Dans notre Occident sécularisé, la tradition chrétienne catholique en particulier semblait avoir réussi, au 20ème siècle, dans la dynamique du Concile Vaticant II, à restaurer la centralité de l'eucharistie dans la vie des fidèles. Pourtant, depuis, ce pilier de la vie ecclésiale semble de nouveau fragilisé, pour diverses raisons. L'une des raisons invoquées est, bien sûr, la raréfaction des ministres ordonnés, seuls habilités à célébrer ce rituel. Mais la raison la plus profonde, rarement évoquée, pourrait être que ce rituel, dans son état actuel, est chargé de tout un univers symbolique sans plus aucun relais dans la culture en gestation…
La question abordée par André Gounelle, concernant la fréquence, ou même la disparition de cette célébration dans les divers courants du christianisme issus de la Réforme du 16ème siècle peut-elle, comme le laisse entendre la question de Karl Barth à Yves Congar, trouver sa réponse dans le Nouveau Testament ?
Un appel dépassé à l'autorité scripturaire ?
"Comment pouvez-vous accorder tant d'importance à l'eucharistie, alors que, dans le Nouveau Testament, elle occupe si peu de place ?"
Posée ainsi, la question n'est-elle pas symptomatique d'une certaine conception et d'un certain usage de l'Ecriture ?
En effet, à l'époque où s'est forgée la culture "réformée", on pouvait encore croire que les "Saintes Ecritures" étaient, seules (Sola Scriptura), la norme de la foi et de la vie de l'Eglise et que la "tradition", forcément postérieure et aléatoire, devait se soumettre à son impartial et infaillible jugement…
Depuis, les historiens et les exégètes ont mis à jour cette évidence : les Ecritures, juives comme chrétiennes, ne sont souvent que la "mise par écrit" de "traditions", de croyances et d'usages antérieurs à leur rédaction. D'une certaine manière, on a découvert, bien après la Réforme, mais sans doute grâce à elle, que dans leur rédaction, les Ecritures puisent leur crédibilité dans leur fidélité aux traditions, aux croyances et aux pratiques dont elles peuvent se réclamer, et inversement.
Une "pratique" qui s'impose aux "Ecritures"…
La question de Karl Barth reste pertinente : "Comment, en effet, se fait-il que, malgré seulement quatre brèves références scripturaires explicites aux gestes traditionnels posés par Jésus, et aux paroles qu'on lui prête à cette occasion, la célébration du « repas du Seigneur » ait pris de telles proportions dans la pensée, la vie cultuelle et la structuration de l'Eglise ?"
Or, du point de vue exégétique, ce qui saute aux yeux dans cette affaire n'est pas d'abord qu'il n'y ait que quatre brefs passages du Nouveau Testament qui évoquent explicitement l'initiative de Jésus lors du dernier repas. Au contraire, ce que retiennent les spécialistes, c'est que les 3 synoptiques et Paul (qui écrit plusieurs longues années avant toute rédaction connue des évangiles) soient unanimes à rapporter cette "tradition". Le témoignage de Paul semble bien apporter la preuve que le "repas du Seigneur", ritualisé autour du pain et du vin, faisait déjà partie de la vie cultuelle des communautés qui l'ont accueilli après sa conversion.
Il apparaît donc bien que ce n'est pas le Nouveau Testament, dans ses diverses traditions, qui a imposé ou "légalisé" cette pratique, mais bien plutôt cette pratique, déjà ancienne parmi les disciples du Messie crucifié, qui s'est imposée au témoignage unanime des auteurs néotestamentaires, à commencer par Paul, quelques vingt ans seulement après la mort du Seigneur.
Un rituel bien établi, mais pour dire quoi ?
L'exposé d'André Gounelle surprend un peu : il ne semble faire aucun lien entre la place que tient la Cène ou l'Eucharistie dans la vie des églises et le sens, la portée théologique et spirituelle que la Communauté ecclésiale a pu attribuer à ces actes et ces paroles du Maître.
