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29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 09:00
bateau lpc De la prêtrise à l’abandon des doctrines
Réactions
Pascal, Henri, J.M., Francis

Le livre de Roger a été classé "meilleure vente" sur le site AMAZON pendant une semaine (catégorie "théologie")

Réaction de Pascal Hubert dans Golias Hebdo n°533

« Mon livre va à contre-courant de la mentalité croyante ambiante, car il témoigne de mon abandon de l’Église Catholique et de mon cheminement vers l’incroyance religieuse avec sa justification. » Roger Sougnez

Je lis en ce moment De la prêtrise à l’abandon des doctrines. Un livre de déconditionnement salutaire, de Roger Sougnez. S’il n’a pas la forme du pamphlet, il n’en conserve pas moins le tranchant de l’épée. Venant d’un prêtre qui a quitté le sacerdoce en 1987, âgé aujourd’hui de 92 ans, c’est chose suffisamment rare et précieuse pour s’y arrêter un instant. En d’autres temps, à n’en pas douter, pareille audace aurait valu à son auteur la mise à l’Index et les bûchers de l’Inquisition. Mais, au XXIe siècle, comment croire encore à tant inepties religieuses ?

Ce livre, sans langue de bois et d’une parfaite cohérence, sera incontestablement apprécié des croyants qui sont mal à l’aise dans leur foi du fait des dogmes et des enseignements du Magistère qu’ils ressentent de plus en plus comme d’un autre temps. Disons-le sans détour : arguments à l’appui, ils seront confortés à les abandonner purement et simplement et à se faire enfin confiance. À l’inverse, ce livre sera honni par celles et ceux qui s’en tiennent encore à la Bible et à la Tradition comme « Parole de Dieu » donnée et interprétée infailliblement par la seule « Église une, sainte, catholique et apostolique ». Comment s’en étonner d’ailleurs ? Toute remise en question du Magistère a toujours été clivante (la « crise moderniste » est lourde d’enseignements à cet égard) : elle en libérera certains d’un joug devenu insupportable, en insécurisera d’autres qui pensaient vivre de certitudes et ne plus avoir à chercher ni à douter. Parce qu’il ne s’agit pas, en l’espèce, de proposer quelques réformes d’ordre pastorales, mais bien de saper l’autorité de l’Église Catholique comme étant définitivement inapte à guider – et à fortiori, à « sauver » ! – l’humanité. Jugez-en plutôt : exit le péché originel, clef de voûte de tout l’édifice religieux ; exit les dogmes aussi fondamentaux que la divinité de Jésus, la Trinité, Marie vierge et mère de Dieu, l’Enfer et la Résurrection ; exit les sacrements ; exit encore l’historicité de la Bible et de ses miracles, exit enfin le monumental catéchisme de l’Église catholique, promulgué par le pape Jean-Paul II en 1992 et qui s’avère totalement anachronique et non crédible…

Reprenant les mots d’Albert Einstein, la pensée de Roger Sougnez pourrait se résumer ainsi : « Le mot Dieu n’est pour moi rien de plus que l’expérience et le produit des faiblesses humaines, la Bible un recueil de légendes, certes honorables, mais primitives qui sont néanmoins assez puériles. Aucune interprétation, aussi subtile soit-elle ne peut selon moi changer cela. »

Mais, cela dit, vous ne trouverez aucune rancœur ni règlement de compte dans le propos. Roger Sougnez, désormais athée tranquille, s’est laissé guider par le seul souci de vérité, de fidélité à soi et d’honnêteté à l’égard de ses anciens paroissiens et étudiants qu’il regrette d’avoir involontairement induits en erreur. Ses propos sont, en effet, le fruit d’un long cheminement et de recherches rigoureuses qui l’ont amené à ne plus enseigner ce qu’il percevait peu à peu comme des chimères. Évoquant Albert Jacquard, éminent généticien et biologiste, il estime qu’ « il n’y a rien de pire que de ne pas s’autoriser à dire ce que l’on pense vraiment ». Et cette réalité vaut évidemment pour tant d’autres dans l’Église qui ne partagent plus les enseignements du Magistère, mais n’osent pas encore le dire, par crainte d’ébranler la foi des croyants, par obéissance à l’Institution ou par manque de courage. Exception faite de quelques-uns cités par Roger Sougnez, dont Jacques Musset (qui préface le livre), Gérard Fourez, Jean Kamp, Roger Lenaers ou encore Lytta Basset.

La question légitime que l’on se pose inévitablement face à pareil « retournement » : mais que reste-t-il de vrai alors ? Sur quoi ou sur qui encore s’appuyer ? Roger Sougnez croit en l’historicité de l’homme Jésus, un homme exceptionnel, mais qui, lui aussi, fut soumis à son temps et dont, en définitive, nous savons bien peu de choses. Ainsi, reprenant les propos de Gérard Mordillat : « Personne ne peut affirmer avec exactitude où les évangiles ont été écrits. Ni quand ni par qui ni pour qui ni contre qui. » Tout au plus peut-on considérer que « son message [de Jésus] et sa vie d’ouverture, de vérité, de paix et d’amour, dénonçant mauvaise foi, hypocrisie et suffisance ont permis à l’humanité de connaitre un progrès substantiel ». Mais, Roger Sougnez de nous mettre en garde : « Remarquons que deux dangers guettent celui qui a le souci de prendre Jésus comme modèle. Premièrement, le monde actuel est tellement différent, qu’il faut une grande prudence dans cette imitation. Ce qui était excellent à une certaine époque peut être contre-indiqué à une autre. Deuxièmement, l’important pour un être humain n’est pas d’imiter un autre, mais de découvrir son projet personnel de vie où il pourra développer au mieux ses propres potentialités. » Ce point me paraît fondamental : il ne s’agit plus de vivre sa vie par procuration, mais d’oser enfin la vivre pleinement par soi-même. C’est là une révolution copernicienne, un changement de paradigme, une véritable entreprise de libération intérieure. En conclusion du chapitre sur « La morale », Roger Sougnez entend d’ailleurs rencontrer l’objection selon laquelle son livre aboutirait à ôter tout « sens à la vie ». « Bien au contraire ! », affirme-t-il. « Ne plus adhérer à la morale catholique traditionnelle, dont beaucoup de points ne sont plus pertinents, ne signifie nullement vivre sans morale ! Ce serait ignorer la multitude des humains et singulièrement les athées et les agnostiques, qui ont choisi de vivre leur engagement autrement en osant le libre examen. Nous devrions nous efforcer de déployer notre énergie afin de promouvoir des valeurs, qu’elles soient individuelles et sociétales, authentiques même si elles sont exigeantes, qui donneront sens à notre existence : davantage de vérité, de justice, d’honnêteté, de souci de l’autre, etc. C’est là un programme exaltant. »

Nous le voyons, pareille prétention est à mille lieues du discours ecclésial qui entend soumettre la vie de tout croyant à la « Parole de Dieu » et à la « Sainte Tradition » comme seules « Vérité » de nature à nous conduire au Salut… Et comment ne pas s’apercevoir que la peur de l’enfer et la culpabilité de vivre sa vie auront permis à l’Église de maintenir leurs ouailles sous l’emprise de ses enseignements, y compris ceux que les sciences ont démentis depuis longtemps (à commencer par la Création de l’univers et de l’être humain, selon le livre de la Genèse…). Un livre de déconstruction méthodique donc, aux accents nietzschéens – « Et pourquoi n’irais-je pas jusqu’au bout ? J’aime à faire table rase » –, qui ravira les plus audacieux. Mais Roger Sougnez le sait parfaitement : malgré toutes les bonnes raisons d’abandonner des croyances illusoires, elles n’en restent pas moins profondément ancrées au point où les remettre en question peut se révéler impossible pour nombre de croyants.

Un livre captivant, à lire lentement, à méditer, à laisser descendre au fond de soi et à reprendre encore, tant nous avons été bercés par de douces illusions et tant les sujets révisés sont nombreux : la Révélation, quelques grands dogmes, les sacrements, la morale, l’élaboration du catholicisme, la religion, sans oublier le parcours lent et lucide qui amènera peu à peu Roger Sougnez à l’incroyance, ainsi que les raisons impérieuses d’un tel travail. Un livre qui fait du bien, mais qui invite à un décapage radical. C’est précisément, on l’aura compris, ce qui fait de ce livre un grand livre qui vient combler un vide « en passant au crible les positions fondamentales du catholicisme pour en dénoncer l’inconsistance ». Au fond, s’il fallait une justification à ce livre et une excellente raison de le lire, ce serait celle-ci : « Il n’est pas éthiquement défendable de dissimuler des faits pour la seule raison qu’ils pourraient entrer en conflit avec des croyances auxquelles on est attaché. Qui plus est, c’est une insulte à l’égard de nos semblables, qui sont ainsi traités comme des enfants trop immatures pour regarder la vérité en face. »

Le témoignage de Roger Sougnez me fait songer au Testament de Jean Meslier, autre prêtre devenu athée, qui au XVIIIe siècle déjà osait affirmer : « Pesez bien les raisons qu’il y a de croire ou de ne pas croire, ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige si absolument de croire. Je m’assure que si vous suivez bien les lumières naturelles de votre esprit, vous verrez au moins aussi bien, et aussi certainement que moi, que toutes les religions du monde ne sont que des inventions humaines, et que tout ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige de croire, comme surnaturel et divin, n’est dans le fond qu’erreur, que mensonge, qu’illusion et imposture. »

C’est précisément ce que refuse l’Église Catholique et que Roger Sougnez – avec quelques rares pionniers qu’il faut espérer de plus en plus nombreux – nous propose d’oser enfin : l’abandon des doctrines.

Et le livre de se refermer sur une urgence à vivre : « Il nous appartient d’inventer notre propre parcours de vie, avec lucidité sur nous-mêmes et sur nos croyances et avec empathie pour les humains, sans nous laisser enfermer dans d’anciens canevas de pensée. La vie est si précieuse et si courte, veillons à ne pas la gâcher. »

Pascal HUBERT, Golias Hebdo, n° 533

Réaction de Henri Huysegoms

J’apprécie hautement le livre « De la prêtrise à l’abandon des doctrines » que je possède et relis de temps en temps. Je suis totalement d’accord avec son contenu.

