Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 septembre 2018 6 22 /09 /septembre /2018 08:00
Jacques MussetLa fidélité à Jésus n'est pas répétition mais recréation II
Jacques Musset

II - Comment concevoir aujourd'hui une véritable fidélité de Jésus qui soit re-création

Re-création, qu'est-ce à dire ?

Un héritage ne demeure vivant que recréé

Partons d'abord d'une constatation évidente que l'on peut observer en tous domaines de la vie d'une génération à une autre génération. Un héritage ne demeure vivant et fécond pour ses héritiers que s'ils se l'approprient et donc le recréent, ce qui suppose de leur part un droit d'inventaire, une évaluation, la possibilité de retenir ce qu'ils jugent bon, la nécessaire réinterprétation de l'héritage due aux conditions nouvelles dans lesquelles vivent les héritiers, conditions d'ordre culturel, économique, politique, social, technique. C'est une tâche exigeante, mais c'est la seule qui soit prometteuse de vie, de sens, d'inventions. On peut le vérifier dans l'histoire humaine à tous les niveaux et dans notre propre histoire singulière..

Nous sommes les héritiers d'une histoire familiale, d'une éducation, de rencontres multiples. Si nous sommes reconnaissants à ceux et celles qui nous ont précédés et dont le témoignage nous a touchés, que retenons-nous d'eux qui nous fait vivre actuellement ? D'abord et avant tout un esprit, une façon de vivre fraternelle, une liberté de penser et d'agir, une ouverture à autrui, une générosité. Ce ne sont ni les représentations ni les formes à travers lesquelles nos devanciers ont exprimé et mis en œuvre ces qualités d'esprit et de cœur. Ces représentations et ces formes sont relatives à leur temps, à leur histoire, à leur tempérament. Si nous marchons sur leurs traces, à nous d'incarner, dans de nouvelles représentations et de nouvelles formes concrètes, l'esprit qui les a animés et qui nous inspire intérieurement. Telle est la véritable fidélité créatrice qui se joue avant tout au niveau d'un esprit commun qui se perpétue à travers des expressions et des réalisations diverses.

Le mouvement de fidélité créative dans le judéo-christianisme

Il en a toujours été ainsi dans la tradition religieuse judéo-chrétienne. On peut lire toute la Bible juive comme un incessant travail de recréation par réinterprétation de l'héritage reçu. Pourquoi ce travail s'est-il imposé à nos devanciers ? Tout simplement parce que les conditions nouvelles de vie remettaient sans cesse en question les croyances héritées ou obligeaient à se poser des interrogations inédites. Je prends seulement deux exemples. Au 6ème siècle avant notre ère, le peuple juif connut une épreuve gravissime qui a mis à bas les convictions fondamentales et les représentations sur lesquelles reposait sa foi jusque- là. On peut les résumer ainsi : Dieu était un Dieu sauveur qui avait fait alliance avec son peuple et ne pouvait donc le laisser à l'abandon; le roi était le lieutenant de Dieu pour conduire son peuple ; le territoire d'Israël était une terre donnée par Dieu; le temple était la demeure de Dieu au milieu du peuple; Jérusalem était une ville inviolable. Ainsi rien de grave ne pouvait arriver au peuple qui se sentait en sécurité. Or en 587, suite à une malencontreuse alliance du roi de Juda avec l'Egypte qui est vaincu par le roi de Babylone, Nabuchodonosor, les armées du vainqueur s'abattent sur le royaume de Juda, mettent Jérusalem à feu et à sang, rasent le temple, déportent une partie de la population à Babylone, roi en tête à qui on crève les yeux et qui périra en chemin sans laisser de descendant.

Tout semble s'écrouler pour les restés sur place comme pour les déportés. Dieu semble vaincu par Mardouk le dieu national babylonien. Les croyants juifs sont immergés dans une nuit obscure qui peut en faire douter plus d'un des promesses de leur Dieu. Or durant les cinquante ans qu'a duré l'exil, un immense travail de réflexion s'est fait chez les déportés qui a abouti à une réinterprétation de leur tradition en l'élargissant, en la purifiant, en l'intériorisant. C'est pendant cette période cruciale que les exilés ont pris conscience que leur Dieu n'était pas seulement un Dieu national mais celui du ciel et de la terre, que la terre de Dieu n'était pas seulement le petit canton national de Juda mais l'univers entier, que le Temple véritable n'était pas seulement un temple de pierre mais le vaste monde, que la vocation du peuple juif n'était pas de vivre en circuit fermé mais d'être le témoin du Dieu universel à la face des nations, que chaque personne était responsable de ses actes et que la loi de Dieu lui était intérieure.(1) Je n'entre pas dans le détail de cette révolution copernicienne dans la manière pour le peuple de repenser sa foi et ses représentations. Rien ne sera plus ensuite comme avant en dépit des tentatives de revenir aux représentations anciennes. Cette époque fut extrêmement féconde en textes exprimant la foi réinterprétée et renouvelée.

Une autre expérience de réinterprétation se situe au 4ème ou 3ème siècle avant notre ère avec le livre de Job. Ce long poème est une protestation contre le « catéchisme » officiel du temps qui continue à dire que le juste est assuré d'une vie heureuse ici-bas et que le pécheur n'aura pas son compte de jours ( à cette époque, la croyance en la résurrection des morts n'existe pas encore). Vous connaissez l'histoire. Job, un juste, gravement atteint par la maladie et lâché par sa famille et ses amis, dénonce cette affirmation. La meilleure preuve c'est que les faits la démentent à longueur d'années. Des justes meurent sans être rassasiés de jours tandis que des méchants prospèrent et vivent très longtemps. Des amis de Job répétiteurs de la bonne doctrine lui font la morale, veulent persuader Job qu'il a péché secrètement et donc qu'il n'a que ce qu'il mérite. Au terme du livre, Dieu désavoue les amis et reconnaît la justice de Job. Le mystère du mal subi n'est pas élucidé mais il n'est plus possible de l'attribuer au péché, même si dans les mentalités cette croyance continuera à avoir la peau dure, y compris au temps de Jésus. La tradition de réinterprétation reste vive aujourd'hui dans le judaïsme : on discute, on débat, on avance sans cesse de nouvelles significations (malgré le courant fondamentaliste et intégriste) (2)

Jésus, témoin en son temps de fidélité créatrice

Jésus se rattachait au sein du judaïsme de son époque à ce mouvement d'ouverture et d'incessante réinterprétation. Son message et sa pratique sont à l'opposé d'une simple répétition ; c'est une re-création. Dans son combat contre le moralisme étroit et le ritualisme de ce qu'était devenue sa religion, il prône en paroles et en actes un retour à la source de la foi juive : pour lui, le rapport à Dieu s'évalue à l'aune de la justice et de l'amour pratiqués envers les autres humains ; en même temps il approfondit et élargit les perspectives : les vrais adorateurs de Dieu adorent en esprit et vérité ; c'est l'esprit et non la lettre qui est essentiel.

Sur les 20 siècles passés de l'histoire du christianisme, on pourrait multiplier des exemples de cette culture de réinterprétation donnant lieu à des figures inédites de re-création, concernant l'approche du mystère du Dieu de Jésus (Les Pères grecs et latins des premiers siècles, St Augustin, puis Abélard, St Thomas d'Aquin, etc ...jusqu'à la théologie de la libération). Mais ce n'est pas le lieu de le démontrer. Depuis plus d'un siècle, beaucoup de théologiens qui s'y sont essayés ont été condamnés par Rome.(3)

(à suivre)

Jacques Musset

(1) Entre autres références : Genèse 1; le second Isaïe, 40-55 ; Ezéchiel ; les livres de Ruth et de Jonas (retour)
(2) La fin d'une foi tranquille; Bible et changement de civilisations de Francis Dumortier. Ed. Ouvrières 1977 Aujourd'hui les livres des nouveaux penseurs de l'Islam qui plaident pour un retour aux sources de leur tradition et son actualisation ) (retour)
(3) Voir mon livre : Sommes-nous sortis de la crise du modernisme, Karthala, 2016 (retour)
22 septembre 2018 6 22 /09 /septembre /2018 07:58
Luc BossusCommentaire concernant l’article "Tribulations d’un couple de libres penseurs chrétiens en vacances"
Luc Bossus

Je vous écris aujourd’hui suite à votre article "Tribulations d’un couple de libres penseurs chrétiens en vacances" paru sur le blog LPC et qui a retenu toute mon attention.