Historiquement, il ressort de Mt 26, 26-27 ; Mc 14, 22-23 ; Lc 22, 19-20 ; 1 Co 11, 24-25, que, lors du dernier repas communautaire juif pris avec ses disciples, Jésus a utilisé les habitudes rituelles de ces repas, sur le pain, au début, puis sur la "coupe de bénédiction" à la fin, pour les charger, semble-t-il, d'une symbolique nouvelle, en relation avec sa personne, sa mort prochaine, le sens de sa mission et les temps à venir.
Mais la place qu'ont pris ce rite et son développement futur ne sont-ils pas directement liés au développement des "christologies" et aux conjectures doctrinales sur le "comment" du "salut", la nature et le rôle de la Communauté des disciples ?
Comme le souligne le pasteur André Bardet (1), si "le Nouveau Testament est pauvre en indications sur le déroulement de la célébration, en revanche, il est d'une extrême richesse en ce qui concerne le sens de la célébration : une multitude de significations attachées à une seule simple action."
Ce constat se vérifie dès la lecture des quatre "versions" du même fait proposées par le Nouveau Testament. Dans leur ouvrage collectif, C. Grappe et A. Marx (2) confirment que ces formulations nous viennent, déjà, d'usages liturgiques où "les paroles ont pu évoluer (…), chaque transformation et chaque développement illustrant la manière dont la tradition a été à la fois reçue, interprétée et comprise, dans un milieu ou par un auteur donné."
Pain et vin, symboles d'un "sacrifice" qui sauve ?
Ces deux mêmes spécialistes estiment que si Jésus agit et s'exprime comme il le fait, c'est sans doute dans un contexte juif où les "offrandes végétales" (le pain et le vin) tendaient à devenir le support du culte et à se substituer aux sacrifices sanglants dans les milieux "hétérodoxes" (esséniens, baptistes et autres) qui, à son époque, prenaient leur distance à l'égard du Temple. Selon eux, par son rituel de "consécration" à Dieu, "l'offrande végétale (…) s'apparente aux sacrifices sanglants" et peut se substituer à leurs diverses fonctions : "… sacrifices appelés « de réparation », « pour le péché » et « sacrifice de communion »". Et d'ajouter : "En prononçant une parole sur le pain et une autre sur le vin, Jésus privilégie des aliments qui se trouvent au cœur même du rite de communion le plus abouti du culte d'Israël…"
Pour ces auteurs, "… Il est indéniable que par ces deux paroles, Jésus donne un sens et une portée au don qu'il fait de sa propre vie. Il est clair, aussi, que son geste a été relu dans des catégories sacrificielles." Et là, on est certainement au cœur du problème !
Par exemple, la version actuelle de Matthieu parle explicitement d'un sang "répandu… en vue de la rémission des péchés". Il est bien difficile de ne pas voir là une assimilation (et substitution ?) de la mort de Jésus aux anciens rituels sacrificiels du Temple. Et des expressions telles que "sang … répandu pour une multitude (Mc)" ou "… répandu pour vous (Luc)" relèvent probablement d'une lecture identique… même si elle n'était pas forcément présente au départ dans les propos de Jésus (ce que nous ne saurons jamais !).
Un rituel "fondateur" de la communauté nouvelle ?
Dans la deuxième moitié du 1er siècle où l'on verra apparaître la plupart des documents constituant le Nouveau Testament, beaucoup de choses ont bougé dans la vie et la pensée des communautés de disciples : les générations ont passé sans que le "Seigneur" ne soit revenu, ni le "royaume" survenu, ni son peuple "converti", et le monde environnant ne s'est guère amélioré… Les adeptes du Messie-Jésus sont minoritaires, leurs relations avec le monde juif sont tendues, et avec le paganisme de l'Empire, ambiguës.
Après 70, la prise de Jérusalem, la destruction du Temple et la dispersion des croyants, les disciples du Messie-Jésus sont bientôt interdits de synagogue (vers 80-90). Ils se retrouvent seuls, en rupture avec leurs racines, immergés dans un monde ressenti comme hostile. Il leur faut se reconstruire une identité, autour de "leur" lecture des Ecritures, et d'un "culte" bien à eux. Ce réflexe identitaire les pousse, sans doute à leur insu, à glisser insidieusement de la foi en Jésus, Messie d'Israël, témoin d'une nouvelle perception du Dieu d'Israël et annonciateur d'un "royaume" terrestre imminent, à une nouvelle "religion" à part entière. Religion du Christ-Sauveur, avec son culte propre, qui réunit maintenant en un seul acte l'ancienne liturgie synagogale avec lecture des Ecritures (dans la version grecque) et le repas-mémorial du Seigneur.
