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Combattre le cléricalisme catholique (suite et fin) 5. Comment faire face au cléricalisme catholique ? |
Jacques Musset |
Le cléricalisme catholique peut-il disparaître ?La réforme protestante du XVIème siècle l’a attaqué à ses racines. Elle a affirmé et démontré haut et fort - en se réclamant des Ecritures et de ce que l’on connaissait historiquement des premières communautés chrétiennes - que d’une part Jésus n’a pas institué de sacerdoce institutionnel auquel il aurait confié le soin de diriger en son nom la communauté des disciples et que d’autre part c’est l’ensemble des membres la communauté des disciples qui a la charge de témoigner de l’Evangile, à elle d’instituer des ministères au service de la communauté. C’est un changement complet de perspective. D’une organisation pyramidale sacralisée dont ceux qui occupent le haut de la pyramide ont tout pouvoir sur la base, on passe à une autogestion horizontale de la communauté des disciples. Peut-on concevoir que l’Eglise catholique se rallie à cette conception dont on a vu qu’elle est historiquement fondée au regard de la pratique de Jésus et des toutes premières communautés chrétiennes s’autogérant par le biais d’un collectif désigné et contrôlé par elles ? Personnellement, j’en doute sérieusement, étant donné l’épais et solide surmoi dogmatique qui s’est imposé dès le second siècle, qui s’est renforcé aux IVème-Vème siècle et qui n’a cessé de se développer depuis, autour de la conviction que les évêques ont reçu des pouvoirs divins et que parmi eux le pape exerce un pouvoir personnel absolu sur toute l’Eglise. La définition de son infaillibilité personnelle en 1870 en est d’ailleurs le couronnement. Quand on lit attentivement les textes du Concile Vatican II, on s’aperçoit qu’ils intègrent la doctrine traditionnelle. Il n’y a pas de changements de fond dans la doctrine, même si l’on y trouve des aménagements dans le fonctionnement. Il faudrait pour une révision de ces positions que le pape et les évêques prennent conscience par un travail exégétique et historique des plus sérieux de la relativité de la doctrine officielle des ministères. Ce serait un changement copernicien comme l’indiquait en octobre 1970 Marcel Légaut dans un article remarqué de la revue jésuite « Les Etudes ». A la question : « Quels changements s'imposent ?», il écrivait : « Tout est, non seulement à réformer et à consolider, mais à reprendre autrement, à partir de la base, afin de conserver ce qui doit l'être, lui redonner vie et finalement faire œuvre utile pour l'avenir et même déjà pour le présent... [En effet,] quand la lettre de la tradition la plus vénérée est inadaptée, elle aliène l'homme au lieu de l'accomplir. Au nom de la religion, elle empêche d'être religieux ou fausse la vie spirituelle... [Il s'agit d'opérer] une mutation, non un simple « aggiornamento »...Cette reconstruction exigera une vitalité spirituelle exceptionnelle pour permettre à l'Eglise, grâce à une intelligence renouvelée de son histoire, d'innover avec sagesse dans le domaine jadis le plus assuré de la doctrine et de la discipline, sans trahir sa mission...Sans cette recherche, poursuivie dans la totale indépendance qu'exige l'honnêteté intellectuelle, vivifiée aussi par l'approfondissement humain qui a permis d'atteindre le niveau de la foi en soi et de la foi en Dieu, le christianisme manque à sa mission. Il dégénère en une religion comme les autres, ...Il est condamné à se cantonner dans le ghetto des affirmations incontrôlables où il s'étiole en croyances et en pratiques qui deviendront des somnifères pour les médiocres et des poisons pour les meilleurs ». Ces perspectives sont-elles possibles ? On peut être dubitatif. Le théologien Hans Küng s’y est investi. Il s’y est cassé les dents. On l’a démis de sa mission de théologien catholique. Comment lutter contre le cléricalisme ?Pour l’heure que pouvons-nous faire ? Il me semble que démontrer les racines du cléricalisme comme nous l’avons fait, en démontant les faux arguments exégétiques et historiques qui prétendent fonder les pouvoirs divins des clercs, cette tâche est capitale pour éclairer les esprits et faire évoluer les consciences. Il ne suffit pas seulement en effet de protester contre l’autoritarisme des responsables catholiques et leur prétention de détenir la Vérité, il faut manifester au