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14 avril 2018 6 14 /04 /avril /2018 08:00
André VerheyenJésus Fils de Dieu
André Verheyen

"EN EFFET, CEUX-LA SONT FILS DE DIEU QUI SONT CONDUITS PAR L'ESPRIT DE DIEU." (Rom 8,14)

LA DIFFICULTE

Qui ne souscrirait pas à cette affirmation de Saint Paul ?

Chez les enfants des hommes aussi, on se plaît à souligner les ressemblances: il a tout à fait les yeux de son père, ou bien, c'est son père tout craché !

Qui ne serait pas d'accord pour dire à propos de Jésus : C'est vraiment l'Esprit de Dieu qui vit en lui !

D'où vient alors la difficulté ?

Elle provient de notre "héritage", comme disait le Père DINGEMANS à Froidmont. Dans cet héritage, il y a un peu de tout; il faut faire un tri.

En vingt siècles, il est assez normal qu'on ait exprimé différents aspects de la foi dans des formulations marquées par les différentes époques et les différentes cultures. Et certaines de ces expressions ne nous conviennent plus dans notre contexte culturel d’aujourd’ hui, alors qu'elles sont toujours utilisées dans la liturgie ou le discours officiel du Magistère.

Nous voudrions faire une remarque à ce propos.

Pour être honnêtes, nous devons reconnaître que des expressions de la foi qui semblent devenues inacceptables pour beaucoup d'entre nous conviennent très bien à des chrétiens qui ont une sensibilité ou une culture plus traditionnelle.

Nous pouvons donc dire que la difficulté qu'éprouvent beaucoup de chrétiens à souscrire à l'affirmation que Jésus est le Fils de Dieu provient grandement du décalage de 15 siècles entre ce qu'ils vivent et le langage officiel de l'Eglise.

Mais là nous touchons un autre aspect de la difficulté : c'est que l’ affirmation que Jésus est Fils de Dieu, ou Messie, ou Roi, ou Prêtre, etc. est l'expression d'une expérience vécue avec Jésus. Autrement dit, dans le langage imagé de l'ascension ou de la montée, elle se situe au sommet; on la découvre après avoir fait l'escalade ! C'est ce que certains théologiens veulent dire en parlant de THEOLOGIE ASCENDANTE.

Or, dans l'enseignement traditionnel de l'Eglise, on fait à peu près le contraire: on proclame la foi dans des termes qui sont le sommet de l'expé­rience et les braves gens doivent se débrouiller pour essayer de voir à quoi cela peut bien correspondre dans leur vie concrète. Pour reprendre l'image ci­ dessus, il s'agit dans cet enseignement d'une THEOLOGIE DESCENDANTE.

Il est évident que celui qui dit ce qu'il voit au sommet peut difficilement être compris par celui qui est encore en bas ou en chemin.

C'est le problème que connaissent bien les catéchistes. Lorsqu'on a commencé cette catéchèse qui partait de la vie – on ne l'appelait pas ascendante mais existentielle – on a eu beaucoup de réclamations des parents qui disaient "on ne parle plus de Dieu" !

On ne parle que de la fraternité, des copains, etc. Quand il s'agissait des cours de religion dans les écoles, on disait : " Ce n'est plus de la religion; on ne parle plus que de la drogue, de la sexualité, de la société, etc."

Il est vrai que certains professeurs ou catéchistes sont tombés dans la difficulté bien connue de ne pas arriver à "la fin de la matière" Et dans le cas d'une ascension, cela veut dire qu'on rate le sommet !!

Mais il est indispensable de vivre quelque chose avec Jésus avant de pouvoir dire qu'il est ceci ou cela pour moi.

C'est tellement important que nous voudrions y consacrer encore quelques lignes :

"A travers ces expériences qui les (les Apôtres) on t fait passer de l'accablement, du silence et de la dispersion au dynamisme, à la parole et au rassemblem ent, ils ont fait une double découverte. La découverte, d'abord, qu'ils renouaient avec ce qu'ils avaient vécu en compagnie de Jésus avant sa mort, avec ce que Jésus avait déjà commencé de "susciter" en leurs vies avant sa mort. Et c'est à partir de là que, "reconnaissant" Jésus (Luc24-31,35), ils l’ ont proclamé Christ ressuscité. La découvert e, ensuite, qu e s'attestait dès lors en Jésus ressuscité ce dynamisme et cette Puissance suscitante et vivifiante qu'à travers toute l'histoire de leur peuple ils avaient appris à nommer Dieu. Et c'est à partir de là qu'ils en sont venus ( en plusieurs étapes cependant) à confesser l'appartenance de Jésus à la sphère de Dieu, sa qualité de "Seigneur" - au sens proprement divin de ce terme - et pour finir, expressément sa divinité ." (Dictionnaire de Théologie Chrétienne - Desclée 1979, p. 205)

Dans les témoignages des apôtres et des évangélistes, les témoins veulent exprimer leur expérience vécue : "ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi, vous soyez en communion avec nous. (I Jea n, I, 3) Ils disent ce qu'ils ont vécu avec Jésus et ce que, par conséquent, Jésus est pour eux.

C’est d’ailleurs déjà ce qui se passe dans l’Ancien Testament. "Une fois encore, il faut rappeler ici qu’il ne s’agit nullement d’ une réflexion ou d’ un enseignement sur l'être m ême de Dieu, sur Dieu-en-soi, inconnaissable par définition: de telles spéculations, si chères aux Grecs, sont étrangères au peuple de la Bible. La théologie trinitaire repose sur les expériences religieuses vécues par Israël, elle prolonge la parole de Jésus et exprime finalement, d'une manière relativement heureuse, le mystère de Dieu-avec-nous.


(J.P. Charlier., dans "Je crois en un seul Dieu" Cahiers de Froidmont, n° 14, p. 59)

Et l’auteur termine ce petit ouvrage par la considération suivante : "Historiquement, c’est ainsi qu'est Dieu-pour-nous ; les gains que représenteront les spéculations de Nicée et de Constantinople avec leurs apports notionnels et leur arsenal conceptuel, paraissent minimes et déroutants en regard de cette révélation biblique." (p. 61)

C'est nous qui soulignons "déroutants "car c'est bien le premier aspect que nous avons évoqué, de cette difficulté qu'éprouvent beaucoup de chrétiens devant cette affirmation de "Fils de Dieu et tout son environnement dogmatique trinitaire. Mais revenons au deuxième aspect. Parmi tous les témoignages chrétiens sur Jésus, je ne pourrai souscrire qu'à ceux qui correspondent à mon expérience vécue, ne fût-ce que partiellement.

Voici une page intéressante de Hans Kung à ce sujet dans son livre ETRE CHRETIEN (Seuil 1978, p. 143).

"Le message chrétien vise à faire comprendre ce que Jésus-Christ signifie, ce qu’il est pour l'homme d’aujourd’hui. Or ce Christ deviendra-t-il réellement compréhensible aux h o mm e s d’aujourd’hui, si l’on se contente de partir, par dogmatisme, de la doctrine trinitaire établie ? Si l’ on suppose purement et simplement la divinité de Jésus, la préexistence du Fils ? Dans ce cas, la seule question qui se pose encore est de savoir c omment ce Fils de Dieu a pu assumer une nature humaine et s’y unir ; … Rendra- t-on la figure du Christ intelligible si l’on privilégie unilatéralement le titre de Fils de Dieu, si l'on refoule à l'extrême l'humanité de Jésus et lui dénie l'être personnel humain ?

Si l’on choisit plutôt d'adorer Jésus comme une divinité, au lieu de marcher sur les traces de son humanité terrestre ? Ne serait-il pas plus conforme aussi bien aux témoignages du Nouveau Testament qu'à l’ orientation historique de la pensée contemporaine de partir, comme les premiers disciples, de l'homme Jésus tel qu'il fut, de son message et de sa manifestation dans l'histoire , de sa vie et de son destin, de sa réalité et de son action historiques, pour s'interroger sur les relations de l'homme Jésus avec Dieu, sur son union avec le Père?

Bref, il s'agit moins d'une christologie spéculative ou dogmatique, d'une christologie qui tombe "d'en-haut" à la manière classique, que d'une christologie historique qui, sans contester la légitimité de l'ancienne christologie, réponde à davantage aux questions de l'homme d'aujourd'hui d'une christologie qui parte "d’ en - bas", du Jésus historique concret ."

L E CREDO DE NICEE – CONSTANTINOPLE

Il arrive que des gens nous demandent pourquoi nous récitons encore ce credo qui correspond si peu à notre sensibilité culturelle. Une comparaison très intéressante nous avait été suggérée par une très jolie lampe à pétrole qui se trouvait sur un meuble de la pièce où nous nous réunissions en comité de rédaction. Il ne viendrait à personne l’idée de nous en séparer : c’est une vénérable pièce de famille. Mais nous utilisons un autre moyen pour nous éclairer.

De même, ce credo de Nicée-Constantinople est une vénérable pièce de famille mais nous utilisons d’autres expressions pour notre témoignage et notre enseignement aujourd’hui. Il est vrai qu’on pourrait souhaiter un peu plus de variété dans les formules de profession de foi utilisées au moment du credo dans nos églises.

En parlant des Conciles de Nicée, d’Ephèse, de Constantinople, Hans Kung fait remarquer que

"Les sièges de ses conciles montrent qu’il s’agit, sans exception, de conciles grecs. Or, le Christ n’est pas né en Grèce. L’œuvre des conciles, tout comme sa théologie sous- jacente, représente donc un travail incessant de traduction. Tout ce qu’on appelle la doctrine des deux natures est une interprétation, formulée dans la langue et les concepts hellénistiques, de ce que Jésus signifie réellement. Ne minimisons pas l’importance de cette doctrine : elle a fait l’histoire. Elle exprime une authentique continuité de la foi chrétienne et fournit des lignes directrices importantes pour l’ensemble de la discussion et pour toute interprétation future. Mais d’un autre côté, il ne faudrait pas donner l’impression que le message relatif au Christ ne peut ou ne doit se formuler aujourd’hui que par le truchement des catégories grecques, inévitables à l’époque, mais désormais insuffisantes ; que par le moyen de la doctrine calcédonienne des deux natures ; que grâce, par conséquent, à la christologie dite classique. Qu’est-ce qu’un Juif, un Chinois, un Japonais ou un Africain, qu’est-ce qu’un Européen ou un Américain moyen de nos jours ont à faire de ce codage grec ? Déjà les recherches entreprises en notre siècle, tant par les catholiques que par les protestants, pour résoudre le problème christologique vont bien au-delà de Calcédoine. Et le Nouveau Testament lui-même est infiniment plus riche."

