![]() | Euaggelion ! Bonne Nouvelle ! |
Christiane Janssens-Van den Meersschaut | |
LPC n° 26 / 2014 |
Euaggelion ! Bonne Nouvelle !C’est le cri de joie, racontent certains historiens, qu’entendait le guetteur grec du haut de l’enceinte protégeant sa ville. A l’époque, une stratégie consistait à sortir des murs pour aller au-devant de l’ennemi afin d’épargner la ville et ses habitants. Le combat se faisait alors à l’extérieur et les perdants du combat s’en retournaient chez eux, sans avoir mis la cité à feu et à sang. Nous pouvons aisément nous imaginer la joie du messager chargé de courir annoncer la victoire au peuple qui attendait, avec angoisse et la peur au ventre, l’issue de la bataille. Euaggelion ! Euaggelion ! criait-il. Avec la même joie, le guetteur se tournant vers l’intérieur criait à son tour : Euaggelion ! Euaggelion! Euaggelion! Et les gens massés au pied de l’enceinte couraient à toute vitesse vers les maisons les plus reculées pour répercuter ce cri de joie ; Euaggelion ! Bonne nouvelle ! C’était une nouvelle qui mettait le cœur en joie parce qu’elle était promesse de vie. Ah ! Qu’elle est bonne cette nouvelle-là ! C’est le terme " Euaggelion", que vont choisir les amis de Jésus pour titre de leurs écrits. Il faut croire que leur rencontre avec Jésus, l’écoute de son message, l’observation de ses actes fut pour eux la promesse joyeuse d’une possibilité de vie toute autre. C’est pour cela qu’à leur tour, ils veulent annoncer comme une bonne nouvelle le Royaume que Jésus avait inauguré, en prenant pour ce faire des distances indéniables avec le Temple et les docteurs de la Loi. Un Royaume selon le Dieu d’Amour auquel Jésus croyait. Dans ce Royaume il n’y a pas de place pour des clivages entre purs et impurs, les femmes sont respectées, juifs et non juifs peuvent se côtoyer, malades et pécheurs sont toujours accueillis…. Un Royaume où l’esprit d’amour prend le pas sur les rites et le formalisme, où le partage, la justice et la compassion sont les valeurs essentielles. La vie de Jésus avait montré que c’était possible et cela était apparu comme une bonne nouvelle, une promesse de vie harmonieuse et possible pour tous les hommes de bonne volonté quelles que soient leurs origines. C’est, cette vie nouvelle qu’ils ont voulu transmettre à leurs disciples. Cependant, voulant convaincre leur entourage de rejoindre leur communauté et d’y rester, ils n’ont évidemment pas hésité à amplifier les évènements, à les enjoliver, à y ajouter des couplets selon leur propre ressenti et leur vécu. Ne faisons-nous pas de même lorsqu’il s’agit de raconter à d’autres les évènements de la vie de ceux que nous aimons ? Depuis notre plus tendre enfance, lors d’une lecture de l’évangile, nous entendons "Bonne Nouvelle de Jésus-Christ". Recevons-nous vraiment ces textes comme une bonne nouvelle ? Cette "Bonne Nouvelle de Jésus-Christ" nous met-elle vraiment le cœur en joie ? Ressentons-nous la joie intense de ces villageois grecs auxquels un messager venait annoncer la bonne nouvelle d’une promesse de vie ? Certains d’entre nous répondrons : sans doute, certainement, oui parfois…, mais il faut bien constater qu’un grand nombre de visages restent moroses après la lecture de l’évangile lors des assemblées dominicales ou d’autres rassemblements chrétiens. Peu de visages irradient de joie ! L’enseignement religieux qu’a reçu la plupart des gens de ma génération était transmis comme une suite de préceptes, de dogmes, d’obligations, de sacrifices, … Une religion rituelle nous était imposée plutôt qu’un chemin de vie et de conversion de cœur. Ce n’était pas ressenti comme une bonne nouvelle mettant le cœur en joie mais, pour beaucoup d’entre nous, comme un carcan culpabilisant et infantilisant! Les évangiles ont été écrits voilà près de 2000 ans pour des communautés bien précises, par des écrivains monothéistes résidant au milieu de peuples polythéistes vivant de récits mythologiques, merveilleux, miraculeux qui influenceront très fortement leur style d’écriture. De plus, ces auteurs ne pouvaient concevoir un monde sans dieux et leur dieu devait être plus fort, plus puissant que ceux des autres. Ce devait être le Seul Vrai Dieu. Ces textes nous ont été présentés selon une lecture littérale et