu par tous. » Ne pourrait-on en revenir, dans nos pays, à une élection des évêques et à un choix des prêtres par les communautés (qui seront de taille plus réduite et donc plus intenses).

Des ministères à temps partiels et temporaires. Ne pourrait-on pas envisager la présidence d’une communauté comme un service temporaire et une occupation à temps partiel ? Si le choix vient de la communauté et que l’accent n’est plus mis sur le « caractère » sacré du prêtre – Tu es sacerdos in æternum —, la réponse peut être positive. À une époque où de nombreux baptisés se forment, il ne devrait pas être difficile de trouver des personnes aptes. Idéalement, il faudra toujours une reconnaissance de l’évêque, un mandat qui manifeste que le prêtre n’est pas seulement l’émanation de la communauté mais aussi un don de Dieu et qu’il relie à l’Église universelle à laquelle chaque membre appartient.

L’ordination des femmes. Question plus délicate que celle-là. Le Nouveau Testament, marque un tournant, faisant une place importante aux femmes. Saint Paul, même s’il parle sur fond d’une culture encore patriarcale, a proclamé haut et clair l’égalité de l’homme et de la femme: « Il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Galates 3, 28). De plus, la première page de la Bible donnait déjà de l’être humain une vision sexuée et pas seulement masculine. Quant à notre culture moderne, elle tend vers l’égalité des sexes.

L’Eglise tient à la différence intrinsèque, et pas seulement culturelle, entre l’homme et la femme. Elle voit dans le fait de réserver la prêtrise aux hommes une cohérence symbolique avec sa conception anthropologique : il n’existe pas un être humain indifférencié, mais deux manières différentes d’être au monde. Or les sacrements se situent dans le registre symbolique et non organisationnel. Le Christ étant historiquement un homme (cela fait partie de la contingence de l’histoire), seul un homme peut agir in persona Christi, à la place du Christ, selon la formule théologique consacrée.

Mais si l’on veut maintenir le dialogue avec la culture moderne et si, de plus, on promeut une conception moins sacrée du prêtre, ordonner les femmes serait un pas en avant dans la ligne du tournant opéré par Jésus. Cela va dans le sens de l’histoire et lèverait une réserve importante de nos contemporains vis-à-vis de l’institution ecclésiale. La première étape sera la réinstauration de diaconesses et la création – puisque tel est le mot – de femmes cardinales, leur donnant ainsi un rôle de conseil du pape et d’élection de son successeur. L’onction des malades ne pourrait-elle pas aussi être donnée par une religieuse, voire — allons plus loin — par le laïc ou la laïque qui visite la personne sur son lit d’hôpital ou à la maison ? Ne doit-on pas desserrer l’étau sacramentel devenu un quasi monopole sacerdotal et masculin (exception faite pour le mariage et le baptême) ? Il me semble que oui.

Conclusions

L’Église, devenue minoritaire, est invitée à quitter l’extensif en vue de l’intensif, à passer de la societas perfecta, qui avait tout en son sein pour ses fidèles, à une « koinonia » fraternelle et solidaire, intensive, où ses membres se ressourcent et tissent des liens chaleureux. Il faudra veiller, bien sûr, à ne pas oublier le coude à coude avec ceux qui n’appartiennent pas à ces communautés, à ne pas privilégier le particulier au détriment de l’universel(17). Ce qui est certain, c’est que l’Église-institution de type paroissial d’il y a moins de 50 ans encore ne fera plus partie de notre paysage dans un temps tout proche. Il faudra créer d’autres lieux pour que l’Évangile puisse encore rencontrer les hommes et les femmes d’aujourd’hui.

Pour les lecteurs non chrétiens qui observent l’évolution de la société, cet article leur apparaîtra comme une description sociologique de l’évolution de l’institution qui a marqué profondément l’histoire de l’Occident. Pour les catholiques, il apparaîtra peut-être comme un coup de massue. Où est l’Église d’antan ? En effet, c’est un changement de cap profond que proposent ces lignes. François, le pape venu du bout du monde, a invité, dès le début de son pontificat, à « abandonner le confortable critère pastoral du “on a toujours fait ainsi”. J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés(18). » Dans ce domaine, il ne faut pas avoir peur de l’éphémère. Ce n’est pas parce qu’une initiative ne dure que quelques années qu’elle n’a pas porté de fruit. Procéder par essai et erreur est humain.