L'épisode d'Emmaüs (Lc 24, 13-35), probablement pure création littéraire de Luc, semble très symbolique du sens et de la portée qu'une nouvelle génération (vers 80-85) accordait à la célébration de ce "culte" nouvelle manière. C'est en tout cas la première fois que "fraction du pain", expérience de la présence du Ressuscité et re-lecture "christologique" des "Ecritures" juives sont associés en un même acte.
Du "repas du Seigneur" à une "liturgie" cosmique ?
Dès cette seconde moitié du 1er siècle, quelques grands textes qui rejoindront le canon du Nouveau Testament, semblent témoigner d'une inextricable interaction entre l'élaboration de la doctrine et son expression dans ce qui devient peu à peu la "liturgie eucharistique".
Parmi eux, l' "Epître aux Hébreux". Cette lettre, ou "sermon", est caractéristique des spéculations des disciples de la seconde moitié du 1er siècle.
Selon François Vouga (3) l'auteur "est un homme… expérimenté dans la lecture allégorique de l'Ecriture (A.T.) (…) pratiquée dans le judaïsme hellénistique, influencé par les écoles philosophiques stoïcienne et néoplatonicienne". Ceci est caractéristique du contexte culturel où se pense désormais la nouvelle religion de Jésus, pour la seconde (voire troisième) génération.
L'auteur de la Lettre suit plusieurs "pistes" propres à cette tradition pour interpréter à la fois Jésus, le salut, et la nature de l'Eglise :
Le Temple de l'ancienne Alliance (probablement détruit à l'époque) n'était que l'image, impuissante et éphémère, du Temple céleste, intemporel et éternel.
Selon Vouga, ici, "Le Temple céleste est, en fait, le Cosmos. Le monde terrestre est la partie du temple accessible aux humains. Elle se trouve devant le « rideau » qui voile le Saint des saints, domaine céleste "de la présence de Dieu et du repos eschatologique promis aux croyants. L'œuvre de salut consiste, pour le Sauveur, à conduire ses frères derrière le rideau du Temple."
Dans cette perspective, reprenant l'allégorie mythique du Grand prêtre Melchisedek (Gn 14, 18-20 et Ps. 110) l'auteur voit en Jésus le véritable Grand prêtre d'une "alliance nouvelle et éternelle", mais aussi l' "offrande".
Un nouveau "sacerdoce" pour le salut du monde ?
Cependant, fait remarquer François Vouga, dans la lettre aux Hébreux "le grand prêtre est le Sauveur. Mais le Sauveur est (aussi) le premier à être sauvé par son œuvre de salut. Sanctificateur et sanctifiés ont la même origine, en sorte qu'il appelle les croyants ses frères. Il est l'initiateur de la foi, l'initiateur du salut, et le premier à avoir été élevé après avoir ouvert, pour lui-même et pour ses frères, le rideau séparant le monde céleste du monde humain."
Voici donc Jésus, pleinement homme, promu au rang de Grand prêtre éternel d'une liturgie cosmique dans laquelle, s'étant lui-même "sanctifié" par le don de sa vie, il sanctifie ceux qui croient en lui, ses "frères", leur donnant accès au Saint des saints.
C'est sans doute dans le contexte d'une telle représentation liturgique du monde et du "salut" que les assemblées chrétiennes passèrent peu à peu d'assemblées relativement informelles et de modestes célébrations de la "fraction du pain", à une véritable organisation "liturgique" de plus en plus chargée de sacralisation rituelle et hiérarchisée où l'Eglise se donne à voir et à vivre comme l'antichambre de l'unique véritable Grande liturgie céleste et éternelle…
La "Divine liturgie" des églises d'Orient n'est-elle pas aujourd'hui encore, tout imprégnée de références à une telle vision du monde et de l'Eglise ?
L'Eglise, dans le monde, témoin "liturgique" du salut de Dieu ?