Sougnez a attendu le grand âge pour le faire publier. Comme je le comprends.

Je me trouve aussi parfois confronté à la pensée de gens qui acceptent totalement tout ce qu’a promulgué l’Église comme vérité absolue.

Si on faisait douter ces gens de la véracité des affirmations dogmatiques, de leurs « certitudes », cela n’aboutirait qu’à les déboussoler.

Je n’ai pas encore le franc parler de Spong et de beaucoup d’autres.

Amitiés,

Henri Huysegoms

Réactions personnelles à la lecture du livre de Roger Sougnez

Malgré quelques petits problèmes rencontrés pour me le procurer, j’ai reçu et lu le livre de Roger Sougnez recommandé par LPC.

Je le trouve très richement documenté. En quelque 200 pages, il rassemble de nombreuses citations du Catéchisme de 1992, un relevé de multiples contradictions entre les évangiles, des exemples de mauvaises traductions de l’hébreu ou du grec qui aboutissent à des dogmes contestables, des tas de remarques judicieuses sur l’abus de pouvoir de l’Eglise. Il reconnaît par ailleurs que les valeurs prônées et vécues par Jésus restent riches (p.62) et il exprime une certaine admiration pour le pape actuel.

Voilà pour les aspects positifs.

Néanmoins ce livre me déçoit profondément. D’abord parce qu’il ne m’apprend rien. Il y a bien longtemps que grâce à des livres qu’il cite (Lenaers, Musset, Kamp), grâce aussi à LPC, de nombreux chrétiens progressistes ont pu déjà faire un cheminement analogue sans tomber pour autant dans un nihilisme qui frôle le désespoir. L’auteur a beau se défendre d’être matérialiste, il ne laisse aucune place à un mystère, une transcendance, un au-delà de l’homme. S’il démolit l’Eglise catholique, il aurait peut-être pu laisser de la place pour un Christianisme libéré des dogmes (il le fait mais à peine). Il ne croit pas à la Résurrection de Jésus, moi non plus mais je crois qu’au matin de Pâques les apôtres se sont relevés et eux sont donc ressuscités d’une certaine manière et ont transmis un message extraordinaire même si son expression a pris quelques rides au fil du temps.

On dirait que l’auteur n’a pas réussi à dépasser la critique négative propre à l’adolescence pour arriver à reconstruire à partir des « mythes » anciens un questionnement nouveau qui dépasse le fondamentalisme tout en redonnant du sens.

Personnellement il y a longtemps que je ne crois plus aux dogmes, que je trouve le langage de l’Eglise tout à fait inadéquat, même s’il y a une légère avancée, beaucoup trop lente sans doute. Je crois cependant l’institution nécessaire pour transmettre l’évangile qui ne peut se vivre que dans une communauté. Et je reste à l’intérieur avec l’espoir, illusoire peut-être, de contribuer à la faire évoluer un peu à la fois en collaborant avec d’autres chrétiens progressistes. J’essaie cependant de ne pas choquer ceux qui ne pensent pas comme moi afin de ne pas rompre à l’avance toute possibilité de dialogue.

D’autres lectures me semblent beaucoup plus judicieuses pour faire évoluer les mentalités. Je pense aux livres de Marie Balmary qui donnent des interprétations de passages de l’ancien et du nouveau testament qui les rendent parlants pour notre temps. Je pense aussi à un livre tout récent : Jésus selon Mathieu. Héritages et rupture par Colette et Jean-Paul Deremble qui propose verset après verset une relecture de Mathieu qui s’appuie sur tous les outils modernes de l’analyse de textes. Ces livres-là sont porteurs d’Espérance tout en dépassant l’obscurantisme.

J.M. 6 juin 2018

Réaction au livre de Roger Sougnez

Chères amies, chers amis,

Je reste tout de même un peu songeur devant ce programme et ce titre, car que reste-t-il finalement ?

Souvenons-nous de cette petite pointe de colère d'André Verheyen face à qui lui disait "je ne sais plus que croire" et, dès lors, estimait qu'on faisait du mauvais travail.

Autant je suis contre l'hyper-conservatisme (nous avons "souffert" récemment en assistant par hasard et sans nous y attendre, à une messe Lefèvriste à Saint-Brieuc qui nous a démoli le moral pour tout un moment), autant je me reconnais désarçonné ici par ce côté "tabula rasa" : c'est ainsi.

Bien amicalement,

Francis 7 février 2019

15 août 2019 4 15 /08 /août /2019 08:00
André Verheyen Le XXIème siècle sera-t-il moderne?
André Verheyen

En novembre 1995, André Verheyen écrivait :

Au fur et à mesure que nous nous approchons de la fin de ce siècle, nous entendons de plus en plus de considérations sur le siècle suivant.

Beaucoup de gens s'essayent au rôle de Madame Soleil et y vont de leur prédiction. Une phrase d’André Malraux joue un certain rôle également. Mais comme elle n'est pas immédiatement évidente, on comprend qu'elle ait été quelque peu déformée. La voici citée par Edmond Blattchen dans son émission "Nom de dieux" :

"Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu'ait connue l'humanité, va être d'y réintégrer les dieux" (André Malraux en 1955)

Certains l'ont simplifiée comme suit : "Le 21ème siècle sera religieux ou ne sera pas." Et c'est cette formule simplifiée qui a fait fortune et qu'on entend un peu à toutes les sauces: le 21ème siècle sera… ou ne sera pas.

L'hebdomadaire Dimanche (15/10/95) publie une brève interview du théologien Adolphe Gesché qui dit: "Je ne pense pas que le 21ème siècle sera religieux, mais je crois qu'il sera "théologique…" Voilà qui est surprenant si on ne replace pas cette phrase dans son contexte.

Voici donc le paragraphe en question: "On parle aujourd'hui de l'oubli de Dieu. Ce n'est plus la négation ou le refus, à la manière de Sartre. Le mot lui-même disparaît. On ne sait plus ce que cela veut dire. Dieu s'en va sur la pointe des pieds. C'est peut-être une chance. Cela permet de renouveler les choses. Je crois que le monde est prêt à écouter la foi à frais nouveaux. Il ne s'agit pas de prouver, mais de rendre intelligibles et lisibles les mots de la foi. Ils ne sont pas vides de sens. Mais tous ces mots sont devenus inintelligibles, usés. Il faut les rendre à nouveau lisibles à l'intelligence et au cœur. Je ne pense pas que le 21ème siècle sera religieux, mais je crois qu'il sera théologique, pour préparer de nouvelles voies à Dieu."

Je ne sais pas si le 21ème siècle sera moderne ou non ; je pense qu'il aura ses modernistes et ses traditionalistes. Ce que je sais c'est que si LPC a la joie d'entrer dans le prochain siècle, c'est avec le même enthousiasme et avec la même conviction que nous continuerons notre effort pour "rendre intelligibles et lisibles les mots de la foi".

Cette conviction et cet enthousiasme ont encore été confirmés le 15 août dernier, lorsque nous avons entendu dans les médias ce qu'"on" dit toujours de l’Assomption de Marie.

Le matin c'était sur les ondes de la RTBF que le commentateur attitré des questions religieuses expliquait qu'il y a deux traditions, l'orientale qui parle de 'dormition' (Marie n'est pas morte, elle s'est endormie) et l'occidentale qui parle d'Assomption (Marie a été élevée au ciel sans connaître la corruption du corps).

J'espérais un petit mot d'explication ou d'actualisation mais non, rien !!!

Le midi, c'était sur France 2, à l'occasion de la messe télévisée. Le journaliste présentait son micro aux personnes en leur demandant "Et pour vous, monsieur, madame, c'est quoi, l'Assomption?" Et, invariablement, c'était le même discours, appris par cœur, "Marie a été élevée au ciel avec son âme et avec son corps" !

C'est le dernier témoignage qui m'a le plus dérangé : un monsieur très gentil s'adresse à une petite fille de 11 ou 12 ans. Même question: "et pour toi, qu'est-ce que c'est, l’'Assomption?"

  • ???
  • Tu ne sais pas ça ?
  • ???
  • On ne vous apprend pas ça au catéchisme ? (Là, je me suis demandé si ce n'était pas le curé de la paroisse.)
  • ???
  • Eh bien, moi je vais te le dire : c'est que Marie a été élevée au ciel avec son âme et avec son corps" !

Et je me demandais ce que cela pouvait bien signifier pour cette enfant de 12 ans ! Alors que n'importe quel enfant de 12 ans peut comprendre, si on le lui explique de manière intelligible, que la clé de lecture de l’ Assomption de Marie est l'Ascension de Jésus et que la clé de lecture de l'Ascension de Jésus est l'ascension du prophète Elie (voir le deuxième chapitre du deuxième Livre des Rois).

Si une théologie peut se dire moderne dans la mesure où elle tente d'actualiser, pour les rendre intelligibles, les images, les symboles, les mythes ou les procédés littéraires de la tradition, alors le moins qu'on puisse dire, c'est que le 21ème siècle - dont le Professeur Gesché disait qu'il serait théologique- devra être moderne.

Je pourrais utiliser la formule à succès et ajouter : "ou bien il ne sera pas" mais ce ne serait pas pertinent. Le 21ème siècle sera de toute manière. Mais la question est de savoir ce que sera la foi ou la spiritualité au siècle prochain.

Une dernière réflexion à l'intention de ceux et celles que le mot "théologie" effraye.

Nous faisons tous de la théologie: quand "monsieur tout-le-monde" dit qu'il a difficile à croire en un Dieu tout-puissant en voyant le mal et la souffrance dans le monde, il fait de la théologie!

Alors, tant qu'à faire, faisons-la de la manière la plus intelligible possible !

André Verheyen - novembre 1995

6 juillet 2019 6 06 /07 /juillet /2019 08:00
bateau lpc De la prêtrise à l’abandon des doctrines de Roger Sougnez (Editions GOLIAS)
Un livre décoiffant et interpellant préfacé par Jacques Musset
De la prêtrise à l’abandon des doctrines de Roger Sougnez (Editions GOLIAS)

Un prêtre, croyant convaincu au début de son ministère, relate dans ce livre, le cheminement qui l’a mené à l’abandon des croyances religieuses. Ses recherches entreprises, dans un souci de vérité, pour justifier sa foi, lui firent découvrir que l’Eglise catholique n’était pas la représentante de Dieu et que beaucoup de ses doctrines n’étaient plus recevables.

