C'est le titre du livre que Roger GARAUDY publiait en 1993 chez Desclée de Brouwer à Paris. Voici la présentation de l'auteur, telle qu'elle figure en page couverture: "Roger GARAUDY agrégé de philosophie et Docteur es Lettres est né en 1913. Il passe trois ans en déportation au temps de l'occupation nazie. Membre du Bureau politique du Parti communiste, il en est exclu en 1970. Auteur de nombreux ouvrages sur le marxisme, le christianisme et l'islam, il est l'artisan du dialogue international entre chrétiens et marxistes. Traduite en vingt-sept langues, son œuvre a fait l’objet de nombreuses thèses, dans des pays aussi divers que les Etats-Unis, les pays de l'Est, l'Allemagne, l'Espagne, le Zaïre et l'Egypte." Plusieurs d'entre nous se rappelleront sans doute le livre "APPEL AUX VIVANTS" que Roger Garaudy publia en 1979 aux Editions du Seuil et dont Dom Helder CAMARA disait dans "Le Monde" : "Roger Garaudy fait bien plus que secouer nos consciences et ébranler nos vies : il nous aide à déclencher les mutations dont le monde a besoin". Effectivement, dans "AVONS-NOUS BESOIN DE DIEU?" c'est encore une de ces mutations qui est évoquée : rien moins que le passage de la domination au service. Même si le propos est vigoureux et sans compromissions on ne peut que se sentir en communion évangélique avec l'auteur, à condition d'avoir compris comme les apôtres - mais l'ont-ils vraiment tous compris ? - qu'il faut passer du Dieu tout-puissant à celui qu'Adolphe Gesché appelle "Le Dieu de la Semaine Sainte" (La Libre Belgique, 31/03/94). Adolphe Gesché, prêtre et professeur de Théologie, termine son article par cette phrase : "Que chacun bien plutôt, nous dit-il (n.d. l. : Dieu), homme ou femme, vienne de Cyrène aider son prochain à porter sa croix ou se glisse tendrement vers lui avec son voile de Véronique. Alors apparaitra le vrai Visage." Dans son "introduction" - qui est précédée, rappelons-le, d'une lettre très fraternelle de l'Abbé PIERRE à Roger Garaudy - l'auteur justifie la question à laquelle il consacre son ouvrage. "Le présent ouvrage constitue un effort pour fermer cette "parenthèse prétentieuse de la suffisance" occidentale, cette "suffisance" qui est le contraire à la fois du dialogue et de la transcendance" (o. c. page 12). Ce que l'auteur appelle la "parenthèse prétentieuse de la suffisance", c'est la période qui commence à la "Renaissance" où "les maîtres à penser… exigeaient que l'homme règne à la place de Dieu". Mais après avoir vécu pendant quatre siècles du mythe du progrès, notre société constate sa faillite et passe, en moins d'un demi-siècle, au mythe du non-sens: les philosophes de l'absurde (l'auteur cite e. a. Heidegger et Sartre) et puis au mythe de l'ordinanthrope. Par ce néologisme amusant, il entend cette conception selon laquelle "le monde était désormais trop complexe pour être piloté par l'homme et qu'il fallait s'en remettre à l'ordinateur pour résoudre tous nos problèmes" (o. c. page 12). Toute cette évolution a conduit notre société à ce que Roger Garaudy appelle "l'actuel monothéisme du marché". Et, dans son introduction, il précise que nous nous trouvons aujourd'hui devant le "choix entre le mercantile et le sacerdotal, ce choix du sens de notre vie" (p. 21) qu'aucune machine ni aucune technique ne peut faire à notre place. Il ne faudrait pas comprendre le "sacerdotal" comme le "clérical" ou "l’institutionnel" mais bien plutôt comme le "religieux" ou le "spirituel". En effet, "Quant aux religions, dans ce maëlstrom des rapacités, et des performances techniques pour les satisfaire, elles semblent toutes entrer dans l'avenir à reculons, en regardant vers le passé. Elles identifient la foi avec la forme culturelle ou institutionnelle qu'elle a pu prendre à telle ou telle phase antérieure de l'histoire" (o. c. page 22). Alors, quelle est la réponse ? "Avec Jésus, pour la première fois, la transcendance divine se révèle dans le dépouillement de toute puissance chez un homme partageant la vie des hommes et d'abord celle des plus démunis, et révélant, par sa vie et sa mort, la divinité de la vie et de la mort" (p. 23). On ne s'étonnera donc pas que la piste choisie par l'auteur est celle qu'il exprime, de manière condensée, dans la dernière ligne de son introduction : "Théologie de la domination ou théologie de la libération?" Et les deux parties de l'ouvrage correspondront aux deux termes de cette alternative : - I. Une théologie de la domination est-elle une réponse ?