A la fin du 1er siècle (entre 89 et 96 ?), un certain Jean, exilé (volontaire ?) à Patmos, s'adresse aux églises d'Asie mineure, sous la forme d'un écrit relevant de la tradition "apocalyptique" juive, très en vogue à cette époque : l'Apocalypse de Jean, ou "révélation de Jésus-Christ".
Selon Elian Cuvellier (4), la littérature apocalyptique est toujours une littérature de "résistance" qui "s'adresse à des groupes minoritaires vivant en situation de fragilité réelle, ou ressentie (…). Par ce moyen, des visionnaires font entendre un message d'espérance et d'interpellation."
Ici, l'espérance consiste en la mise en scène de la "victoire de Dieu et de son Christ sur le mal." Mais cette victoire, en ce monde, "est une réalité de la foi à laquelle le croyant n'accède que dans le registre symbolique, qui prend, dans le contexte spécifique de l'Apocalypse de Jean, la forme particulière de la liturgie chrétienne."
Pour Jean de Patmos, "en Jésus-Christ, agneau immolé qui siège sur le trône (Ap 5, 6), le croyant est invité à reconnaître celui qui a vaincu les puissances de mort."
Selon l'Apocalypse, l'Eglise "règne" avec l'Agneau, même si elle reste confrontée à ce monde qui est "jugé" et vaincu. Comment peut-elle manifester dans le "monde ancien" l'avènement du "monde nouveau" ?
Pour E. Cuvellier, "la dimension cultuelle de l'Apocalypse en donne la clef : c'est la communauté cultuelle (liturgique) qui actualise et rend présente au monde la victoire de l'Agneau sur les puissances."
Et il souligne "l'enracinement de l'écriture de Jean de Patmos dans la liturgie de l'Eglise ancienne." Et il ajoute : "La dimension symbolique propre au langage liturgique permet de porter un autre regard sur la réalité. Celle-ci ne se réduit pas à ce qu'on peut, à vues humaines, en constater. Dès lors, la liturgie, (…) dans la logique de Jean de Patmos, n'est pas détachement ou fuite du monde. (…) Le langage liturgique de l'Apocalypse est une autre façon d'habiter le monde. Il s'agit d'habiter un lieu symbolique qui n'est pas géographique mais spirituel : être dans le monde en participant à ce qui n'est pas du monde, c'est-à-dire la liturgie céleste d'adoration de l'Agneau (vainqueur) dont la portée politique ne doit pas être occultée" (dans le cadre de l' Empire).
Voilà donc sans doute encore ici un témoignage spectaculaire de cette double réalité : dès la fin du 1er siècle, développement doctrinal et liturgie de l'Eglise son inextricablement liés.
Pour le meilleur ?… le pire ?… C'est une autre question…
Le 4ème évangile, les "pieds dans le plat" ? …
Autre incontournable document de cette seconde moitié du 1er siècle dont la rédaction se clôt sans doute à l'aube du second : le 4ème évangile.
A priori, on ne peut que s'étonner (voire, pour certains, se réjouir) de ce que, contrairement à ses trois prédécesseurs et à Paul, ce document ne rapporte rien du rituel sur le pain et le vin lors du dernier repas…
Il le remplace par l'épisode peut-être historique, mais inédit, et particulièrement significatif, du "lavement des pieds" (Jn 13, 1 à 16).
Malgré deux évocations du symbole de l' "agneau" (Jn 1, 29 ; 19, 36 - Ex 12, 46) cet ouvrage fait plutôt tout son possible, en général, pour esquiver toute interprétation "sacrificielle" de la mort de Jésus. Le "fil rouge" de cet "évangile", est en effet le thème (connu aussi des synoptiques) du "service". Le Jésus johannique est présenté comme venu "pour servir" les siens (Israël), les hommes, les disciples, le tout s'intégrant dans le "service" irréprochable de la Vérité, à savoir, Celui qui l'a "envoyé" et dont il est le Révélateur. Il donne sa vie, personne ne la lui prend (Jn 10, 18), pas même Dieu !
Dans cette perspective, en fait, le rédacteur ne nous propose-t-il pas tout simplement, à travers le lavement des pieds, une nouvelle version, non sacrificielle, du "vous ferez ceci en mémoire de moi" de la tradition ? : "Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné cet exemple pour que vous agissiez comme j'ai agi envers vous."
