![]() | La fidélité à Jésus n'est pas répétition mais recréation II |
Jacques Musset |
II - Comment concevoir aujourd'hui une véritable fidélité de Jésus qui soit re-créationRe-création, qu'est-ce à dire ? Un héritage ne demeure vivant que recrééPartons d'abord d'une constatation évidente que l'on peut observer en tous domaines de la vie d'une génération à une autre génération. Un héritage ne demeure vivant et fécond pour ses héritiers que s'ils se l'approprient et donc le recréent, ce qui suppose de leur part un droit d'inventaire, une évaluation, la possibilité de retenir ce qu'ils jugent bon, la nécessaire réinterprétation de l'héritage due aux conditions nouvelles dans lesquelles vivent les héritiers, conditions d'ordre culturel, économique, politique, social, technique. C'est une tâche exigeante, mais c'est la seule qui soit prometteuse de vie, de sens, d'inventions. On peut le vérifier dans l'histoire humaine à tous les niveaux et dans notre propre histoire singulière.. Nous sommes les héritiers d'une histoire familiale, d'une éducation, de rencontres multiples. Si nous sommes reconnaissants à ceux et celles qui nous ont précédés et dont le témoignage nous a touchés, que retenons-nous d'eux qui nous fait vivre actuellement ? D'abord et avant tout un esprit, une façon de vivre fraternelle, une liberté de penser et d'agir, une ouverture à autrui, une générosité. Ce ne sont ni les représentations ni les formes à travers lesquelles nos devanciers ont exprimé et mis en œuvre ces qualités d'esprit et de cœur. Ces représentations et ces formes sont relatives à leur temps, à leur histoire, à leur tempérament. Si nous marchons sur leurs traces, à nous d'incarner, dans de nouvelles représentations et de nouvelles formes concrètes, l'esprit qui les a animés et qui nous inspire intérieurement. Telle est la véritable fidélité créatrice qui se joue avant tout au niveau d'un esprit commun qui se perpétue à travers des expressions et des réalisations diverses. Le mouvement de fidélité créative dans le judéo-christianismeIl en a toujours été ainsi dans la tradition religieuse judéo-chrétienne. On peut lire toute la Bible juive comme un incessant travail de recréation par réinterprétation de l'héritage reçu. Pourquoi ce travail s'est-il imposé à nos devanciers ? Tout simplement parce que les conditions nouvelles de vie remettaient sans cesse en question les croyances héritées ou obligeaient à se poser des interrogations inédites. Je prends seulement deux exemples. Au 6ème siècle avant notre ère, le peuple juif connut une épreuve gravissime qui a mis à bas les convictions fondamentales et les représentations sur lesquelles reposait sa foi jusque- là. On peut les résumer ainsi : Dieu était un Dieu sauveur qui avait fait alliance avec son peuple et ne pouvait donc le laisser à l'abandon; le roi était le lieutenant de Dieu pour conduire son peuple ; le territoire d'Israël était une terre donnée par Dieu; le temple était la demeure de Dieu au milieu du peuple; Jérusalem était une ville inviolable. Ainsi rien de grave ne pouvait arriver au peuple qui se sentait en sécurité. Or en 587, suite à une malencontreuse alliance du roi de Juda avec l'Egypte qui est vaincu par le roi de Babylone, Nabuchodonosor, les armées du vainqueur s'abattent sur le royaume de Juda, mettent Jérusalem à feu et à sang, rasent le temple, déportent une partie de la population à Babylone, roi en tête à qui on crève les yeux et qui périra en chemin sans laisser de descendant. Tout semble s'écrouler pour les restés sur place comme pour les déportés. Dieu semble vaincu par Mardouk le dieu national babylonien. Les croyants juifs sont immergés dans une nuit obscure qui peut en faire douter plus d'un des promesses de leur Dieu. Or durant les cinquante ans qu'a duré l'exil, un immense travail de réflexion s'est fait chez les déportés qui a abouti à une réinterprétation de leur tradition en l'élargissant, en la purifiant, en l'intériorisant. C'est pendant cette période cruciale que les exilés ont pris conscience que leur Dieu n'était pas seulement un Dieu national mais celui du ciel et de la terre, que la terre de Dieu n'était pas seulement le petit canton national de Juda mais l'univers entier, que le Temple véritable n'était pas seulement un temple de pierre mais le vaste monde, que la vocation du peuple juif n'était pas de vivre en circuit fermé mais d'être le témoin du Dieu universel à la face des nations, que chaque personne était responsable de ses actes et que la loi de Dieu lui était intérieure.