Je souhaite vous dire d’emblée que cette situation, certes tristement vécue par vous deux, ne m’étonne pas du tout. Elle aurait très bien pu se dérouler ailleurs qu’en France…, en Belgique par exemple…

Ma brève analyse de cette tribulation me fait penser que :

  • le sens de l’eucharistie n’est pas perçu de la même façon dans la chrétienté…
  • selon ces perceptions…, les habitudes ou les rites ne sont pas vécus de la même manière dans toutes les paroisses, dans tous les diocèses…
  • ces habitudes ou ces rites sont surtout symboliques selon le sens que l’on donne au partage du pain eucharistique : recevoir l’hostie sur la langue, surtout sans la toucher avec les mains et bien entendu sans la mordre, est à mille lieues du fait de la recevoir en mains, de la rompre, de la partager, de la manger ensemble et de la laisser imprégner au plus profond de soi…
  • des habitudes ou des rites vécus en paroisses, peuvent décevoir, voire choquer des vacanciers de passage qui ont d’autres habitudes… ; et il en est de même pour des paroissiens par rapport à des habitudes ou des rites de vacanciers…

 

Ce qui moi, me choque dans votre description de cette "aventure", c’est ce qui s’est passé après la messe, lorsque vous avez voulu dialoguer avec le prêtre.

Comme vous l’expliquez très bien dans votre article, un dialogue(1) vrai n’a pas eu lieu parce que ce prêtre avait mis des œillères…, refusant d’écouter vos convictions profondes de libres penseurs chrétiens en se réfugiant derrière un argument d’autorité ("C’est le Saint Père qui a dit cela et c’est comme ça depuis toujours !" ) ce qui, par ailleurs, n’est pas exact ! Le dialogue n’a pas eu lieu… ! Peut-être que ce prêtre n’a jamais « réfléchi » en profondeur et n’a-t-il fait que « répéter », tout au long de sa vie, ce qu’on lui avait appris au séminaire… Peut-être que votre intervention auprès de lui va enclencher, en lui, un début de questionnement…, qui sait… ?

Peut-être que finalement et malgré les apparences, ce dimanche n’a pas été si triste que cela et que vous avez semé, dans son cœur, une graine de la Bonne Nouvelle qu’est l’évangile…

11 septembre 2018. Luc Bossus.

(1) "Le dialogue est ce moment qui consiste pour chacun à mettre provisoirement entre parenthèses ce qu’il est et ce qu’il pense pour essayer de comprendre et d’apprécier, même sans le partager, le point de vue de l’autre." Dominique PIRE (retour)
15 septembre 2018 6 15 /09 /septembre /2018 08:00
Jacques MussetLa fidélité à Jésus n'est pas répétition mais recréation
Jacques Musset

Dernièrement, la Congrégation romaine pour le Culte divin et la discipline des sacrements dont le président est le très archi-traditionnel cardinal Sarah a envoyé une lettre à tous les évêques pour leur transmettre des consignes strictes sur l'usage du pain et du vin de la messe. Les hosties doivent être du pain azyme (non fermenté) confectionné avec du pur froment avec son gluten. «Les hosties totalement privées de gluten sont une matière invalide pour la célébration de l’Eucharistie. Sont, par contre, matière valide, les hosties partiellement privées de gluten et celles qui contiennent la quantité de gluten suffisante pour obtenir la panification. Par ailleurs, «Le saint Sacrifice eucharistique doit être célébré avec du vin naturel de raisins, pur et non corrompu, sans mélange de substances étrangères. […] Il est absolument interdit d’utiliser du vin dont l’authenticité et la provenance seraient douteuse». Le moût est toléré cependant. Tout autre matière et boisson sont interdites même si le pain de froment et le vin de la vigne ne sont pas nourriture et boisson habituelles des pays.

Le motif invoqué de cette prescription romaine est la fidélité à la pratique de Jésus durant le dernier repas qu'il prit avec ses disciples, traduite ici en termes de respect de sa volonté. L'observation de ces consignes, selon la note romaine, engage la validité de la célébration eucharistique. «Être vigilant sur la qualité du pain et du vin destinés à l’Eucharistie est fondamental parce que cette matière du sacrifice eucharistique va déterminer ce que nous croyons, substantiellement, dans le mystère de l’Eucharistie. Il y a un rapport très étroit entre ce que nous croyons, dans la profondeur du Mystère, et ce qui se manifeste à travers le signe sacramentel du pain et du vin.»

Pour enfoncer le clou, Mgr Claudio Magnoli, expert liturgiste, membre de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, commente : «Ce sont des abus qui dérivent de la soi-disante théologie de l’inculturation. Cette idée selon laquelle Jésus aurait choisi le pain et le vin seulement comme éléments de sa culture, celle du monde méditerranéen. Certains théologiens et agents pastoraux ont imaginé que dans d’autres régions du monde on puisse les substituer avec d’autres éléments. En substance, nous devons retrouver une théologie qui sache répondre à cette idée que Jésus aurait choisi le pain et le vin comme un élément culturel, et non pas comme un élément fort et déterminant.»

Outre que cette initiative tatillonne s'est couverte de ridicule auprès de bien des chrétiens et de non-chrétiens et a fait passer le catholicisme une fois de plus pour rétrograde, elle pose aux Eglises et aux disciples de Jésus la très sérieuse question de la fidélité à Celui dont elles se réclament: comment vivre au 21ème siècle en disciples de Jésus dans un monde qui n'est plus le sien ?

En trois articles nous apporterons quelques éclaircissements dont le but est de répondre à cette interrogation essentielle :

La simple répétition de ce qu'a fait et dit Jésus ne peut être en aucun cas un critère de fidélité à son égard.

Comment concevoir aujourd'hui une véritable fidélité comme re-création de ce qu'a dit, fait et vécu Jésus ?

Comment conjuguer fidélité et recréation. Comment vivre au 21ème siècle une fidélité créatrice à Jésus et à son Dieu ?

I - La simple répétition de ce qu'a fait et dit Jésus ne peut être un critère de fidélité à son égard.

1ème raison. D'une part, notre temps n'est plus celui de Jésus.

Il est même tout à fait différent et nous le vivons à une dimension mondiale, ce qui n'était pas le cas il y a vingt siècles pour les contemporains de Jésus. Les liens de solidarité se vivaient alors à un échelon plus local. Jésus s'est fait le prochain des gens de la société de son temps qui étaient les pauvres, les estropiés, les marginalisés, les rejetés, les oubliés. Aujourd'hui qui sont-ils pour nous dans notre monde actuel, à notre porte et au-delà ?

Par ailleurs le règne de Dieu que Jésus annonçait (le grand jour, l'avènement du royaume de Dieu !) n'est pas arrivé comme il le pressentait. Il en attendait la réalisation totale d'une manière imminente. La réalité a été autre. Au cours des dizaines d'années qui ont suivi la mort de Jésus, on a continué à attendre. En vain. Le monde nouveau est déjà là mais que très partiellement et nous le vivons depuis vingt siècles dans une durée dont on ne voit pas ce que pourrait être sa fin. Jésus vivait dans une situation d'urgence face à une réalité imminente qui révélerait le fond des cœurs : pour lui, les choix n'attendaient pas, il fallait trancher dans le vif, il n'y avait pas de demi-mesure, sinon il serait trop tard pour être au rendez-vous de cette réalité décisive. Cela explique sans doute que Jésus menait tambour battant son activité de témoin du règne de Dieu déjà là et qui ne saurait tarder à se manifester totalement.

Nous sommes aujourd'hui dans une autre situation. Le monde nouveau, terme actuel pour désigner le royaume de Dieu toujours en chantier, nous en avons vu la couleur en Jésus mais il n'y a pas eu de révolution totale du monde et des humains. Cette couleur du monde nouveau, nous avons à nous efforcer de l'incarner à notre façon, au long des mois et des années, dans la patience et la persévérance, les avancées et les reculs, les réussites et les échecs. Nous avons à l'incarner dans l'épaisseur de nos vies ambiguës et de nos sociétés où règnent la violence en tous domaines, les injustices, les mensonges, les rêves insensés, le chacun pour soi. C'est exigeant, c'est décapant, mais il ne peut en être autrement. Le bon grain et l'ivraie poussent ensemble irrémédiablement.

A nous de découvrir dans ce monde imparfait comment vivre vrai et nous faire le prochain d'autrui, spécialement des personnes et des groupes oubliés, marginalisés, rejetés, opprimés, victimes d'injustices, ce qui suppose non seulement ouverture du cœur mais lucidité, ouverture, analyse. A nous de vivre ainsi notre foi au Dieu de Jésus en esprit et vérité.

2ème raison : Jésus était un homme singulier

En son temps a fait des choix singuliers et qui avait ses propres limites. Jésus a eu un itinéraire particulier, qui n'est pas imitable en tant que tel. Il est en effet impossible pour un être humain d'imiter tel quel un autre être humain. Chacun est un mystère unique qui n'est pas reproductible. S'inspirer de la façon de vivre de quelqu'un est tout autre chose que de vouloir l'imiter, entreprise tout à fait vaine et même malsaine. Jésus, comme n'importe qui, s'est frayé un chemin dans des conditions particulières. Il a été un homme singulier et non l'Homme avec un grand H. Il n'a pas vécu toutes les expériences humaines et spirituelles. Il s'est efforcé seulement mais à quel degré de qualité d'humanité de conduire la sienne propre avec une droiture et une authenticité peu communes. C'est pour cette raison qu'il est pour nous comme pour tant d'autres avant nous une référence essentielle.

