![]() | Jésus Fils de Dieu |
André Verheyen |
"EN EFFET, CEUX-LA SONT FILS DE DIEU QUI SONT CONDUITS PAR L'ESPRIT DE DIEU." (Rom 8,14)LA DIFFICULTEQui ne souscrirait pas à cette affirmation de Saint Paul ? Chez les enfants des hommes aussi, on se plaît à souligner les ressemblances: il a tout à fait les yeux de son père, ou bien, c'est son père tout craché ! Qui ne serait pas d'accord pour dire à propos de Jésus : C'est vraiment l'Esprit de Dieu qui vit en lui ! D'où vient alors la difficulté ? Elle provient de notre "héritage", comme disait le Père DINGEMANS à Froidmont. Dans cet héritage, il y a un peu de tout; il faut faire un tri. En vingt siècles, il est assez normal qu'on ait exprimé différents aspects de la foi dans des formulations marquées par les différentes époques et les différentes cultures. Et certaines de ces expressions ne nous conviennent plus dans notre contexte culturel d’aujourd’ hui, alors qu'elles sont toujours utilisées dans la liturgie ou le discours officiel du Magistère. Nous voudrions faire une remarque à ce propos. Pour être honnêtes, nous devons reconnaître que des expressions de la foi qui semblent devenues inacceptables pour beaucoup d'entre nous conviennent très bien à des chrétiens qui ont une sensibilité ou une culture plus traditionnelle. Nous pouvons donc dire que la difficulté qu'éprouvent beaucoup de chrétiens à souscrire à l'affirmation que Jésus est le Fils de Dieu provient grandement du décalage de 15 siècles entre ce qu'ils vivent et le langage officiel de l'Eglise. Mais là nous touchons un autre aspect de la difficulté : c'est que l’ affirmation que Jésus est Fils de Dieu, ou Messie, ou Roi, ou Prêtre, etc. est l'expression d'une expérience vécue avec Jésus. Autrement dit, dans le langage imagé de l'ascension ou de la montée, elle se situe au sommet; on la découvre après avoir fait l'escalade ! C'est ce que certains théologiens veulent dire en parlant de THEOLOGIE ASCENDANTE. Or, dans l'enseignement traditionnel de l'Eglise, on fait à peu près le contraire: on proclame la foi dans des termes qui sont le sommet de l'expérience et les braves gens doivent se débrouiller pour essayer de voir à quoi cela peut bien correspondre dans leur vie concrète. Pour reprendre l'image ci dessus, il s'agit dans cet enseignement d'une THEOLOGIE DESCENDANTE. Il est évident que celui qui dit ce qu'il voit au sommet peut difficilement être compris par celui qui est encore en bas ou en chemin. C'est le problème que connaissent bien les catéchistes. Lorsqu'on a commencé cette catéchèse qui partait de la vie – on ne l'appelait pas ascendante mais existentielle – on a eu beaucoup de réclamations des parents qui disaient "on ne parle plus de Dieu" ! On ne parle que de la fraternité, des copains, etc. Quand il s'agissait des cours de religion dans les écoles, on disait : " Ce n'est plus de la religion; on ne parle plus que de la drogue, de la sexualité, de la société, etc." Il est vrai que certains professeurs ou catéchistes sont tombés dans la difficulté bien connue de ne pas arriver à "la fin de la matière" Et dans le cas d'une ascension, cela veut dire qu'on rate le sommet !! Mais il est indispensable de vivre quelque chose avec Jésus avant de pouvoir dire qu'il est ceci ou cela pour moi. C'est tellement important que nous voudrions y consacrer encore quelques lignes : "A travers ces expériences qui les (les Apôtres) on t fait passer de l'accablement, du silence et de la dispersion au dynamisme, à la parole et au rassemblem ent, ils ont fait une double découverte. La découverte, d'abord, qu'ils renouaient avec ce qu'ils avaient vécu en compagnie de Jésus avant sa mort, avec ce que Jésus avait déjà commencé de "susciter" en leurs vies avant sa mort. Et c'est à partir de là que, "reconnaissant" Jésus (Luc24-31,35), ils l’ ont proclamé Christ ressuscité. La découvert e, ensuite, qu e s'attestait dès lors en Jésus ressuscité ce dynamisme et cette Puissance suscitante et vivifiante qu'à travers toute l'histoire de leur peuple ils avaient appris à nommer Dieu. Et c'est à partir de là qu'ils en sont venus ( en plusieurs étapes cependant) à confesser l'appartenance de Jésus à la sphère de Dieu, sa qualité de "Seigneur" - au sens proprement divin de ce terme - et pour finir, expressément sa divinité ." (Dictionnaire de Théologie Chrétienne - Desclée 1979, p. 205) Dans les témoignages des apôtres et des évangélistes, les témoins veulent exprimer leur expérience vécue : "ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi, vous soyez en communion avec nous. (I Jea n, I, 3) Ils disent ce qu'ils ont vécu avec Jésus et ce que, par conséquent, Jésus est pour eux. C’est d’ailleurs déjà ce qui se passe dans l’Ancien Testament. "Une fois encore, il faut rappeler ici qu’il ne s’agit nullement d’ une réflexion ou d’ un enseignement sur l'être m ême de Dieu, sur Dieu-en-soi, inconnaissable par définition: de telles spéculations, si chères aux Grecs, sont étrangères au peuple de la Bible. La théologie trinitaire repose sur les expériences religieuses vécues par Israël, elle prolonge la parole de Jésus et exprime finalement, d'une manière relativement heureuse, le mystère de Dieu-avec-nous.