La nostalgie est un immobilisme. Les chrétiens doivent se tourner résolument vers l’avenir tout en restant enracinés dans les intuitions originales du christianisme en ses débuts. Il y va de leur survie dans nos pays. Si Jésus a voulu susciter une communauté de femmes et d’hommes qui vivent de sa Bonne Nouvelle et sont ainsi levain dans la pâte, il n’avait pas envisagé une institution puissante. Sans doute la chrétienté a-t-elle porté des fruits. Il ne faut donc pas la rayer de nos mémoires. Mais tel n'est plus notre étape historique. Les chrétiens sont devenus un « petit troupeau » (Luc 10, 32). Ils ont à trouver leur juste place dans cette société qui, sans le savoir sans doute, attend d’eux un supplément d’âme. Il est temps non de quitter l’Église, mais de sortir des églises. Car l’Évangile est un fameux trésor à partager !

 

 

Charles DELHEZ sj, mai 2019

 

Si nous ne sommes pas comme les premiers chrétiens, nous serons les derniers.

Christine PEDOTTI

 

 

(1) Marcel GAUCHET, Chrétiens, tournez la page, Entretiens avec Yves de Gentil-Baichis. Bayard, 2002, p. 79 (retour)
(2) On peut distinguer la sécularisation objective, ou laïcisation des institutions, et la sécularisation subjective, ou effacement culturel de la religion. (retour)
(3) Voir Joseph MOINGT, Revue Études, « Pour un humanisme évangélique », octobre 2007. L’expression est certes risquée, car elle peut paraître soit réduire l’Évangile à un humanisme sécularisé, soit vouloir récupérer le second dans les eaux du christianisme, mais voulant éviter par là un communautarisme qui rendrait l’Église incapable de communiquer avec le monde moderne. (retour)
(4) Arnaud JOIN-LAMBERT, Nouveaux lieux ecclésiaux pour régénérer l’Église en Europe, dans Études, mars 2019, p. 79-90. Merci à lui pour sa réflexion stimulante. (retour)
(5) Danièle HERVIEU-LÉGER, Le temps des moines. Clôture et hospitalité, Paris, PUF, 2017. (retour)
(6) « Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne n’est pas donnée à lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir » (Vatican II, Gaudium et Spes, § 16). Le concile ajoute que cette conscience est « le sanctuaire où (l’homme) est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre ». (retour)
(7) Luc, chapitre 22, 24-27. (retour)
(8) Le pape Grégoire VII, 1073-1085. (retour)
(9) Le sommet de cette « dérive monarchique » (Henri Tincq) fut sans doute le concile Vatican I qui proclama l’infaillibilité pontificale, mais sans faire l’unanimité. Cette « societas perfecta » ne doit-elle par faire place un une « koinonia solidaire » ? Voir plus bas. (retour)
(10) En Belgique, 45 657 baptêmes en 2010 ; 33 875 en 2016. 239 adultes ont reçu le baptême à Pâques 2019, dix de plus que l’année précédente. (retour)
(11) Le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, Primat des Gaules, condamné en mars 2019 pour la gestion du dossier d’un prêtre pédophile, l’abbé Preynat. (retour)
(12) Correspondance privée. (retour)
(13) Le vocabulaire autour du prêtre est varié : président de l’assemblée, ministre ordonné, état sacerdotal, presbytérat, Anciens… Nous n’entrerons pas ici dans les nuances. (retour)
(14) Joseph MOINGT, Faire bouger l'Église catholique, Desclée de Brouwer, 2012, p. 65. (retour)
(15) Deux entrées au séminaire en francophonie cette année, 3 séminaristes pour les 7 ans de formation sacerdotale à Malines-Bruxelles, et 4 à Liège… (retour)
(16) L’épître aux Hébreux reprendra ce vocabulaire, mais précisément pour montrer que le don de Jésus sur la croix peut être compris comme un dépassement du sacrifice de l’Ancien Testament. Si ce texte utilise ce registre, c’est pour rejoindre ses lecteurs encore marqués par la théologie sacrificielle. (retour)
(17) Voir la distinction faite par Max Weber (1864-1920) et Ernst Troeltsch (1865-1923) entre le « type Église », extensif, caractéristique de la chrétienté, et le « type secte », intensif. Le danger de ce deuxième type est bien sûr l’oubli du monde dans lequel on se trouve. (retour)
(18) François, Evangelii Gaudium, 2013, n° 33. (retour)
6 juillet 2019 6 06 /07 /juillet /2019 08:00
bateau lpc De la prêtrise à l’abandon des doctrines de Roger Sougnez (Editions GOLIAS)
Un livre décoiffant et interpellant préfacé par Jacques Musset
De la prêtrise à l’abandon des doctrines de Roger Sougnez (Editions GOLIAS)

Un prêtre, croyant convaincu au début de son ministère, relate dans ce livre, le cheminement qui l’a mené à l’abandon des croyances religieuses. Ses recherches entreprises, dans un souci de vérité, pour justifier sa foi, lui firent découvrir que l’Eglise catholique n’était pas la représentante de Dieu et que beaucoup de ses doctrines n’étaient plus recevables.