S'il a donc été un homme singulier, bien qu'il ait vécu son existence avec « une intensité d'exception », selon la belle expression du grand théologien Stanislas Breton, il n'a pas épuisé toutes les figures possibles d'humanité. Jésus était en effet un homme et pas une femme, il est resté, semble-t-il, célibataire et n'a pas connu la vie de couple, il était juif du Moyen-Orient au 1er siècle et non européen du 21ème, il était galiléen et non judéen, il parlait l'araméen et non le grec et le latin, Il était laïc et donc ni prêtre, ni scribe, il savait lire et n'était pas analphabète, il était habillé et mangeait à la juive et non à la romaine, il professait la religion juive et non le bouddhisme, il est mort relativement jeune (à trente-six ans vraisemblablement) et n'a pas connu l'âge mûr et la vieillesse, etc...

Ceux qui ont voulu ou veulent encore imiter Jésus à la lettre se fourvoient dans une conception matérialiste, en tout cas formelle, de la fidélité. Par exemple, dans la toute première communauté chrétienne de Jérusalem, formé de juifs convertis, on a tenu à conserver les habitudes alimentaires juives étiquetées pures ou impures, puisque Jésus était juif et les observait. Pourquoi pas ? Mais les choses se sont gâtées quand on a voulu les imposer aux chrétiens non-juifs. Un conflit a éclaté entre les tenants de cette position (dont Jacques, le frère de Jésus) et l'apôtre Paul. On finira par accepter, après vifs débats, que les nouveaux chrétiens d'origine non-juive ne soient pas soumis à ces prescriptions juives. Au 2ème siècle de notre ère, le grand théologien égyptien Origène s'est fait castrer pour demeurer célibataire comme Jésus ; triste imitation! Aujourd'hui quand les responsables de l'Eglise catholique justifient l'impossibilité pour une femme de devenir prêtre ou évêque, c'est en référence au sexe de Jésus : piteuse compréhension de la fidélité. Quand les mêmes autorités interdisent aux Eglises d'Afrique ou d'Asie de célébrer l'eucharistie avec autre chose que du pain et du vin, on est dans une religion du mimétisme et non dans la religion en esprit et vérité. On pourrait citer d'autres exemples de cette fausse fidélité de Jésus (par exemple à propos de la conception du mariage et du divorce ; à propos de la méfiance de certains milieux chrétiens envers le politique en raison du non engagement direct de Jésus dans la sphère politique). Tous ces exemples de prétendue fidélité purement formelle à Jésus induisent un visage de Dieu formaliste, désincarné, machiste, légaliste. Rien à voir avec la fidélité créatrice de François d'Assise au 12ème siècle, de l'abbé Pierre au 20ème et de tous les témoins véritables de l'évangile à travers les siècles, y compris dans le nôtre aujourd'hui.

A chacune et chacun de nous, avec son tempérament, son histoire, ses propres limites, de trouver sa façon singulière et originale de témoigner de Jésus. Cela suppose inventivité, courage, persévérance, ressourcement. Il n'y a pas de modèle tout fait, pas de consignes données d'avance. On entendait autrefois et on entend encore des gens qui se posent la question : qu'est-ce que Jésus ferait à ma place, à notre place ? Ce questionnement n'a pas de sens. Car Lui a fait sa part il y a vingt siècles. A nous de faire la nôtre aujourd'hui.

3ème raison : les représentations de Jésus concernant le monde, l'homme et Dieu étaient dans la ligne de celles d'un juif de son temps et ne sont plus les nôtres.

Pour mémoire, rappelons-nous quelques-unes de ses conceptions sur le monde, l'homme et Dieu. Pour lui, Dieu est une évidence, il est le tout autre qui est aux cieux (Mt 12, 50). C'est Lui qui a créé le monde et le couple (Mc 10,1-12), Lui qui gouverne le monde avec sollicitude, car il est bon comme un Père (Mt 7, 25 et suivants – Mt 5,45) ; Lui qui a donné la Loi à son peuple sur le Sinaï (Mt 19, 18-19, – Mc 7,8) ; Lui également, qui a parlé par les prophètes (Mc 7, 6) ; Lui qui, par la Loi et les prophètes, exprime sa volonté. Jésus croit aussi en Satan et dans les démons, adversaires de Dieu qui s'emparent des hommes ; il les chasse par la puissance de Dieu (Mt 12, 26.28). Jésus croit que Dieu ressuscitera les morts au dernier jour (Mc 12, 23) ... Pour Jésus, comme pour son peuple, Dieu est la clé de voûte de tout, bien qu'il ait affiné, élargi, approfondi l'héritage reçu et qu'il ait vécu dans une étonnante intimité avec Celui qu'il appelle Abba, papa, au nom et au bénéfice duquel il prend position avec une liberté étonnante.

Aujourd'hui dans notre monde sécularisé marqué par la modernité, du moins notre monde occidental, la plupart des gens ne se pensent plus et ne pensent plus le monde et Dieu comme au temps de Jésus. Comment donc dire aujourd'hui Jésus et vivre de l'esprit qui l'animait et témoigner de son Dieu ? Il y a là tout un travail d'échanges et de réflexion à conduire. Le concile Vatican II en dépit de certaines ouvertures est demeuré en grande partie tributaire de la manière de penser traditionnelle. Dans ses textes, on part d'affirmations sur Dieu, sa volonté, son action dans le monde considérées comme allant de soi. Le catéchisme de Jean-Paul II est une parfaite illustration de cette présentation.

Or, aujourd'hui, pour la plupart des gens qui baignent dans la culture de la modernité, non seulement Dieu n'est plus une évidence, mais la doctrine catholique officielle prétendument reçue de Dieu et transmise par les autorités de l'Eglise comme étant la Vérité a perdu de sa crédibilité. Car elle s'impose du dehors et est invérifiable. La voie d'approche de la réalité pour un homme de la modernité se fait par la réflexion et l'expérimentation. Cette démarche est une révolution copernicienne par rapport à l'approche traditionnelle.

De cette évolution, il résulte que notre fidélité à Jésus et à son Dieu ne peut pas consister à reproduire et répéter purement et simplement ce que le nazaréen a dit, fait et vécu, comme expression de sa propre fidélité à son Dieu. Ce serait de l'anachronisme et sans doute la pire des infidélités.

(à suivre)

Jacques Musset

8 septembre 2018 6 08 /09 /septembre /2018 08:00
Christiane Janssens-Van den MeersschautTribulations d'un couple de libres penseurs chrétiens en vacances
Christiane Janssens-Van den Meersschaut

La "rencontre" est parfois difficile .

10h30. Messe dominicale dans un petit village des Alpes de Provence.

Voici le moment de communier. Mon mari et moi, nous nous avançons vers le célébrant. Nous tendons nos mains pour recevoir le pain de vie, nourriture de partage. Comme nous avons l'habitude de le faire, depuis plusieurs années, nous gardons l'hostie dans nos mains, nous rejoignons nos places afin de réunir les hosties, de les rompre, de nous les partager, avant de nous en nourrir ensemble et côte à côte.

Stupeur ! Nous étions à peine à notre place (deuxième rangée) que le célébrant abandonne la file de nos frères et sœurs qui très pieusement ouvraient la bouche pour recevoir le Corps du Christ pour venir nous dire d'un air méfiant que nous devons communier immédiatement devant lui. Surpris, saisis, nous avons obéi ! Alors, seulement, le prêtre est retourné dans le chœur pour continuer sa distribution. Il semblait rassuré. Quant à nous, divers sentiments se bousculaient dans nos cœurs : gêne, révolte, tristesse... Que faisons-nous ici ?

11h45. L'office est fini et nous attendons le célébrant à la porte de l'église pour dialoguer avec lui.

Nous voulons lui dire qu'il y a 53 ans, nous avons choisi tout à fait librement de nous marier à l'église. Que ce jour-là, nous avons choisi Jésus comme "Pierre d'angle" de notre famille à construire et comme témoin de notre engagement l'un pour l'autre.

Nous voulons lui dire que communier, après nous être donné un baiser de paix, sont des actes à chaque fois chargés de sens et non automatiques. Nous le faisons ensemble côte à côte face à Jésus, comme lui-même lors de la Cène était côte à côte avec ses disciples pour les nourrir.

Nous voulons lui dire que nous trouvons étonnant que les prêtres qui concélèbrent s'attendent pour communier, côte à côte et ensemble, mais que nous, le peuple de Dieu, nous en sommes réduits à communier dans le dos les uns des autres.