Quel langage pour aujourd’hui ?

Sûrement un langage varié et pluriforme selon les différentes cultures et situations vécues. C’est ce que pensait sans doute le Père A.M.Carré, de l’Académie française, en 1978, publiant un livre portant le titre : Pour vous qui est Jésus-Christ ?

Dans son introduction l’auteur dit : ""Qui dites-vous que je suis ?" Le Christ a posé cette question décisive à ses apôtres. La profession de foi que Pierre fit alors émut, émerveilla Jésus. En lisant les témoignages qui se trouvent ici rassemblés, j’avoue que bien souvent de tels sentiments s’imposèrent à moi. Beaucoup de ceux qui parcourront ces pages partageront cette émotion, voire cet émerveillement. Il y aura des moments, je crois, où leur lecture s’achèvera en prière"(o.c.page 7)

Mais avant de citer l’un ou l’autre extrait de ces témoignages, qui voudraient montrer qu’il ne faut pas être théologien ni dogmaticien pour s’exprimer convenablement sur "qui est Jésus pour l’homme d’aujourd’hui", nous voudrions, paradoxalement, rendre justice aux théologiens, en laissant la parole à l’un d’eux qui est tout à fait lucide et conscient du problème.

"…la façon dont le Nouveau Testament a décrit l’incarnation de fils de Dieu est liée à l’expérience qu’on a eue de Jésus de Nazareth. Seul celui qui l’a faite et qui sait comment elle lui a insufflé une vie nouvelle peut parler de la façon dont le Fils de Dieu a pris chair. Seul celui qui est lui-même rené en voyant son existence, d’elle -même vouée à la mort, échapper au ghetto du désespoir et déboucher sur un espace grand ouvert, pourra dire que l’homme grâce auquel il a pu faire cette expérience ne saurait être lui-même le fruit d’une œuvre humaine.

( E.Drewermann-"La parole qui guérit"-Cerf-1992 –page 321)

"La relation du chrétien à son sauveur, à Jésus de Nazareth, est personnelle et non pas intellectuelle. Il s’agit donc de rendre possibles et d’articuler des expériences. Il peut y avoir telle ou telle chose qu’on peut formuler de manière abstraite, comme une vérité universelle. Mais on doit personnellement toujours se rapporter à l’expérience concrète. Les notions théologiques n’ont à mes yeux de valeur que si elles renvoient à celle-ci. Il me semble que nous, théologiens, nous en sommes depuis longtemps arrivés à ne plus faire que discuter entre nous de problèmes notionnels. Notre parole, même nos notions les plus importantes, ne disent plus rien à nos proches. (o.c.page 323)

"Pour moi, catholique croyant, l’affirmation " Jésus est le fils de Dieu" est pleine de sens, mais il y a longtemps que j’hésite à l’employer dans les entretiens que je peux avoir avec les gens qui viennent consulter : je ne ferais que les faire se rétracter. Je vois que les enseignants ne peuvent plus le dire non plus à l’école. La seule chose qu’ils peuvent faire, c’est rendre possibles certaines expériences montrant que la personne de Jésus mérite de prendre une place centrale dans leur vie. Il vaut la peine de noter que les mots que nous avons empruntés à la Bible ou à l’hellénisme à travers la scolastique ne sont en soi que relatifs. Comme les notions rationnelles sont incapables d’engendrer une conviction, l’intellectualisation de foi n’a conduit qu’à une diminution de la croyance" (o.c.ibid.)

(Suite de cet article prochainement) A. Verheyen,

André Verheyen - LPC mai 1993

17 mars 2018 6 17 /03 /mars /2018 09:00
Christiane van den MeersschautLa deuxième naissance
Christiane van den Meersschaut

Ce qui est frappant dans la Bible, c'est le grand nombre de textes du Premier comme du Second Testament qui invitent l'homme à une deuxième naissance. Il lui est à chaque fois demandé de s'arracher à toutes les puissances d'esclavage, d'accepter de mourir à certaines habitudes qui induisent "des morts". C'est alors qu'il pourra re-naître pour continuer la création à l'image de Dieu, car, en laissant germer Dieu en lui, il divinisera l'humanité.

Cette renaissance, nous le savons bien, n’est est pas située dans le temps en un instant précis, mais est une attitude quotidienne de remise en question. Il me semble que toute personne qui est appelée à transmettre les récits bibliques, prêtre, enseignant, parent, ... doit relire les textes à la lumière de l'exégèse d'aujourd'hui. Ensuite, les faire re-naître pour qu'ils deviennent porteurs de sens, porteurs de vie pour l’homme du 21ème siècle.

Je voudrais partager avec vous une expérience vécue avec un groupe d'enfants de 11 ans.

J'avais raconté "Le sacrifice d'Isaac". Suite à ce récit, Alexandre m'explique que ce texte veut nous dire que Dieu met l'homme à l'épreuve pour voir jusqu'où va sa confiance en lui. A ma demande de savoir comment il a découvert ce message, il me répond que son professeur précédent l'avait expliqué ainsi. J'ai donc demandé que chacun s'interroge : "Et si, aujourd'hui votre papa ou votre maman entendait Dieu lui demander "Donne-moi ton fils", qu'est-ce que cela voudrait bien dire ?

Après quelques "je ne sais pas", Sébastien lance : "C'est lui faire aimer Dieu." Et d'autres réponses s'enchaînent : "C'est lui apprendre qui est Dieu." "C'est l'inscrire au cours de religion" ; "c'est le faire baptiser" ; "c'est lui lire la Bible".

Vanessa dit alors : "oui, mais aujourd'hui, les fils, c'est nous. Qu'est-ce que ce texte veut dire? Comment nous, on peut se donner à Dieu ? Car c'est nos parents qui décident.

Je leur propose alors de relire le chapitre 25 de St Matthieu et bien vite Michaël dit : "Si on veut se donner à Dieu, on doit se donner aux autres." "Comment ?" dis-je. "En consolant celui qui est triste à la récré, en m'occupant de ma petite sœur pour que ma maman soit moins nerveuse, en acceptant dans notre équipe le 'mauvais' élève de la classe…

Nous nous demandons alors si nous connaissons des gens qui se donnent à Dieu en se donnant aux autres. Des noms très populaires sont cités : Mère Térésa, Sœur Emmanuelle, l'abbé Pierre, le Père Damien... Nous observons aussi que parmi les gens qui nous entourent, il y en a qui essayent de vivre comme cela. Et chacun de donner des exemples.

Nous relisons le texte dans la Bible et je le situe alors dans l'histoire culturelle de l'époque. Ceci afin de pouvoir expliquer pourquoi Abraham croit que Dieu lui demande de lui sacrifier son fils. Nous constatons qu'Abraham est marqué par les religions naturelles et leurs coutumes, qu'il vit au milieu des Cananéens qui, comme ses propres ancêtres, sacrifiaient des humains pour obtenir des faveurs ou apaiser la colère des dieux. Nous découvrons que cette prise de conscience d'Abraham est un grand progrès pour l'histoire de l'humanité : toute une descendance qui, au milieu d'autres peuples, va abandonner cette coutume de donner la mort, au profit d'un dieu de vie.

Sans aucun jugement de ma part sur le professeur précédent, en mon for intérieur, je m'interroge sur l'événement. Je me demande si cette personne transmet simplement l'explication qu'elle-même a reçue, parce que c'est comme cela qu'on l'explique d'habitude, ou si c'est une explication qui la comble ? Cette explication peut-elle la faire re-naître? Peut-on aimer un Dieu qui, nous dit-on, nous aime comme un père, et qui pousserait le sadisme jusqu'à mesurer notre amour en nous demandant de donner la mort ? Juste pour voir jusqu'où on peut aller ? Faut-il continuer à véhiculer cela ?

Abraham Segal, interrogé par M. Dubertret à propos de son livre "Enquête sur un patriarche", nous fait remarquer ceci : En Israël, aujourd’hui, le sacrifice des jeunes générations par les pères dans des guerres à répétition est associé à l'épisode biblique du "sacrifice d'Isaac" ("aqedah", en hébreu) .(1)

La référence est consciente, clairement formulée et débattue par les intellectuels comme dans la rue. De guerre en guerre, la société israélienne est passée, par rapport à l'aqedah", du conformisme à la contestation. Le mythe a d'abord justifié le sacrifice des jeunes soldats. Puis, des écrivains, des poètes, des politiciens se sont révoltés, ont osé dire que cette référence était nocive. Assez de sacrifices ! Ce mouvement est né après la guerre de 1967 et n'a cessé de se renforcer par la suite. ("La Vie " 11° 2640 du 04.04.96)

Nous croyons en un Dieu d'amour, en un Dieu qui veut la Vie, en un Dieu qui nous demande de ne pas scandaliser un seul de "ses petits". Nous ne pouvons plus présenter un Dieu qui jouerait avec "ses petits" à faire semblant.

Christiane van den Meersschaut

(1) N. d. l. r. : Etant donné qu'il s'agit d'une citation, nous n'y changeons rien ; il est cependant intéressant de savoir que l'hébreu aqeda signifie ligature ou ligotage, du verbe aqad, lier (Gn 22,9 : il lia Isaac, son fils) .Comme le dit notamment A. Abecassis, il s'agit de la ligature d'Isaac. (retour)
3 mars 2018 6 03 /03 /mars /2018 09:00
André VerheyenLe miracle
André Verheyen

C'est un sujet tout à fait typique où les croyants et les incroyants avaient jadis la même certitude : les uns pour être sûrs de l'intervention de Dieu et les autres pour être aussi sûrs du contraire.

Mais, heureusement pour le progrès du dialogue, les choses ne sont pas aussi simples. Les connaisseurs de la Bible nous font remarquer que la notion de miracle, telle qu'elle a été généralement comprise depuis deux siècles en Occident, n'existe pas dans la Bible. Cette notion, qui est encore très répandue de nos jours , est la suivante : une chose qui est contraire aux lois de la Nature, ou tout au moins inexplicable par la science, mais que Dieu réalise par une intervention spéciale, puisqu'il n'est pas lié par les lois naturelles.

Avant de donner les trois notions bibliques qui correspondent à ce que nous appelons aujourd'hui "miracle", rappelons que ce mot vient du latin "mirari" qui signifie s'étonner ou aussi admirer.

Le mot "miraculum" signifie donc quelque chose d'étonnant ou aussi d’admirable.

Dans le registre de l 'admiration, on admire les "mirabilia Dei", c'est-à-dire les merveilles de Dieu. Mais dans la Bible, ces merveilles de Dieu que l'on admire et pour lesquelles on lui rend grâces ne sont pas les exceptions aux lois de la Nature ! Bien au contraire ce sont les merveilles de la création et de la vie.