Il pense participer au comblement d’un vide car si des livres écrits par des prêtres remettent en question bien des positions de l’Eglise, il n’en connaît pas qui montreraient de façon détaillée et systématique, pourquoi des dogmes aussi fondamentaux que la divinité de Jésus, la Trinité, Marie mère de Dieu, le Péché Originel, l’Au-delà … et d’autres sujets importants ne sont pas crédibles et que toute tentative de réinterprétation serait illusoire.

Conscient de la difficulté, pour des chrétiens qui se posent des questions, d’avoir accès aux informations qui leur permettraient de se faire une opinion personnelle, il croit leur rendre service en fournissant une documentation honnête et critique et des considérations habituellement tues. Il veut bannir la langue de bois et les développements alambiqués.

Il montre également que le monumental catéchisme de l’Eglise catholique, promulgué par le pape Jean-Paul II en 1992, est un échec, une contre-valeur ; il n’est pas fiable car il se contente de retransmettre un enseignement traditionnel anachronique qui n’est plus crédible aujourd’hui. Il comporte de nombreux articles invraisemblables parfois même aberrants et des conceptions archaïques inacceptables.

L’auteur, né en 1927, ordonné prêtre en 1955, a exercé son ministère dans une paroisse puis, pendant 25 ans, professeur d’Ecole Normale Moyenne, il a été chargé du cours de religion et surtout de la formation d’enseignants de religion. Depuis 1987, il a cessé toute fonction sacerdotale.

Une critique radicale du catholicisme institutionnel

"Prêtre catholique, j'ai voulu m'assurer de la solidité de mes croyances. J'ai entrepris de rigoureuses recherches qui m'ont amené à prendre progressivement conscience que, contrairement à ce qu’elle a toujours prétendu, l'église catholique n’est pas la représentante de Dieu, que beaucoup de positions de cette institution simplement humaine sont erronées, non crédibles et qu’on devrait lui reprocher des comportements gravement répréhensibles.

Pensant que mes investigations, arguments et conclusions pourraient être utiles à des chercheurs de Vérité, j'ai écrit ce livre, fruit d'une vie de recherche : "De la prêtrise à l’abandon des doctrines", une critique approfondie du catholicisme dont la radicalité dépasse largement les ouvrages contestataires habituels des théologiens catholiques.

Je passe en revue, sans langue de bois, sans raisonnements alambiqués, tout en m’efforçant de demeurer nuancé, la quasi-totalité des principaux dogmes et positions essentielles du catholicisme, comme la divinité de Jésus, la Rédemption, la Trinité, Marie mère de Dieu, le péché originel, les sacrements et des prises de position morales inacceptables, et j’explique, pourquoi à mes yeux, ils ne sont pas crédibles.

Je fournis des arguments parfois inédits et je dépasse le cadre purement catholique pour parler de Dieu et des religions. Je fournis aussi beaucoup de textes importants, peu ou pas connus, qui invitent à la réflexion et qui permettent aux lecteurs de se forger une opinion fondée.

Je montre également que le "Catéchisme de l'Eglise catholique", imposant condensé de l’enseignement officiel de l’Eglise promulgué par le pape Jean-Paul II en 1992, comporte beaucoup trop d’articles non crédibles. C'est un fiasco !

Mon livre peut se révéler utile lors de débats concernant les problèmes fondamentaux humains et religieux.

Si des associations chrétiennes hésitent à citer et utiliser un livre qui critique aussi radicalement leur religion et leurs croyances, on pourra leur reprocher leur manque d’objectivité et, de toutes façons, ce qui est dénoncé ici sera tôt ou tard, sinon admis par tous, du moins connu de tous. On ne demande pas au lecteur d'approuver toutes les positions de l'auteur mais il peut tirer profit de certaines argumentations et réflexions pour remettre en question ce qui doit l’être en tenant compte de la réalité. Il pourra arriver à des convictions personnelles justifiées et solides au lieu de se bercer d’illusions.