Il pense participer au comblement d’un vide car si des livres écrits par des prêtres remettent en question bien des positions de l’Eglise, il n’en connaît pas qui montreraient de façon détaillée et systématique, pourquoi des dogmes aussi fondamentaux que la divinité de Jésus, la Trinité, Marie mère de Dieu, le Péché Originel, l’Au-delà … et d’autres sujets importants ne sont pas crédibles et que toute tentative de réinterprétation serait illusoire.

Conscient de la difficulté, pour des chrétiens qui se posent des questions, d’avoir accès aux informations qui leur permettraient de se faire une opinion personnelle, il croit leur rendre service en fournissant une documentation honnête et critique et des considérations habituellement tues. Il veut bannir la langue de bois et les développements alambiqués.

Il montre également que le monumental catéchisme de l’Eglise catholique, promulgué par le pape Jean-Paul II en 1992, est un échec, une contre-valeur ; il n’est pas fiable car il se contente de retransmettre un enseignement traditionnel anachronique qui n’est plus crédible aujourd’hui. Il comporte de nombreux articles invraisemblables parfois même aberrants et des conceptions archaïques inacceptables.

L’auteur, né en 1927, ordonné prêtre en 1955, a exercé son ministère dans une paroisse puis, pendant 25 ans, professeur d’Ecole Normale Moyenne, il a été chargé du cours de religion et surtout de la formation d’enseignants de religion. Depuis 1987, il a cessé toute fonction sacerdotale.

Une critique radicale du catholicisme institutionnel

"Prêtre catholique, j'ai voulu m'assurer de la solidité de mes croyances. J'ai entrepris de rigoureuses recherches qui m'ont amené à prendre progressivement conscience que, contrairement à ce qu’elle a toujours prétendu, l'église catholique n’est pas la représentante de Dieu, que beaucoup de positions de cette institution simplement humaine sont erronées, non crédibles et qu’on devrait lui reprocher des comportements gravement répréhensibles.

Pensant que mes investigations, arguments et conclusions pourraient être utiles à des chercheurs de Vérité, j'ai écrit ce livre, fruit d'une vie de recherche : "De la prêtrise à l’abandon des doctrines", une critique approfondie du catholicisme dont la radicalité dépasse largement les ouvrages contestataires habituels des théologiens catholiques.

Je passe en revue, sans langue de bois, sans raisonnements alambiqués, tout en m’efforçant de demeurer nuancé, la quasi-totalité des principaux dogmes et positions essentielles du catholicisme, comme la divinité de Jésus, la Rédemption, la Trinité, Marie mère de Dieu, le péché originel, les sacrements et des prises de position morales inacceptables, et j’explique, pourquoi à mes yeux, ils ne sont pas crédibles.

Je fournis des arguments parfois inédits et je dépasse le cadre purement catholique pour parler de Dieu et des religions. Je fournis aussi beaucoup de textes importants, peu ou pas connus, qui invitent à la réflexion et qui permettent aux lecteurs de se forger une opinion fondée.

Je montre également que le "Catéchisme de l'Eglise catholique", imposant condensé de l’enseignement officiel de l’Eglise promulgué par le pape Jean-Paul II en 1992, comporte beaucoup trop d’articles non crédibles. C'est un fiasco !

Mon livre peut se révéler utile lors de débats concernant les problèmes fondamentaux humains et religieux.

Si des associations chrétiennes hésitent à citer et utiliser un livre qui critique aussi radicalement leur religion et leurs croyances, on pourra leur reprocher leur manque d’objectivité et, de toutes façons, ce qui est dénoncé ici sera tôt ou tard, sinon admis par tous, du moins connu de tous. On ne demande pas au lecteur d'approuver toutes les positions de l'auteur mais il peut tirer profit de certaines argumentations et réflexions pour remettre en question ce qui doit l’être en tenant compte de la réalité. Il pourra arriver à des convictions personnelles justifiées et solides au lieu de se bercer d’illusions.

Grâce à sa conception bien structurée, il est aisé de se baser sur certaines parties du livre pour alimenter un débat sérieux au sein de groupes de recherche. "

Roger Sougnez

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29 septembre 2018 6 29 /09 /septembre /2018 08:00
Jacques MussetLa fidélité à Jésus n'est pas répétition mais recréation III
Jacques Musset

III - Comment vivre au 21ème siècle une fidélité créatrice à Jésus et à son Dieu ?

Vivre de l'« esprit » qui animait Jésus

C'est au niveau de l'esprit qui animait Jésus que nous avons à nous approprier son témoignage. J'entends le mot « esprit » au sens de la motivation et de l'attitude qui ont orienté et déterminé son existence. Regarder Jésus vivre en son temps nous permet de déceler ce qui l'habitait intérieurement, ce qui le motivait à risquer sa vie pour témoigner du Dieu dont il se réclamait. Cet esprit qui l'animait, c'était son accueil, sa défense et sa promotion des personnes, spécialement les marginalisées, les exploitées, les méprisées, les disqualifiées, les oubliées, les rejetées pour toutes sortes de raisons ; c'était aussi sa dénonciation des structures et des représentations qui oppriment ; c'était encore son attitude intérieure d'intégrité à la base de tous ses comportements ressourcés sans cesse dans la conception qu'il avait de son Dieu. A nous d'incarner aujourd'hui en les actualisant d'une manière inédite ces valeurs même si elles ne sont pas spécifiquement chrétiennes.

Actualiser le courage de Jésus

L'esprit qui animait Jésus se traduisait par sa manière de s'engager résolument à ses risques et périls à travers paroles et actions. Il a fait preuve de constance jusqu'au bout, en dépit des oppositions et incompréhensions, il ne s'est jamais dérobé aux appels qui le sollicitaient, il n'a pas craint le qu'en dira-t-on, les critiques, les calomnies ; il a veillé à la cohérence entre son dire et son vivre, entre son enseignement et son style de vie, mais il s'est toujours refusé à haïr, à prendre une revanche, à écraser ses adversaires. A nous, dans le temps que nous vivons, de traduire cet esprit dans nos mentalités et dans nos façons concrètes de vivre, à nos risques et périls s'il le faut.

Actualiser les exigences d'authenticité qui inspiraient les comportements de Jésus.

L'esprit qui animait Jésus au service de son prochain et dans ses prises de position émanait d'une droiture de cœur et d'intentions authentiques, non contaminées par la recherche du pouvoir et de l'avoir, par l'hypocrisie et la duplicité, par les partis pris injustifiés, par les fausses évidences du temps. A nous, en nous inspirant de cet esprit d'authenticité, d'être vigilant sur ce qui nous anime réellement dans les divers domaines de notre existence.

Distinguer mouvement de foi de Jésus envers son Dieu et ses représentations

L'esprit qui animait Jésus dans sa façon de vivre, il le référait à Dieu, la Source des exigences intimes qui émanait de ses profondeurs. Ses représentations de Dieu étaient celles de la foi juive de son temps. Pour nous, il importe de ne pas confondre les représentations qu'il avait de son Dieu avec le mouvement de sa foi en son Dieu, fait de confiance, de disponibilité, de fidélité. C'est un exercice essentiel, capital. Notre fidélité créatrice ne se joue pas au niveau des représentations qu'il avait de son Dieu et donc de son langage, relatifs à son contexte culturel et religieux, mais elle se joue dans la ligne du mouvement personnel de sa foi en son Dieu. D'où il est essentiel de faire la différence entre les deux, ce qui nous autorisera nous-mêmes, dans le contexte culturel où nous vivons, à avoir nos propres représentations de Dieu et de ce fait nos propres langages.

Comment dire le Dieu de Jésus aujourd'hui ? (1)

Le Dieu de Jésus, comment le nommer aujourd'hui dans notre culture marquée par la modernité sans être tributaire des représentations de Jésus ? Nous avons vu que Jésus reçoit de sa Tradition (un ensemble de croyances qui s'impose à tout croyant juif) les représentations qu'il a de son Dieu (et donc du monde et de l'homme), représentations qui sont relatives au contexte religieux et culturel de son temps. Rappelons-les d'un mot : Dieu est une évidence, Il est le tout autre et en même temps le tout proche, il conduit l'histoire de son peuple et du monde avec justice et amour bienveillant, il va sans tarder établir définitivement son règne de paix qui est déjà à l'œuvre. Il appelle chacun à l'accueillir avec un cœur disponible. L'appellation « Père » est traditionnelle.

Pour nous et nos contemporains du 21ème siècle marqués par l'esprit de la modernité (revendication du droit à penser personnellement, à chercher et à trouver par expérimentation), notre approche du mystère de Dieu comme source de notre humanisation ne peut se faire d'emblée avec des représentations marquées par un contexte qui n'est plus le nôtre et qui s'avéraient alors évidentes. ( démarche descendante) .

Employons donc une autre voie d'accès que nous appellerons ascendante. Cette approche ascendante part de ce que vit l'homme et est donc une démarche existentielle animée par le souci de l'authenticité, du don et engageant tout l'être dans la recherche de son sens (2). Cette voie empruntée avec la préoccupation de ne pas tricher avec soi-même, d'aller le plus loin possible dans la vérité de soi-même – chemin fort exigeant – comment peut-elle être une approche actuelle du mystère du Dieu de Jésus ? Si oui, à quelles conditions ? Allons au cœur de ce que nous vivons les uns et les autres dans notre aventure d’humanisation quand nous nous efforçons vaille que vaille de conduire notre existence dans une démarche de vérité, attentifs à débusquer nos illusions, à nous remettre en cause si nécessaire, à lier travail intérieur d’approfondissement personnel et ouverture à autrui dans l’épaisseur de notre vie quotidienne ? Qu’observons-nous ? Ce que chacun expérimente au tréfonds de son être – quelle que soit son histoire singulière -, n’est-ce pas avant tout une exigence de vivre en vérité dans toutes les dimensions de son existence ?