Nous voulons lui dire que nous sommes heureux lorsqu'il nous arrive de participer à l'eucharistie dominicale d'une paroisse de Bruxelles où nous vivons un repas fraternel plus conforme à la Cène. Là, chacun retourne à sa place avec le pain de vie dans la main. Quand toute l'assemblée est servie, ensemble et en même temps que le célébrant, nous communions dans l’Esprit de Jésus.

Mais le prêtre n'a pas voulu nous entendre ; il nous a mis en garde. Il nous a dit que nous ne pouvions pas faire cela, que c'était absolument DEFENDU !

Nous lui avons alors demandé, où cela était écrit? Qui avait dit cela? Il nous a répondu : "C'est le Saint Père et c'est comme ça depuis toujours." Tout était dit.

Aucune discussion n'était possible.

Il parlait "Eglise", nous parlions "Evangile".

Il parlait "de la forme", nous parlions "du fond".

Il parlait "de la lettre", nous parlions "de l'Esprit".

Nous croyions être des adultes dans la foi, nous étions traités comme des enfants à qui on ne permet pas de réfléchir leurs actes de foi.

Quel triste dimanche, bien loin de la Bonne Nouvelle qu'est l'Evangile.

Christiane Janssens-Van den Meersschaut

18 août 2018 6 18 /08 /août /2018 08:00
Herman Van den MeersschautA propos de la fin des temps
Herman Van den Meersschaut

Nous nous sommes arrêtés un moment à la notion de "Salut". Dans la théologie traditionnelle, ce salut est inévitablement lié à la fin des temps et au retour du Christ qui jugera si les hommes méritent ou non la vie éternelle.

Mais que peut-on entendre par "fin des temps" ?

L'idée d'un monde décadent et qui va vers sa fin était très répandue à l'époque où se sont formés les évangiles. La littérature apocalyptique témoigne de ces époques troublées où certains événements ont été interprétés comme signes du début de la fin d'un monde, en l’occurrence celui du peuple d'Israël (70 : destruction du Temple de Jérusalem).

Le Père J.P. Charlier pensait que Jésus, lui-même, avait dû vivre avec cette impression de l'imminence de la fin de ce temps dont il était témoin. Les premiers chrétiens vivront d'ailleurs, eux aussi, dans cette attente du retour proche du Christ.

Le temps passant et l'évangélisation faisant des progrès énormes, l’Eglise s'installera et on repoussera ce retour et cette fin des temps dans un avenir plus lointain.

Les "millénaristes" et les sectes tenteront régulièrement de dater cette fin en s'appuyant sur une lecture fondamentaliste des textes bibliques, notamment de l'Apocalypse.

Mais peut-on imaginer une fin du monde, de notre terre?

Dans les années cinquante on nous disait encore que Dieu avait puni les hommes par le déluge, qu'il ne le ferait plus, mais que le monde serait détruit par le feu !

Mais que nous disent les scientifiques de la fin de notre planète bleue ?

D'après leurs savants calculs, ils nous disent que le soleil se meurt, c'est-à-dire que sa puissance diminue, mais tellement lentement que cela prendra quelques centaines de millions d'années avant qu'il ne s'éteigne. Or, sans la chaleur et la lumière du soleil, pas de vie sur terre.

Cela semble une chose établie, la terre mourra d'un refroidissement plutôt que d'une insolation. L'univers étant toujours en évolution, cela semble assez logique : des étoiles naissent, d'autres meurent. Mais que sera devenu l'être humain dans tout cela ? Dans l'immédiat, cela ne nous concerne pas vraiment. Quoique ?!

Quant à l'idée que le Créateur puisse mettre fin subitement à l'univers, selon son bon vouloir, et juger ses créatures, cela m'apparaît comme un anthropomorphisme d'un autre âge, tout à fait inacceptable aujourd'hui.

Par contre ce qui semble bien réel et inquiétant, c'est que l'homme aujourd'hui est capable de détruire la planète. Tout y est. Tout est prêt. Depuis que les hommes sont apparus, ont commencé à transformer la nature et à faire des "progrès", ils n'ont pas arrêté de perfectionner leurs armes en les rendant de plus en plus meurtrières. Nous en sommes aujourd'hui au point de pouvoir faire basculer le fragile équilibre planétaire. Malgré quelques traités, le danger persiste toujours. Nous pourrions bien avoir là notre fin du monde par le feu !

Ces progrès-là, les hommes peuvent cependant les maîtriser s'ils le veulent vraiment, mais comme l'observe Hubert Reeves, il y a en l'homme comme une "pulsion de mort" qui le pousse à l'autodestruction.

Et cela nous concerne tous dans l'immédiat.

Il s'agit ici de la fin de notre, de mon temps. Bien qu'actuellement notre espérance de vie ne fasse que croître, la grande faucheuse peut m'abattre à tout moment. Le temps nous est donc précieux, nous n'avons qu'une vie.

Qu'allons-nous en faire ? Comment donner du sens à cette courte vie ?

Dans le Livre des Maccabées du premier Testament, les Juifs ont fait toute une réflexion sur l'absurdité, le non-sens de la vie des victimes innocentes des persécutions perpétrées par le Séleucides. C'est à cette époque assez tardive que naît l'idée d'une réparation, une consolation pour les justes dans une vie future. Les Sadducéens, eux, ne croyaient pas à cette vie future. Pour eux, tout se joue, en fait, ici en cette vie. N'est-ce pas en ce sens que parle Jésus lorsqu'il nous révèle que le Royaume de Dieu est en nous (Luc, XVII, 21), qu'il commence maintenant, qu'il est à créer tout le temps et qu'il va même au-delà du temps comme la suite logique de ce que nous aurons semé ?

Hubert Reeves fait remarquer comment dans le monde animal et végétal tout est mû par une formidable "pulsion de vie" qui va toujours dans le sens de la sauvegarde et du perfectionnement de l'espèce. Chez l'homme, il semble que la "pulsion de mort" prenne souvent le pas sur la vie. N'avons-nous pas déjà détruit irrémédiablement des milliers d'espèces animales et végétales ? Il n'y a que l'homme qui en soit capable. En s'éloignant de la nature, l'homme semble perdre certains réflexes de conservation, mais aussi la conscience de la nécessité de l'interdépendance de tous les acteurs de la vie. (ex: réchauffement climatique du aux gaz à effets de serre, déforestation…)

II s'agit donc bien de "sauver" l'homme d'aujourd'hui de ces pulsions destructrices qui l'habitent. Jésus sait bien de quoi il s'agit, puisqu'il en a été victime lui-même. Jésus, habité par une extraordinaire pulsion de vie nous rappelle sans cesse que c'est "ensemble" qu'on peut créer le Royaume. Dès qu'il y a rupture de solidarité, il y a déséquilibre et donc des victimes et des souffrances.

Je ne puis donner un sens à ma vie que si je suis aimé et que j'aime. Aimer avec tout ce que cela comporte de don, de pardon, de partage réciproque.

Dès que l'on sort de cette voie, c'est l'enfer.

On voit cela tous les jours dans les journaux, la télé, autour de nous et dans nos vies.

La qualité de ce que je pourrais vivre et partager avec ceux dont je suis responsable et tous ceux qui croisent ma route, cela me semble essentiel et me permet de fonder ma vie.

"Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés", qu'est-ce qu'on nous l'a rabâché !

Mais cela reste heureusement la seule solution, la seule issue, le seul salut pour nous, avant la fin de notre temps.

Herman Van den Meersschaut - LPC-1999

Source : Hubert REEVES, "L'heure de s'enivrer" - L'univers a-t-il un sens ? - Seuil 1992

4 août 2018 6 04 /08 /août /2018 08:00
Herman Van den MeersschautFatima, révélation ou parapsychologie ?
Herman Van den Meersschaut

Quand j'écrivais dans le numéro de juin que l'homme sortait peut-être lentement de son enfance et que nous étions en train de quitter, entre autres, le dieu magicien, j'étais sans doute un peu trop optimiste, puisque voilà que le Pape le ressuscite de plus belle à Fatima.

L'affaire de la révélation du troisième secret est, comme le dit Pierre de Locht, "profondément choquante'' (1), avant tout pour la conception de Dieu qu'elle implique.

Ainsi Dieu, via Marie, aurait protégé Jean-Paul II, mais ne serait pas intervenu pour sauver Romero, Luther King, l'enfant qui meurt du sida ou les victimes des génocides? Cette image d'un dieu injuste et sadique agissant selon son bon vouloir est tout simplement révoltante et en complète contradiction avec le Dieu d'Amour annoncé par Jésus. De ce dieu- là, je suis radicalement athée.

Se pose évidemment ici le problème de l'immédiateté de l'intervention de Dieu dans nos vies. Que penser de formules comme "c'est la volonté de Dieu, à la grâce de Dieu, Dieu y pourvoira, le plan divin, le projet de Dieu, les voies de Dieu..." lorsqu'elles servent à justifier n'importe quoi, voire les pires horreurs (croisades, inquisitions, jihad, sionisme...)?

