Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 juillet 2009 3 01 /07 /juillet /2009 12:06
Ils vivaient dans la rue à Bruxelles en 2008…, ils sont morts ! - Isidore Cordemans - 6 / 2009
Ils vivaient dans la rue à Bruxelles en 2008…, ils sont morts !
Isidore Cordemans
LPC n° 6 / 2009

En novembre 2006, à l'initiative de l'échevinat des cultes, la Ville de Bruxelles a institué "une plateforme interconvictionnelle locale de Bruxelles". Le projet de base était le dialogue à réaliser entre les diverses communautés qui existent dans notre capitale. Il avait été jugé indispensable pour y assurer les conditions d'un "vivre ensemble" porteur de paix, de justice et de solidarité. Un cadre neutre permettrait à ce dialogue de développer des actions locales de terrain et de réflexions de fond afin de contribuer ainsi à la construction d'une ville, d'un pays, d'un monde meilleurs.

André Verheyen, fondateur de notre "Libre pensée chrétienne", n'a pas hésité un seul instant, quelques mois avant son décès seulement, à nous faire adhérer à cette plateforme dès ses débuts. Elle inclut actuellement quelques soixante associations, groupements ou autres organisations de diverses confessions religieuses (musulmane, juive, protestante, catholique, orthodoxe ou autres) et aussi des représentants d'opinions laïques ou neutres.

C'est dans ce contexte que "le collectif des morts de la rue", soutenu par Madame Chantal Noël, échevine des cultes de la Ville de Bruxelles, par Monsieur Hamza Fassi-Fihroi, échevin de l'état civil, et aussi par le collège des Bourgmestre et échevins, a organisé le 18 février 2009, à 11h, à l'Hôtel de Ville, une cérémonie d'hommage à tous les sans domicile fixe décédés en 2008 dans la rue en région bruxelloise. Cette manifestation se déroula dans la grande salle gothique de l'édifice, entièrement occupée par une foule considérable. Parmi elle s'étaient rassemblés de nombreux habitants et habitantes vivants dans la rue venus dans le souvenir de leurs compagnons et compagnes d'infortune décédés au cours de l'année précédente. J'y étais présent sur invitation des organisateurs pour représenter LPC.

En 2008, trente et un décès de personnes des deux sexes qui vivaient dans les rues à Bruxelles ou qui y avaient vécu, ont été recensés, sans tenir compte des cas qui n'avaient pas été signalés au moment de la cérémonie. L'âge des victimes se situait entre 22 et 81 ans, soit une moyenne de 48,6 ans. De grands panneaux étaient dressés près de l'estrade de la salle. Y figuraient en grands caractères des plaques commémoratives mentionnant le prénom et l'âge de chaque défunt(e) ; tout un programme rehaussait cette célébration. Y ont ainsi successivement pris la parole : un dignitaire pour la communauté musulmane, le pasteur de l'église protestante néerlandophone, le grand rabbin de la communauté israëlite à Bruxelles, un représentant du "centrum voor morele dienstverlening" et une représentante de "Bruxelles laïque". Mais, à mon grand regret, aucun délégué de l'église catholique à Bruxelles ne s'était joint à ces divers orateurs. Pourquoi ?... Deux habitants de la rue, Hervé et Henri, ont évoqué avec émotion un copain et une copine disparus.

Un chanteur, Philippe Vancles, a ensuite interprété une belle chanson de circonstance intitulée "Sans toit". Dans un recueil distribué à toute l'assistance figuraient des petits textes adressés en particulier à chaque personne dont on évoquait la mémoire. Je ne résiste pas à la tentation de citer intégralement l'un d'eux concernant Ougfa-Elhassan, décédé à 33 ans. Je cite : "Tu sais ce que le froid des rues m'a fait le 2 juillet 2008 ?" dit Elhassan, "le voisin du roi". "Il m'a poussé vers l'irréparable, trop tôt, vers un point de non-retour Mais au moins, là-bas, je ne servirai plus de proie facile à ces froids de vautours…"

Pourquoi ai-je choisi ce texte parmi tant d'autres, tout aussi poignants, tout aussi navrants ? Tout simplement parce qu'il y est question du "voisin du roi" et que c'est, en bref, l'histoire d'un malheureux, connue d'un certain nombre d'habitants du bas de l'avenue des Croix du Feu, près du pont Van Praet, à Laeken. Pour ceux qui connaissent quelque peu Bruxelles, entre cette avenue et le long mur de clôture du château royal se situe un petit bosquet qu'on longe en circulant en tram. Dans cet espace vert, Ougfa s'était construit une cabane rudimentaire en vieilles tôles et en morceaux de carton, et dans laquelle il vivait paisiblement sous le regard bienveillant de la police locale qui venait lui rendre visite de temps en temps. C'est en raison de cette installation précaire à proximité du domaine royal que l'intéressé a reçu le nom de "voisin du roi". On pouvait l'apercevoir à travers les branches de feuillage du bosquet, lorsqu'on était dans le tram ("tramway" pour nos amis lecteurs français). Il avait même amélioré son logement en y installant une "douche", paraît-il. Comme nous l'apprend la strophe qui lui est dédiée, Ougfa a fini par se suicider par pendaison dans sa cabane, au milieu des turbulences de la circulation qui sévissent en cet endroit très fréquenté, le 2 juillet 2008, à l'âge de 33 ans seulement.