(1) Je n'entre pas dans le détail de cette révolution copernicienne dans la manière pour le peuple de repenser sa foi et ses représentations. Rien ne sera plus ensuite comme avant en dépit des tentatives de revenir aux représentations anciennes. Cette époque fut extrêmement féconde en textes exprimant la foi réinterprétée et renouvelée. Une autre expérience de réinterprétation se situe au 4ème ou 3ème siècle avant notre ère avec le livre de Job. Ce long poème est une protestation contre le « catéchisme » officiel du temps qui continue à dire que le juste est assuré d'une vie heureuse ici-bas et que le pécheur n'aura pas son compte de jours ( à cette époque, la croyance en la résurrection des morts n'existe pas encore). Vous connaissez l'histoire. Job, un juste, gravement atteint par la maladie et lâché par sa famille et ses amis, dénonce cette affirmation. La meilleure preuve c'est que les faits la démentent à longueur d'années. Des justes meurent sans être rassasiés de jours tandis que des méchants prospèrent et vivent très longtemps. Des amis de Job répétiteurs de la bonne doctrine lui font la morale, veulent persuader Job qu'il a péché secrètement et donc qu'il n'a que ce qu'il mérite. Au terme du livre, Dieu désavoue les amis et reconnaît la justice de Job. Le mystère du mal subi n'est pas élucidé mais il n'est plus possible de l'attribuer au péché, même si dans les mentalités cette croyance continuera à avoir la peau dure, y compris au temps de Jésus. La tradition de réinterprétation reste vive aujourd'hui dans le judaïsme : on discute, on débat, on avance sans cesse de nouvelles significations (malgré le courant fondamentaliste et intégriste) (2) Jésus, témoin en son temps de fidélité créatriceJésus se rattachait au sein du judaïsme de son époque à ce mouvement d'ouverture et d'incessante réinterprétation. Son message et sa pratique sont à l'opposé d'une simple répétition ; c'est une re-création. Dans son combat contre le moralisme étroit et le ritualisme de ce qu'était devenue sa religion, il prône en paroles et en actes un retour à la source de la foi juive : pour lui, le rapport à Dieu s'évalue à l'aune de la justice et de l'amour pratiqués envers les autres humains ; en même temps il approfondit et élargit les perspectives : les vrais adorateurs de Dieu adorent en esprit et vérité ; c'est l'esprit et non la lettre qui est essentiel. Sur les 20 siècles passés de l'histoire du christianisme, on pourrait multiplier des exemples de cette culture de réinterprétation donnant lieu à des figures inédites de re-création, concernant l'approche du mystère du Dieu de Jésus (Les Pères grecs et latins des premiers siècles, St Augustin, puis Abélard, St Thomas d'Aquin, etc ...jusqu'à la théologie de la libération). Mais ce n'est pas le lieu de le démontrer. Depuis plus d'un siècle, beaucoup de théologiens qui s'y sont essayés ont été condamnés par Rome.(3) (à suivre) |
Jacques Musset |
(1) Entre autres références : Genèse 1; le second Isaïe, 40-55 ; Ezéchiel ; les livres de Ruth et de Jonas (retour) (2) La fin d'une foi tranquille; Bible et changement de civilisations de Francis Dumortier. Ed. Ouvrières 1977 Aujourd'hui les livres des nouveaux penseurs de l'Islam qui plaident pour un retour aux sources de leur tradition et son actualisation ) (retour) (3) Voir mon livre : Sommes-nous sortis de la crise du modernisme, Karthala, 2016 (retour) |
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