Certains ne pensent-ils pas pouvoir infléchir, orienter l'action de Dieu par des rites, des prières, des pèlerinages, des impositions de mains ou même des mortifications ?

Nous naviguons ici, me semble-t-il, en pleine mentalité magique. Qu'en pensez-vous ?

En faisant foi aux révélations à la Nostradamus de la voyante de Fatima, Jean-Paul II

Perpétue les anciens rites païens de divination, que l'Eglise a souvent combattus et qu'elle appelait de l'idolâtrie. Qu'il se ridiculise aux yeux des laïcs en s'impliquant personnellement dans cette affaire, c'est triste; mais pour nous, chrétiens, c'est choquant car cela risque de faire croire qu'être catholique c'est adhérer à de telles conceptions de foi.

Mais cela pose aussi et surtout le problème de la "Révélation" des textes révélés, de toute révélation.

* Pour notre cardinal, les choses sont simples ; c'est dans le buisson ardent que Dieu se révèle lui-même à Moïse. Je cite (2) : "Tout est arrivé là : en personne, Dieu dit qui Il est. Nous ne pouvons en effet l'apprendre que de Lui-même ; toutes les autres sources d'information sont trompeuses. Seul Dieu peut parler de soi-même. La vraie connaissance de Dieu ne surgit pas de notre expérience, comme la vapeur d'un marais ; elle descend d'en haut et réduit en miettes tous les miroirs mensongers. Dans ces miroirs, nous ne voyons jamais plus que nous-mêmes !"

Voilà, Dieu parle en direct et seuls certains élus et initiés auraient le privilège d’ entendre la révélation. L'expérience des hommes est impuissante à nous révéler quoi que ce soit sur Dieu.

C'est terrible d'oser encore écrire des choses pareilles à une époque où nous sommes mis en présence de toutes les religions et spiritualités du monde.

* Par contre, si nous considérons les Ecritures comme la recherche passionnée des hommes d'un absolu qui les habite, qu’ils essayent de cerner et de comprendre à travers des récits souvent mythiques, alors elles deviennent chemin de révélation de Dieu dans nos vies.

Lorsque je lis dans la Bible : Dieu dit à Moïse..." et que je traduis cela par : "Moïse pense que Dieu lui dit..." il ne s'agit pas simplement des impressions ou des imaginations subjectives d'un personnage. Ce que les auteurs font dire à Dieu, ici, est dans une expression littéraire particulière, soigneusement ciselée l'énoncé des conclusions auxquelles une très longue réflexion commune sur la vie les a menés. En fréquentant ces textes nous profitons et nous nous nourrissons de l'expérience de nos ancêtres dans la foi.

On pourrait donc dire que ce n'est qu'à travers notre expérience que quelque chose de Dieu peut se révéler à nous. Accepter la possibilité de contact direct avec la divinité et donc de révélation immédiate de la part de celle-ci peut mener à tous les abus et déviations. Les sectes sont des spécialistes en la matière. Le gourou prétend toujours avoir eu un contact direct avec la divinité, ce qui lui donne une aura et un mystère qui seront savamment entretenus et lui procureront une autorité infaillible.

Bien sûr, que certains voyants d'apparitions mariales soient sincères ne fait aucun doute. Qu'ils aient vu et entendu quelque chose n'est pas à contester mais cela concerne plutôt le domaine du paranormal, du parapsychologique, de la psychiatrie.

Si ce qu'ont vu et entendu ces voyants leur apporte un mieux-être, un épanouissement spirituel, une libération dans le sens évangélique, on ne peut qu'applaudir. Mais cela ne semble pas toujours être le cas pour tous, comme à Fatima par exemple. Les enfants ont, en effet, beaucoup souffert de ce qui leur est arrivé.

Ce qui est frappant dans ces apparitions, c'est la débilité déconcertante des révélations en regard du mystère qui les a entourées. Jugez-en :

En 1917 Lucia, Jacinta et Francisco voient la Vierge leur apparaître au-dessus d'un petit chêne. Voici u n des dialogues :

"Lucia demande si elle ira au ciel ?

La Dame lui répond : oui tu iras au ciel.

- Et Jacinta ?

- Elle aussi, dit la Dame.

- Et Francisco ?

Lui aussi, dit la Dame, mais... ajouta-t-elle, il devra auparavant réciter beaucoup de chapelets'' (3).

Francisco mourra de la grippe espagnole en 1918, Jacinta en 1920. Lucia restée seule, apprit à lire et ne relata les événements de 1915-1917 qu’entre 1930 et 1970 (??).

Cinq cahiers manuscrits successifs, qui reprennent la même histoire, furent demandés par l'Eglise à Lucia, afin de pouvoir recouper ses affirmations.

En lisant le livre de Daniel COSTELLE, qui a été écrit d'après les cahiers de Lucia, on a la nette impression que Lucia, qui était l'aînée, semblait manifestement dominer les deux autres enfants et surtout Francisco qui, lui n'a jamais rien entendu de ce que disait l'apparition et en était d'ailleurs fort déçu ! C'est toujours Lucia qui questionne et répond et c'est elle seule qui racontera leur histoire.

Sans doute écoutait-elle bien le catéchisme car, dans le discours de l'apparition on retrouve tous les poncifs de la théologie doloriste de l'époque.

"Voulez- vous, dit la Dame, vous offrir à Dieu, en acceptant toutes les souffrances qu'il voudra bien vous envoyer, en réparation de tous les péchés qui l'offensent, et pour obtenir la conversion des pécheurs ? ...

- Oui, nous le voulons, répond Lucia.

- Vous aurez beaucoup à souffrir... ( puis, avec un merveilleux sourire) la grâce de Dieu vous assistera et vous consolera toujours...

... Priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs. Sachez que beaucoup d'âmes vont en enfer parce qu'il n'y a personne qui se sacrifie et prie pour elles." (4)

Jean-Paul II semble, lui aussi, aller dans ce sens, puisqu'il dit offrir, lui aussi, les souffrances de sa maladie et de son grand âge pour le salut du monde.

Et vous, qu'en pensez-vous '!

Herman Van den Meersschaut - LPC-1998

(1) Fatima : la révélation choquante. Article de Pierre de Locht dans "Le Soir" du 26 mai 2000 (retour)
(2) Trois à table" Paroles de vie - Pâques 2000 Lettre du Cardinal Dannee!s (retour)
(3) "Fatima" de Daniel Costelle aux éditions François Bourin (retour)
(4) "Fatima" de Daniel Costelle aux éditions François Bourin (retour)
7 juillet 2018 6 07 /07 /juillet /2018 08:00
bateau lpcQui êtes-vous, monsieur le professur?
Jean Ghisdal

Il est né à Lyon, il y a aujourd'hui 75 ans, dans une famille bourgeoise très catholique. C'est l'un des scientifiques les plus populaires de notre temps : il s'agit du biologiste Albert Jacquard.

Edmond Blattchen, le présentant dans son émission ''Noms de dieux", lui adresse ces très belles paroles: "Jadis catholique, vous revoilà en effet chrétien. Simplement, pour vous, l'amour du prochain c'est désormais l'amour de cinq milliards de prochains."

C'est à cause de ce souci des autres qu'Albert Jacquard a une grande vénération pour saint François d'Assise et une réelle amitié avec l'abbé Pierre. Albert Jacquard ne saurait donc laisser indifférent un chrétien qui pense librement (L.P.C.!). Aujourd'hui, nous allons déposer nos catégories toutes faites, nos jugements hâtifs, notre racisme religieux et nous allons essayer d'entrer dans la peau de quelqu'un pour qui la peau des autres est ce qu'il y a de plus sacré au monde. Prenons garde aux gros titres, aux phrases-choc et aux citations hors-contexte. Ce sont des produits hautement inflammables à manipuler avec la plus grande précaution !! "Ne pas enfermer l'interlocuteur dans les phrases qu'il a prononcées", telle est la consigne de celui à qui nous nous intéressons en ce moment. Nous allons puiser, dans un livre et dans deux dialogues, des paroles et des écrits d'Albert Jacquard lui-même. Dans "Petite philosophie à l'usage des non-philosophes", écoutons-le, d'abord, exprimer de façon très poétique la place des autres dans notre vie. C'était en janvier 1995. Il rencontrait les élèves des classes de terminale d'Albi à l'initiative d'Huguette Planès, professeur de philosophie au lycée Rascol.