Exigence de lucidité sur sa manière d’exister, sur la cohérence entre son dire et son faire, sur les héritages qui le conditionnent, sur ses ambiguïtés, ses limites, ses peurs, ses attachements, ses répulsions, ses illusions, son histoire passée…

Exigence de vivre vrai dans sa relation à autrui, exigence qui invite à l’écoute, à la compréhension, au soutien, au respect, au pardon, à la remise en cause personnelle…

Exigence de probité intellectuelle dans sa recherche spirituelle, dans l’appropriation, si l’on est croyant, de sa tradition religieuse, ce qui a pour conséquence de ne pas mettre de limites à ses questionnements ni au chemin à parcourir…

Exigence de recueillement pour se ressourcer, pour ne pas céder à l’activisme, aux illusions…Exigence de consentir à la réalité telle qu’elle est pour en faire un tremplin de maturation, d’affinement, d’approfondissement, ce qui implique détachement et renoncement...

Cette exigence, sorte de voix intime, qui se murmure dans le silence ou s’impose parfois avec insistance et d’une manière récurrente et à laquelle nous consentons nous fait expérimenter un dépassement, une sorte de « transcendance » intérieure qui faisait dire à Pascal : « L'homme passe l'homme ». L'expérience de cette exigence intime, Marcel Légaut l'appelait motion intérieure. A travers cette inspiration venant des profondeurs de son être et l’appelant à vivre en vérité, il lisait les traces en lui d’une « action qui n’est pas que de lui mais qui ne saurait être menée sans lui ». Il en concluait qu’on pouvait « appeler cette action qui opère en soi l’action de Dieu sans nullement se donner de Dieu – et même en s’y refusant – une représentation bien définie Marcel Légaut pose ainsi un acte de foi mais qui ne s'impose pas. La meilleure preuve c'est que des humains qui expérimentent eux aussi la même qualité d'humanité à travers leurs choix de vie exigeants ne nomment pas Dieu : ils se tiennent dans l'agnosticisme (je ne sais pas) ou dans l'athéisme (Dieu n'existe pas, ce qui est aussi un acte de foi).

Si nous-mêmes expérimentons cette même qualité d'humanité et pressentons comme M. Légaut le mystère d'une « Présence » au cœur de notre cheminement humain, nous pouvons nommer Dieu cette mystérieuse « présence » qui nous inspire secrètement sans peser sur notre liberté. Mais nous pouvons la nommer autrement que Jésus, par exemple « Source, Souffle, Feu, Lumière... », c'est tout à fait légitime. Nous sommes là au niveau des représentations dépendantes de notre culture, de notre histoire, de notre milieu de vie. Dans la Bible, on trouve d'ailleurs de nombreuses appellations de Dieu : rocher, père, mère, Seigneur, sauveur, défenseur, etc. En effet une chose est d'expérimenter cette Source au plus intime, autre chose est de la désigner. En effet, il ne faut pas confondre la réalité vécue, elle-même indicible, et la nomination de cette réalité expérimentée. L'expérience de la réalité est première, la nomination n'est pas secondaire mais seconde et relative. Nous avons certes besoin de mots pour balbutier l'expérience de l'exigence intérieure que nous expérimentons quand nous nous efforçons de vivre dans l'authenticité, la vérité et le don, mais ce ne sont que des mots. Ils sont utiles mais ils sont relatifs. Ils ne servent qu'à pointer notre attention et celle d'autrui sur l'expérience vécue, intraduisible par nature. La pire des choses c'est d'idolâtrer les mots en croyant expérimenter la réalité. Nous ne sommes jamais indemnes (ni les Eglises non plus) de glisser vers cette impasse.

En conclusion

, disons que notre fidélité à la démarche de Jésus dans la relation à son Dieu passe d'abord par l'engagement (au sens le plus large du terme) de notre existence dans l'esprit qui fut le sien et, au cœur de cet engagement, par l'expérience au tréfonds de notre être d'une Source mystérieuse inspirante. Là nous sommes en phase avec l'expérience de Jésus, chacun la vivant et la nommant à sa manière dans son contexte singulier. C'est une démarche de foi qui ne s'impose à personne mais pour un chrétien de la modernité, en est-il d'autre aujourd'hui pour percevoir cette Source intime qui inspire tout vrai chemin d'humanité ? Voilà à mon sens une voie possible pour conjuguer actuellement notre fidélité au Dieu de Jésus et la légitime et même nécessaire créativité dont nous avons à faire preuve aujourd'hui.

 

Pour terminer, voici un encouragement à pratiquer une fidélité créatrice à Jésus. Il s'agit de deux paroles de l'évangile selon St Jean mises sur les lèvres de Jésus par la communauté où est né l'évangile.

16, 7 : « Il est bon que je m'en aille, car si je ne pars pas, le Souffle ne viendra pas à vous ».

14,12: « En vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes... »

Comment ne pas nous sentir encouragés à être créatifs pour faire advenir sans cesse de nouvelles figures d'Evangile ? Pourquoi aurions-nous peur puisque nous sommes assurés d'avoir en permanence le Souffle suffisant pour vivre de l'esprit de Jésus et témoigner de son Dieu !

Jacques Musset

(1) Je renvoie à mon livre : Repenser Dieu dans un monde sécularisé, Karthala, 2015 . (retour)
(2) Vie spirituelle et modernité, Marcel Légaut, Duculot, chapitre VIII, page 187. (retour)
22 septembre 2018 6 22 /09 /septembre /2018 08:00
Jacques MussetLa fidélité à Jésus n'est pas répétition mais recréation II
Jacques Musset

II - Comment concevoir aujourd'hui une véritable fidélité de Jésus qui soit re-création

Re-création, qu'est-ce à dire ?

Un héritage ne demeure vivant que recréé

Partons d'abord d'une constatation évidente que l'on peut observer en tous domaines de la vie d'une génération à une autre génération. Un héritage ne demeure vivant et fécond pour ses héritiers que s'ils se l'approprient et donc le recréent, ce qui suppose de leur part un droit d'inventaire, une évaluation, la possibilité de retenir ce qu'ils jugent bon, la nécessaire réinterprétation de l'héritage due aux conditions nouvelles dans lesquelles vivent les héritiers, conditions d'ordre culturel, économique, politique, social, technique. C'est une tâche exigeante, mais c'est la seule qui soit prometteuse de vie, de sens, d'inventions. On peut le vérifier dans l'histoire humaine à tous les niveaux et dans notre propre histoire singulière..

Nous sommes les héritiers d'une histoire familiale, d'une éducation, de rencontres multiples. Si nous sommes reconnaissants à ceux et celles qui nous ont précédés et dont le témoignage nous a touchés, que retenons-nous d'eux qui nous fait vivre actuellement ? D'abord et avant tout un esprit, une façon de vivre fraternelle, une liberté de penser et d'agir, une ouverture à autrui, une générosité. Ce ne sont ni les représentations ni les formes à travers lesquelles nos devanciers ont exprimé et mis en œuvre ces qualités d'esprit et de cœur. Ces représentations et ces formes sont relatives à leur temps, à leur histoire, à leur tempérament. Si nous marchons sur leurs traces, à nous d'incarner, dans de nouvelles représentations et de nouvelles formes concrètes, l'esprit qui les a animés et qui nous inspire intérieurement. Telle est la véritable fidélité créatrice qui se joue avant tout au niveau d'un esprit commun qui se perpétue à travers des expressions et des réalisations diverses.

Le mouvement de fidélité créative dans le judéo-christianisme

Il en a toujours été ainsi dans la tradition religieuse judéo-chrétienne. On peut lire toute la Bible juive comme un incessant travail de recréation par réinterprétation de l'héritage reçu. Pourquoi ce travail s'est-il imposé à nos devanciers ? Tout simplement parce que les conditions nouvelles de vie remettaient sans cesse en question les croyances héritées ou obligeaient à se poser des interrogations inédites. Je prends seulement deux exemples. Au 6ème siècle avant notre ère, le peuple juif connut une épreuve gravissime qui a mis à bas les convictions fondamentales et les représentations sur lesquelles reposait sa foi jusque- là. On peut les résumer ainsi : Dieu était un Dieu sauveur qui avait fait alliance avec son peuple et ne pouvait donc le laisser à l'abandon; le roi était le lieutenant de Dieu pour conduire son peuple ; le territoire d'Israël était une terre donnée par Dieu; le temple était la demeure de Dieu au milieu du peuple; Jérusalem était une ville inviolable. Ainsi rien de grave ne pouvait arriver au peuple qui se sentait en sécurité. Or en 587, suite à une malencontreuse alliance du roi de Juda avec l'Egypte qui est vaincu par le roi de Babylone, Nabuchodonosor, les armées du vainqueur s'abattent sur le royaume de Juda, mettent Jérusalem à feu et à sang, rasent le temple, déportent une partie de la population à Babylone, roi en tête à qui on crève les yeux et qui périra en chemin sans laisser de descendant.

Tout semble s'écrouler pour les restés sur place comme pour les déportés. Dieu semble vaincu par Mardouk le dieu national babylonien. Les croyants juifs sont immergés dans une nuit obscure qui peut en faire douter plus d'un des promesses de leur Dieu. Or durant les cinquante ans qu'a duré l'exil, un immense travail de réflexion s'est fait chez les déportés qui a abouti à une réinterprétation de leur tradition en l'élargissant, en la purifiant, en l'intériorisant. C'est pendant cette période cruciale que les exilés ont pris conscience que leur Dieu n'était pas seulement un Dieu national mais celui du ciel et de la terre, que la terre de Dieu n'était pas seulement le petit canton national de Juda mais l'univers entier, que le Temple véritable n'était pas seulement un temple de pierre mais le vaste monde, que la vocation du peuple juif n'était pas de vivre en circuit fermé mais d'être le témoin du Dieu universel à la face des nations, que chaque personne était responsable de ses actes et que la loi de Dieu lui était intérieure.(1) Je n'entre pas dans le détail de cette révolution copernicienne dans la manière pour le peuple de repenser sa foi et ses représentations. Rien ne sera plus ensuite comme avant en dépit des tentatives de revenir aux représentations anciennes. Cette époque fut extrêmement féconde en textes exprimant la foi réinterprétée et renouvelée.