Grâce à sa conception bien structurée, il est aisé de se baser sur certaines parties du livre pour alimenter un débat sérieux au sein de groupes de recherche. "

Roger Sougnez

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19 janvier 2019 6 19 /01 /janvier /2019 09:00
Jacques Musset Eloge de la prise de risque en christianisme - 7
Jacques Musset

7° La prise de risque des chrétiens de base dans la crise actuelle de l'Eglise romaine

Souvent les chrétiens catholiques de base se sentent impuissants face au visage institutionnel que leur donne leur Eglise, repliée sur ses dogmes, ses langages figés, sa morale et son organisation hiérarchique qui détient le pouvoir absolu. Ils ont le sentiment de se heurter à du béton. Un certain nombre s'en sont retirés sur la pointe des pieds sans abandonner pour autant de porter intérêt à Jésus, et le mouvement se poursuit. D'autres continuent à travailler de l'intérieur à sa rénovation sans se faire trop d'illusion sur sa mutation nécessaire. D'autres encore sans lien avec l'Eglise hiérarchique ou en conservant avec elle des liens ténus s'efforcent au nom de leur passion pour l'Evangile de l'actualiser dans leur vie personnelle et dans leur existence sociale. Ils estiment qu'ils sont autant l'Eglise que le pape, les évêques et les prêtres ainsi que les fidèles – de moins en moins nombreux, il est vrai -, qui les suivent sans se questionner.

Comment s'y prennent-ils ces chrétiens de base pour demeurer disciples de Jésus sans se complexer ni se culpabiliser de prendre des chemins de traverse ? Quand les échafaudages ( le système catholique) sur lesquels ils s'appuyaient auparavant se révèlent déficients par rapport à leurs attentes, il leur faut se prendre en charge, persuadés qu'au coeur de leur Tradition, encombrée de tas de revêtements inutiles et insignifiants, empilés au cours des siècles, il s'agit de rejoindre la Source qu'est Jésus de Nazareth pour s'en nourrir et en vivre.

1° Travailler les textes évangéliques

Les uns se mettent seul ou à plusieurs à travailler les textes évangéliques pour retrouver la figure historique du nazaréen qui a été occultée par des qualificatifs glorieux et divins qui lui ont été données dès les premiers siècles par la doctrine officielle : Fils unique de Dieu né du Père avant tous les siècles, seconde personne de la Sainte Trinité, sauveur et rédempteur de l'humanité pécheresse, souverain prêtre, etc.. Mais les évangiles eux-mêmes doivent être décodés car ils ne sont pas des reportages en direct sur Jésus, mais les expressions diverses de la foi des premiers chrétiens sur Jésus exprimées dans des langages et des formes littéraires dont le sens n'a rien d'évident pour les hommes et femmes modernes. La preuve, c'est que des pans entiers des évangiles, lus d'une manière littérale, peuvent à bon droit les intriguer spontanément voire leur paraître invraisemblables ( les récits de l'enfance de Jésus, les récits de miracles, ceux des apparitions de Jésus ressuscité qui défient les lois de la nature...). Des ouvrages sérieux, vulgarisant les travaux de l'exégèse ( étude des textes) depuis plus de deux siècles ne manquent pas. Ils permettent de s'approprier pas à pas le Jésus historique à travers les professions de fois évangéliques des premières communautés chrétiennes. Ils donnent des clés indispensables pour percevoir à travers ces relectures croyantes de l'événement Jésus non pas une biographie du nazaréen ( c'est impossible) mais ce qui a été sa vie, son enseignement et sa pratique libératrice, les enjeux sur lesquels il a engagé courageusement son existence au nom de son Dieu, les conflits qu'il a suscités et qui ont entraîné son élimination(1).

Le visage du galiléen qui affleure alors est celui d'un homme libre, soucieux d'authenticité, refusant modes et compromissions, profondément intériorisé, habité par la parole vive et tranchée des prophètes, défendant bec et ongles l'honneur de son Dieu sali par le légalisme et le ritualisme, l'hypocrisie et le mensonge, la peur et l'égoïsme, autant de sources d'oppression, de mépris, de rejet vis à vis d'hommes et de femmes marginalisés à cause de leur conduite, de leur maladie, de leur pauvreté, de leur métier, de leur statut social et religieux... Ce Jésus-là a de quoi inspirer et dynamiser aujourd'hui celles et ceux qui sont lassés des propos convenus, pieux et aseptisés.

2° Travailler sur l'histoire du christianisme

D'autres également seuls ou en groupe, conscients de l'immense fossé entre ce que fut Jésus et ce qu'on a fait de lui depuis 20 siècles, veulent comprendre comment on en est arrivé là. Ils se livrent à un travail historique leur permettant de prendre conscience de la relativité de la doctrine et de l'organisation catholique actuelle qui prétendent exprimer la Vérité sur Jésus et sur son Dieu. Cette doctrine et cette organisation sont en effet le fruit de maintes élaborations qui ont commencé dès la disparition de Jésus et qui se sont poursuivies au cours des siècles, chacune essayant dans son contexte culturel de donner sens à l'événement Jésus.