"Ma capacité à penser et à dire "je" ne m'a pas été fournie par mon patrimoine génétique; ce que celui-ci m'a donné était nécessaire, mais non suffisant. Je n'ai pu dire ''je" que grâce aux "tu" entendus. La personne que je deviens n'est pas le résultat d'un cheminement interne solitaire ; elle n'a pu se construire qu'en étant au foyer des regards des autres. Non seulement cette personne est alimentée par tous les apports de ceux qui m'entourent, mais sa réalité essentielle est constituée par les échanges avec eux : JE SUIS LES LIENS QUE JE TISSE AVEC LES AUTRES. Avec cette définition, il n’y a plus de coupure entre moi et autrui."

Lisons-le maintenant au chapitre "Dieu" dans son livre : "Le souci des pauvres". C'est le scientifique qui écrit, le généticien Albert Jacquard, celui qui, tout en ayant les pieds sur terre et la tête dans le cosmos, s'efforce de rejoindre l'inaccessible. Il utilise pour cela tout son bagage intellectuel de savant de la fin du xxe siècle.

"Le concept de création a du sens pour une statue qu'un sculpteur fait sortir d'un bloc de marbre, un poème qu'un écrivain fait apparaître sur la feuille blanche, il n'en a pas pour un néant sans durée qui "exploserait" pour produire de la matière et de l'énergie. L'univers, autour de nous, est ; nous le voyons se transformer ; nous sommes capables de restituer son histoire passée et d'imaginer son histoire future. Mais nous sommes définitivement incapables d'accéder à l'instant initial et même de le définir. Essayons de nous passer du Créateur.

Quant à la toute-puissance, elle est trop évidemment une extrapolation des fantasmes humains pour être acceptée comme caractéristique divine. Un Dieu tout-puissant n'est jamais qu'un super-homme, constamment hanté par le désir de manifester sa capacité à l'emporter sur les forces de la nature ou sur les volontés humaines. Désirer être tout-puissant, c'est renoncer au statut divin.

"Privé de sa toute-puissance et de son rôle de créateur, que reste-t-il à Dieu ? ... L'essentiel.

A défaut de François d'Assise, trop lointain, écoutons le message d'un de ceux qui l'ont suivi, ... l'abbé Pierre. Il parle de Dieu. Il n'a qu'une phrase pour préciser son sujet : "Dieu est amour. Dès que l'on remplace le mot "amour" par un autre, ajoute-t-il, on trahit Dieu."

Enfin, Edmond Blattchen interviewe Albert Jacquard dans son émission "Noms de dieux" et, à cette occasion, notre généticien persiste et signe. Ecoutons-le:

"Si Dieu est amour, c'est que l'amour est Dieu. En inventant l'amour, ce qui n'était pas évident, nous avons inventé cette chose ineffable, cette transcendance à l'intérieur de laquelle nous sommes, qui nous fait, mais que nous faisons en même temps. Et c'est ça que j'appelle Dieu. Donc, il n'y a plus besoin d'un créateur. Il n'y a plus besoin de dire à ce Dieu qu'il est responsable de ceci ou de cela. Je suis responsable, même de lui ! Et cette idée est très bien résumée par un homme de foi, un dominicain, Jean Cardonel, un ami, qui écrit : Dieu est mort en Jésus-Christ, ce Dieu d'autrefois qui était un être jaloux, méchant, qui ne pensait qu'à se venger en permanence, à nous juger, à nous donner des ordres, à vérifier qu'on avait obéi. Ce Dieu-là a été détruit par Jésus-Christ, qui remplace cette volonté de puissance par l'amour, l'amour entre les hommes".

Merci, Professeur Jacquard. Vous nous obligez à sortir des sentiers battus dans le champ de mines de nos vérités dogmatiques. Vous nous forcez à quitter notre torpeur spirituelle. Vous réveillez l'équipage endormi qui a branché le pilote automatique et qui vole paisiblement au­ dessus des nuages.

Oh oui ! Vous secouez drôlement le cocotier! Merci.

Nous la faisons nôtre votre prière à saint François d'Assise:

"François, aide-nous à devenir des HOMMES".

Jean Ghisdal - LPC-2001

Bibliographie :

  • Petite philosophie à l'usage des non-philosophes - Calman-Lévy, 1996
  • Le souci des pauvres. L'héritage de François d'Assise - Calman-Lévy, 1996
  • L'intégrale des entretiens "Noms de dieux" d'Edmond Blattchen n° 8 - Editions Alice - RTBF-Liège
9 juin 2018 6 09 /06 /juin /2018 08:00
André VerheyenDes questions sans réponse?
André Verheyen

Quand on s'est enthousiasmé pour la liberté et l'indépendance de la pensée...

Quand on a compris qu'il faut s'opposer aux dogmatismes, intégrismes et autres fondamentalismes...

Quand on a découvert l'intérêt du discernement critique face aux déviations survenues au fil des siècles et qui ont souvent remplacé le dynamisme de la foi par un carcan de croyances largement dépassées...

Quand toutes ces démarches ont provoqué un réseau de sympathies et d'amitiés nouvelles avec des personnes qu'on avait cru devoir considérer comme des adversaires (autres religions, agnosticisme, franc-maçonnerie, etc.)...

Alors vient le temps de la question essentielle:

Que découvre-t-on lorsqu'on a levé les obstacles ?

C'est au moment où je réfléchissais à cette question que je remettais la main sur le texte d'une conférence du Père dominicain Jean-Pierre LINTANF, donnée en l'église Saint-Marc à Bruxelles le 10 mars 1988. Le titre de la conférence était : "LE DON DE DIEU, C'EST D IEU."

Dès le début de sa conférence, l'orateur exprime aussi cette idée, qu'au- delà de beaucoup de recherches, de travaux et de questions passionnantes, il y a cette question fondamentale.

Voici comment il s'exprime : "Le thème que nous allons traiter ce soir est pour moi le thème fondamental. De métier, je suis plutôt théologien moraliste, je viens d'être élu à l’Institut international de bioéthique, ce qui me réjouit le cœur, mais par-delà toutes ces recherches et tout ce travail que l’on peut faire, comment ne pas être en interrogation décisive et radicale devant le mystère même de Dieu !

... En effet, par-delà les questions qui nous préoccupent dans l'Eglise, dans le monde, cette interrogation vis-à-vis du mystère de Dieu se pose."

Jean-Pierre LINTANF souligne que nous vivons une époque intéressante parce qu'on se demande plus que jamais "Qu'est-ce que c'est que vivre en hommes ? - Où est le bonheur, où est la liberté ? A quoi sommes-nous appelés ?" Et il ajoute que les chrétiens ont difficile à donner une réponse qui soit à la hauteur de l'attente qui se perçoit. Il illustre cela en partant d'une phrase de Marcel LEGAUT, qui était un de ses amis :

"Un jour où nous travaillions ensemble, Marcel Légaut avait eu cette phrase qu’il a reprise par après très souvent: "Les communautés chrétiennes, les paroisses, les communautés religieuses, toutes les communautés chrétiennes auraient dû et devraient être des lieux où est favorisée l’expérience chrétienne profonde de l’homme. Mais, disait-il, ces communautés, très souvent, au lieu de favoriser une expérience chrétienne en profondeur, la rendent difficile, ou impossible."

C'est-à-dire que l'on remplace l'expérience spirituelle profonde, que j'appellerai tout à l'heure l’aventure mystique, par toute une série de choses qui sont : la liste des choses à croire (orthodoxie), la liste des choses à faire ou à ne pas faire (orthopraxie), l’obéissance aux évêques (c’est plus sûr) et enfin un petit peu de dévotion pour la consolation du cœur et voilà ! Eh bien, je pense que cet ensemble de choses ne conduit pas nécessairement à une expérience de fond."

La plus grande illusion serait de penser que nous pouvons réduire cette "aventure mystique", cette "expérience spirituelle profonde", à un objet communicable par les médias. En effet, le principal obstacle à cette communication a été, sans doute, cette "chosification" qu'on retrouve dans les choses à croire, les choses à faire, etc.

Un autre aspect de cette "chosification" que J.-P. LINTANF met en lumière se situe dans la doctrine traditionnelle de la "grâce" développée en Occident depuis saint Augustin. Et, dans la ligne de son thème " ce don de Dieu qui est Dieu lui-même", il donne évidemment la préférence à "un mot qui ne fait pas partie de notre vocabulaire, qui n'est pas le vocabulaire de la grâce, mais qui est le vocabulaire des énergies divines qui fait partie de la spiritualité et de la théologie orientale de façon décisive. Les énergies de Dieu, c'est Dieu se manifestant. Dieu, nous le verrons tout à l'heure, est inaccessible dans son secret, dans son mystère, mais ce sont les énergies de Dieu qui nous transfigurent et nous divinisent . Ces énergies sont incréées, c'est- à-dire que c'est Dieu se communicant, tandis que la grâce, pour nous, était une grâce créée, à la limite, devenant une chose. Pour les orientaux, les énergies divines sont des sortes de vibrations qui émanent de Dieu et qui nous font entrer en vibration avec lui."