Dans le registre de l'étonnement, voici donc les trois mots, les trois notions bibliques qui correspondent au miracle :

1. Les signes : Jean termine son évangile en disant: "Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d'autres signes qui ne sont pas consignés dans ce ivre. Ceux-ci l'ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom." (XX, 30-31)

En fait de signe, il ne lui en sera pas donné d'autre que le signe de Jonas." (XVI, 4)

2. Les prodiges : (Actes, II, 22) "Israélites, écoutez ces paroles : Jésus le nazaréen, cet homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous..."

"Moïse et Aaron accomplirent tous ces prodiges en présence d e Pharaon." (Exode, XI,10)

3. Les œuvres : "et si vous ne croyez pas ma parole, croyez pourtant à cause de ces oeuvres." (Jean, XIII, 11) Moîse dit : "A ceci vous saurez que c'est Yahvé qui m'a envoyé pour accomplir toutes ces oeuvres, et que je ne les fais pas de mon propre chef..." (Nombres, XVI, 28)

On pourrait se demander si ce ne serait tout de même pas la notion de prodige qui correspondrait le mieux à ce que nous appelons miracle. Mais quel n'est pas notre étonnement lorsque nous constatons que les prodiges ne sont pas le monopole des amis de Dieu: leurs adversaires en font aussi !

"Si quelque prophète ou faiseur de songes surgit au milieu de toi, s'il te propose un signe ou un prodige et qu'ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s'il te dit alors "Allons suivre d'autres dieux (que tu n'as pas connus) et servons­ les , tu n'écouteras pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur." (Deutéronome, XIII, 2)

"Il surgira, e n effet, des faux Christ et des faux prophètes qui opéreront des signes et des prodiges pour abuser, si possible, les élus." (Marc, XIII, 22)

Une première conclusion que nous pouvons déjà formuler, c'est qu'il faut renoncer à utiliser une chose étonnante ("miraculum") telle qu'un prodige comme une preuve objective en faveur d'une intervention de Dieu.

Une autre remarque que pouvons faire ici sans la développer - car il faudrait y consacrer un dossier à part - qu'une réflexion sérieuse sur la "création" et sur le "Dieu créateur " nous conduirait à la conclusion qu'une "intervention" de Dieu dans sa création n'est "spéciale" ou "ordinaire" que dans notre conscience subjective.

Ne soyons pas déçus mais réjouissons-nous de ce que la liberté de la foi soit rétablie ! C’est en toute liberté que je perçois un signe de l'amour de Dieu ou de sa sagesse dans un événement ou un fait étonnant , même s'il est parfaitement explicable par la science ou la raison.

Dans un numéro de la revue "Fêtes et Saisons" intitulé "Dieu est discret", il y a quelques pages très intéressantes sur la connaissance par signes (n° 296 juin­ juillet 1975)

Voici un passage remarquable à ce sujet :

"J'appelle Signe quelque chose que je vois mais qui, de plus, me révèle quelque chose (ou quelqu'un) que je ne vois pas.

Rentrant chez moi, je trouve un bouquet de roses sur ma table. Je puis me contenter de dire : "Tiens ! voilà un bouquet de roses."

Si je suis horticulteur, je dirai peut-être que ce sont des roses Meillan et je pourrai expliquer par quelles hybridations on les a obtenues.

Mais je puis, en plus, y voir le signe de l'affection de quelqu'un à mon égard. Les roses sont toujours des roses, et des roses Meillan, mais à travers elles, j'ai vu plus qu'elles : j'ai vu une tendresse, j'ai vu quelqu'un." (revue citée, page 8)

Dans cette conception du signe, il n'y a pas de place pour une quelconque opposition entre la science et la foi. Ce faux problème ne surgit que lorsque je pense devoir privilégier la présence ou l'action de Dieu dans les choses qui sortent de l'ordinaire et que, de plus, je veux en faire un argument objectif ou une preuve.

Le cas de Lourdes est exemplaire dans cette optique.

Bien que le magistère ecclésiastique n'ait jamais imposé de croire ni aux apparitions ni aux miracles, la tradition catholique a toujours utilisé les uns et les autres comme argument apologétique en faveur du dogme de l'Immaculée Conception. Et un chaînon essentiel dans le processus de l'argumentation était que le Bureau des Constatations Médicales, composé de médecins croyants et incroyants, affirmait que la guérison constatée était inexplicable dans l'état actuel de la médecine.

Dans une telle conception du miracle, il est vrai que les progrès de la science risquent de réduire le nombre des guérisons miraculeuses dans l'avenir.

Dans cette conception également, il n'est pas étonnant de trouver, encore aujourd'hui, des articles de presse comme "Miracles de Lourdes : Dieu ou la science?" (La Libre Belgique - 26 octobre 1993). Le sous-titre disait "Congrès de médecins catholiques : l'état de la recherche n'explique pas encore toutes les guérisons".

On cite dans cet article l'intervention du Professeur André Trifaud, membre du ''Comité Médical International de Lourdes" à propos du cas de Delizia Cirroli, la jeune Sicilienne guérie à Lourdes en décembre 1976 d'un sarcome d'Ewing, tumeur osseuse extrêmement grave. Cette enfant promise à la mort, souffrant terriblement des mois durant, a été emmenée à Lourdes par ses proches, son village s'étant cotisé pour lui offrir le voyage.

Sa guérison, survenue quelques jours après son retour de France, a été considérée comme médicalement inexplicable et déclarée miracle (le 65ème) par l'évêque de Ca­tane (Italie) le 28 juin 1989.

"Le Prof. Trifaud : "C'était une tumeur osseuse maligne, constatée par biopsie, pour laquelle l'amputation avait été proposée. Nous avons observé une régression radio­ logique, sans traitement par irradiation. C'était un dossier en or, merveilleux.

Un dossier que l'on peut montrer à n'importe quel médecin incroyant, qui dira qu'il n'y comprend rien."

"Le Pr Trifaud s'est ensuite adressé à ses confrères médecins catholiques : "Je ne veux pas vous faire de la peine, mais peut-être un jour, nous aurons une explication de cette régression, grâce notamment aux récents travaux des chercheurs japonais dans ce domaine."

Je voudrais relever la phrase "Je ne veux pas vous faire de la peine, mais…"

Il n'y a pas de quoi avoir de la peine ! Même si on peut l'expliquer médicalement, ceux dont le cœur est capable de percevoir un signe de la tendresse de Dieu verront toujours dans cette guérison un miracle dans le sens du signe évoqué par la revue "Fêtes et Saisons" citée ci-dessus et dans le sens des "mirabilia Dei", les merveilles de Dieu pour lesquelles l'homme de la Bible Lui rend grâces. C'est un peu comme si on disait : je ne veux pas vous faire de la peine mais les découvertes paléontologiques nous mettront de plus en plus en présence de restes humains antérieurs à l'apparition d'Adam et Eve dans la chronologie de la Bible. Il n'y aura que les fondamentalistes du genre Témoins de Jéhovah pour avoir de la peine, s'ils constatent qu'ils se sont trompés.

Mais une pensée chrétienne ne peut que se réjouir d'une purification de la notion de miracle dans le sens du signe. Cela permet en effet d'évacuer tous ces faux problèmes qui ont été à l'origine de l'opposition science/ foi.

Comme dans d'autres domaines, il n'est pas facile de faire évoluer les mentalités.

La fin de l'article cité (L.L.B. - 26/10/1993) est significative à ce sujet. En effet, il dit que" les théologiens et évêques à Lourdes étaient unanimes sur l’idée que la guérison inexpliquée dans l’état actuel de la science (c'est moi qui souligne) est, avant tout, un s i g n e de Dieu (souligné dans le texte de l'article). On a senti le besoin d'ajouter ce 'inexpliquée dans l'état actuel de la science'.

Besoin que ne me semblent pas avoir les Musulmans puisque, toujours selon cet article, le Dr Dalil Boubakeur, recteur de l'Institut musulman de la mosquée de Paris, a rappelé que dans la religion musulmane, "Tout vient de Dieu. La guérison est un bienfait de Dieu, obtenu par la prière. Le médecin en est le témoin instrumentaire." !

Le Docteur Maurice Abiven, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, livre une réflexion intéressante dans un article intitulé "Le Miracle n'est plus ce qu'il était" (LA CROIX - 17/11/1993).

En parlant du même congrès de Lourdes (23/24 octobre 1993) il dit entre autres :

"··· grâce à plusieurs interventions d'excellente qualité, et en particulier celle du P.A. Dupleix sur la théologie du miracle, il m'est apparu que ce qui mérite d'être retenu dans les guérisons miraculeuses de Lourdes, ce n'est pas leur caractère irrationnel.

Quelle que soit l'explication qui en est donnée, explication qui, pourquoi pas, pourrait un jour perdre son caractère d'étrangeté pour devenir tout à fait explicable, ces guérisons sont d'abord à comprendre, par ceux qui en bénéficie et par les croyants (c'est moi qui souligne), comme un signe (miraculum: signe) (parenthèse dans le texte), une sorte de clin d'œil que leur fait le Seigneur, quelque chose comme s'il disait à ces miraculés : "Pour moi, tu es quelqu'un!".

Si j'ai souligné "par ceux qui en bénéficient et par les croyants "c'est que l'auteur nous aide à comprendre qu'il s'agit bien de la liberté de la foi et non pas de preuves objectives que l'on pourrait imposer dans une apologétique de mauvaise qualité.

C’est aussi ce qui nous permet de souscrire, en toute liberté, à la conclusion de son article :

"Même si l'Eglise, conseillée par la science médicale, a tendance à réduire le nombre des miracles qu'elle accepte de reconnaître – et je pense que cette évolution est raisonnable - il n’en reste pas moins que Lourdes sera encore pendant longtemps un lieu privilégié par Dieu pour faire un signe aux hommes, et au travers de la charité des uns pour les autres, une manifestation de son amour."

Nous pensons rendre service tant aux croyants qu'aux incroyants en présentant une vision des choses qui évite les pièges d'une pseudo-opposition entre la science et la foi. Et nous souhaitons vivement que dans toutes les confessions religieuses, en commençant par la nôtre, on s'abstienne d'exploiter la crédulité populaire. On nous oppose parfois un argument de prétendue miséricorde pour les "petites gens", les "gens simples" qui auraient besoin de cela. Mais il est remarquable qu’en dehors de certains contextes religieux les gens simples n'ont pas du tout besoin de cela. En particulier, chez les Protestants, les gens simples n'ont pas besoin de toute une dévotion souvent superstitieuse envers des "saints" (?) qui leur permettent de retrouver des objets perdus ou d'éviter des accidents.