grand jour les racines du cléricalisme. Il ne faut pas avoir peur de s’engager sur cette voie sans savoir jusqu’où elle mènera et en même temps il est nécessaire d’être exigeant dans la façon de se qualifier. Ce sont les conditions d’une recherche intègre. Pour la conduire, il est indispensable de travailler seul et en groupe afin de pouvoir argumenter d’une manière compétente et être ainsi crédible. Il est tout aussi important de dénoncer au fil des semaines et des mois les manifestations du cléricalisme à tous les niveaux, local, national et international. Il ne s’agit pas en cela de régler des comptes et de se nourrir d’agressivité (ce serait malsain et inefficace) mais de ne pas laisser passer des comportements et des déclarations qui se réclament indûment de la volonté de Dieu et du Christ. Le recours aux médias est la meilleure façon d’informer, de même que l’organisation de conférences et de débats, y compris avec des autorités catholiques. Il importe encore, pour les disciples de Jésus, s’inspirant de sa parole et de ses actes, de prendre la responsabilité de leur propre existence et d’assumer leur propres décisions sans être bridés par les consignes des responsables ni se laisser impressionner par leurs discours. Plus il y aura de chrétiens qui agiront librement en ce sens, moins le cléricalisme aura de crédit et de poids. Les pouvoirs forts se nourrissent de l’inertie des citoyens. C’est à l’honneur de tout humain et donc de tout chrétien de ne pas se dessaisir des choix qu’il doit prendre personnellement en s’en remettant sans réfléchir au jugement de qui que ce soit. C’est une démarche exigeante mais libératrice. C’est déjà le cas de la part de beaucoup de catholiques, fréquentant ou non les églises. Les responsables de l’Eglise catholique qui prétendent parler au nom de tous les catholiques sont dans l’illusion. Ils devraient s’en apercevoir et promouvoir de vrais débats sur les questions de doctrine, de morale et d’organisation où l’on constate tant de désaccords. Reste à chacune et chacun des disciples de Jésus issus du catholicisme de se poser la question : est-ce que je continue ou pas à fréquenter l’Eglise catholique où règne le cléricalisme ? Si oui, que puis-je faire pour lutter contre de l’intérieur ? Un certain nombre de catholiques en réalité vivent une situation hybride. Ils ne renient pas l’Eglise dans laquelle ils ont découvert l’Evangile et la personne de Jésus, mais ils ont pris leurs distances vis à vis du « système », c’est à dire du pouvoir clérical, de sa doctrine, de sa liturgie et de son organisation structurelle. Ils demeurent dans cette Eglise car ils y vivent concrètement une communion de disciples de Jésus localement et universellement. S’ils ne participent plus régulièrement aux messes et ne se sentent plus liés par les directives des responsables de l’Eglise, ils font partie de groupes où ils se ressourcent et apportent eux-mêmes leur contribution. C’est ce qu’expérimentent entre autres des membres d’équipes d’Action catholique, d’étude de la Bible, du Secours Catholique, du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), du mouvement oecuménique Acat, de la conférence catholique des baptisé de France, et de bien d’autres groupes informels ou pas . Ce n’est pas la soumission à une autorité catholique qui les maintient dans le catholicisme mais l’expérience qu’ils font de la vérité de l’Evangile à travers les engagements qu’ils y ont pris historiquement. L’autre position pour des disciples de Jésus qui ont rompu avec leur Eglise native catholique parce qu’ils y étouffaient est celle-ci : comment vivre mon christianisme seul ou avec d’autres chrétiens, catholiques ou non ? Il y a souterrainement un tissu de groupes chrétiens informels où on lit et médite les évangiles, où l’on partage son expérience et ses questionnement, où l’on s’apporte un soutien mutuel dans les épreuves. Le ferment évangélique ne connaît pas de clôtures pour agir d’une manière féconde. Quelles que soient les options de chacun, une chose est certaine, c’est que le combat contre le cléricalisme ne peut être que bénéfique à la cause de l’Evangile redécouvert dans sa fraîcheur native en vue de l’actualiser en notre temps, et en même temps il ne peut être aussi qu’utile à la santé de la société civile libérée des lobbys religieux. |
Jacques Musset |
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