En voici une très rapide évocation. Dès le départ, les premiers chrétiens ont présenté Jésus en fonction de leur culture religieuse juive, de leurs attentes spirituelle, de leurs problèmes communautaires. Cela a donné les textes du Nouveau Testament, dont les évangiles. On n'y atteint pas Jésus en direct mais un Jésus toujours situé, celui de la foi de disciples. Il y a autant de visages de Jésus qu'il y a de textes. Chaque évangile est une interprétation originale de Jésus. A partir de là, le christianisme s'établissant dans des régions de culture grecque, les chrétiens de ces contrées ont interprété les textes du Nouveau Testament à travers le prisme de leurs représentations (l'homme est une âme et un corps) et à travers leurs concepts (par ex. ceux de personne, de nature et de substance qui n'ont pas le sens que nous prêtons aujourd'hui à ces mots). Il en est résulté des dogmes définis lors des premiers conciles aux IVème et Vème siècles, considérés comme Vérité divine et s'imposant à tous les chrétiens, y compris par la force. De là datent les affirmations grandioses sur l'identité de Jésus, Dieu et homme, sur Dieu Trinité, sur le Saint Esprit, 3ème personne de la Sainte Trinité. Ce socle dogmatique étant posé, malgré bien des dissensions entre évêques, les siècles suivants jusqu'à nos jours l'ont répété et développé(2). On en a déduit de nombreuses considérations sur L'Eglise, les sacrements, les ministères en en attribuant indûment la paternité à Jésus et en les référant à une volonté divine. Ainsi, les ministères actuels que sont l'épiscopat, le sacerdoce ont été mis en place dans les premiers siècles. Les sept sacrements sont apparus au XIIIème siècle.L'infaillibilité du pape a été définie au XIXème siècle. On peut multiplier les exemples en lisant le Catéchisme de l'Eglise Catholique promulgué par Jean-Paul II en 1992. La doctrine qui y est présentée et déclarée normative est le résultat de ces élaborations successives qui se sont ajoutées et surajoutées les unes aux autres et qui ont été sacralisées alors qu'elles n'étaient que des expressions relatives de l'événement Jésus dans un contexte particulier qui n'est plus le nôtre(3).

3° Qui est Jésus de Nazareth ?

De ce travail découle la nécessité de revenir à la source du christianisme qu'est Jésus de Nazareth, dont le mouvement de l'existence est si éloigné de la doctrine catholique actuelle. C'est un nouveau chantier qui s'ouvre. Qui était Jésus de Nazareth, quels furent ses engagements, sur quoi a t-il misé sa vie, à quel Dieu se référait-il ? Résumons ses convictions et sa pratique qui se situent dans la ligne des prophètes qu'il a affinée, approfondie, universalisée. Pour lui, le vrai culte rendu à Dieu ce n'est pas le simple respect scrupuleux des prescriptions légales ni l'accomplissement des rites formels, c'est d'abord la relation juste avec autrui, notamment celui qui est marginalisé, oublié, rejeté, laissé pour compte, c'est la recherche d'authenticité dans ses propres intentions et actions, c'est le souci de cohérence entre son dire et son faire. Prière, recueillement et rite sont au service de cette manière de vivre(4). Ainsi le Dieu de Jésus n'est pas un Dieu religieux, son lieu est avant tout « le plus humain de l'homme », selon la belle expression de Maurice Bellet. En proclamant quelque temps après la mort de Jésus que Dieu l'avait ressuscité, ses apôtres affirmaient que leur maître loin d'être le fossoyeur de la religion était le témoin exemplaire du Dieu invisible et innommable et que son témoignage était chemin de la vraie vie pour quiconque s'en inspirerait.

4° Comment actualiser l'esprit de Jésus aujourd'hui ?

Mais la question rebondit : s'il faut revenir à la Source qu'est Jésus, comment actualiser son enseignement et sa pratique dans notre contexte actuel de sorte que cette actualisation soit crédible pour nos contemporains en recherche de sens ? C'est encore l'enjeu d'une réflexion de fond. Il ne s'agit pas en effet de reproduire tel quel ce qu'a vécu Jésus. Les disciples de Jésus ne vivent pas dans le même monde ni dans la même culture ni avec les mêmes représentations que lui. Il s'agit pour eux de s'inspirer de l'esprit qui l'animait en profondeur et de le traduire, personnellement et socialement, d'une manière créative et inédite dans le monde qui est le leur, en paroles et en actes, y compris dans leur manière de célébrer. Cette démarche exigeante qui ne se contente pas de répéter mais d'inventer est une prise de risque dont ils ne peuvent pas se dédouaner sans se trahir. C'est la responsabilité des disciples de Jésus et de chacun d'eux là où il vit, même s'ils doivent se souvenir que Jésus n'appartient à personne. Hors communauté chrétienne, des hommes et des femmes de toutes croyances ou sans croyances religieuses s'inspirent et s'inspireront toujours, consciemment ou non, des valeurs qu'ils a promues et qui correspondent aux valeurs humaines les plus fondamentales. Celles de notre monde occidental sécularisé ne sont-elles pas pour une part d'origine judéo-chrétienne ?(5)

5° Comment parler du Dieu de Jésus aujourd'hui ?