Une autre expérience de réinterprétation se situe au 4ème ou 3ème siècle avant notre ère avec le livre de Job. Ce long poème est une protestation contre le « catéchisme » officiel du temps qui continue à dire que le juste est assuré d'une vie heureuse ici-bas et que le pécheur n'aura pas son compte de jours ( à cette époque, la croyance en la résurrection des morts n'existe pas encore). Vous connaissez l'histoire. Job, un juste, gravement atteint par la maladie et lâché par sa famille et ses amis, dénonce cette affirmation. La meilleure preuve c'est que les faits la démentent à longueur d'années. Des justes meurent sans être rassasiés de jours tandis que des méchants prospèrent et vivent très longtemps. Des amis de Job répétiteurs de la bonne doctrine lui font la morale, veulent persuader Job qu'il a péché secrètement et donc qu'il n'a que ce qu'il mérite. Au terme du livre, Dieu désavoue les amis et reconnaît la justice de Job. Le mystère du mal subi n'est pas élucidé mais il n'est plus possible de l'attribuer au péché, même si dans les mentalités cette croyance continuera à avoir la peau dure, y compris au temps de Jésus. La tradition de réinterprétation reste vive aujourd'hui dans le judaïsme : on discute, on débat, on avance sans cesse de nouvelles significations (malgré le courant fondamentaliste et intégriste) (2)

Jésus, témoin en son temps de fidélité créatrice

Jésus se rattachait au sein du judaïsme de son époque à ce mouvement d'ouverture et d'incessante réinterprétation. Son message et sa pratique sont à l'opposé d'une simple répétition ; c'est une re-création. Dans son combat contre le moralisme étroit et le ritualisme de ce qu'était devenue sa religion, il prône en paroles et en actes un retour à la source de la foi juive : pour lui, le rapport à Dieu s'évalue à l'aune de la justice et de l'amour pratiqués envers les autres humains ; en même temps il approfondit et élargit les perspectives : les vrais adorateurs de Dieu adorent en esprit et vérité ; c'est l'esprit et non la lettre qui est essentiel.

Sur les 20 siècles passés de l'histoire du christianisme, on pourrait multiplier des exemples de cette culture de réinterprétation donnant lieu à des figures inédites de re-création, concernant l'approche du mystère du Dieu de Jésus (Les Pères grecs et latins des premiers siècles, St Augustin, puis Abélard, St Thomas d'Aquin, etc ...jusqu'à la théologie de la libération). Mais ce n'est pas le lieu de le démontrer. Depuis plus d'un siècle, beaucoup de théologiens qui s'y sont essayés ont été condamnés par Rome.(3)

(à suivre)

Jacques Musset

(1) Entre autres références : Genèse 1; le second Isaïe, 40-55 ; Ezéchiel ; les livres de Ruth et de Jonas (retour)
(2) La fin d'une foi tranquille; Bible et changement de civilisations de Francis Dumortier. Ed. Ouvrières 1977 Aujourd'hui les livres des nouveaux penseurs de l'Islam qui plaident pour un retour aux sources de leur tradition et son actualisation ) (retour)
(3) Voir mon livre : Sommes-nous sortis de la crise du modernisme, Karthala, 2016 (retour)
15 septembre 2018 6 15 /09 /septembre /2018 08:00
Jacques MussetLa fidélité à Jésus n'est pas répétition mais recréation
Jacques Musset

Dernièrement, la Congrégation romaine pour le Culte divin et la discipline des sacrements dont le président est le très archi-traditionnel cardinal Sarah a envoyé une lettre à tous les évêques pour leur transmettre des consignes strictes sur l'usage du pain et du vin de la messe. Les hosties doivent être du pain azyme (non fermenté) confectionné avec du pur froment avec son gluten. «Les hosties totalement privées de gluten sont une matière invalide pour la célébration de l’Eucharistie. Sont, par contre, matière valide, les hosties partiellement privées de gluten et celles qui contiennent la quantité de gluten suffisante pour obtenir la panification. Par ailleurs, «Le saint Sacrifice eucharistique doit être célébré avec du vin naturel de raisins, pur et non corrompu, sans mélange de substances étrangères. […] Il est absolument interdit d’utiliser du vin dont l’authenticité et la provenance seraient douteuse». Le moût est toléré cependant. Tout autre matière et boisson sont interdites même si le pain de froment et le vin de la vigne ne sont pas nourriture et boisson habituelles des pays.

Le motif invoqué de cette prescription romaine est la fidélité à la pratique de Jésus durant le dernier repas qu'il prit avec ses disciples, traduite ici en termes de respect de sa volonté. L'observation de ces consignes, selon la note romaine, engage la validité de la célébration eucharistique. «Être vigilant sur la qualité du pain et du vin destinés à l’Eucharistie est fondamental parce que cette matière du sacrifice eucharistique va déterminer ce que nous croyons, substantiellement, dans le mystère de l’Eucharistie. Il y a un rapport très étroit entre ce que nous croyons, dans la profondeur du Mystère, et ce qui se manifeste à travers le signe sacramentel du pain et du vin.»

Pour enfoncer le clou, Mgr Claudio Magnoli, expert liturgiste, membre de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, commente : «Ce sont des abus qui dérivent de la soi-disante théologie de l’inculturation. Cette idée selon laquelle Jésus aurait choisi le pain et le vin seulement comme éléments de sa culture, celle du monde méditerranéen. Certains théologiens et agents pastoraux ont imaginé que dans d’autres régions du monde on puisse les substituer avec d’autres éléments. En substance, nous devons retrouver une théologie qui sache répondre à cette idée que Jésus aurait choisi le pain et le vin comme un élément culturel, et non pas comme un élément fort et déterminant.»

Outre que cette initiative tatillonne s'est couverte de ridicule auprès de bien des chrétiens et de non-chrétiens et a fait passer le catholicisme une fois de plus pour rétrograde, elle pose aux Eglises et aux disciples de Jésus la très sérieuse question de la fidélité à Celui dont elles se réclament: comment vivre au 21ème siècle en disciples de Jésus dans un monde qui n'est plus le sien ?

En trois articles nous apporterons quelques éclaircissements dont le but est de répondre à cette interrogation essentielle :

La simple répétition de ce qu'a fait et dit Jésus ne peut être en aucun cas un critère de fidélité à son égard.

Comment concevoir aujourd'hui une véritable fidélité comme re-création de ce qu'a dit, fait et vécu Jésus ?

Comment conjuguer fidélité et recréation. Comment vivre au 21ème siècle une fidélité créatrice à Jésus et à son Dieu ?

I - La simple répétition de ce qu'a fait et dit Jésus ne peut être un critère de fidélité à son égard.

1ème raison. D'une part, notre temps n'est plus celui de Jésus.

Il est même tout à fait différent et nous le vivons à une dimension mondiale, ce qui n'était pas le cas il y a vingt siècles pour les contemporains de Jésus. Les liens de solidarité se vivaient alors à un échelon plus local. Jésus s'est fait le prochain des gens de la société de son temps qui étaient les pauvres, les estropiés, les marginalisés, les rejetés, les oubliés. Aujourd'hui qui sont-ils pour nous dans notre monde actuel, à notre porte et au-delà ?

Par ailleurs le règne de Dieu que Jésus annonçait (le grand jour, l'avènement du royaume de Dieu !) n'est pas arrivé comme il le pressentait. Il en attendait la réalisation totale d'une manière imminente. La réalité a été autre. Au cours des dizaines d'années qui ont suivi la mort de Jésus, on a continué à attendre. En vain. Le monde nouveau est déjà là mais que très partiellement et nous le vivons depuis vingt siècles dans une durée dont on ne voit pas ce que pourrait être sa fin. Jésus vivait dans une situation d'urgence face à une réalité imminente qui révélerait le fond des cœurs : pour lui, les choix n'attendaient pas, il fallait trancher dans le vif, il n'y avait pas de demi-mesure, sinon il serait trop tard pour être au rendez-vous de cette réalité décisive. Cela explique sans doute que Jésus menait tambour battant son activité de témoin du règne de Dieu déjà là et qui ne saurait tarder à se manifester totalement.

Nous sommes aujourd'hui dans une autre situation. Le monde nouveau, terme actuel pour désigner le royaume de Dieu toujours en chantier, nous en avons vu la couleur en Jésus mais il n'y a pas eu de révolution totale du monde et des humains. Cette couleur du monde nouveau, nous avons à nous efforcer de l'incarner à notre façon, au long des mois et des années, dans la patience et la persévérance, les avancées et les reculs, les réussites et les échecs. Nous avons à l'incarner dans l'épaisseur de nos vies ambiguës et de nos sociétés où règnent la violence en tous domaines, les injustices, les mensonges, les rêves insensés, le chacun pour soi. C'est exigeant, c'est décapant, mais il ne peut en être autrement. Le bon grain et l'ivraie poussent ensemble irrémédiablement.

A nous de découvrir dans ce monde imparfait comment vivre vrai et nous faire le prochain d'autrui, spécialement des personnes et des groupes oubliés, marginalisés, rejetés, opprimés, victimes d'injustices, ce qui suppose non seulement ouverture du cœur mais lucidité, ouverture, analyse. A nous de vivre ainsi notre foi au Dieu de Jésus en esprit et vérité.

2ème raison : Jésus était un homme singulier

En son temps a fait des choix singuliers et qui avait ses propres limites. Jésus a eu un itinéraire particulier, qui n'est pas imitable en tant que tel. Il est en effet impossible pour un être humain d'imiter tel quel un autre être humain. Chacun est un mystère unique qui n'est pas reproductible. S'inspirer de la façon de vivre de quelqu'un est tout autre chose que de vouloir l'imiter, entreprise tout à fait vaine et même malsaine. Jésus, comme n'importe qui, s'est frayé un chemin dans des conditions particulières. Il a été un homme singulier et non l'Homme avec un grand H. Il n'a pas vécu toutes les expériences humaines et spirituelles. Il s'est efforcé seulement mais à quel degré de qualité d'humanité de conduire la sienne propre avec une droiture et une authenticité peu communes. C'est pour cette raison qu'il est pour nous comme pour tant d'autres avant nous une référence essentielle.