On peut se poser des questions également sur les "procédures" qui sont expliquées dans le cadre de béatifications ou de canonisations, pour lesquelles "il faut un ou deux miracles".

André Verheyen - janvier 1994

24 février 2018 6 24 /02 /février /2018 09:00
Herman Van den MeersschautTransmettre la Foi: enfermer ou libérer ?
Herman Van den Meersschaut

Le mensuel "L'Appel" du mois de mai 1999 était consacré à la laïcité. On y publiait une intéressante rencontre avec Guy HAARSCHER, que le périodique présente très justement comme laïque, athée, franc-maçon et homme de dialogue. Celui-ci nous a, en effet, habitués à un discours très ouvert, que ce soit dans des débats avec son ami Gabriel RINGLET ou dans ses chroniques qui passent sur les ondes de la RTBF.

Voilà, bien sûr, un libre penseur dont nous nous sentons très proches. Cependant, dans l'article cité, une réflexion a attiré mon attention.

Guy Haarscher dit : "C'est pourquoi aujourd'hui certains chrétiens ne voient pas d'incompatibilité entre le fait d'être croyant et celui d'être libre-exaministe : dans sa propre ré flexion, le croyant peut avoir recours à une transcendance, en toute liberté et sans l'imposer à autrui. Pour moi cela reste quelque chose de mystérieux, que je ne comprends pas de l'intérieur, mais je ne porte pas de jugement là- dessus."(1)

Si Guy Haarscher trouve cela mystérieux et ne peut comprendre notre libre pensée de l'intérieur, n'est-ce pas parce qu'il y a un malentendu sur le sens donné aux mots "croyant" et "avoir recours à une transcendance" ?

De quoi est-il porteur, ce mot "croyant"? Mère Teresa, Jean-Paul II, les Talibans, Pinochet, Le Pen sont tous des croyants; mais quels liens y a-t-il entre eux ? Ont-ils vraiment le même Dieu ?

Lorsqu'on a "recours" à une transcendance, que veut-on dire ? S'agit-il d’une éventuelle intervention extérieure et matérielle dans la vie des hommes que l'on pourrait provoquer par certains rites ?

Pour la plupart des laïques - et pour beaucoup de chrétiens - la foi est quelque chose dans laquelle on est plus ou moins coincé dès sa naissance et qui suppose une adhésion aveugle et globale à un ensemble de textes sacrés, de rites, de règles, d'obligations et d'interdits, révélés par Dieu, abolissant ainsi toute pensée personnelle. La dictature spirituelle que le magistère de l'Eglise a exercée tout au long des siècles a largement contribué à imposer cette perception. Et, comme le dit Maurice Bellet :

"N'avons-nous pas rendu ridicule, mesquin, odieux, ce qui était la grandeur même ? Remplacé la liberté par l'obligatoire, la pensée par l'obligatoire, l'amour par l'obligatoire ? Et toutes les sauces ajoutées ne changent rien au plat... N'avons-nous pas creusé le trou dans lequel sombre ce que nous avons cru ?"(2)

A cause de cela, les laïques ont très difficile à s'imaginer que dans l'Eglise des chrétiens puissent remettre en question le caractère révélé des Ecritures. Il est évident que si l'on considère la Bible comme pure Parole de Dieu révélée à l'homme, on ne peut que s'enfermer dans une logique d'obligation. Rappelez-vous le "Ce que les chrétiens sont tenus de croire" de nos anciens catéchismes. Nous baignons malheureusement encore dans cette logique. Lors d'une journée pédagogique récente, la conférencière ne nous disait-elle pas : "L'année jubilaire, ce n'est même pas Moïse qui l’a inventée, c'est Dieu lui-même." C'est sur cela que s'appuient d'ailleurs tous les intégrismes et les sectes: Dieu l'a dit, c'est écrit.

Si c'est cette vision de la foi que perçoit Guy Haarscher, je comprends qu'il ne comprenne pas, puisqu'il n'y a là aucune place pour la liberté. Guy Haarscher sait bien qu'il touche là une terrible contradiction que nous vivons tous. Dans une de ses chroniques, il fait remarquer combien la liberté fait peur et pas seulement aux croyants :

"La grande illusion de notre époque, dit-il, c'est de croire que nous aimons spontanément la liberté. En fait, nous la désirons mais nous refusons d'en payer le prix, et il y en a un. Nous ne voulons pas que les autres choisissent à notre place, mais nous n'aimons pas choisir nous-mêmes. Choisir, c'est en effet assumer de pouvoir se tromper et en porter la responsabilité. C'est s'aventurer dans l'inconnu sans garantie de réussite. Tout cela est un peu inquiétant alors que les manières de vivre imposées d'en haut restreignent certes nos libertés mais elles sont au fond confortables. Tout est pré-mâché, c'est sécurisant et nous oscillons souvent entre le désir de sécurité et le désir de liberté. Nous voulons le beurre et l'argent du beurre et nous restons sur place, indécis. C’est qu'on ne nous a pas appris la liberté. Sortir de cette contradiction est une des grandes tâches de l'époque."(3)

Notre libre pensée chrétienne me semble travailler en ce sens. Etre croyant, c'est peut-être simplement admettre mes limites humaines avec cette intuition d'un "au-delà" de moi, d'une transcendance que je ne puis nommer mais que je perçois comme Source de vie, Source d'amour en moi.

Etre chrétien, c'est peut-être simplement choisir librement cette "voie" que propose Jésus de Nazareth dans le prolongement de la tradition juive et qui me fait entrevoir, par sa vie, quelque chose de cette transcendance qui m'habite.

Pour sortir de la contradiction entre désir de sécurité et désir de liberté, il nous faut, je pense, considérer nos textes sacrés comme une parole de l'homme sur lui-même et sur le Dieu qu'il devine, comme un témoignage d'une extraordinaire aventure spirituelle, une quête de la transcendance avec ses tâtonnements et hésitations. Ils peuvent être source d'inspiration pour nous aider à trouver librement notre propre chemin.

Si Guy Haarscher peut admettre que nous prenions cette liberté par rapport à nos textes sacrés, le mystère qui entoure notre démarche de libre pensée s'évanouira comme par enchantement.

Je terminerai en citant ce petit passage de l'introduction du livre de José REDING, "Lueurs d'aurore" :

"Prends et lis, écoute, interprète, parle, mais n'enferme rien dans les mots et ne renferme surtout rien dans les choses, les systèmes et les idéologies qui clôturent et en viennent à exclure du désir de bonheur et vivre-ensemble."(4)

Herman Van den Meersschaut - LPC 1999

(1) "L'Appel" n° 217 - Mai 1999 : "Etre laïque - toute une histoire !" (retour)
(2) Maurice BELLET "L'Epreuve" - DDB 1989 (p. 70) (retour)
(3) Chronique de Guy HAARSCHER du 22 mars sur RTBF radio (retour)
(4) José REDING "Lueurs d'aurore" Ed. Feuilles Familiales 1999 (p. 22) (introduction de Philippe MURAILLE) (retour)
17 février 2018 6 17 /02 /février /2018 09:00
André VerheyenSpiritualité et intelligence
André Verheyen

Un de mes confrères, brillant professeur de Rhétorique, avait donné comme sujet de dissertation à ses élèves : "Il n'est plus possible aujourd'hui d'être n'importe quoi; il y a trop de concurrence."

Je me souviendrai toujours de sa déception devant le nombre de ses élèves qui étaient passés à côté du noyau philosophique du sujet pour n'en développer que l'aspect social, l’encombrement des carrières.

Ce souvenir m'est venu spontanément en réfléchissant à l'insistance qu'on trouve chez Marcel Legaut sur la nécessaire intelligence en matière de spiritualité.

Quand on connaît par ailleurs l'humilité et la sincérité du maître spirituel, on se rend compte qu'il n’y a chez lui pas l'ombre d'un mépris des "petits" dont parle l'évangile. Dieu sait le nombre d'heures qu'il a consacrées avec patience à leur (nous ?) communiquer une pensée qui n'est pas toujours - il faut bien l'avouer - simple au premier abord.

Ce qui importe à Marcel Legaut, c'est le respect de la réalité telle qu'elle est, dans son authenticité. Et cela vaut, en tout premier lieu, pour le cheminement spirituel.

Voici un passage parmi tant d'autres :

"Au terme ultime, qu'approche sans jamais y atteindre une pensée qui se pense jusqu'au bout de ses conséquences, jusque dans son mouvement même, jusque dans l'imminence de sa naissance, se creuse l'abîme de l’impensable où se joignent Dieu par son Acte et chaque homme par son accueil - ce qui est pour lui se rejoindre autrement soi-même.

Sans doute est-ce sur cette voie sans fin que dans l'avenir devra s'engager l'intelligence du croyant pour que, sous l'action de son savoir, critiquant inexorablement ses évidences sur Dieu, ses intuitions spontanées ou élaborées sur Lui, leurs origines et leurs mécanismes, il L'approche en Lui-même, dans l'autogenèse de son Etre, dans le déploiement de l'Acte qui le constitue au cœur de l'homme qui l’accueille et qui dès lors devient lui-même dans la liberté.

Quelle mutation attend demain les religions afin que, en raison de l'inertie de leur établissement et du formalisme de leurs pratiques, elles ne soient pas mises en faillite chez l'homme devant ses exigences spirituelles croissantes !" (VIE SPIRITUELLE ET MODERNITE - Centurion et Duculot 1992 - page 120)

Les récentes péripéties du Suaire de Turin donnent une illustration remarquable de la "mutation" souhaitée par les "exigences spirituelles croissantes" de nombreux catholiques. Il est, en effet, de moins en moins acceptable de fonder une piété authentique sur des éléments pseudo-miraculeux qui ne résistent pas à une analyse critique sérieuse.

Mais hélas, la "mutation" se fera sans doute attendre et "l'inertie de l'établissement comme le formalisme de ses pratiques" auront encore de beaux jours devant eux, si l'on en juge par les centaines de milliers, voire les millions de "croyants'' qui cautionnent ce genre de pratiques !

Outre la pauvreté spirituelle de la référence à l'Evangile - ce qui touche les chrétiens - ces pratiques favorisent chez les autres, le jugement négatif et le refus de ce qui est présenté comme de la piété ou de la foi. On comprend, dans ce contexte, la phrase de Marcel Legaut : "on ne peut pas vivre spirituellement sans être intelligent. On peut être religieux sans être intelligent.'' ("QUELQUES NOUVELLES' N° 102, cité dans L . P.C. Ne 80, page 15)

Combien de fois la question ne m’a-t-elle pas été posée à propos de membres éminents du Magistère : "Comment peut-on expliquer des prises de position aussi peu crédibles ? Ce sont tout de même des gens intelligents".