- II. Quel Dieu ? Quelle libération ?
Dans la première partie, Roger Garaudy montre que c'est la théologie de Saint Paul qui est la plus ancienne et qui est à la base des quatre évangiles. Et cette vision de Saint Paul, l'auteur l'appelle "théologie de la domination!". Les titres des cinq chapitres de la première partie donnent une idée assez nette de son propos: - 1. Au commencement était Paul
- 2. L'Evangile de Paul
- 3. La théologie de Paul dans les Evangiles
- 4. De Jésus à Paul
- 5. Le passé : le "paulinisme politique"
Voici quelques passages que nous aimons souligner à titre d'illustration : "... les épîtres de Paul ne contiennent que deux allusions à la vie de Jésus, mais plus de deux cents citations de l'Ancien Testament." "Dans cette "Bonne Nouvelle" pas un mot sur la vie de Jésus, comme s'il s'agissait d'une parenthèse inutile : ce qui importe c'est ce qui est avant sa vie, sa lignée, celle de David, et après sa mort : le miracle de sa résurrection par la puissance du Dieu des Pères. Ce n'est pas l'Evangile de Jésus qui est prêché par lui mais 'le plan de Dieu tout entier que je vous ai annoncé" (Ac 20, 27). "Ce credo paulinien est caractérisé par l'absence de toute référence à la vie de Jésus" (o. c. pages 39-40). "Avec Paul Jésus est devenu le Christ, le Messie. Il a la puissance des anciens envoyés de Dieu, comme David. Sa vie, lors de sa première venue, son humble et pauvre vie, sa vie propre, est effacée" (p. 43). "N'y a-t-il pas contradiction, pour ceux qui croient que Jésus, par sa vie et sa parole, nous a rendu visible le Dieu invisible, et qui croient aussi qu'avoir foi en Jésus c'est jouer sa vie sur les valeurs dont sa vie et sa parole ont porté témoignage, de considérer comme fidèle au message une œuvre, celle de Paul, dont cette vie et ces paroles sont totalement absentes" (p. 44). "Pour illustrer cette victoire du paulinisme politique et de sa théologie de la domination, dans le christianisme historique, institutionnel, nous retiendrons seulement cinq exemples : - - celui de l'augustinisme politique ;
- - celui de Luther ;
- - celui du colonialisme ;
- - celui de la lutte actuelle contre les théologies de la libération ;
- - celui du Catéchisme catholique de 1992 (p. 90)."
Dans les limites que nous imposons à notre revue L P.C., nous ne pouvons pas en dire plus. Nous espérons avoir pu donner envie à nos lecteurs de lire le livre en entier. Il en sera de même pour la deuxième partie, dont les titres des quatre chapitres sont suffisamment éloquents : - - 1. L'avenir : quel Royaume annonce Jésus ?
- - 2. Un dialogue Nord-Sud est-il possible? "Nouvelle évangélisation" et "application de la sharia"
- - 3. L'athéisme, moment nécessaire de la foi : Kierkegaard, Marx, Nietzsche.
- - 4. Comment parler de la foi à un homme irréligieux?