S'il a donc été un homme singulier, bien qu'il ait vécu son existence avec « une intensité d'exception », selon la belle expression du grand théologien Stanislas Breton, il n'a pas épuisé toutes les figures possibles d'humanité. Jésus était en effet un homme et pas une femme, il est resté, semble-t-il, célibataire et n'a pas connu la vie de couple, il était juif du Moyen-Orient au 1er siècle et non européen du 21ème, il était galiléen et non judéen, il parlait l'araméen et non le grec et le latin, Il était laïc et donc ni prêtre, ni scribe, il savait lire et n'était pas analphabète, il était habillé et mangeait à la juive et non à la romaine, il professait la religion juive et non le bouddhisme, il est mort relativement jeune (à trente-six ans vraisemblablement) et n'a pas connu l'âge mûr et la vieillesse, etc...

Ceux qui ont voulu ou veulent encore imiter Jésus à la lettre se fourvoient dans une conception matérialiste, en tout cas formelle, de la fidélité. Par exemple, dans la toute première communauté chrétienne de Jérusalem, formé de juifs convertis, on a tenu à conserver les habitudes alimentaires juives étiquetées pures ou impures, puisque Jésus était juif et les observait. Pourquoi pas ? Mais les choses se sont gâtées quand on a voulu les imposer aux chrétiens non-juifs. Un conflit a éclaté entre les tenants de cette position (dont Jacques, le frère de Jésus) et l'apôtre Paul. On finira par accepter, après vifs débats, que les nouveaux chrétiens d'origine non-juive ne soient pas soumis à ces prescriptions juives. Au 2ème siècle de notre ère, le grand théologien égyptien Origène s'est fait castrer pour demeurer célibataire comme Jésus ; triste imitation! Aujourd'hui quand les responsables de l'Eglise catholique justifient l'impossibilité pour une femme de devenir prêtre ou évêque, c'est en référence au sexe de Jésus : piteuse compréhension de la fidélité. Quand les mêmes autorités interdisent aux Eglises d'Afrique ou d'Asie de célébrer l'eucharistie avec autre chose que du pain et du vin, on est dans une religion du mimétisme et non dans la religion en esprit et vérité. On pourrait citer d'autres exemples de cette fausse fidélité de Jésus (par exemple à propos de la conception du mariage et du divorce ; à propos de la méfiance de certains milieux chrétiens envers le politique en raison du non engagement direct de Jésus dans la sphère politique). Tous ces exemples de prétendue fidélité purement formelle à Jésus induisent un visage de Dieu formaliste, désincarné, machiste, légaliste. Rien à voir avec la fidélité créatrice de François d'Assise au 12ème siècle, de l'abbé Pierre au 20ème et de tous les témoins véritables de l'évangile à travers les siècles, y compris dans le nôtre aujourd'hui.

A chacune et chacun de nous, avec son tempérament, son histoire, ses propres limites, de trouver sa façon singulière et originale de témoigner de Jésus. Cela suppose inventivité, courage, persévérance, ressourcement. Il n'y a pas de modèle tout fait, pas de consignes données d'avance. On entendait autrefois et on entend encore des gens qui se posent la question : qu'est-ce que Jésus ferait à ma place, à notre place ? Ce questionnement n'a pas de sens. Car Lui a fait sa part il y a vingt siècles. A nous de faire la nôtre aujourd'hui.

3ème raison : les représentations de Jésus concernant le monde, l'homme et Dieu étaient dans la ligne de celles d'un juif de son temps et ne sont plus les nôtres.

Pour mémoire, rappelons-nous quelques-unes de ses conceptions sur le monde, l'homme et Dieu. Pour lui, Dieu est une évidence, il est le tout autre qui est aux cieux (Mt 12, 50). C'est Lui qui a créé le monde et le couple (Mc 10,1-12), Lui qui gouverne le monde avec sollicitude, car il est bon comme un Père (Mt 7, 25 et suivants – Mt 5,45) ; Lui qui a donné la Loi à son peuple sur le Sinaï (Mt 19, 18-19, – Mc 7,8) ; Lui également, qui a parlé par les prophètes (Mc 7, 6) ; Lui qui, par la Loi et les prophètes, exprime sa volonté. Jésus croit aussi en Satan et dans les démons, adversaires de Dieu qui s'emparent des hommes ; il les chasse par la puissance de Dieu (Mt 12, 26.28). Jésus croit que Dieu ressuscitera les morts au dernier jour (Mc 12, 23) ... Pour Jésus, comme pour son peuple, Dieu est la clé de voûte de tout, bien qu'il ait affiné, élargi, approfondi l'héritage reçu et qu'il ait vécu dans une étonnante intimité avec Celui qu'il appelle Abba, papa, au nom et au bénéfice duquel il prend position avec une liberté étonnante.

Aujourd'hui dans notre monde sécularisé marqué par la modernité, du moins notre monde occidental, la plupart des gens ne se pensent plus et ne pensent plus le monde et Dieu comme au temps de Jésus. Comment donc dire aujourd'hui Jésus et vivre de l'esprit qui l'animait et témoigner de son Dieu ? Il y a là tout un travail d'échanges et de réflexion à conduire. Le concile Vatican II en dépit de certaines ouvertures est demeuré en grande partie tributaire de la manière de penser traditionnelle. Dans ses textes, on part d'affirmations sur Dieu, sa volonté, son action dans le monde considérées comme allant de soi. Le catéchisme de Jean-Paul II est une parfaite illustration de cette présentation.

Or, aujourd'hui, pour la plupart des gens qui baignent dans la culture de la modernité, non seulement Dieu n'est plus une évidence, mais la doctrine catholique officielle prétendument reçue de Dieu et transmise par les autorités de l'Eglise comme étant la Vérité a perdu de sa crédibilité. Car elle s'impose du dehors et est invérifiable. La voie d'approche de la réalité pour un homme de la modernité se fait par la réflexion et l'expérimentation. Cette démarche est une révolution copernicienne par rapport à l'approche traditionnelle.

De cette évolution, il résulte que notre fidélité à Jésus et à son Dieu ne peut pas consister à reproduire et répéter purement et simplement ce que le nazaréen a dit, fait et vécu, comme expression de sa propre fidélité à son Dieu. Ce serait de l'anachronisme et sans doute la pire des infidélités.

(à suivre)

Jacques Musset

3 février 2018 6 03 /02 /février /2018 09:00
André VerheyenQu’est-ce que croire ?
André Verheyen

I. LA DIFFERENCE ENTRE LES CROYANCES ET LA FOI

C'est un thème cher à Marcel LEGAUT : "La pensée de Dieu est totalement absente des préoccupations quotidiennes de la majorité des hommes de notre temps. Cependant les croyances religieuses quasi viscérales venues des millénaires passés demeurent indéracinables en eux comme le montrent de brutales résurgences lorsqu'ils sont atteints dans leurs oeuvres vives, aux heures de la souffrance, de la peur ou de l'angoisse.

"De la croyance en ce Dieu tout-puissant dont l'existence n'est plus évidente, comment les hommes pourraient-ils passer à la foi en un Dieu présent au plus intime d'eux-mêmes et qui, sans être proprement cause, agit non pas sur mais en leurs actions les plus personnelles ? Car c'est d'une telle "conversion" qu'il s'agit aujourd'hui même pour les chrétiens." (Un homme de foi et son Eglise - Desclée de Brouwer 1988 - page16)

"La foi en Dieu est le fruit lentement mûri de l'approfondissement humain. Au contraire, les croyances primitives sur Dieu quand on y est totalement livré par l'évidence qu'on leur attribue, distraient du travail intérieur qui mène à cet approfondissement. L'assurance qu'elles donnent dispense d'une telle recherche et même, ne permet pas qu'on en ait d'avance l’idée.

La foi en Dieu réclame une activité personnelle menée à longueur de vie et avec ténacité ; sans cesse elle est à reprendre car sans cesse elle s'étiole. Greffée sur les croyances ataviques sur Dieu, dont la foi s'approprie la sève, elle en viendra alors peu à peu à s'enfoncer dans la profondeur de l'être et à s'y enraciner. A la suite de ces croyances, la foi en Dieu épousera - et ce sera son originalité – la totalité de l'histoire intime du croyant, ..." (o. c. page 19)

II. CROIRE QUE OU CROIRE EN ?

"Dans les relations humaines, la foi-confiance (je crois en toi) débouche nécessairement sur l'acceptation de ce que la personne à qui nous faisons confiance peut nous dire (je crois ceci ou cela : je tiens pour vrai ce que tu me dis et me promets). Ainsi, la foi en quelqu'un devient aussi la foi au contenu de sa parole - contenu que nous acceptons non en vertu d'une connaissance ou d'une expérience directe, mais sur la parole de celui en qui nous avons confiance. Sa compétence, sa sincérité, son autorité sont une garantie sur la base de laquelle nous pouvons accepter ce qu'il nous propose.

De même pour la foi en Dieu: croire en Dieu se fier à Lui, c'est aussi accepter ce qu'il nous dit, ..." (DICTIONNAIRE DE THEOLOGIE CHRETIENNE - Desclée, Paris I979 - page I50)

Evidemment, tout le problème est de savoir ce que Dieu nous dit. Ici interviennent toutes les questions sur la révélation, l'inspiration des auteurs bibliques, l'exégèse, l'autorité théologique dans l'Eglise, etc. Il est donc normal que nous évoquions aussi la relation entre la foi et les dogmes.

III. LA FOI ET LES DOGMES

L'histoire de l'Eglise est très éclairante pour illustrer une mauvaise conception du "dogme". Encore en 1929, il était normal de publier un livre sur le contenu de Ia foi chrétienne, construit comme un traité de géométrie avec sa succession de preuves et de démonstrations. J'ai devant les yeux le livre du Chanoine Legrand, Aumônier principal à l'Ecole des Cadets et à l'Ecole Centrale Scientifique, publié aux éditions Wesmael-Charlier à Namur, dont le titre est remarquable: "Apologétique chrétienne- Démonstration religieuse". Tout y est construit preuve après preuve et le doute n'est pas permis: l'article 5 du premier chapitre, mentionné dans la table des matières est éloquent à ce propos. Voici comment il est libellé : "Les sources de l’incrédulité : l'ignorance - la déformation professionnelle - l’orgueil - le dérèglement des mœurs !"