Une autre interrogation surgit encore dans la tête et la conscience de ceux qui se réclament de Jésus. Comment parler aujourd'hui du Dieu dont il se réclamait ? Dieu est un mot usé, qu'on a mis à toutes les sauces, récupéré en tous sens, et dont les définitions du catéchisme que bien des gens ont encore en tête jouent un rôle de repoussoir. Pour Jésus, son Dieu était la Source intime de ses exigences intérieures qu'il traduisait en engagements pour la cause de l'homme. Pas plus que Jésus, ses disciples d'aujourd'hui comme d'hier n'ont accès directement à ce Dieu qui nous inspire au plus intime de nous-mêmes sans nous déresponsabiliser. Comment témoigner de Lui en notre temps(6) ? C'est une question fondamentale que les disciples de Jésus en recherche ne peuvent éviter. La réponse, n'est-ce pas de s'impliquer à sa manière dans la promotion de l'humain le plus humain en soi-même et au bénéfice des autres dans le cadre de son existence quotidienne ? A travers l'expérience du don, du dépassement de son ego, du refus des préjugés, de l'ouverture de soi aux autres, qui se traduisent par des choix et des engagements positifs, n'est-ce pas là le lieu où il est possible de reconnaître en soi une mystérieuse Présence inspirante ? Cette reconnaissance ne s'impose à personne. Elle est de l'ordre de la foi . En tout cas elle n'est jamais détachable pour les chrétiens d'une expérience d'humanité vécue dans l'authenticité. Cette expérience leur est commune avec tous les humains qui s'efforcent de vivre en vérité. Là se joue pour tous, croyants ou non, la valeur de leur propre existence.

6° Conclusion.

Telles sont aujourd'hui pour ceux qui se prétendent disciples de Jésus quelques exigences nées de leurs questionnements d'hommes et de femmes modernes en vue de s'approprier personnellement le souvenir vivant de Jésus et de le traduire dans leur propre existence en toutes ses dimensions. Ces exigences sont interdépendantes et se renvoient l'une à l'autre nécessairement. Dans la pratique, les parcours peuvent être différents, mais chemin faisant ils renvoient aux interrogations fondamentales. L'enjeu en tout cela est de devenir des chrétiens libres et responsables, capables de rendre compte de leur foi d'une manière crédible et d'abord à leurs propre yeux, le reste étant donné par surcroît. Vue utopique ? Non, ces démarches sont déjà vécues avec ou sans pignon sur rue. Par ailleurs ceux qui y sont engagés n'ont pas la prétention de vivre l'aventure évangélique dans sa pureté et son intégralité ( c'est de toute façon irréalisable) ; ils font leur la phrase du poète René Char : « L'impossible nous ne t'atteignons pas, mais il nous sert de lanterne ».

Jacques Musset

(1) Jésus de Nazareth, Jacques Schlosser, Noésis, 1999 ; Sauver la Bible du fondamentalisme, John Shelby Spong, Karthala, 2016 ; La résurrection, mythe ou réalité ? John Shelby Spong, 2016 (retour)
(2) Sommes-nous sortis de la crise du modernisme ? Enquête sur le XXème siècle catholique et l'après-concile Vatican II, Jacques Musset, Kathala, 2016 (retour)
(3) L'Eglise, Hans Küng, DDB, 1968 (retour)
(4) Jésus, Hans Küng, Seuil, 2014 ; Jésus, approche historique, José Antonio Pagola, Cerf, 2013 (retour)
(5) Jésus pour le XXIème siècle, John Shelby Spong, Karthala, 2013 ; (retour)
(6) L'ultime secret, Gérard Bessière (158, La Grave, 46140, La Grave) ; Repenser Dieu dans un monde sécularisé, Jacques Musset, Karthala, 2015 (retour)
12 janvier 2019 6 12 /01 /janvier /2019 09:00
Jacques Musset Eloge de la prise de risque en christianisme - 6
Jacques Musset

6° Le problème actuel du catholicisme institutionnel : les refus de prendre le risque de la fidélité créatrice

Nous avons vu que le refus de prendre des risques est quasi congénital dans l'Eglise catholique considérée comme institution religieuse. Où en est-on plus spécialement aujourd'hui et sur quels sujets se manifestent les blocages l'empêchant d'actualiser le témoignage de Jésus dans le monde du XXIème siècle ?