Pour développer cette belle perspective, J.-P. LINTANF évoque une conversation avec le Père J.-P. CHARLIER, qui lui expliquait le mot hébreu qui a été traduit par " ... je sais maintenant que tu crains ton Seigneur". "Or le mot hébreu, c'est : je sais que tu as frissonné de ton Dieu, je sais que tu as frémi de Dieu. On peut frissonner devant quelqu'un, quelqu'un qui vous donne le frisson parce qu'il est beau, parce qu'on l'aime, parce qu'on en a un peu peur, parce qu'il fascine... et c'est beau de frissonner de Dieu. Alors se produit cette sorte de frisson de Dieu qui, tout d'un coup, se met en nous et qui nous fait, face à Dieu, vivre de la vie même de Dieu ces énergies incréées." (1)

Et maintenant ? Touchons-nous vraiment à l'Essentiel ?

Il faut avouer que nous nous trouvons ici en présence de considérations de très belle qualité dans ce désir d'échapper à la "chosification" de la réalité transcendante.

Mais d'autre part, il faudra bien se rendre compte que le problème reste entier dans la mesure où le frisson que je ressens devant quelqu'un "parce qu'il est beau, parce que je l'aime, parce que j'en ai un peu peur, etc." ne peut être qu'une réalité psychosomatique qui ne se situe pas en dehors du créé.

Ce thème du frisson rappelle un beau passage biblique : "Et voici que Yahvé passa. Il y eut un grand ouragan, si fort qu'il fendait les montagnes et brisait les rochers, en avant de Yahvé, mais Yahvé n'était pas dans l'ouragan ; et après l'ouragan un tremblement de terre, mais Yahvé n'était pas dans le tremblement de terre ; et après le tremblement de terre un feu, mais Yahvé n'était pas dans le feu : et après le feu, le bruit d'une brise légère. Dès qu'Elie l'entendit, il se voila le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l'entrée de la grotte...." (Premier Livre des Rois, chapitre l 9)

Malgré toute l'émotion esthétique et spirituelle que nous procurent ces textes merveilleux, nous sommes bien obligés de dire que ce ne peuvent être que des images symboliques.

J.-P. LINTANF disait "Dieu est inaccessible dans son secret, dans son mystère'' mais il ajoutait "ce sont les énergies de Dieu qui nous transfigurent et nous divinisent."

Mais alors, ne peut-on vraiment rien dire de Dieu ?

Il est tout à fait remarquable d’expérimenter que là, peut-être plus qu'ailleurs, si la parole est d'argent, le silence est d’or.

Gabriel RINGLET exprime cela merveilleusement en parlant d'un SILENCE HABITE et d'un NON-DIT ACTIF.

"Ce non-dit" n'est-il pas, au cœur de toutes les religions et de toutes les sagesses ? Les théologiens le savent bien qui, au Moyen-Age, ont inventé la théologie dite "négative" ou "apophatique (du grec 'apophanaï',"dire non") pour signifier qu'il n'est pas possible d'approcher la connaissance de Dieu par affirmations mais uniquement par négations successives (il n'est pas visible, nommable, etc.) Par d'autres chemins, nombre de mystiques disent aussi qu'on ne peut pas percer le Mystère, et les moines, et le bouddhisme, tous sont convaincus que la réalité ultime reste insaisissable.

Ricoeur élargit encore en se demandant s'il n'existe pas "un fondamental" une sorte de réalité ultime, impossible à exprimer, à enfermer en tout cas dans une formulation dogmatique, et qui pourtant concerne chacun, quelle que soit sa philosophie ou sa religion. "Il faudrait presque un silence commun, dit-il, sur ce qui ne peut pas être dit." Parce que chacun, finalement, croyant ou non, chrétien ou laïque, est appelé à trouver, au fond même de sa conviction, ce qui le rejoint de façon souterraine et que, par certains côtés, il ne maîtrise pas. En ce sens-là, il y aurait, au bout du dialogue, comme un dia-silence, un "silence traversé", là où se rejoignent, dans l’extrême différence," le point de silence et le point de rassemblement." (L'Evangile d'un libre penseur - Albin Michel 1998. page 49)

Nos lecteurs et amis comprendront que je n'ajoute plus rien...

André Verheyen - LPC-1998

(1) Les citations de J.-P. Lintanf sont extraites d'un compte rendu de sa conférence qui a voulu garder son caractère oral. (retour)
26 mai 2018 6 26 /05 /mai /2018 08:00
André VerheyenLe paysage n'est pas juste!
André Verheyen

Un amateur de randonnées en montagne n'oubliait jamais d'emporter avec lui le guide touristique qui détaillait les itinéraires, les points de vue intéressants et les caractéristiques du paysage. Il y avait déjà un certain nombre d'années qu'il se fiait ainsi à ce guide. Et voilà qu'un jour il s'arrêta, tout perplexe, car le paysage ne correspondait pas à ce qu'il pouvait lire dans son guide touristique. C'est alors qu'il s'écria: "Mais le paysage n'est pas juste!"

***

Arrivés à la maison, ses compagnons lui demandèrent: "Explique-nous la parabole du randonneur en montagne". Il leur dit: "Quand des spécialistes de la théologie traditionnelle continuent de parler dans un langage qui ne correspond plus à la culture des gens, le message ne passe plus. Alors, ils disent: ces gens n'ont plus la foi.

Mais les disciples insistèrent: "Peux-tu nous donner un exemple? Il dit: "Vous savez qu'il est écrit:

"Le dogme de l'Assomption parle en ce sens de notre propre avenir, il désigne l'objet de l'espérance qui nous habite dès aujourd'hui dans le temps de l'histoire, car la création attend avec impatience la révélation des "fils de Dieu", et nous aussi, qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l'adoption, la délivrance de notre corps" (Rom. 8, "19 et 23). L'Assomption atteste que Dieu a déjà anticipé pour la mère de son Fils le salut espéré par les chrétiens !??! (n° 265 p. 44)." (extrait du document "Marie... Controverse et conversion", cité dans un article de Jean-Marie HENNAUX, SJ. - voir "Pastoralia" de mars 1998)

"Lorsque, dans quelques années, dans des églises plus ou moins vides, les autorités ecclésiastiques souscriront encore à ces déclarations œcuméniques avec pompes et cérémonies, elles penseront sans doute: dommage que tant de gens n'aient plus la foi pour se réjouir avec nous!"

***

Ce qui vaut pour la "mariologie" vaut pour tous les autres domaines du message chrétien.

Un domaine sensible est le langage du rituel de la confirmation. Est-ce qu'on se rend compte qu'on tient ce langage à des jeunes de 12 à 17 ans?

Cependant, il ne faudrait pas croire que la méprise ne touche que les jeunes. Ainsi, un de mes confrères qui était titulaire d'une classe de sixième latine (des garçons d'environ 13 ans) dans un grand collège de la capitale avait vécu la Confirmation de la majorité de ses élèves. Le lendemain du congé qui avait suivi cette célébration se révéla comme un jour de classe particulièrement pénible. Aussi, lorsqu'après la classe ce collègue nous rejoignit au réfectoire pour le goûter, il me dit: "tu me croiras ou tu ne me croiras pas, mais j'ai les trois quarts de mes élèves qui ont été confirmés samedi dernier... eh bien, ils sont aussi bêtes qu'avant!"

***

Je laisse évidemment à ce confrère la responsabilité de son affirmation. Mais - plus fondamentalement - revenons au langage de ce rituel de la Confirmation. La difficulté principale semble résider dans l'ambigüité du terme "donner" ou du terme "recevoir" quand il s'agit de !'Esprit. Comment un rite sacramentel peut-il "donner" l'Esprit? Que peut signifier, dans notre sensibilité culturelle d'aujourd'hui, que nous avons "reçu" l'Esprit Saint au baptême et que nous le "recevons" davantage par l'imposition des mains et l'onction d'huile de la Confirmation?

En particulier, dans le rite central de l'onction d'huile, on peut se demander si la formule "N., sois marqué(e) de l'Esprit Saint, le don de Dieu." ne gagnerait pas à mieux dissocier le signe du signifié. Telle quelle, cette formule ne correspond à aucun vécu expérimental. Le jeune est marqué de l'onction d'huile mais la relation avec l'Esprit - pour être crédible - doit être exprimée dans le registre du signe.

On pourrait suggérer par exemple: "N., comme cette onction d'huile signifie sa douceur pénétrante et son pouvoir de guérison, que l'Esprit du Seigneur puisse te communiquer sages­ se, intelligence, amour et force."

***

J'entends d'ici les protestations de ceux qui vont me dire: "Et que faites-vous de l'action efficace du Sacrement ?"

Je les renvoie à ce que disait mon confrère dont les trois quarts de sa classe avaient été confirmés. Et j'ajoute: "Chers amis, trouvez-nous un langage crédible, qui corresponde au vécu. Mais ne nous dites pas que c'est le paysage qui n'est pas juste !"