N'est-il pas consternant de constater qu'un tel drame, résultant de la plus profonde misère, puisse survenir à Bruxelles, capitale de l'Union Européenne, au XXIème siècle, à proximité immédiate de nombreux lieux habités dans un quartier relativement nanti ? Cet exemple ne doit-il pas nous donner à réfléchir et à prendre profondément conscience de la gravité du fléau social et humain que représente réellement la vie des habitants de la rue ?

Pour en revenir à la célébration du 18 février, je vous dirai qu'elle s'est terminée par un appel aux morts, chacun et chacune évoqués individuellement, avec une discrète musique jouée en sourdine, toute l'assemblée debout et recueillie dans un profond silence respectueux.

Pour ma part, j'estime qu'il était important pour LPC de prendre place dans cet événement qui m'a personnellement considérablement impressionné et convaincu, plus que jamais, de l'idée que chaque être humain, quel qu'il soit, a droit à notre attention, plutôt qu'à notre indifférence, voire même parfois à notre mépris. La question qu'on peut se poser dans le cas particulier des habitants de la rue est "Pourquoi, comment en sont-ils arrivés là ?", plutôt que de les juger sévèrement.

Isidore Cordemans

1 janvier 2009 4 01 /01 /janvier /2009 12:29
Alain Dupuis Taizé : la RENCONTRE et les rencontres…
Alain Dupuis
LPC n° 4 / 2008

Dans la perspective de la grande rencontre européenne annuelle organisée par la Communauté de Taizé et qui va se dérouler cette année à Bruxelles, des amis de L.P.C. me suggèrent d'écrire pour la revue quelques lignes à ce propos, pour faire part de mon regard propre sur la Communauté de Taizé en général, et ces rencontres en particulier.

Je connais, en effet, la Communauté depuis 1959. J'avais 17 ans à peine, et les frères étaient une vingtaine autour de Frère Roger. J'ai séjourné plusieurs fois à Taizé (pour des sessions d'été) quelques semaines ou quelques mois. J'ai ensuite vécu à plein temps à la Communauté pendant presque deux ans (1966-67), à l'époque où les Frères tentaient timidement d'intègrer des jeunes catholiques, sous l'œil encore très soupçonneux de Rome. Mon pied-à-terre français est à deux pas de la Communauté où j'ai encore des amis bien chers.

Si j'ai accepté cette invitation à traiter le sujet, c'est parce que, pour ceux qui ne connaissent pas la Communauté de Taizé, l'information médiatique, et en particulier journalistique, pas toujours très objective, relève souvent plus de l'anecdotique et du pittoresque que d'une approche intérieure et profonde du phénomène-Taizé.

L'accueil de centaines, de milliers, et aujourd'hui de dizaines de milliers de jeunes et moins jeunes, chaque année, autour de la Communauté, n'a jamais fait partie du projet des frères lors de leur installation dans ce petit village perdu de Taizé, en Bourgogne. Pour les pioniers, le choix était celui d'un mode de vie communautaire et évangélique, propre à faciliter, entre autres, un œcuménisme en actes. Par leur vie de travail, manuel ou autre, rythmé par les 3 offices quotidiens, les frères s'inscrivaient très simplement dans la grande tradition des moines chrétiens. Déjà à l'époque, deux choses saisissaient les rares visiteurs : la simple beauté des offices, la ferveur et la densité du silence qui y règnait, dans la petite église romane du village, et l'accueil simple, lumineux et souriant que les frères réservaient à chacun, selon son désir et son besoin.

Quand, dans les années 1960, les visiteurs se firent de plus en plus nombreux, il fallut choisir entre les écarter ou répondre à cette demande. Ce fut un débat de fond pour les frères, parce que c'était engager la Communauté dans une toute nouvelle vocation. Sous la douce pression de Frère Roger, les frères optèrent pour l'aventure de l' accueil… et quelle aventure !