1. Le blocage principal : la prétention à détenir la Vérité

Cette prétention à détenir la Vérité, nous l'avons vu, est pourtant relative aux temps et aux cultures où elle a été élaborée. Le catholicisme romain campe cependant sans complexe sur cette revendication dans ses documents les plus officiels. Pour ne parler que des plus récents, les textes du Concile Vatican II (1962-1965), le Catéchisme de l'Eglise catholique de Jean-Paul II (1992) et maintes déclarations des papes et de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi depuis une cinquantaine d'années.

Que dit par exemple le Concile dans l'un de ses textes les plus fondamentaux(1) ? L'Eglise catholique est la véritable Eglise voulue par le Christ, affirme le texte . « Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste,[...] bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui [...] portent par eux-mêmes à l’unité catholique. » Comment cette affirmation peut-elle être acceptable par les autres Eglises chrétiennes qui se voient frappées d'incomplétude dans leur témoignage chrétien par l'Eglise romaine ? Elle ne peut être ressentie que comme arrogante et discriminante. C'est ce que ressentent les communautés protestantes auxquelles est refusé le titre d'Eglises. Quant aux religions non-chrétiennes, les valeurs qu'on leur reconnaît ne le sont qu'en fonction de la Vérité plénière revendiquée par le catholicisme. Les valeurs des non-chrétiens sont au plus « un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes ». Il leur manque ce dont le catholicisme dispose en plénitude. Les recherches plus récentes de certains théologiens ont essayé de concevoir autrement la diversité religieuse. Mais la conception officielle actuelle campe cependant sur celle de Vatican II.

2. Les contenus immuables de la Vérité catholique

Enumérons maintenant plus précisément certains points particuliers de cette Vérité catholique romaine considérés comme immuables mais cependant sujets à caution.

- La définition dogmatique de Dieu comme Trinité de personnes dont on est censé connaître la vie intime pose problème. Reconnaître qu'il ne s'agit que d'une représentation née à un moment donné est concevable mais absolutiser une telle affirmation est inacceptable, car la réalité de Dieu désigne un mystère que nul ne peut sonder. Les références bibliques et évangéliques pour fonder ce dogme ne sont pas recevables. Elles sont interprétées indûment. Par ailleurs la conception de ce Dieu qui mène les événements du monde, qui « prédestine » ceux qui deviendront disciples de Jésus, qui envoie son Fils unique dans le monde puis l’Esprit-Saint au moment fixé par lui, qui convoque de toute éternité les croyants dans l’Église, donne l’impression que le destin du monde et des individus est fixé d’avance et qu’il ne s’agit pour eux que d’y adhérer. Comment un individu moderne, conscient que l’histoire commune et singulière des hommes dépend de mille aléas sans être complètement conditionnée, peut-il faire sienne cette représentation ?

- Le Jésus de la doctrine conciliaire est fortement hors sol et désincarné . Le texte fait en effet l'impasse sur la manière très concrète dont Jésus a vécu et à travers laquelle il s'est manifesté le témoin du Dieu dont il se réclamait. On le présente principalement comme le Fils unique de Dieu, envoyé par son Père pour accomplir sa volonté, inaugurer le Royaume sur la terre et effectuer la rédemption des hommes par le sacrifice de la croix. Comment un propos pareil peut-il être significatif pour des chrétiens et des humains du 21ème siècle ? Le coeur du christianisme se dit dans l'aventure de l'homme Jésus au sein du judaïsme de son temps perverti par le ritualisme et le moralisme. C'est son comportement qui lui a valu d'être mis en procès et exécuté. Et c'est sa conduite courageuse et authentique qui a fait dire à ses apôtres et disciples quelque temps après sa mort qu'il était en réalité à leurs yeux le messie ( l'envoyé) de Dieu inaugurant par ses paroles et ses actes le royaume, le monde nouveau... N'est-ce pas cette approche qui aujourd'hui peut rendre crédible le témoignage de Jésus ? On affirme également que Jésus le Christ est l' unique médiateur entre Dieu et les hommes. Cette affirmation catégorique n'est-elle pas totalitaire en prétendant qu'il n'y a de chemin vers Dieu que par le Christ ? Que peuvent penser de cette prétention les membres de religions non chrétiennes ? N'est-ce pas irrespectueux à l'égard de la démarche religieuse qu'ils professent ? Quant à ceux qui ne réfèrent pas à un Dieu pour donner sens à leur existence peuvent-ils admettre ce qui ressemble à un embrigadement ? Cette conception globalisante ne mérite-t-elle pas d'être repoussée ? Toutes les affirmations dogmatiques sur Jésus sont justifiées par une foule de références bibliques de l'Ancien et du Nouveau Testament. Mais ne leur fait-on pas dire infiniment plus qu'elles ne disent dans leur contexte originel ?