André Verheyen - LPC - 1998

28 avril 2018 6 28 /04 /avril /2018 08:00
André VerheyenJésus Fils de Dieu (suite)
André Verheyen

Nous rappelons qu'il s'agit de réponses à la question "

Pour vous, qui est Jésus-Christ ?

" recueillies par le Père A.-M. CARRE et publiées aux Editions du Cerf en 1978. Certains témoignages sont anonymes. D'autre part, nous ne citons que des extraits; il faut en tenir compte pour l'objectivité vis-à-vis de la pensée totale des auteurs cités.

 

1 - Anonyme (Nord)

J'ai assez fait de philosophie pour pouvoir vous dire de belles choses bien pensées. Mais Jésus n'est pas un sujet de thèse. Il est "l'Amour" ! Explique-t-on l'amour? Je n'ai pas répondu à la question, je le sais. Mais lorsqu'on aime quelqu'un, on ne peut pas le définir, l'enfermer dans le carcan étroit et incommode des mots.

2 - Etienne BORNE (philosophe, agrégé de l'Université)

Ce qui me gêne dans la question est le "pour vous". Il m'est en effet difficile de m'expliquer sur ce que peut ê tre ma foi en Jésus- - Christ, non que je répugne à la confesser publiquement, mais parce que la manière dont je tente de la penser et de la vivre, et qui n'est nullement exemplaire, rapetisse la foi en Jésus - Christ selon la médiocre mesure de mes difficultés et de mes obscurités, de mes questions et de mes recherches, dont je crains que les unes et les autres soient sans fin aussi longtemps que je vivrai en un monde ainsi fait que, comme disait Pascal, on en voit toujours trop pour nier et pas assez pour s'assurer. (0.C. p.25)

Ici en particulier nous devons signaler que cet extrait ne rend pas complètement le témoignage de l'auteur, qui se termine d'ailleurs par "A cette foi de l'Eglise, je crois et je veux croire". Mais il nous semble intéressant de recevoir également le témoignage des difficultés, des questions et des recherches.

3 - 74 ans, ( Rhône)

Depuis plus de 65 ans, je tourne autour; rebuté par les bigotismes, les fanatismes… et les cantiques, je m'impose de "pratiquer" pour, un jour j'espère, obtenir de vraiment croire.

Tellement homme, impossible qu'il soit Dieu! Tellement plus grand que l'homme, impossible, plus impossible encore, qu'il ne soit pas Dieu! (o.c. p. 26)

4 - Robert BURON (ancien ministre)

Pour moi Christ est à la fois l'auteur et l'acteur de la plus belle histoire du monde. Henri Laborit, dans " Biologie et Structures", dit que l'Evangile constitue la clef de l’esthétique des structures. Je partage ce sentiment. Christ pour moi a recréé la vie, lui a donné un sens nouveau que je ressens essentiellement comme harmonieux, esthétique , épanouissant.

Peut-être, comme me l'ont reproché des Pères dominicains, experts en la matière, suis-je un agnostique chrétien. S'il en est ainsi, je m'assume comme tel. Mais ce n'est pas comme philosophe, moins encore théologien, que je m'affirme chrétien, c'est comme être vivant, séduit par ce que nous appelons maintenant un modèle.(o.c. p. 33)

5 - Yves CONGAR (Dominicain)

… je crois m'être approché d'une position à la saint Paul, pour laquelle on se demande en vain si elle est théocentrique ou christocentrique. "Dieu" est absolument premier, mais il est "le Père de Jésus- Christ, Notre Seigneur" : ceci dans ma pensée dogmatique et dans ma prière, si j'ose employer d'aussi grands mots pour des choses qui sont, chez moi, si médiocres. Mais il s'agit de ma vie telle que j'essaie de la mener au milieu des hommes, avec eux et pour eux, alors c'est Jésus- Christ qui en est la lumière, la chaleur et, par son Saint-Esprit, le mouvement. Chaque jour Il m'interpelle. Chaque jour Il m'empêche de m'arrêter…(o.c. p. 58)

6 - Marc ORAISON (docteur en médecine, docteur en théologie)

Pour moi Jésus - Christ est d'abord un homme comme les autres, au milieu des autres, aussi peu spectaculaire que possible et "non sacral". On s'aperçoit peu à peu qu'Il exprime en même temps "autre chose" que l'homme disons l'Amour en tant que préexistant et triomphant. Il achève la mort. Il est la parole de l'Amour, dont on aperçoit la présence comme telle après sa mort, sur un mode qui n'a aucun point de comparaison.

C'est parce que les disciples d'Emmaüs aimaient le Christ, prêts à aller plus loin que leurs catégories, c'est parce qu'ils croyaient en lui qu'ils se sont aperçus qu'Il était là ressuscité d'entre les morts. La foi dans le Christ Jésus transcende toute catégorie et toute culture. Elle transcende le temps en l u i donnant son sens. Elle nous transfigure dans notre réalité la plus concrète et la plus palpitante, éventuellement la plus sordide…

Il est bien plus que " l'Ami" ; Il est celui qui "cristallise " l'humanité vers son vrai destin. Jésus fait que "le Christ", c'est nous tous… (o.c. p. 124)

7 - André ROUSSIN (auteur dramatique, de l'Académie française)

Puisque c'est un avis personnel que réclame cette enquête il faut abattre ses cartes. C'est, hélas, celui d'un homme qui doute de la divinité du Christ que je dois formuler, c'est dire d'un incroyant. A ce titre le Christ reste pour moi le plus haut exemple de l'Initié, du mystique en constante liaison avec l'Esprit (le Père). Sa figure, sa légende, son martyre font de lui celui vers qui peuvent aller toutes les prières, car nul n'aura porté plus loin la notion d'amour universel, l'exemple du don de soi pour le bien du monde, la non-violence, le respect des humbles, en un mot tout ce que l'homme, de système en système, essaie éternellement d'établir au nom de l'humanité.

Le Christ représente enfin la force révolutionnaire et d'une inéluctable pensée qui porte en soi le principe de la libération des masses opprimées et l'avènement des misérables. Jamais plus qu'aujourd'hui où elles sont reniées et combattues, la pensée, la doctrine du Christ n'ont été aussi actuelles. Jamais plus qu'aujourd'hui le croyant et l'incroyant peuvent y trouver la même source de Vie.( 0.c.p.142)

8 - Arthur RUBINSTEIN

Pour moi Jésus- Christ a été depuis toujours, est et sera l'être sublime, suprême et idéal que l'humanité ait produit. En tant que Juif, c'est le seul orgueil que je ressens d'être de sa race. Son existence, ses paroles, son sacrifice et sa foi ont donné au monde le plus noble cadeau qu'il ait jamais reçu: celui de l'amour, l'amour de son prochain, l'amour du pauvre, la pitié, l'humilité, enfin tous les sentiments qui anoblissent l'être humain.

Cependant, j'ai la conviction qu'on ne peut pas le concevoir comme un être qui ne soit pas de ce monde, comme un Dieu. A mes yeux, cela lui enlèverait la qualité de martyr suprême...

Je préfère donc l'aimer, l'adorer comme l'Homme suprême... (o.c. p. 144)

 

***

 

Il est évident que l'un ou l'autre de ces témoignages ne correspond pas exactement à celui que les Apôtres et Evangélistes ont voulu donner de leur foi en Jésus - Christ. Et le Magistère de l'Eglise – qui a entre autres pour mission de veiller à la fidélité au message des Apôtres – peut et doit le faire remarquer. Cela n'a rien de choquant si ce n'est pas exprimé sous forme de condamnation mais sous forme de constatation d'une différence.

Dans une Eglise qui serait libérée de tout autoritarisme, il y aurait toujours place pour les dogmes mais pas dans le sens où l'on obligerait les gens à croire quelque chose sous peine d'excommunication. Le sens du mot grec 'dogma’ est 'ce que je pense', 'ce que nous croyons’. Les responsables d'une communauté de croyants ont non seulement le droit mais le devoir d'exprimer "ce que la communauté croit" pour rendre service aux membres de cette communauté.

Il est inutile de répéter ici que ce ne sera un service rendu à la communauté que si on s'adresse à elle dans son langage et dans les termes de sa culture.

D'autre part il faut souligner le rôle important que peuvent jouer en cette matière tous ceux qui sont soucieux d'une compréhension fidèle du message originel et de son actualisation fidèle dans la culture contemporaine. Les théologiens qui ont le sens de l'humour ne prennent pas de mauvaise part qu'on plaisante à leur sujet, comme on le fait d'ailleurs d'un certain nombre d'autres professions, par exemple les "psy"…Mais qu'il soit permis d'attirer ici l'attention sur le rôle indispensable des historiens, exégètes, théologiens et autres gens qui réfléchissent pour arriver à une expression satisfaisante de la foi.

André Verheyen - LPC- 1993