C’est que le fanatisme religieux met l'intelligence hors- jeu. Et je ne donne pas au mot 'fanatisme' un sens particulièrement péjoratif; il s'agit simplement de cette i n v e r s i o n des priorités qui résulte de la sacralisation. La valeur sacralisée est devenue i n c o n d i t i o n n e l l e ... c'est elle qui c o n d i t i o n ne l'intelligence.

On le remarque même dans le domaine patriotique ou nationaliste. Pour donner un exemple bien belge on peut faire l'expérience suivante: vous réunissez dans une pièce dix néerlandophones intelligents et dans une autre pièce dix francophones aussi intelligents et vous leur demandez leur avis sur une question sensible au plan linguistique (par exemple touchant la périphérie de Bruxelles). Il ne faut pas être grand prophète pour savoir que la vérité des uns sera différente de la vérité des autres.

C'est aussi tout le problème de l'œcuménisme, où les "religieux" n'imaginent pas pouvoir débloquer l'a priori de leur Source Révélée. Et on comprend la pertinence du point de vue de Mohamed Arkoun, professeur à la Sorbonne, qui disait que c'est en amont de nos divergences dogmatiques que nous devrions commencer par réfléchir à ce que peut signifier une "Révélation".

Ça, c'est l'intelligence nécessaire à une spiritualité crédible. Marcel Legaut disait : " ... critiquant inexorablement ses évidences sur Dieu, ses intuitions spontanées ou élaborées sur Lui, leurs origines et leurs mécanismes ..."

N'est-ce pas dans le même sens que, dans Le Monde Diplomatique de juillet I 998, Jean Malaurie(1) plaide "Pour une perestroïka de l'Eglise"? Nous avons toute raison de le penser lorsqu'il écrit, à propos d'un livre d'André Coutin(2) que "son premier mérite est, dans une langue claire et inquiète, de dénoncer une fois de plus, le religieusement correct, le spirituellement stérile".

Tous ceux qui pensent que l'intelligence humaine est un don merveilleux du Créateur, au même titre que les richesses du cœur, seront convaincus que le spirituellement fécond exige non seulement le religieusement mais aussi l'intellectuellement correct .

André Verheyen - LPC -1998

(1) Anthropologue et écrivain; directeur d'études â l'Ecole des hautes études en sciences sociales (retour)
(2) La Vie de Jésus-Christ après sa mort.. - Ed. Philippe Lebaud, Paris 1998 (retour)
10 février 2018 6 10 /02 /février /2018 09:00
Christiane van den MeersschautVous avez dit : « Agnostique croyant » ?
Christiane van den Meersschaut

Aujourd'hui, certains chrétiens qui vivent les valeurs évangéliques se déclarent: "Agnostiques croyants". Le terme semble déplaire, voire inquiéter bon nombre d'autres chrétiens qui, tout de suite, ont un sentiment de rejet et disent de façon doctrinale: "Alors, c'est que vous n'avez pas ou plus la foi, vous n'êtes pas chrétiens"

L'agnosticisme ( du grec "a" privatif et "gnosis" connaissance) est une conception philosophique selon laquelle ce qui dépasse l'expérience ne peut être connu avec certitude par la raison; il est donc impossible d'affirmer aussi bien l'existence que l'inexistence de Dieu. Si Dieu existe, ce qui n'est pas (Théo. Pages :534,535)

Il me semble que rien n'empêche l'homme qui ne sait pas exactement, de croire. L'homme "in fine" est toujours seul face à lui-même. Connaissons-nous si exactement notre conjoint, nos enfants, nos amis? Pourtant, cela ne nous empêche pas de croire en eux et de leur donner notre confiance. Et, pour vivre cette confiance avec eux, nous respectons des valeurs, nous faisons des choix parfois difficiles qui nous permettent de créer l'art du "bien vivre ensemble".

Si aujourd'hui, je me définis comme une libre penseuse chrétienne, je me définis aussi comme une agnostique croyante. Ne pas savoir. Mais croire est-ce plus mal ou moins fort que de croire parce que je sais? (Qui sait ?) Au contraire, je pense que la position de l'agnostique croyant qui croit sans certitude est une position de gratuité de la foi "Heureux ceux qui croient sans m'avoir vu" Jn,20,29) Je pense aussi que cette position est plus crédible pour une rencontre et un dialogue avec les non-croyants.

Dans notre enfance, notre enseignement voulait nous prouver sans cesse que Dieu existait. Pour cela, on nous lisait ou racontait des récits où Dieu nous était présenté comme le grand magicien tout- puissant qui veut le bonheur de l'homme, mais qui punit ou même se venge de l'homme désobéissant à la bonne marche de son plan. Un Dieu qui donne avec éclat mais reprend avec fracas.

Cela nous donnait à la fois un sentiment de protection et de sécurité, mais aussi de culpabilité et d'angoisse. Certains pourtant se trouvent très heureux dans cette perspective, ils se plaisent d'avoir un Dieu tout- puissant, ils "sur"vivent dans la fatalité puisque "c'est Dieu qui l'a voulu". Cela les rassure : "Dieu doit bien avoir une raison pour laisser faire les guerres, pour ne pas enrayer les famines... c'est certainement une punition!" Quand tout va bien, "Dieu nous récompense", et tant pis pour les autres!!! J'ose dire que personnellement, je suis athée de ce Dieu-là, qui renie la liberté de l'homme pour ne lui donner qu'une place de pion sur l'échiquier de notre planète, de marionnette dans le cirque mondial.

Par contre, en relisant les récits que l'on nous avait enseignés, non plus de façon fondamentaliste, mais en tant que libres penseurs chrétiens et avec l'aide d'exégètes tels que PH.BACQ, G.BESSIERE, J.P.CHARLIER, E.CHARPENTIER, H.KUNG, DREWERMAN, J.S.SPONG, D.MARGUERAT, J.REDING, A.WENIN......, nous découvrons des textes qui nous montrent l'évolution d'une image de Dieu, évolution parallèle à l'évolution culturelle de l'humanité. Donc, je crois que nous ne pouvons pas cerner Dieu, ni l'enfermer dans un livre sacré où tout a été dit à la dernière page, mais bien que Dieu continuera a être découvert à travers les expériences de sagesse de l'homme.

Relus dans cette perspective, les textes bibliques nous font évoluer de la foi de notre enfance, à une foi d'adulte, qui doit choisir et agir. Ces textes nous invitent à continuer la création de Dieu à son image.

Pour cela toute une série de héros bibliques vont nous dire quelque chose des qualités de Dieu, un Dieu de la Vie (Abraham), un Dieu qui se met du côté des plus faibles (Moïse), un Dieu qui ose faire confiance à des criminels (Moïse, David), un Dieu de justice (Amos).... tout le premier testament nous montre l'évolution de la croyance aux dieux de la nature des premiers hommes au Dieu Tout-Autre des contemporains de Jésus. Cette croyance ira de pair avec l'élaboration de certaines règles de vie, dont plusieurs nous paraissent aujourd'hui horribles voire ridicules (lapidation, impureté, racisme...)

Dans le second testament, Jésus qui est pétri de sa culture, va néanmoins prendre ses distances avec le Temple, avec la Tradition, avec la Loi (Sabbat, femme adultère, lépreux, Romains...) afin de mieux nous révéler un Dieu d'Amour et de Miséricorde.

A travers le récit des évangiles, il nous faut donc aussi décoder les textes pour trouver la Bonne Nouvelle de Dieu annoncée par Jésus.

Car à quoi cela sert-il à l'homme que Jésus ait marché sur l'eau, alors qu'aucun homme ne pourra jamais le faire et d'ailleurs, à quoi cela lui serait-il utile ? Pris fondamentalement, cela peut montrer sa puissance, mais est-ce une Bonne Nouvelle pour l'homme? Cela ne change rien à sa vie, si ce n'est de croire en la magie, mais aujourd'hui les "David Copperfield" peuvent faire encore mieux !

Par contre, savoir que passant de la rive de ma naissance à celle de ma mort, alors que je pourrais me noyer dans la solitude, le chômage, la maladie, la drogue, les conflits...... je peux appeler avec confiance et tendre mes mains vers un secours et qu'à mon tour je peux répondre et agripper les mains de celui qui se noie, ça c'est une Bonne Nouvelle qui m'invite sur les chemins du Royaume de Dieu ici-bas et maintenant à la suite de Jésus. Et, je vois : des familles d'accueil, des MèreTérésa, des s.o.s.Jeunes, des Téléservice, des Médecins Sans Frontières...

A quoi cela nous sert-il que Jésus ait multiplié des pains, alors qu'il y a la famine qui tue tous les jours. Mais découvrir dans le texte que, si chacun partage ce qu'il a, il y aura assez pour tous et même des restes. Ça, c'est une Bonne Nouvelle qui m'invite à changer ma vie pour que puisse régner le Royaume de Dieu ici et maintenant. Et, je vois : des Restos du Cœur, des magasins Oxfam, Made in Dignity, des Banques Alimentaires, des Opérations Arc-en-Ciel...

Rechercher le sens symbolique des textes, c'est vrai, cela dérange beaucoup de monde. Il est plus facile de croire en un magicien qui fait à notre place ( enfance de la foi) qu'en quelqu'un qui nous met devant nos responsabilités de justice, d'amour, de paix (adulte dans la foi) pour que l'homme vive debout dans le Royaume de Dieu ici et maintenant. N'oublions pas que dans de nombreux récits de miracles, Jésus s'adresse à l'homme pour le responsabiliser : "donnez-leur vous-mêmes à manger" Lc 9,13, "Prenez courage, n'ayez pas peur" Mc 6, 50, "enlevez la pierre" Jn11,39 , "déliez-le" Jn11,44, "appelez-le" Mc 10,48...

Cette façon de voir Dieu n'est pas toujours très confortable, c'est difficile, car cela nous demande un effort de conversion, une re-naissance, une résurrection de "nos morts".

Tout cela ne me dit toujours pas exactement qui est Dieu, cela ne me donne pas la preuve de son existence et je constate que les religions ne peuvent offrir à l'homme qu'une approche incertaine de Dieu. Par contre, le cheminement de l'humanité en quête de spiritualité décantée et la Bonne Nouvelle de Jésus me montrent un chemin qui peut me faire découvrir l'Amour qui à la fois m'habite et à la fois me dépasse.

C'est en quoi je crois et que je peux volontiers appeler Dieu.

Je me sens une agnostique croyante chrétienne.