Plus on connaît cet évangile et l'esprit de sa rédaction, complexe, moins il est exclu que le rédacteur, au cœur de l'époque que nous venons d'évoquer longuement, réagisse déjà clairement contre un certain développement ritualiste, hiérarchique, idéalisant et "magique" du culte chrétien autour du "repas du Seigneur", sans vraie conscience du "don de sa vie" qui est requis du disciple pour être "dans" la vérité.
Mais alors, comment comprendre le "discours du pain de vie" où le Jésus johannique se propose carrément en "nourriture" et "boisson" ?
Quel pain, pour quelle Vie ?
"Je suis le pain de vie… Qui mangera ce pain vivra à jamais, et le pain que moi je donne, c'est ma chair pour la vie du monde… En vérité je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous." (Jn 6, 48-53)
Spontanément, le lecteur, ancien et moderne, aura tendance à entendre dans ce genre de propos prêtés à Jésus, l'ordre impératif de "prendre la Cène", comme écrivait Martin Luther. Il n'est pourtant pas certain du tout que l'auteur, ici, vise d'abord la pratique du rituel de "communion" évoqué dans les synoptiques.
En effet, ces propos prêtés à Jésus sont sans doute, comme toujours dans cette oeuvre très élaborée, à rapprocher, pour être bien compris, d'autres propos qui lui sont prêtés ailleurs dans l'évangile :
"J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas… Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre…" (Jn 4, 32 et 34)
"De même qu'envoyé par le Père qui est vivant, moi, je vis par le Père, de même celui qui me mange vivra aussi par moi." (Jn 6, 57)
Il est impossible de savoir si oui ou non, et comment, on célébrait le "mémorial du Seigneur" dans les communautés johanniques. Mais en tout cas, il semble clair, à la lecture de ces textes, qu'au yeux de l'évangéliste, "manger la chair du Fils de l'homme et boire son sang", c'est agir comme lui, et ainsi, vivre de la même Vie qui coule en lui, celle du Dieu vivant.
Certes, le 4ème évangile peut en laisser plus d'un très perplexe quant à son interprétation de la personne de Jésus à travers le concept très hellénique du "Logos" éternel, fils unique de Dieu, descendu du ciel pour révéler son Père, "élevé" sur la croix, puis remonté au Père, mission accomplie. Mais ce texte, héritier de l'énigmatique "disciple bien-aimé", étonne souvent par quelque chose comme une intuition unique et subtile de ce qu'aurait pu être l'expérience "mystique" de Jésus dans sa relation aux hommes et au "divin". N'est-ce pas là qu'il peut rejoindre le mieux le "croyant" d'aujourd'hui…?
Une clé pour aujourd'hui et demain ?
Le vrai problème autour de la liturgie eucharistique est-il, aujourd'hui, seulement celui de sa fréquence, de la place qu'elle fait ou non à la Bible et à la prédication, de sa nécessité, ou non, pour une communion réelle des hommes en "Dieu" ?
N'est-ce pas plutôt celui de la pertinence de tous nos rituels, élaborés, comme nous venons de le voir, en un temps et des contextes vieux de 2000 ans ?
Leur charge symbolique originelle, puis toute celles qui s'y sont ajoutées au fil des années, voire des siècles, avec sans doute les meilleures intentions du monde, sont-elles encore seulement "parlantes" en ce début de 3ème millénaire sécularisé et mondialisé ? Pire : leur symbolique archaïque et parfois non dénuée d' "idéologies" variées, ne finit-elle pas par dire tout le contraire de ce qu'elle a prétendu signifier ?
La sécularisation a porté un coup fatal, sinon aux réalités spirituelles profondes que vivent les hommes, en tout cas aux représentations mentales anciennes véhiculées par notre discours et nos rites.
La mondialisation met notre "christianisme" au défi de s'exprimer dans mille langages nouveaux, qui lui permettent de rejoindre tout homme, tous les hommes, et tout l'Homme, là où, chacun, dans sa culture propre et son expérience propre, accède à la Transcendance qui nous unit tous.
Le "lavement des pieds" ne serait-il pas le seul vrai "sacrement" porteur de la Vérité incarnée en Jésus ? Le seul "culte" à un Dieu qui ne serait pas une idole ?
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