Et l’auteur termine ce petit ouvrage par la considération suivante : "Historiquement, c’est ainsi qu'est Dieu-pour-nous ; les gains que représenteront les spéculations de Nicée et de Constantinople avec leurs apports notionnels et leur arsenal conceptuel, paraissent minimes et déroutants en regard de cette révélation biblique." (p. 61) C'est nous qui soulignons "déroutants "car c'est bien le premier aspect que nous avons évoqué, de cette difficulté qu'éprouvent beaucoup de chrétiens devant cette affirmation de "Fils de Dieu et tout son environnement dogmatique trinitaire. Mais revenons au deuxième aspect. Parmi tous les témoignages chrétiens sur Jésus, je ne pourrai souscrire qu'à ceux qui correspondent à mon expérience vécue, ne fût-ce que partiellement. Voici une page intéressante de Hans Kung à ce sujet dans son livre ETRE CHRETIEN (Seuil 1978, p. 143). "Le message chrétien vise à faire comprendre ce que Jésus-Christ signifie, ce qu’il est pour l'homme d’aujourd’hui. Or ce Christ deviendra-t-il réellement compréhensible aux h o mm e s d’aujourd’hui, si l’on se contente de partir, par dogmatisme, de la doctrine trinitaire établie ? Si l’ on suppose purement et simplement la divinité de Jésus, la préexistence du Fils ? Dans ce cas, la seule question qui se pose encore est de savoir c omment ce Fils de Dieu a pu assumer une nature humaine et s’y unir ; … Rendra- t-on la figure du Christ intelligible si l’on privilégie unilatéralement le titre de Fils de Dieu, si l'on refoule à l'extrême l'humanité de Jésus et lui dénie l'être personnel humain ? Si l’on choisit plutôt d'adorer Jésus comme une divinité, au lieu de marcher sur les traces de son humanité terrestre ? Ne serait-il pas plus conforme aussi bien aux témoignages du Nouveau Testament qu'à l’ orientation historique de la pensée contemporaine de partir, comme les premiers disciples, de l'homme Jésus tel qu'il fut, de son message et de sa manifestation dans l'histoire , de sa vie et de son destin, de sa réalité et de son action historiques, pour s'interroger sur les relations de l'homme Jésus avec Dieu, sur son union avec le Père? Bref, il s'agit moins d'une christologie spéculative ou dogmatique, d'une christologie qui tombe "d'en-haut" à la manière classique, que d'une christologie historique qui, sans contester la légitimité de l'ancienne christologie, réponde à davantage aux questions de l'homme d'aujourd'hui d'une christologie qui parte "d’ en - bas", du Jésus historique concret ." L E CREDO DE NICEE – CONSTANTINOPLEIl arrive que des gens nous demandent pourquoi nous récitons encore ce credo qui correspond si peu à notre sensibilité culturelle. Une comparaison très intéressante nous avait été suggérée par une très jolie lampe à pétrole qui se trouvait sur un meuble de la pièce où nous nous réunissions en comité de rédaction. Il ne viendrait à personne l’idée de nous en séparer : c’est une vénérable pièce de famille. Mais nous utilisons un autre moyen pour nous éclairer. De même, ce credo de Nicée-Constantinople est une vénérable pièce de famille mais nous utilisons d’autres expressions pour notre témoignage et notre enseignement aujourd’hui. Il est vrai qu’on pourrait souhaiter un peu plus de variété dans les formules de profession de foi utilisées au moment du credo dans nos églises. En parlant des Conciles de Nicée, d’Ephèse, de Constantinople, Hans Kung fait remarquer que "Les sièges de ses conciles montrent qu’il s’agit, sans exception, de conciles grecs. Or, le Christ n’est pas né en Grèce. L’œuvre des conciles, tout comme sa théologie sous- jacente, représente donc un travail incessant de traduction. Tout ce qu’on appelle la doctrine des deux natures est une interprétation, formulée dans la langue et les concepts hellénistiques, de ce que Jésus signifie réellement. Ne minimisons pas l’importance de cette doctrine : elle a fait l’histoire. Elle exprime une authentique continuité de la foi chrétienne et fournit des lignes directrices importantes pour l’ensemble de la discussion et pour toute interprétation future. Mais d’un autre