Christiane van den Meersschaut - LPC- mai 2003

3 février 2018 6 03 /02 /février /2018 09:00
André VerheyenQu’est-ce que croire ?
André Verheyen

I. LA DIFFERENCE ENTRE LES CROYANCES ET LA FOI

C'est un thème cher à Marcel LEGAUT : "La pensée de Dieu est totalement absente des préoccupations quotidiennes de la majorité des hommes de notre temps. Cependant les croyances religieuses quasi viscérales venues des millénaires passés demeurent indéracinables en eux comme le montrent de brutales résurgences lorsqu'ils sont atteints dans leurs oeuvres vives, aux heures de la souffrance, de la peur ou de l'angoisse.

"De la croyance en ce Dieu tout-puissant dont l'existence n'est plus évidente, comment les hommes pourraient-ils passer à la foi en un Dieu présent au plus intime d'eux-mêmes et qui, sans être proprement cause, agit non pas sur mais en leurs actions les plus personnelles ? Car c'est d'une telle "conversion" qu'il s'agit aujourd'hui même pour les chrétiens." (Un homme de foi et son Eglise - Desclée de Brouwer 1988 - page16)

"La foi en Dieu est le fruit lentement mûri de l'approfondissement humain. Au contraire, les croyances primitives sur Dieu quand on y est totalement livré par l'évidence qu'on leur attribue, distraient du travail intérieur qui mène à cet approfondissement. L'assurance qu'elles donnent dispense d'une telle recherche et même, ne permet pas qu'on en ait d'avance l’idée.

La foi en Dieu réclame une activité personnelle menée à longueur de vie et avec ténacité ; sans cesse elle est à reprendre car sans cesse elle s'étiole. Greffée sur les croyances ataviques sur Dieu, dont la foi s'approprie la sève, elle en viendra alors peu à peu à s'enfoncer dans la profondeur de l'être et à s'y enraciner. A la suite de ces croyances, la foi en Dieu épousera - et ce sera son originalité – la totalité de l'histoire intime du croyant, ..." (o. c. page 19)

II. CROIRE QUE OU CROIRE EN ?

"Dans les relations humaines, la foi-confiance (je crois en toi) débouche nécessairement sur l'acceptation de ce que la personne à qui nous faisons confiance peut nous dire (je crois ceci ou cela : je tiens pour vrai ce que tu me dis et me promets). Ainsi, la foi en quelqu'un devient aussi la foi au contenu de sa parole - contenu que nous acceptons non en vertu d'une connaissance ou d'une expérience directe, mais sur la parole de celui en qui nous avons confiance. Sa compétence, sa sincérité, son autorité sont une garantie sur la base de laquelle nous pouvons accepter ce qu'il nous propose.

De même pour la foi en Dieu: croire en Dieu se fier à Lui, c'est aussi accepter ce qu'il nous dit, ..." (DICTIONNAIRE DE THEOLOGIE CHRETIENNE - Desclée, Paris I979 - page I50)

Evidemment, tout le problème est de savoir ce que Dieu nous dit. Ici interviennent toutes les questions sur la révélation, l'inspiration des auteurs bibliques, l'exégèse, l'autorité théologique dans l'Eglise, etc. Il est donc normal que nous évoquions aussi la relation entre la foi et les dogmes.

III. LA FOI ET LES DOGMES

L'histoire de l'Eglise est très éclairante pour illustrer une mauvaise conception du "dogme". Encore en 1929, il était normal de publier un livre sur le contenu de Ia foi chrétienne, construit comme un traité de géométrie avec sa succession de preuves et de démonstrations. J'ai devant les yeux le livre du Chanoine Legrand, Aumônier principal à l'Ecole des Cadets et à l'Ecole Centrale Scientifique, publié aux éditions Wesmael-Charlier à Namur, dont le titre est remarquable: "Apologétique chrétienne- Démonstration religieuse". Tout y est construit preuve après preuve et le doute n'est pas permis: l'article 5 du premier chapitre, mentionné dans la table des matières est éloquent à ce propos. Voici comment il est libellé : "Les sources de l’incrédulité : l'ignorance - la déformation professionnelle - l’orgueil - le dérèglement des mœurs !"

Dans un tel système dogmatique et apologétique, une pièce maîtresse était l'infaillibilité. Voici un extrait de l’ouvrage cité du Chanoine Legrand (page 365):

"Eglise est infaillible dans ses Conciles généraux et dans l'enseignement unanime des évêques ; mais le Pape peut être, à lui seul, l'organe de l'infaillibilité de l'Eglise. Le Concile du Vatican (n.d.l.r.: il s'agit du premier concile du Vatican en 1870) l’a définie : "Le pontife romain parlant "ex cathedra", c'est-à-dire remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, et définissant qu'une doctrine sur la foi et sur les mœurs doit être embrassée par l'Eglise universelle, est doué, par l'assistance divine qui lui a été promise dans la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité, dont le divin Rédempteur a doté son Eglise. C'est pourquoi, de telles définitions sont irréformables par elles-mêmes, et non en vertu du consentement de l'Eglise." (Const.I DE ECCLESIA,chap IV)

Pas question ici d'œcuménisme: le pontife romain est le "pasteur et docteur de tous les chrétiens" et l'Eglise universelle est identifiée à la catholique romaine.

Y a- t-il aussi une bonne conception du dogme?

Une approche positive est présentée par l’ouvrage collectif "La foi des catholiques" (Centurion 1984) dans ses pages 322 à 325. Nous en extrayons ces quelques passages:

"… la fonction positive du dogme, de loin la plus précieuse. Le dogme en effet établit une claire base d'accord entre les croyants, leur permettant ainsi de structurer leur foi, de la mettre en pratique, et de l'exprimer publiquement. Base de départ assurée en vue de nouvelles étapes, le dogme invite à inventorier plus avant l'insondable richesse du mystère du Christ total. Aucune lettre ne peut arrêter l'esprit et encore moins l'Esprit Saint.

Réserver la responsabilité doctrinale de la foi et du discernement spirituel aux seuls chefs visibles de l’Eglise relèverait d'un mauvais dogmatisme." (N.d.l.r.: c'est nous qui soulignons.)

"Le récent concile est symptomatique du fonctionnement de l'Eglise comme corps visible, lorsqu'elle prend conscience de problèmes vastes et urgents demandant une sorte de mobilisation générale. Certes, le concile n'est valablement convoqué que par le pape, et ses décisions sont promulguées par lui. Mais il est fondamentalement le fruit d'un travail collectif des évêques, aidés par l'immense effort du peuple chrétien en général et des théologiens en particulier.

Plus profondément encore, il est l'émergence et l'authentification de tout un mouvement commencé dans l'Eglise depuis plusieurs décennies aux niveaux spirituel, apostolique, théologique et liturgique. Un concile n'est pas un terme ni un point d’arrêt, mais une étape et une ouverture sur l'avenir."

Il est normal qu'un groupe ou une société humaine précise ses valeurs et les rédige : qu'on songe à la déclaration des "Droits de l'Homme". Au lieu de parler de "dogmes", on y parle "d'articles". Mais il est clair que ces articles expriment des convictions que nous ne considérons pas comme facultatives ni transitoires. Il serait peut-être plus opportun aussi, lorsque nous exprimons les valeurs fondamentales de notre foi, de parler d'une "charte" comportant un certain nombre d'articles,... : Mais l'important, c'est de toujours se souvenir que toute formulation est nécessairement humaine.

IV. FOI ESPERANCE ET AMOUR

S’il est intéressant de les distinguer dans la réflexion et l'étude théologique, il faut reconnaitre que foi, espérance et amour sont intimement liés dans la réalité vécue. Il est à remarquer en particulier que le langage de la foi est généralement le langage de l’amour. La perception de ce dernier aspect permettrait d'éviter beaucoup de malentendus et de méprises dans des domaines délicats comme la divinité de Jésus, la virginité de Marie, la présence de Jésus dans l'Eucharistie, etc.

Ce langage de l'amour s'exprime souvent par des images poétiques, des mythes ou des symboles, des exagérations et emportements lyriques qui perdent tout leur sens dès qu'on les sort de leur registre poétique, symbolique, lyrique, pour les transposer en dogmes historiques ou rationnels.

Un autre lien important entre foi et amour est la nécessité de mettre sa foi en pratique. Comment quelqu'un pourrait-il dire qu'il a la foi s'il vit en contradiction avec ce qu'il prétend croire ? "Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi, c'est par les œuvres que je te montrerai ma foi." (Epître de Jacques, 2, 18) Est-ce la morale ? Oui, en un certain sens. Mais l'amour ne se contente pas de la morale : il y a une dimension spirituelle qui est bien exprimée par André SEVE dans son petit livre "Avec Jésus qu ’est - ce que tu vis ? (Centurion 1978) :

"J'entends encore ce jeune qui disait : "Je lisais l'Evangile pour y chercher comment vivre. Soudain, j'ai arrêté, j'ai regardé Jésus et je lui ai dit : mais tu es là près de moi ! Vivant tu es là pour moi aujourd'hui." Ainsi commence la foi véritable, l'expérience de foi. Quand Jésus devient pour nous quelqu'un qui est là aujourd'hui.

... Nous étudions inlassablement ce que Jésus a dit; nous rêvons sur ce que, à partir de ces paroles, nous pourrions vivre. Mais si nous le fréquentions, si nous ne le perdions pas de vue nous dirions: 'Qu'est-ce que je peux vivre avec toi en ce moment,tout de suite?

Notre lecture de l'Evangile serait très différente. Un mot nous frapperait, le mot qui fait réellement vivre quelque chose: 'Aujourd'hui'." (o. c. page 7)

V. CONCLUSION

Des croyances ? Des vérités ? Des dogmes ? Une morale ?

Rien de tout cela n'est totalement étranger à la foi mais il y a surtout ce "vécu aujourd’hui avec Jésus", comme dit André Sève ou aussi cette foi en un Dieu présent au plus intime de nous-mêmes, comme dit Marcel Légaut.

C'est certainement une erreur d'avoir utilisé le mot "conclusion", tant il y a encore de choses à dire sur ce sujet...

André Verheyen - juillet 2000

27 janvier 2018 6 27 /01 /janvier /2018 09:00
André VerheyenFoi et raison épistémologie de deux certitudes
André Verheyen

A ceux de nos lecteurs qui font connaissance avec L.P.C. depuis fort peu de temps, il peut être utile de dire que c'est un de nos objectifs principaux d'étudier les relations entre la foi et la raison parce que nous avons toujours considéré comme une "erreur historique" cette opposition séculaire entre les conceptions traditionnelles de la foi et de la raison. Cette conviction est évidemment à l'origine de ce que nous appelons l'œcuménisme du quatrième cercle et qui vise le dialogue avec ceux qui ne se réfèrent pas à une institution religieuse mais adhèrent aux valeurs de vérité, d'amour, de justice, de paix.