Dans un tel système dogmatique et apologétique, une pièce maîtresse était l'infaillibilité. Voici un extrait de l’ouvrage cité du Chanoine Legrand (page 365):

"Eglise est infaillible dans ses Conciles généraux et dans l'enseignement unanime des évêques ; mais le Pape peut être, à lui seul, l'organe de l'infaillibilité de l'Eglise. Le Concile du Vatican (n.d.l.r.: il s'agit du premier concile du Vatican en 1870) l’a définie : "Le pontife romain parlant "ex cathedra", c'est-à-dire remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, et définissant qu'une doctrine sur la foi et sur les mœurs doit être embrassée par l'Eglise universelle, est doué, par l'assistance divine qui lui a été promise dans la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité, dont le divin Rédempteur a doté son Eglise. C'est pourquoi, de telles définitions sont irréformables par elles-mêmes, et non en vertu du consentement de l'Eglise." (Const.I DE ECCLESIA,chap IV)

Pas question ici d'œcuménisme: le pontife romain est le "pasteur et docteur de tous les chrétiens" et l'Eglise universelle est identifiée à la catholique romaine.

Y a- t-il aussi une bonne conception du dogme?

Une approche positive est présentée par l’ouvrage collectif "La foi des catholiques" (Centurion 1984) dans ses pages 322 à 325. Nous en extrayons ces quelques passages:

"… la fonction positive du dogme, de loin la plus précieuse. Le dogme en effet établit une claire base d'accord entre les croyants, leur permettant ainsi de structurer leur foi, de la mettre en pratique, et de l'exprimer publiquement. Base de départ assurée en vue de nouvelles étapes, le dogme invite à inventorier plus avant l'insondable richesse du mystère du Christ total. Aucune lettre ne peut arrêter l'esprit et encore moins l'Esprit Saint.

Réserver la responsabilité doctrinale de la foi et du discernement spirituel aux seuls chefs visibles de l’Eglise relèverait d'un mauvais dogmatisme." (N.d.l.r.: c'est nous qui soulignons.)

"Le récent concile est symptomatique du fonctionnement de l'Eglise comme corps visible, lorsqu'elle prend conscience de problèmes vastes et urgents demandant une sorte de mobilisation générale. Certes, le concile n'est valablement convoqué que par le pape, et ses décisions sont promulguées par lui. Mais il est fondamentalement le fruit d'un travail collectif des évêques, aidés par l'immense effort du peuple chrétien en général et des théologiens en particulier.

Plus profondément encore, il est l'émergence et l'authentification de tout un mouvement commencé dans l'Eglise depuis plusieurs décennies aux niveaux spirituel, apostolique, théologique et liturgique. Un concile n'est pas un terme ni un point d’arrêt, mais une étape et une ouverture sur l'avenir."

Il est normal qu'un groupe ou une société humaine précise ses valeurs et les rédige : qu'on songe à la déclaration des "Droits de l'Homme". Au lieu de parler de "dogmes", on y parle "d'articles". Mais il est clair que ces articles expriment des convictions que nous ne considérons pas comme facultatives ni transitoires. Il serait peut-être plus opportun aussi, lorsque nous exprimons les valeurs fondamentales de notre foi, de parler d'une "charte" comportant un certain nombre d'articles,... : Mais l'important, c'est de toujours se souvenir que toute formulation est nécessairement humaine.

IV. FOI ESPERANCE ET AMOUR

S’il est intéressant de les distinguer dans la réflexion et l'étude théologique, il faut reconnaitre que foi, espérance et amour sont intimement liés dans la réalité vécue. Il est à remarquer en particulier que le langage de la foi est généralement le langage de l’amour. La perception de ce dernier aspect permettrait d'éviter beaucoup de malentendus et de méprises dans des domaines délicats comme la divinité de Jésus, la virginité de Marie, la présence de Jésus dans l'Eucharistie, etc.

Ce langage de l'amour s'exprime souvent par des images poétiques, des mythes ou des symboles, des exagérations et emportements lyriques qui perdent tout leur sens dès qu'on les sort de leur registre poétique, symbolique, lyrique, pour les transposer en dogmes historiques ou rationnels.

Un autre lien important entre foi et amour est la nécessité de mettre sa foi en pratique. Comment quelqu'un pourrait-il dire qu'il a la foi s'il vit en contradiction avec ce qu'il prétend croire ? "Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi, c'est par les œuvres que je te montrerai ma foi." (Epître de Jacques, 2, 18) Est-ce la morale ? Oui, en un certain sens. Mais l'amour ne se contente pas de la morale : il y a une dimension spirituelle qui est bien exprimée par André SEVE dans son petit livre "Avec Jésus qu ’est - ce que tu vis ? (Centurion 1978) :

"J'entends encore ce jeune qui disait : "Je lisais l'Evangile pour y chercher comment vivre. Soudain, j'ai arrêté, j'ai regardé Jésus et je lui ai dit : mais tu es là près de moi ! Vivant tu es là pour moi aujourd'hui." Ainsi commence la foi véritable, l'expérience de foi. Quand Jésus devient pour nous quelqu'un qui est là aujourd'hui.

... Nous étudions inlassablement ce que Jésus a dit; nous rêvons sur ce que, à partir de ces paroles, nous pourrions vivre. Mais si nous le fréquentions, si nous ne le perdions pas de vue nous dirions: 'Qu'est-ce que je peux vivre avec toi en ce moment,tout de suite?

Notre lecture de l'Evangile serait très différente. Un mot nous frapperait, le mot qui fait réellement vivre quelque chose: 'Aujourd'hui'." (o. c. page 7)

V. CONCLUSION

Des croyances ? Des vérités ? Des dogmes ? Une morale ?

Rien de tout cela n'est totalement étranger à la foi mais il y a surtout ce "vécu aujourd’hui avec Jésus", comme dit André Sève ou aussi cette foi en un Dieu présent au plus intime de nous-mêmes, comme dit Marcel Légaut.

C'est certainement une erreur d'avoir utilisé le mot "conclusion", tant il y a encore de choses à dire sur ce sujet...

André Verheyen - juillet 2000

27 janvier 2018 6 27 /01 /janvier /2018 09:00
André VerheyenFoi et raison épistémologie de deux certitudes
André Verheyen

A ceux de nos lecteurs qui font connaissance avec L.P.C. depuis fort peu de temps, il peut être utile de dire que c'est un de nos objectifs principaux d'étudier les relations entre la foi et la raison parce que nous avons toujours considéré comme une "erreur historique" cette opposition séculaire entre les conceptions traditionnelles de la foi et de la raison. Cette conviction est évidemment à l'origine de ce que nous appelons l'œcuménisme du quatrième cercle et qui vise le dialogue avec ceux qui ne se réfèrent pas à une institution religieuse mais adhèrent aux valeurs de vérité, d'amour, de justice, de paix.

Par contre, à ceux qui nous connaissent depuis plus longtemps, j'aimerais dire que c'est aussi grâce à Adolphe Gesché que nous y revenons une fois de plus.

Il a, en effet, une participation importante dans le livre "La foi dans le temps du risque" – Cerf-1997.

Voici comment ce livre présente le théologien: "Adolphe Gesché, prêtre du diocèse de Malines et Bruxelles, docteur et maître en théologie (Louvain), licencié en philosophie et lettres (Louvain), professeur à l'université catholique de Louvain (faculté de théologie), membre correspondant de l'Académie royale des lettres, des sciences et des beaux-arts de Belgique, auteur notamment de "Dieu pour penser" (5 vol. parus)".

Je voudrais ajouter à cette présentation qu'en lisant A. Gesché même sur des sujets très classiques, on risque toujours d'être agréablement surpris par un point de vue nouveau ou original. J'ai beaucoup aimé sa participation dans le livre cité ci-dessus. C'est lui qui posait l'affirmation - et finalement l'intuition initiale qui est à la base du colloque dont le livre est le compte-rendu - : "Si la foi est un acte d'homme (elle doit l'être et elle l'est), et qu'une part de risque et d'incertitude est une dimension constitutive de l'être de l'homme, la foi ne peut échapper, de quelque manière, à cette dimension. Pas plus, d'ailleurs, qu'elle ne peut échapper à toute requête de la raison et, là aussi, pour rester acte d'homme.") (o.c p.118)

L'auteur développe ce qu'il appelle une confusion épistémologique (1).

Il fait l'hypothèse suivante : " que s'est introduite en nous une confusion épistémologique où nous embrouillons deux types de certitude. "... "La foi est une certitude... mais cette certitude est­ elle du même type (je ne dis pas moins grand ou plus grand) que d'autres certitudes, en particulier la certitude rationnelle avec laquelle nous avons tort de la confondre de part en part?"

"Un fait de culture ici pourrait bien être en cause. La théologie, en toute légitimité, a développé une approche philosophique de Dieu, approche devant aboutir en principe, par les chemins de la rationalité philosophique, à la preuve de l'existence de Dieu et à la détermination de ce qu'il est. En soi, cette exigence de la raison est sans discussion. Il s'agit de prévenir la foi contre le fidéisme et l'irrationalisme. Mais cette démarche, en quelque sorte préalable ou parallèle, a fini par s'emmêler dans tout le parcours de la foi."

"Or, on peut et on doit alors se poser une question. Se demander si le rapport à Dieu qu'est la foi n'est pas d'un autre ordre que celui de la rationalité philosophique. Et s'il en est ainsi, se demander si l'on n'a pas tort, en voulant éloigner toute idée de risque, de vouloir pour la foi le même type de certitude que celui qu'on attend de la philosophie. N'y a-t-il pas lieu ici de respecter deux ordres? On aurait envie d'appliquer la fameuse distinction: rendez à César (rendez à la philosophie), ce qui lui revient; à Dieu (à la foi), ce qui lui revient."

"La foi, que jamais la raison ne remplace, ne relève-t-elle pas en effet d'une autre épistémologie de la certitude? Celle d'une confiance qu'on donne ("Je mets ma confiance dans le Seigneur", Ps. 30, 15) et d'une certitude qu'on reçoit d’un autre ("Je suis sûr de ta Parole", Ps.118, 42) . Et non pas, comme en philosophie, d’une certitude que l'on acquiert, et que l'on acquiert à partir de soi-même. Croire suppose certes une adhésion libre, personnelle et sensée, mais elle repose sur ceci que l'on s'en remet à quelqu'un (certes, parce que digne de foi) non à un raisonnement abstrait. On ne dira pas: j'ai (Je possède) ma certitude; mais: quelqu'un m'a d'abord donné sa promesse et j'y ai mis (et trouvé) mon assurance."