fondamentaliste. Il était surtout important pour les prêtres, religieuses et enseignants, dont je ne conteste pas la sincérité, de nous montrer la "Toute- Puissance de Dieu" à travers Jésus, dont il nous fallait partager les souffrances, le rejet dont il fut victime, sa passion et sa mort ignominieuse. Et tout ça, nous disait-on, par la volonté d’un Dieu "dit d’Amour", pour sauver les hommes du péché originel ! Péché originel issu d’un récit mythique comme nous le savons très bien aujourd’hui. Cette construction théologique d’un Jésus venu sur terre et devant mourir sur la croix pour sauver l’homme du péché originel ne tient plus la route ! Le message transmis par l’Eglise était et est encore bien trop souvent morbide, empreint de dolorisme plutôt que de Bonne Nouvelle. En devenant adulte dans la foi, cela ne peut que nous désenchanter ! Nous annoncer une bonne nouvelle aurait été, non pas, de gonfler à l’excès la toute- puissance de Dieu et de Jésus, mais bien de nous montrer par une lecture symbolique qu’à notre tour, pour que vive le royaume prôné par Jésus, nous pourrions nous aussi multiplier les pains, apaiser les tempêtes, repêcher ceux qui se noient, relever ceux qui n’ont plus le goût de vivre… Nous montrer un Jésus révélant aux hommes que, comme lui, ils sont capables de construire un monde meilleur. Une foi adulte ne peut plus accepter la toute- puissance d’un Dieu d’Amour qui serait interventionniste. L’enfance battue, les femmes violées, la famine, la guerre…. nous savons bien que c’est l’œuvre de l’homme et "la toute- puissance de Dieu" n’y change rien. Il n’est pas un marionnettiste qui tire les ficelles. De nombreuses biographies ou témoignages de victimes de la cruauté des hommes, nous parlent de leurs prières désespérées et pleines de confiance adressées à ce Dieu d’Amour qui cependant n’est jamais intervenu. Comment pouvons-nous défier un Dieu d’Amour en le priant de choisir de sauver l’un de ses enfants (moi), alors que des milliers d’autres vivent les mêmes souffrances ? Et peut-on croire à l’Amour d’un "Père Idéal", le Dieu dont nous parle Jésus, qui choisirait de sauver l’un de ses enfants en abandonnant les autres à leur triste sort ? Nous annoncer une bonne nouvelle aurait été, non pas, de commémorer sans cesse les souffrances et la mort de Jésus, mais bien de fêter tous ses actes et ses paroles qui étaient des actes de promesse de vie. La promesse d’un monde plus humain, d’un jour qui sera, si nous y adhérons, si nous y croyons ! Lorsque nous pensons aux défunts aimés de notre famille, nous aimons garder dans le cœur les moments heureux vécus ensemble plutôt que leur agonie et leurs souffrances. Nous exposons chez nous, non pas une photo d’eux sur leur lit de mort, mais bien un portrait les montrant souriants et pleins de vie. Pourquoi ne pas en faire autant avec Jésus ? Pour retrouver un goût de joie à la lecture de ces textes, il nous faut aujourd’hui absolument les relire à la lumière des acquis de l’exégèse contemporaine, des découvertes scientifiques, cosmologiques, archéologiques, linguistiques. Pour retrouver un goût de joie à la lecture de ces textes, il est nécessaire d’utiliser notre raison et de quitter cette foi enfantine où nous aimions que Jésus nous soit présenté comme Le Grand Superman qui peut tout faire, même marcher sur l’eau! Si cette puissance est sans doute rassurante pour un enfant, est-ce pour autant une bonne nouvelle ? Une promesse de vie ? A quoi cela sert-il à l’homme aujourd’hui, que Jésus ait marché sur l’eau, il y a des milliers d’années ? Cela a- t-il amélioré notre vie? Cela a-t-il rendu le monde meilleur ? Est-ce que nous pouvons marcher sur l’eau ? Toute lecture littérale reste d’une affligeante pauvreté spirituelle ! Pourquoi Jésus aurait-il fait des choses que nous ne pouvons pas faire, alors qu’il nous demande de suivre son exemple, pour continuer à notre tour le développement du Royaume ? Si nous relisons ce texte avec d’autres chercheurs de sens, mais cette fois de façon symbolique, nous pourrons y découvrir que, d’une rive à l’autre de notre vie, celle de la naissance à celle de la mort, nous risquerons sans doute bien des fois la noyade, submergés par des événements mortifères ; maladie , deuil, chômage, divorce, violence, guerre, famine, … ; mais que, dans cette nouvelle vie inaugurée par Jésus, nous pouvons appeler au secours, tendre la main et que nous y trouverons des oreilles qui entendent, des yeux qui voient, des mains venir vers nous pour prendre la nôtre et nous relever. Savoir que, tour à tour, si nous pouvons être celui qui appelle au secours, nous pouvons aussi être celui qui a des oreilles, des yeux, des mains ouvertes à l’autre, le relevant, lui apportant aide et réconfort. C’est cela vivre le royaume. Savoir que c’est possible, en faire de fugitives expériences, cela met le cœur en joie. C’est une très bonne nouvelle, une promesse de vie, une possibilité de résurrection, une avancée du Royaume inauguré par Jésus. A nous de jouer….même si c’est difficile ! Lorsque nous demandions à nos enseignants, une explication sur un passage de la Bible que nous ne comprenions pas, combien de fois avons-nous entendu la réponse : C’est un mystère, à votre mort vous comprendrez ! N’est-on pas là hors du sens de l’évangile, de la bonne nouvelle ? Ne vivons plus dans l’obscurité et si certains récits de l’évangile n’ont plus de saveur pour nous, prenons la peine de les redécouvrir en les décodant avec d’autres. Ils deviendront une parole qui nous relève, qui nous pousse à vivre à la façon de Jésus, à travailler à plus d’humanité dans le monde, construisant ainsi le Royaume dont il nous parle. Quelle joie alors de pouvoir retirer d’un texte quelque chose de concret pour notre vie, ici et maintenant ! Osez croire à ce Royaume, c’est l’enchantement de l’Evangile. C’est la Bonne nouvelle !José Reding dans son livre "Lueurs d’aurores. Quelques clés pour que chantent en nos cœurs les Ecritures" (Feuilles Familiales 1999) nous propose une méthode de lecture d’interprétation, que j’ai expérimentée avec bonheur lors de diverses formations, et que je voudrais vous partager en le citant librement. Il s’agit d’une méthode en trois temps : La première étape : l’étape de la "corbeille". Elle donne à chaque participant le droit d’oser refuser, d’oser renvoyer, parfois avec violence, des expressions ou même des récits. Etape respectueuse. Etape qui veut entendre l’écho premier que fait une parole en nous. Si l’écho nous blesse, notons les sur notre feuille, exprimons notre rejet. Ne travaillons jamais sur une Bible reliée. Le parfum d’un livre vénérable en impose tandis que le "sans odeur" d’une feuille photocopiée permet l’exercice de la poubelle. Une étape qui vise à prendre soin de la parole propre de chacun. La deuxième étape : l’étape de l’étude austère. L’étape de l’attention au texte. Une découverte de sens qui ne se fait qu’en faisant place au sens que découvre l’autre, les autres. Une écoute attentive des mots, un recours aux méthodes historiques ou littéraires. Une étape qui peut être inspirée par la très ancienne lecture juive porteuse des reflets contraires ou contradictoires du texte ou par des approches nouvelles, notamment sociologiques et psychanalytiques. C’est le temps de l’appel aux exégètes contemporains. Un moment où les cœurs et les esprits se préparent à des surprises. Où la parole se brise en divers sens et sort des enfermements. C’est le temps de l’écoute de divers "autres" : l’autre dans le texte, l’autre dans le temps, l’autre différent de moi. La troisième étape : l’étape de l’arrangement nouveau sur l’étagère. Chacun est invité, au vu, ou à l’insu des autres membres du groupe, à disposer en bouquet les significations nouvelles qu’il a entrevues. A les disposer à partir de l’impression d’insurrection printanière qu’il a pu connaître. L’impression de commencement joyeux. La règle suivie ici est simple. Nous sommes "hors Evangile" si nous ne vivons pas un événement qui a saveur de joie, de bonheur [eu] et de neuf [aggelion]. A ce moment de la démarche, certains participants commencent ce troisième temps en "faisant les corbeilles", retournant chercher, qui un verset, qui une expression, qu’au départ il avait rejeté. Cette méthode nous éloignera sans nul doute des "vérités" religieuses et des dogmes, nous éclairera sur nos possibilités et celle des autres, nous apportera le bonheur de chercher du sens avec d’autres pour éclairer nos vies. |
Christiane Janssens-Van den Meersschaut |