Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre | |
Christiane Janssens - Van den Meersschaut. Novembre 1998 |
C'est le sous-titre que Marie de HENNEZEL donne à son livre "La mort intime". En ce temps de Toussaint, il me plaît de relire ce livre magnifique et pour reprendre les termes de François MITTERRAND dans sa préface : "découvrir une leçon de vie et la lumière qu'elle disperse est plus intense que bien des traités de sagesse". Marie de HENNEZEL accompagne les personnes au bout de leur vie, afin de mieux les aider à appréhender la mort, sans la banaliser, ni nier la solitude et la détresse qui l'entourent. Après 7 ans d'expérience, par ce livre, elle va tenter d'explorer un miracle : "Alors que la mort est si proche, que la tristesse et la souffrance dominent, il peut encore y avoir de la vie, de la joie, des mouvements d'âme d'une profondeur et d'une intensité parfois encore jamais vécues car mourir n’est pas comme nous le croyons si souvent, un temps absurde, dépourvu de sens. Sans diminuer la douleur d'un chemin fait de deuils, de renoncements, j'aimerais montrer combien le temps qui précède la mort peut _être aussi celui d'un accomplissement de la personne et d'une transformation de l'entourage. Bien des choses peuvent encore se vivre." "Dans un champ plus subtil, plus intérieur; dans le champ de la relation aux autres. Quand on ne peut plus rien faire, on peut encore aimer et se sentir aimé, et bien des mourants, au moment de quitter la vie, nous ont Lancé ce message poignant: ne passez pas à côté de la vie ; ne passez pas à côté de l’amour" "Les derniers moments de la vie d'un être aimé peuvent être l'occasion d'aller le plus loin possible avec cette personne. Se préparer à mourir signifie en fait creuser le plus profondément possible le lit de sa relation aux autres, apprendre à s’abandonner. Combien d’entre nous saisissent cette occasion ?_ Au lieu de regarder en face la réalité de la proximité de la mort, on fait comme si elle n'allait pas venir. On ment à l'autre. on se ment à soi-même , et, au lieu de se dire l'essentiel, au lieu d'échanger des paroles d’amour, de gratitude, de pardon, au lieu de s'appuyer les uns sur les autres pour traverser ce moment incomparable qu'est la mort d'un être aimé, en mettant en commun toute la sagesse, l'humour et l'amour dont l'être humain est capable pour affronter la mort, au lieu de cela, ce moment unique , essentiel de la vie, est entouré de silence et de solitude" "Bien sûr la maladie est une ennemie à combattre. La mort, elle, n'en est pas une. Car contre elle, peut-on quelque chose? La mort fait partie de la vie, elle est inévitable. Il a deux façons alors de réagir : faire face ou fuir." Pour cela, l'auteur nous invite "à choisir de soulager: de veiller au confort de ses malades mourants et de les accompagner jusqu’au bout. La pire solitude pour un mourant est de ne pouvoir annoncer à ses proches qu'il va mourir, le mourant le sait. II a seulement besoin qu'on l'aide à dire ce qu'il sait. Il nous faut écouter le malade et le laisser dire ce dont il a besoin, ce qu'il ressent. C'est comme cela que nous pouvons les aider. Car ceux qui ont un geste spontané de compassion ne savent sans doute pas quel bien ils font. Ils invitent sans même le savoir: ceux qu’ils touchent ainsi, à s'abandonner avec confiance aux mouvements de leur âme ." C'est ainsi que Marcelle a pu répondre à la question de son petit Paul de 8 ans : Dis, mémé, je ne te verrai plus, quand tu seras partie ?", tandis qu'il était venu mettre ses bras autour de son cou. Devant toute la famille rassemblée, elle a dit : "La mort, c'est comme bateau qui s'éloigne vers l'horizon. Il y a un moment où il disparaît. Mais ce n'est pas parce qu'on ne le voit plus qu'il n'existe plus." Peut-il y avoir manière plus simple et plus belle de dire la mort à un enfant ? Evidemment, nous continuerons à nous demander : "Où vont ceux qui nous quittent? Question douloureuse pour beaucoup, plantée comme une écharde au cœur de notre humanité. Sans cette question, aurions-nous développé tant de philosophie, de réponses métaphysiques, tant de mythes ?" "Ceux qui approchent la mort découvrent parfois que l'expérience de l'au-delà leur est proposée dans l'expérience même de la rie, ici et maintenant. La vie ne nous promènet-elle pas d'un au-delà à l'autre, au-delà de nous-mêmes, au-delà de nos certitudes, au-delà de nos jugements, au-delà de nos égoïsmes, au-delà des apparences ? Ne nous invite-t-elle pas à de constantes avancées et remises en question, à de constants dépassements ?" La lecture de ce livre m'a fait penser à toi, douce Maïté. Nous riions joyeusement toutes les deux sur le parvis de l'église, tandis que tu me demandas de nous arrêter parce qu'une douleur lancinante te taraudait le dos à chaque éclat de rire. Le même soir, à ta demande, François, ton mari, nous annonçait ton hospitalisation et ton cancer de la plèvre. Nous nous sommes beaucoup vues, tu me parlais de ton combat, tu m'associais à tes projets de retour à Paris, afin que tes trois bouts de choux retrouvent ta famille qui y demeurait. Un jour, tu me demandas d'être près de toi pour recevoir le sacrement des malades. Moi, qui ne savais que te dire, face à ta maladie, je m'étais juré de t'inviter à nous libérer de nos silences. Timidement, je t'ai tendu des perches. Tu m'as répondu en me montrant les photos d'une maison, d'un avenir auquel toutes les deux, nous le savions très bien, nous ne croyions pas. Soulagée, sans doute, j'ai respecté ton silence, et nous avons fait "comme si". Le prêtre est arrivé, il récita seul, très rapidement, une prière, il nous donna le "pain de vie" et partit. Nous étions deux à "communier" et cependant, nous passions à côté de l'essentiel. Plus tard, tu m'appelas à Paris. Je te retrouvais, petit oiseau blessé, m'appelant par mon nom, mais tellement confuse, que nous nous sommes quittées sans pouvoir nous dire mot. Qu'il est lourd ton départ, mon amie, alors que nous n'avons pas eu le courage de nous dire adieu. Nous sommes passées à côté de l'essentiel de notre amitié : "vivre ta mort''. Certains soirs, j'en pleure encore ! C'est pourquoi, sans doute, le livre de Marie de HENNEZEL m'a profondément interpellée et avec lui, s'est ouvert doucement un chemin de réflexion qui m'induira, je l'espère, à un comportement plus assertif face aux derniers instants de la vie. Tous les mots que je voudrais ajouter seraient bien en deçà de ceux du livre, c'est pourquoi, je ne peux que vous inviter à le lire. |
Christiane Janssens - Van den Meersschaut. Novembre 1998 |
"La mort intime" de M1arie de HENNEZEL - Ed. Robert Laffont - Col. Aider la vie
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