côté, il ne faudrait pas donner l’impression que le message relatif au Christ ne peut ou ne doit se formuler aujourd’hui que par le truchement des catégories grecques, inévitables à l’époque, mais désormais insuffisantes ; que par le moyen de la doctrine calcédonienne des deux natures ; que grâce, par conséquent, à la christologie dite classique. Qu’est-ce qu’un Juif, un Chinois, un Japonais ou un Africain, qu’est-ce qu’un Européen ou un Américain moyen de nos jours ont à faire de ce codage grec ? Déjà les recherches entreprises en notre siècle, tant par les catholiques que par les protestants, pour résoudre le problème christologique vont bien au-delà de Calcédoine. Et le Nouveau Testament lui-même est infiniment plus riche." Quel langage pour aujourd’hui ?Sûrement un langage varié et pluriforme selon les différentes cultures et situations vécues. C’est ce que pensait sans doute le Père A.M.Carré, de l’Académie française, en 1978, publiant un livre portant le titre : Pour vous qui est Jésus-Christ ? Dans son introduction l’auteur dit : ""Qui dites-vous que je suis ?" Le Christ a posé cette question décisive à ses apôtres. La profession de foi que Pierre fit alors émut, émerveilla Jésus. En lisant les témoignages qui se trouvent ici rassemblés, j’avoue que bien souvent de tels sentiments s’imposèrent à moi. Beaucoup de ceux qui parcourront ces pages partageront cette émotion, voire cet émerveillement. Il y aura des moments, je crois, où leur lecture s’achèvera en prière"(o.c.page 7) Mais avant de citer l’un ou l’autre extrait de ces témoignages, qui voudraient montrer qu’il ne faut pas être théologien ni dogmaticien pour s’exprimer convenablement sur "qui est Jésus pour l’homme d’aujourd’hui", nous voudrions, paradoxalement, rendre justice aux théologiens, en laissant la parole à l’un d’eux qui est tout à fait lucide et conscient du problème. "…la façon dont le Nouveau Testament a décrit l’incarnation de fils de Dieu est liée à l’expérience qu’on a eue de Jésus de Nazareth. Seul celui qui l’a faite et qui sait comment elle lui a insufflé une vie nouvelle peut parler de la façon dont le Fils de Dieu a pris chair. Seul celui qui est lui-même rené en voyant son existence, d’elle -même vouée à la mort, échapper au ghetto du désespoir et déboucher sur un espace grand ouvert, pourra dire que l’homme grâce auquel il a pu faire cette expérience ne saurait être lui-même le fruit d’une œuvre humaine. ( E.Drewermann-"La parole qui guérit"-Cerf-1992 –page 321) "La relation du chrétien à son sauveur, à Jésus de Nazareth, est personnelle et non pas intellectuelle. Il s’agit donc de rendre possibles et d’articuler des expériences. Il peut y avoir telle ou telle chose qu’on peut formuler de manière abstraite, comme une vérité universelle. Mais on doit personnellement toujours se rapporter à l’expérience concrète. Les notions théologiques n’ont à mes yeux de valeur que si elles renvoient à celle-ci. Il me semble que nous, théologiens, nous en sommes depuis longtemps arrivés à ne plus faire que discuter entre nous de problèmes notionnels. Notre parole, même nos notions les plus importantes, ne disent plus rien à nos proches. (o.c.page 323) "Pour moi, catholique croyant, l’affirmation " Jésus est le fils de Dieu" est pleine de sens, mais il y a longtemps que j’hésite à l’employer dans les entretiens que je peux avoir avec les gens qui viennent consulter : je ne ferais que les faire se rétracter. Je vois que les enseignants ne peuvent plus le dire non plus à l’école. La seule chose qu’ils peuvent faire, c’est rendre possibles certaines expériences montrant que la personne de Jésus mérite de prendre une place centrale dans leur vie. Il vaut la peine de noter que les mots que nous avons empruntés à la Bible ou à l’hellénisme à travers la scolastique ne sont en soi que relatifs. Comme les notions rationnelles sont incapables d’engendrer une conviction, l’intellectualisation de foi n’a conduit qu’à une diminution de la croyance" (o.c.ibid.) (Suite de cet article prochainement) A. Verheyen, |
André Verheyen - LPC mai 1993 |