Ce fut bientôt la construction de la grande église de la Réconciliation, vite trop petite, et prolongée par des annexes modulables, selon l'affluence. Ce fut l'organisation, sans cesse améliorée, de tout un système d'hébergement capable d'accueillir, de nourrir, de loger, été comme hiver, dans les normes d'hygiène et de sécurité les plus strictes, plusieurs milliers de pèlerins à la fois, de tous âges et sexes. Système totalement indépendant, financièrement et logistiquement, de la Communauté, et confié à des équipes de permanent(e)s venus, eux aussi, de tous les coins du monde. Les jeunes ne sont jamais accueillis qu'en groupe, encadrés par leurs propres responsables (prêtres, pasteurs, éducateurs, parents…)

Certes, une promenade en touriste (ou en journaliste ?), un jour d'été, sur la route qui traverse, sur environ 2 km, le village de Taizé et toutes les installations liées à cet accueil, peut donner une impression assez superficielle de joyeuse pagaille, de foule oisive, hétérogène et bigarée, qui va et vient sur des chemins tirés au cordeau, entre des tentes individuelles ici, des tentes collectives là, des baraquements en bois ailleurs… On se demande vite : "Ceux que je vois là sont loin d'être les milliers de jeunes dont on m'a parlé ! Où sont les autres ?"

Et c'est là le premier vrai visage caché de Taizé : les autres, la majorité, sont quelque part, en petits groupes, autour d'un frère ou non, en train d'échanger sur un thème de réflexion. Ou bien ils sont assis à l'écart, sur un mur, le long d'un talus, à méditer un texte, un livre, ou à prier, ou bien ils marchent, seuls, ou avec un ami de rencontre, ou bien en entretien avec un aîné … ou bien ils font des corvées de nettoyage, de poubelles, la vaisselle du self collectif, ou bien ils répètent des chants de la liturgie, ou bien… ou bien… Ce que l'observateur superficiel prendrait volontiers pour un Club de Vacances un peu bas de gamme est en fait une ruche bourdonnante et active, du matin au soir, mais dans une tranquille décontraction de tous.

Alors la question qui viendra à l'esprit sera, bien sûr : "Mais qu'est-ce qui peut bien les attirer ici, plutôt qu'ailleurs ?"

C'est là LE vrai secret de Taizé, que personne ne pourra jamais effleurer sans être allé s'agenouiller à même le sol, 3 fois par jour, dans la pénombre de la grande église, à l'heure de l'office, au milieu de 500, 1.000, ou 3.000 jeunes assidus et ponctuels…

Ce que j'ai dit plus haut des offices des débuts, dans la petite église romane : la simplicité, la beauté, la paix et le silence profond… rien n'a changé ! Dans l'église romane, on était cent, au maximum. Dans la grande église, un jour d'affluence, on est 4.000… et l'office, avec ses chants, ses lectures, et surtout, la longue méditation silencieuse centrale, se déroule avec la même fluidité tranquille, la même beauté paisible des chants répétés parfois comme des mantras, cette même repiration ample qui met 3 ou 4.000 personnes à l'unisson, de la manière la plus naturelle du monde !

Le secret de Taizé, c'est d'avoir trouvé, ou retrouvé, comme naturellement, le secret d'une liturgie qui conduit une foule, et chacun dans cette foule, au SILENCE intérieur, celui qui ouvre la voie à La RENCONTRE, à La PRÉSENCE.

Tous ceux qui sont attachés à ce lieu et à cette Communauté vous diront exactement la même chose. Et innombrables sont ceux qui ont renoué avec la vie spirituelle et ont engagé leurs vies de manière décisive (pasteurs, prêtres, militants, éducateurs, médecins) grâce à cette expérience intérieure totalement fondatrice, ou refondatrice.

Et maintenant, pourquoi des "rencontres européennes" ?

Elles sont nées, dans un premier temps, du désir de permettre à des jeunes vivant isolés de l'autre côté du Rideau de fer, de vivre sur place, chez eux, quelques jours intenses de communion avec des frères chrétiens venus d'ailleurs. L'organisation, très difficile, de l'accueil chez l'habitant, dans les paroisses, pour ces premières rencontres, a été une expérience extraordinaire tant pour les accueillants que pour les accueillis.

Pour des centaines de familles, de personnes d'âge mûr, peu habituées à recevoir, et encore moins des jeunes, et des "étrangers", pour beaucoup de paroisses, et de communautés, peu habituées à fréquenter d'autres confessions, ces rencontres furent l'occasion de véritables métamorphoses, de "coups de jeune" et de nouveaux départs.

Désormais, chaque année, la Communauté presque au complet se transporte dans une capitale ou l'autre, pour offrir aux chrétiens de la région cette occasion d'un brassage tonique avec les jeunes d'ailleurs, cette expérience exceptionnelle d'accueil et de rencontre, et ces temps forts spirituels dont la Communauté a le secret.

Le secret de Taizé, c'est d'offrir à ceux qui y passent, les conditions de La Rencontre, celle qui dispose le cœur à toutes les autres rencontres.

Puisse Bruxelles, invitée à cette expérience, faire bon accueil à ce beau remue-ménage humain et spirituel !

Alain Dupuis