- L' organisation hiérarchique de l'Eglise romaine est sacralisée. La véritable Eglise voulue par le Christ est, dit le concile, « gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui […] C’est là l’unique Église du Christ, dont nous professons dans le symbole l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité ». En fait, l'exégèse des textes bibliques montre que Jésus n'a voulu ni fonder une Eglise ni institué une hiérarchie religieuse(2). Si le concile Vatican II a remis en honneur la conception antique de l’Eglise comme communauté des chrétiens et a affirmé en conséquence que les ministères n’ont de raison d’exister que pour être au service de la vitalité du peuple chrétien, il reste que derrière ces déclarations généreuses les vieilles idées sont restées quasi-identiques : évêques et prêtres sont des êtres à part, sacralisés, identifiés au Christ, dépendant directement de lui et continuant à exercer les mêmes pouvoirs par délégation . On objectera que des organes de concertation ont été mis en place, comme les synodes, mais pour toutes les questions fondamentales les décisions reviennent au pape. Les choses sont bien verrouillées.

- La doctrine sur les sacrements est elle aussi discutable. Contrairement à ses affirmations, Jésus n'a pas institué les sacrements(3). Par ailleurs l'insistance sur l'efficacité des rites correctement posés n'est pas loin d'une conception matérialiste voire magique. Ainsi, par exemple, la prescription récente de Rome imposant aux Eglises du monde entier l'emploi dans la célébration de l'Eucharistie du pain azyme avec gluten !

- Le refus d'égalité de la femme et de l'homme dans l'exercice des responsabilités ecclésiales majeures est constamment répété. Les arguments sont piteux. Jésus, dit-on, n'a appelé que des hommes comme apôtres ; lui même étant un homme, seul un homme peut le représenter dans l'exercice des sacrements. On est ici dans logique de la répétition et de l'imitation servile et non dans celle de la recréation. Il y a des dizaines d'années que les Eglises anglicanes et protestantes ont réparé cette injustice(4).

- Enfin l'entêtement de Rome sur les positions concernant la morale et notamment la morale sexuelle n'est pas entamée. Elle affirme toujours l'existence d'une loi naturelle d'origine divine « éternelle, objective et universelle. ». Selon cette loi naturelle, sont refusés le divorce, la contraception, l'avortement ; le mariage homosexuel, la procréation médicale assistée pour les couples éthéro comme homosexuels, l'euthanasie. Nombre de couples chrétiens catholiques depuis le concile n'attendent plus rien de leur Eglise en ces domaines. Ils prennent leur responsabilités en leur âme et conscience.

3. Conséquences

L'Eglise catholique actuelle dans son aspect institutionnel ( doctrine et organisation hiérachique) est largement « exculturée » selon l'expression de la sociologue des religions Danièle Hervieu-Léger . Alors que la vocation de chaque Eglise est d'actualiser, en son temps et dans sa culture, l'enseignement et la pratique libératrice de Jésus, non pas en la répétant telle quelle ou en répétant telle actualisation du passé mais en la recréant dans les conditions nouvelles de son époque, le catholicisme romain d'aujourd'hui, comme d'hier d'ailleurs, ne s'y autorise pas. C'est la peur d'être infidèle à l'héritage de Jésus qui la fait s'accrocher aux conceptions, aux langages et aux formes d'antan. Mais n'y a-t-il pas pire infidélité que la reproduction sacralisée d'un passé qui n'est plus ? La grande question des christianismes en notre XXIème siècle et pas uniquement du catholicisme n'est-ce de se demander : comment vivre une véritable fidélité à ce que fut Jésus et à l'esprit qui l'animait dans le monde et les cultures actuels ?

Jacques Musset

(1) Lumen Gentium §8 (retour)
(2) Mon livre : Etre chrétien dans la modernité, Golias, 2012, chapitre 15 (comment sont nés les ministères actuels) (retour)
(3) Idem, chapitre 14 (retour)
(4) Mon livre : « Sommes nous sortis de la crise du modernisme, Karthala, 2016, pages 199 à 204 (retour)