Par contre, à ceux qui nous connaissent depuis plus longtemps, j'aimerais dire que c'est aussi grâce à Adolphe Gesché que nous y revenons une fois de plus.

Il a, en effet, une participation importante dans le livre "La foi dans le temps du risque" – Cerf-1997.

Voici comment ce livre présente le théologien: "Adolphe Gesché, prêtre du diocèse de Malines et Bruxelles, docteur et maître en théologie (Louvain), licencié en philosophie et lettres (Louvain), professeur à l'université catholique de Louvain (faculté de théologie), membre correspondant de l'Académie royale des lettres, des sciences et des beaux-arts de Belgique, auteur notamment de "Dieu pour penser" (5 vol. parus)".

Je voudrais ajouter à cette présentation qu'en lisant A. Gesché même sur des sujets très classiques, on risque toujours d'être agréablement surpris par un point de vue nouveau ou original. J'ai beaucoup aimé sa participation dans le livre cité ci-dessus. C'est lui qui posait l'affirmation - et finalement l'intuition initiale qui est à la base du colloque dont le livre est le compte-rendu - : "Si la foi est un acte d'homme (elle doit l'être et elle l'est), et qu'une part de risque et d'incertitude est une dimension constitutive de l'être de l'homme, la foi ne peut échapper, de quelque manière, à cette dimension. Pas plus, d'ailleurs, qu'elle ne peut échapper à toute requête de la raison et, là aussi, pour rester acte d'homme.") (o.c p.118)

L'auteur développe ce qu'il appelle une confusion épistémologique (1).

Il fait l'hypothèse suivante : " que s'est introduite en nous une confusion épistémologique où nous embrouillons deux types de certitude. "... "La foi est une certitude... mais cette certitude est­ elle du même type (je ne dis pas moins grand ou plus grand) que d'autres certitudes, en particulier la certitude rationnelle avec laquelle nous avons tort de la confondre de part en part?"

"Un fait de culture ici pourrait bien être en cause. La théologie, en toute légitimité, a développé une approche philosophique de Dieu, approche devant aboutir en principe, par les chemins de la rationalité philosophique, à la preuve de l'existence de Dieu et à la détermination de ce qu'il est. En soi, cette exigence de la raison est sans discussion. Il s'agit de prévenir la foi contre le fidéisme et l'irrationalisme. Mais cette démarche, en quelque sorte préalable ou parallèle, a fini par s'emmêler dans tout le parcours de la foi."

"Or, on peut et on doit alors se poser une question. Se demander si le rapport à Dieu qu'est la foi n'est pas d'un autre ordre que celui de la rationalité philosophique. Et s'il en est ainsi, se demander si l'on n'a pas tort, en voulant éloigner toute idée de risque, de vouloir pour la foi le même type de certitude que celui qu'on attend de la philosophie. N'y a-t-il pas lieu ici de respecter deux ordres? On aurait envie d'appliquer la fameuse distinction: rendez à César (rendez à la philosophie), ce qui lui revient; à Dieu (à la foi), ce qui lui revient."

"La foi, que jamais la raison ne remplace, ne relève-t-elle pas en effet d'une autre épistémologie de la certitude? Celle d'une confiance qu'on donne ("Je mets ma confiance dans le Seigneur", Ps. 30, 15) et d'une certitude qu'on reçoit d’un autre ("Je suis sûr de ta Parole", Ps.118, 42) . Et non pas, comme en philosophie, d’une certitude que l'on acquiert, et que l'on acquiert à partir de soi-même. Croire suppose certes une adhésion libre, personnelle et sensée, mais elle repose sur ceci que l'on s'en remet à quelqu'un (certes, parce que digne de foi) non à un raisonnement abstrait. On ne dira pas: j'ai (Je possède) ma certitude; mais: quelqu'un m'a d'abord donné sa promesse et j'y ai mis (et trouvé) mon assurance."

L'auteur insiste sur le fait qu'il nous faudrait une épistémologie "de la promesse (le dieu de la philosophie ne promet pas) et de la confiance (la raison ne fait pas appel à la confiance). Et donc une épistémologie du risque... En sorte qu'on puisse alors cesser de confondre, de part en part en tout cas, le Dieu pensé philosophiquement et le même Dieu confessé religieusement. Le même Dieu, certes, mais vécu dans une relation différente. Une chose est de savoir que quelqu'un existe, autre chose est de croire en lui." (o.c. pages 124-126)

Si j'ai voulu citer largement l'auteur lui-même, c'est pour ne pas risquer de trahir sa pensée. Car on est étonné - et en même temps émerveillé - de la richesse d'un sujet qui suscite sans cesse de nouvelles questions et des approches complémentaires.

Ainsi par exemple, si une certitude provenant de la confiance que je donne à quelqu'un correspond bien à mon expérience, à côté d'une certitude plus rationnellement conquise, les problèmes rebondissent au niveau des intermédiaires. En effet, la relation personnelle qui est offerte à ma confiance passe par une longue chaîne d'intermédiaires : apôtres, évangélistes, disciples d'évangélistes et Pères de l'Eglise, rédacteurs de symboles de foi et de catéchismes officiels, magistère, etc. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'entre le début de la chaîne et l'autre bout qui m'est présenté aujourd'hui il y a une sérieuse distorsion. Pour employer un terme qui a été à la mode ces derniers temps, je dirais qu'il y a, tout au long de la chaîne de transmission, un certain nombre de "dysfonctionnements" qu'il faut tenter de repérer.

Il est assez clair que dans ce travail de repérage nous allons devoir jouer sur de nombreux registres; nous aurons besoin d'un nombre important "d'épistémologies", pour reprendre le terme du professeur Gesché. Car il serait dommage, en les classant sous la seule rubrique "raison", de gommer la spécificité d'approches aussi différentes que la philosophie, l'histoire, l'analyse littéraire; sans oublier des domaines plus spécifiques encore tels que la sacralisation ou le fondamentalisme religieux.

C'est ce travail "pluri-épistémologique" qui nous passionne car il est essentiel à tout dialogue œcuménique, surtout évidemment à celui du "quatrième cercle".

Qu'il me soit permis de terminer par un petit "clin d'œil" au sujet d'une "bienheureuse confusion épistémologique". Je songe à quelqu'un qui est parvenu à susciter mon adhésion d ans un délicieux mélange de confiance et d'exigence de rigueur intellectuelle: l'exégète Jean-Pierre C harlier o. p. dont je garde le souvenir reconnaissant.

André Verheyen - LPC mars 1999

(1) Epistémologie : du grec épistèmè = connaissance, savoir...L'épistémologie est donc l'étude des différents types de connaissance et de savoir. Elle peut, elle­ même, utiliser des approches différentes : scientifiques, philosophiques ou autres. (retour)
20 janvier 2018 6 20 /01 /janvier /2018 09:00
Christiane van den MeersschautL'objet de la foi chrétienne change-t-il au cours des siècles?
Christiane van den Meersschaut

Depuis la plus haute antiquité, l'homme est à la recherche de ses origines, et il a besoin d'en faire le récit. Grâce aux découvertes archéologiques, scientifiques, cosmologiques et psychanalytiques, nous savons bien aujourd'hui que tout homme vit en fonction des mêmes structures de base qui partent d'un univers mythique pour en arriver à vivre l'expérience de Dieu dans son histoire.

La Bible nous raconte l'Aventure amoureuse d'un peuple avec son Dieu. La littérature biblique s'est lentement formée sous l'influence du comportement et des religions des peuples voisins; Cananéens, Egyptiens, Mésopotamiens en se modifiant au fil du temps tout au long de l'histoire d'Israël. Ces récits sont des regards que des hommes de l'époque portent sur leur histoire. Ils expriment leurs sentiments à propos de leur expérience de Dieu à travers des histoires, des images parlantes pour eux. Ils les placent dans un décor qu'ils connaissent bien, en utilisant évidemment le langage de leur propre culture.

Nous savons bien qu'aux cours des siècles, la façon de dire les choses change, et que la sensibilité orientale n'est pas la même que la sensibilité occidentale ou africaine... Nous devons donc complètement revoir notre interprétation des textes pour les adapter à notre propre aventure. Oublions le décor, la mise en scène pour en revenir aux sens symboliques initiaux, c'est-à-dire découvrons le sens profond du texte. Ce sens qui est toujours d'actualité parce que, lui, traverse les siècles, et nous fait vivre encore aujourd'hui et toujours.

Nous pouvons aussi observer qu'en fonction de notre vécu, de nos rencontres, des expériences de parcours propres à chacun, un même texte deviendra nourriture différente et complémentaire sur les chemins de nos vies. De même, remarquons que notre avancée en " âge et en "sagesse" nous permet, de par notre propre vécu, d'approfondir encore ce sens pour l'élaguer de tout superflu historique, pour le libérer de tous nos préjugés acquis par notre enseignement dogmatique afin de pouvoir n'en garder que l'essentiel.

Christiane van den Meersschaut - décembre 2005

13 janvier 2018 6 13 /01 /janvier /2018 09:00
André VerheyenAvons-nous besoin de Dieu ?
André Verheyen

C'est le titre du livre que Roger GARAUDY publiait en 1993 chez Desclée de Brouwer à Paris.

Voici la présentation de l'auteur, telle qu'elle figure en page couverture:

"Roger GARAUDY agrégé de philosophie et Docteur es Lettres est né en 1913. Il passe trois ans en déportation au temps de l'occupation nazie. Membre du Bureau politique du Parti communiste, il en est exclu en 1970. Auteur de nombreux ouvrages sur le marxisme, le christianisme et l'islam, il est l'artisan du dialogue international entre chrétiens et marxistes.

Traduite en vingt-sept langues, son œuvre a fait l’objet de nombreuses thèses, dans des pays aussi divers que les Etats-Unis, les pays de l'Est, l'Allemagne, l'Espagne, le Zaïre et l'Egypte."

Plusieurs d'entre nous se rappelleront sans doute le livre "APPEL AUX VIVANTS" que Roger Garaudy publia en 1979 aux Editions du Seuil et dont Dom Helder CAMARA disait dans "Le Monde" : "Roger Garaudy fait bien plus que secouer nos consciences et ébranler nos vies : il nous aide à déclencher les mutations dont le monde a besoin".

Effectivement, dans "AVONS-NOUS BESOIN DE DIEU?" c'est encore une de ces mutations qui est évoquée : rien moins que le passage de la domination au service.