C'est presque une souffrance de devoir se limiter à l'une ou l'autre citation, tant la matière traitée par Roger Garaudy est riche. Nous n'aurons donc pas l'intention de donner un aperçu complet du livre, simplement de mettre l'eau à la bouche. "Qu'importe ce qu'un homme dit de sa foi. Ce qui importe est ce que cette foi fait de cet homme. Si l'on se dégage des œillères de l’Occident l'on s'aperçoit qu'en d'autres civilisations et à travers d'autres cultures, des "porte-Dieu" ont formulé autrement le même message." "Le Royaume, en rupture radicale avec la tradition du m essianisme juif ne s'inscrit plus dans l'espace et le temps. Jésus affirme sans équivoque possible que le Royaume est "en nous" et "déjà là autour de nous" parce qu'il n'est pas la récompense d'une conquête, à la manière du Royaume de David, ni même l'avènement d'un autre Messie descendu du ciel. Il est le fruit d'abord de notre libération intérieure, de notre totale dépossession, non seulement de toute richesse, mais de tous les autres conditionnements de nos désirs, de nos préjugés, de toutes les aliénations de l'avoir, du savoir et du pouvoir" (o. c. page 132). "Une "nouvelle évangélisation", après une nécessaire autocritique de l'ancienne, exige autre chose qu'un habillage folklorique de la théologie occidentale par les cultures autochtones sous le nom d "'inculturation". La reconnaissance de l'unité de Dieu et de sa présence, qui ne peut se manifester nulle part ailleurs que partout, implique d'abord qu'il ne peut y avoir de "peuple élu", hébreu ou occidental, dont la médiation serait préalable et nécessaire pour rencontrer Dieu" (p. 146). "Il n'y a de dialogue véritable que lorsque chacun, au départ, admet qu'il a quelque chose â apprendre de l'autre, qu'il est donc prêt à remettre en cause telle ou telle de ses certitudes. C'est pourquoi celui qui s'engage dans cet authentique dialogue apparaît parfois comme un dissident en puissance à l'égard de sa propre communauté" (p. 155). En six pages de "conclusion", l'auteur résume son ouvrage. Encore une fois, nous nous limiterons à quelques citations : "... le besoin de Dieu est le besoin majeur de notre époque. Il y va de la survie de l'humanité et de son sens. Encore faut-il dire (comme nous l'avons fait pour la messianité de Jésus et pour la résurrection) de quel Dieu il s'agit. Que Jésus soit le Messie par lequel notre vie personnelle et notre commune histoire prennent leur sens plénier, c'est une certitude. Mais ce Messie n'est pas celui qu'attendaient ses contemporains ... ... De même le Dieu dont nous avons besoin n'est pas cet être extérieur et supérieur à nous, régnant " d’en haut", dans on ne sait quel "ciel" à la manière d'un monarque plus puissant que tous les autres. Moins encore ce Dieu dont notre communauté seule détiendrait la véritable image. Ni ce Dieu partial et tribal qui nous aurait élus et nous donnerait mission et pouvoir d'exclure et de massacrer d'autres peuples" (o. c. page 202). "Cette évocation de la pluralité des religions du monde, des perspectives différentes de l'expérience du transcendant que nul ne peut prétendre saisir dans sa totalité, n'implique aucun éclectisme ou syncrétisme, mais l'humble et indispensable reconnaissance de la relativité non de la foi, mais des cultures à travers lesquelles elle s'exprime, et de la richesse de l'approche des autres cultures" (p. 204). Ce livre n'a d'autre but que d'appeler chacun à prendre conscience qu'il est personnellement responsable - sans délégation possible à un parti, un Etat ou une Eglise - de l'avènement possible de ce "Royaume", et à se lever, contre les dérives de la décadence, pour passer du non-sens au sens, de la mort à la résurrection." (p. 207). Il y a quelques années ayant appris que Roger Garaudy était passé à l'Islam nous avions ressenti une déception en ce sens que cela nous semblait le passage d'un p articularisme à un autre. C'était mal connaitre celui qui se révèle dans "AVONS-NOUS BESOIN DE DIEU?" comme un homme qui est au-dessus de tout particularisme et en qui nous sentons un ardent défenseur d'une libre pensée chrétienne. C'était déjà cette dimension-là qui lui avait valu son exclusion du parti communiste. Lecture à conseiller à tous les amis de LPC. |