Même si le propos est vigoureux et sans compromissions on ne peut que se sentir en communion évangélique avec l'auteur, à condition d'avoir compris comme les apôtres - mais l'ont-ils vraiment tous compris ? - qu'il faut passer du Dieu tout-puissant à celui qu'Adolphe Gesché appelle "Le Dieu de la Semaine Sainte" (La Libre Belgique, 31/03/94). Adolphe Gesché, prêtre et professeur de Théologie, termine son article par cette phrase : "Que chacun bien plutôt, nous dit-il (n.d. l. : Dieu), homme ou femme, vienne de Cyrène aider son prochain à porter sa croix ou se glisse tendrement vers lui avec son voile de Véronique. Alors apparaitra le vrai Visage."

Dans son "introduction" - qui est précédée, rappelons-le, d'une lettre très fraternelle de l'Abbé PIERRE à Roger Garaudy - l'auteur justifie la question à laquelle il consacre son ouvrage. "Le présent ouvrage constitue un effort pour fermer cette "parenthèse prétentieuse de la suffisance" occidentale, cette "suffisance" qui est le contraire à la fois du dialogue et de la transcendance" (o. c. page 12).

Ce que l'auteur appelle la "parenthèse prétentieuse de la suffisance", c'est la période qui commence à la "Renaissance" où "les maîtres à penser… exigeaient que l'homme règne à la place de Dieu".

Mais après avoir vécu pendant quatre siècles du mythe du progrès, notre société constate sa faillite et passe, en moins d'un demi-siècle, au mythe du non-sens: les philosophes de l'absurde (l'auteur cite e. a. Heidegger et Sartre) et puis au mythe de l'ordinanthrope.

Par ce néologisme amusant, il entend cette conception selon laquelle "le monde était désormais trop complexe pour être piloté par l'homme et qu'il fallait s'en remettre à l'ordinateur pour résoudre tous nos problèmes" (o. c. page 12).

Toute cette évolution a conduit notre société à ce que Roger Garaudy appelle "l'actuel monothéisme du marché". Et, dans son introduction, il précise que nous nous trouvons aujourd'hui devant le "choix entre le mercantile et le sacerdotal, ce choix du sens de notre vie" (p. 21) qu'aucune machine ni aucune technique ne peut faire à notre place.

Il ne faudrait pas comprendre le "sacerdotal" comme le "clérical" ou "l’institutionnel" mais bien plutôt comme le "religieux" ou le "spirituel". En effet, "Quant aux religions, dans ce maëlstrom des rapacités, et des performances techniques pour les satisfaire, elles semblent toutes entrer dans l'avenir à reculons, en regardant vers le passé. Elles identifient la foi avec la forme culturelle ou institutionnelle qu'elle a pu prendre à telle ou telle phase antérieure de l'histoire" (o. c. page 22).

Alors, quelle est la réponse ?

"Avec Jésus, pour la première fois, la transcendance divine se révèle dans le dépouillement de toute puissance chez un homme partageant la vie des hommes et d'abord celle des plus démunis, et révélant, par sa vie et sa mort, la divinité de la vie et de la mort" (p. 23).

On ne s'étonnera donc pas que la piste choisie par l'auteur est celle qu'il exprime, de manière condensée, dans la dernière ligne de son introduction : "Théologie de la domination ou théologie de la libération?" Et les deux parties de l'ouvrage correspondront aux deux termes de cette alternative :

  • I. Une théologie de la domination est-elle une réponse ?
  • II. Quel Dieu ? Quelle libération ?

Dans la première partie, Roger Garaudy montre que c'est la théologie de Saint Paul qui est la plus ancienne et qui est à la base des quatre évangiles. Et cette vision de Saint Paul, l'auteur l'appelle "théologie de la domination!".

Les titres des cinq chapitres de la première partie donnent une idée assez nette de son propos:

  • 1. Au commencement était Paul
  • 2. L'Evangile de Paul
  • 3. La théologie de Paul dans les Evangiles
  • 4. De Jésus à Paul
  • 5. Le passé : le "paulinisme politique"

Voici quelques passages que nous aimons souligner à titre d'illustration :

"... les épîtres de Paul ne contiennent que deux allusions à la vie de Jésus, mais plus de deux cents citations de l'Ancien Testament."

"Dans cette "Bonne Nouvelle" pas un mot sur la vie de Jésus, comme s'il s'agissait d'une parenthèse inutile : ce qui importe c'est ce qui est avant sa vie, sa lignée, celle de David, et après sa mort : le miracle de sa résurrection par la puissance du Dieu des Pères. Ce n'est pas l'Evangile de Jésus qui est prêché par lui mais 'le plan de Dieu tout entier que je vous ai annoncé" (Ac 20, 27).

"Ce credo paulinien est caractérisé par l'absence de toute référence à la vie de Jésus" (o. c. pages 39-40).

"Avec Paul Jésus est devenu le Christ, le Messie. Il a la puissance des anciens envoyés de Dieu, comme David. Sa vie, lors de sa première venue, son humble et pauvre vie, sa vie propre, est effacée" (p. 43).

"N'y a-t-il pas contradiction, pour ceux qui croient que Jésus, par sa vie et sa parole, nous a rendu visible le Dieu invisible, et qui croient aussi qu'avoir foi en Jésus c'est jouer sa vie sur les valeurs dont sa vie et sa parole ont porté témoignage, de considérer comme fidèle au message une œuvre, celle de Paul, dont cette vie et ces paroles sont totalement absentes" (p. 44).

"Pour illustrer cette victoire du paulinisme politique et de sa théologie de la domination, dans le christianisme historique, institutionnel, nous retiendrons seulement cinq exemples :

  • - celui de l'augustinisme politique ;
  • - celui de Luther ;
  • - celui du colonialisme ;
  • - celui de la lutte actuelle contre les théologies de la libération ;
  • - celui du Catéchisme catholique de 1992 (p. 90)."

Dans les limites que nous imposons à notre revue L P.C., nous ne pouvons pas en dire plus. Nous espérons avoir pu donner envie à nos lecteurs de lire le livre en entier. Il en sera de même pour la deuxième partie, dont les titres des quatre chapitres sont suffisamment éloquents :

  • - 1. L'avenir : quel Royaume annonce Jésus ?
  • - 2. Un dialogue Nord-Sud est-il possible? "Nouvelle évangélisation" et "application de la sharia"
  • - 3. L'athéisme, moment nécessaire de la foi : Kierkegaard, Marx, Nietzsche.
  • - 4. Comment parler de la foi à un homme irréligieux?

C'est presque une souffrance de devoir se limiter à l'une ou l'autre citation, tant la matière traitée par Roger Garaudy est riche. Nous n'aurons donc pas l'intention de donner un aperçu complet du livre, simplement de mettre l'eau à la bouche.

"Qu'importe ce qu'un homme dit de sa foi. Ce qui importe est ce que cette foi fait de cet homme. Si l'on se dégage des œillères de l’Occident l'on s'aperçoit qu'en d'autres civilisations et à travers d'autres cultures, des "porte-Dieu" ont formulé autrement le même message."

"Le Royaume, en rupture radicale avec la tradition du m essianisme juif ne s'inscrit plus dans l'espace et le temps. Jésus affirme sans équivoque possible que le Royaume est "en nous" et "déjà là autour de nous" parce qu'il n'est pas la récompense d'une conquête, à la manière du Royaume de David, ni même l'avènement d'un autre Messie descendu du ciel.

Il est le fruit d'abord de notre libération intérieure, de notre totale dépossession, non seulement de toute richesse, mais de tous les autres conditionnements de nos désirs, de nos préjugés, de toutes les aliénations de l'avoir, du savoir et du pouvoir" (o. c. page 132).

"Une "nouvelle évangélisation", après une nécessaire autocritique de l'ancienne, exige autre chose qu'un habillage folklorique de la théologie occidentale par les cultures autochtones sous le nom d "'inculturation". La reconnaissance de l'unité de Dieu et de sa présence, qui ne peut se manifester nulle part ailleurs que partout, implique d'abord qu'il ne peut y avoir de "peuple élu", hébreu ou occidental, dont la médiation serait préalable et nécessaire pour rencontrer Dieu" (p. 146).

"Il n'y a de dialogue véritable que lorsque chacun, au départ, admet qu'il a quelque chose â apprendre de l'autre, qu'il est donc prêt à remettre en cause telle ou telle de ses certitudes. C'est pourquoi celui qui s'engage dans cet authentique dialogue apparaît parfois comme un dissident en puissance à l'égard de sa propre communauté" (p. 155).

En six pages de "conclusion", l'auteur résume son ouvrage. Encore une fois, nous nous limiterons à quelques citations :

"... le besoin de Dieu est le besoin majeur de notre époque. Il y va de la survie de l'humanité et de son sens. Encore faut-il dire (comme nous l'avons fait pour la messianité de Jésus et pour la résurrection) de quel Dieu il s'agit.

Que Jésus soit le Messie par lequel notre vie personnelle et notre commune histoire prennent leur sens plénier, c'est une certitude. Mais ce Messie n'est pas celui qu'attendaient ses contemporains ...

... De même le Dieu dont nous avons besoin n'est pas cet être extérieur et supérieur à nous, régnant " d’en haut", dans on ne sait quel "ciel" à la manière d'un monarque plus puissant que tous les autres. Moins encore ce Dieu dont notre communauté seule détiendrait la véritable image. Ni ce Dieu partial et tribal qui nous aurait élus et nous donnerait mission et pouvoir d'exclure et de massacrer d'autres peuples" (o. c. page 202).

"Cette évocation de la pluralité des religions du monde, des perspectives différentes de l'expérience du transcendant que nul ne peut prétendre saisir dans sa totalité, n'implique aucun éclectisme ou syncrétisme, mais l'humble et indispensable reconnaissance de la relativité non de la foi, mais des cultures à travers lesquelles elle s'exprime, et de la richesse de l'approche des autres cultures" (p. 204).

Ce livre n'a d'autre but que d'appeler chacun à prendre conscience qu'il est personnellement responsable - sans délégation possible à un parti, un Etat ou une Eglise - de l'avènement possible de ce "Royaume", et à se lever, contre les dérives de la décadence, pour passer du non-sens au sens, de la mort à la résurrection." (p. 207).

Il y a quelques années ayant appris que Roger Garaudy était passé à l'Islam nous avions ressenti une déception en ce sens que cela nous semblait le passage d'un p articularisme à un autre. C'était mal connaitre celui qui se révèle dans "AVONS-NOUS BESOIN DE DIEU?" comme un homme qui est au-dessus de tout particularisme et en qui nous sentons un ardent défenseur d'une libre pensée chrétienne. C'était déjà cette dimension-là qui lui avait valu son exclusion du parti communiste.

Lecture à conseiller à tous les amis de LPC.

André Verheyen - LPC décembre 1994