L'auteur insiste sur le fait qu'il nous faudrait une épistémologie "de la promesse (le dieu de la philosophie ne promet pas) et de la confiance (la raison ne fait pas appel à la confiance). Et donc une épistémologie du risque... En sorte qu'on puisse alors cesser de confondre, de part en part en tout cas, le Dieu pensé philosophiquement et le même Dieu confessé religieusement. Le même Dieu, certes, mais vécu dans une relation différente. Une chose est de savoir que quelqu'un existe, autre chose est de croire en lui." (o.c. pages 124-126)

Si j'ai voulu citer largement l'auteur lui-même, c'est pour ne pas risquer de trahir sa pensée. Car on est étonné - et en même temps émerveillé - de la richesse d'un sujet qui suscite sans cesse de nouvelles questions et des approches complémentaires.

Ainsi par exemple, si une certitude provenant de la confiance que je donne à quelqu'un correspond bien à mon expérience, à côté d'une certitude plus rationnellement conquise, les problèmes rebondissent au niveau des intermédiaires. En effet, la relation personnelle qui est offerte à ma confiance passe par une longue chaîne d'intermédiaires : apôtres, évangélistes, disciples d'évangélistes et Pères de l'Eglise, rédacteurs de symboles de foi et de catéchismes officiels, magistère, etc. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'entre le début de la chaîne et l'autre bout qui m'est présenté aujourd'hui il y a une sérieuse distorsion. Pour employer un terme qui a été à la mode ces derniers temps, je dirais qu'il y a, tout au long de la chaîne de transmission, un certain nombre de "dysfonctionnements" qu'il faut tenter de repérer.

Il est assez clair que dans ce travail de repérage nous allons devoir jouer sur de nombreux registres; nous aurons besoin d'un nombre important "d'épistémologies", pour reprendre le terme du professeur Gesché. Car il serait dommage, en les classant sous la seule rubrique "raison", de gommer la spécificité d'approches aussi différentes que la philosophie, l'histoire, l'analyse littéraire; sans oublier des domaines plus spécifiques encore tels que la sacralisation ou le fondamentalisme religieux.

C'est ce travail "pluri-épistémologique" qui nous passionne car il est essentiel à tout dialogue œcuménique, surtout évidemment à celui du "quatrième cercle".

Qu'il me soit permis de terminer par un petit "clin d'œil" au sujet d'une "bienheureuse confusion épistémologique". Je songe à quelqu'un qui est parvenu à susciter mon adhésion d ans un délicieux mélange de confiance et d'exigence de rigueur intellectuelle: l'exégète Jean-Pierre C harlier o. p. dont je garde le souvenir reconnaissant.

André Verheyen - LPC mars 1999

(1) Epistémologie : du grec épistèmè = connaissance, savoir...L'épistémologie est donc l'étude des différents types de connaissance et de savoir. Elle peut, elle­ même, utiliser des approches différentes : scientifiques, philosophiques ou autres. (retour)
2 décembre 2017 6 02 /12 /décembre /2017 09:00
André VerheyenPéché originel et immaculée conception… !?
André Verheyen

Etant donné que nous constatons souvent la confusion entre les deux, il n'est pas inutile de rappeler que l'Immaculée Conception est autre chose que la Conception Virginale.

En effet, cette dernière désigne la conception de Jésus dans le sein de Marie, sans qu'elle ait eu de relation sexuelle avec un homme, tandis que l'Immaculée Conception est la conception de Marie sans la tâche du péché originel.

Une autre précision utile dans le travail d'actualisation que nous proposons est que, dans ce cas-ci, le vrai sujet sera le péché originel dont Marie aurait été préservée, selon la croyance traditionnelle.

Ceci étant dit, je voudrais aborder trois clés d'interprétation ou d'actualisation, quitte à constater éventuellement que les notions de péché originel ou d'immaculée conception sont actuellement inopportunes.

Voici ces trois clés :

  1. Le langage de la foi est le langage de l'amour.
  2. Certaines réalités profondes de la condition humaine s'expriment mieux dans un langage imagé ou symbolique que dans un langage rationnel.
  3. Il y a des images et des symboles bibliques qui sont toujours d'actualité aujourd'hui et d'autres ne le sont plus du tout.

1. LE LANGAGE DE LA FOI EST LE LANGAGE DE L'AMOUR

Le problème n'est pas de savoir s'il est bien vrai que Marie est la Reine des Cieux; c'est parce que le peuple chrétien aime la maman de Jésus qu'il le dit en une multitude de variations sur le même thème. Cela n'a aucune prétention critique, ni du point de vue du réalisme, ni du point de vue historique, ni de quelque point de vue que ce soit.

Beaucoup d'entre nous ont connu les "litanies de la Sainte Vierge". Dans mon enfance, nous les récitions en famille tous les soirs du mois de mai et même si je ne comprenais pas ce que signifiaient "Tour de David" ou "Tour d'ivoire", cela ne me dérangeait pas plus que "Arche d'Alliance" ou "Reine des Anges".

Depuis que j'ai retrouvé toutes ces expressions dans la Bible, et plus particulièrement "Tour de David" et "Tour d'ivoire" dans le Cantique des Cantiques (IV,4 et VII,5) je sais encore mieux qu'il s'agit du langage de l'amour.

En conclusion de cette première clé d'interprétation, constatons qu'il est aussi ridicule que dangereux de vouloir rationaliser (énoncer en termes rationnels) ou dogmatiser (imposer comme vérité à croire) certaines expressions qui sont un élan d'admiration, d'affection et d'amour.

2- CERTAINES REALITES PROFONDES DE LA CONDITION HUMAINE S'EXPRIMENT MIEUX DANS UN LANGAGE IMAGÉ OU SYMBOLIQUE QUE DANS UN LANGAGE RATIONNEL.

C'est particulièrement le cas pour le problème du mal et de la souffrance. Nous faisons tous l'expérience qu'il est facile d'en parler quand on n'y est pas vraiment confronté. Mais quand nous vivons des situations où il n'y a plus moyen de fuir ni de tricher, alors nous savons bien qu'il n'y a plus d'explication raisonnable !

Les auteurs de la Bible ont parfaitement saisi cela et c'est très judicieusement qu'ils ont traduit ces grandes énigmes de notre condition humaine dans les récits mythiques que nous connaissons .

En tenant compte de cette deuxième clé d'interprétation, nous constatons une fois de plus qu'il est dangereux de se tromper de genre littéraire et de prendre pour historiques des récits qui sont clairement mythiques.

Voici le point de vue de Bernard FEILLET sur cette question ; il ne manque pas d'originalité :

"Il n'est pas nécessaire de se référer au péché d'Adam et Eve, à ceux qui nous sont donnés comme les fondateurs de la transgression, et qui auraient mis au monde une humanité à jamais blessée, pour justifier Dieu de tous les malheurs de notre histoire. Car elle est trop belle la tentation du récit des commencements : "Vous serez comme des dieux", pour laisser à Adam et Eve le privilège de l'avoir entendue. Le récit de la chute, au commencement de l'étonnement d'être et du désir d'exister plus, est un récit superbe qui, d'une manière mythique, met en évidence, comme une parole décisive de l'homme adressée à son humanité, que nul homme ne sera jamais satisfait de la condition humaine. Il n'y a pas de tentation d'origine, parce qu'il y a une tentation permanente et c'est elle qui nous concerne : si le récit de la Genèse nous parle si bien, c'est qu'il parle aujourd'hui. Quand dans la prière du Notre Père nous demandons de ne pas être soumis à la tentation, j'espère que nous exprimons ainsi notre volonté de ne pas être détruits dans la confrontation de notre être au mystère de Dieu, mais que nous ne souhaitons pas la contourne.

La tentation qui inaugure, dans le récit biblique, la première décision de l'homme, précède ce que nous devenons, elle est la source, plus ou moins consciente de toutes nos décisions. Elle est la tentation fondatrice de notre humanité et nous ne demandons pas d'en être dispensés." (page 141) (1)

3- IL Y A DES IMAGES ET DES SYMBOLES BIBLIQUES QUI SONT TOUJOURS D'ACTUALITE AUJOURD'HUI ET D'AUTRES QUI NE LE SONT PLUS

Certaines images et certains symboles conviennent toujours parce que leur fonction symbolique est évidente. Ainsi par exemple, nous ne risquons pas de penser que Dieu serait du feu ou du vent. Alors, ne craignons pas de représenter des théophanies (apparitions de Dieu) dans le grondement de la tempête et la lumière de l'éclair.

D'autres symboles ou récits mythiques conviendraient encore s'ils n'étaient pas piégés par une lecture fondamentaliste (historicisante, à la lettre) et par l'ambigüité du discours officiel dans ce domaine.

Qu'on songe seulement au discours officiel sur le "tombeau vide" en ce qui concerne la Résurrection et aussi sur la "virginité" matérielle ou physique de Marie ! C'est aussi le cas pour le Péché originel et pour l'Immaculée Conception. En rationalisant ces mythes et en les dogmatisant (voir plus haut, première clé), avec les apparitions de Lourdes à l'appui, on a enlevé toute pertinence à l'utilisation de ces notions dans la proclamation contemporaine du message chrétien; c'est ce que je voudrais dire en guise de conclusion.

CONCLUSION

On peut supposer que l'utilisation d'une image, d'un symbole ou d'un récit mythique est un procédé pédagogique qui a pour but d'aider à comprendre des réalités dont l'accès n'est pas facile. Si on confond l'image ou le signe avec la réalité signifiée, on est en pleine ambiguïté et le but est raté.

Personne ne se permettra de nier la difficulté que représente le changement de cap qu'exige une adaptation du discours à la culture de nos contemporains. Bernard FEILLET la mesure aussi :

"Quel univers théologique - j'entends par là la relation de notre humanité avec le mystère de Dieu - s'ouvrirait à nous, si à l'intérieur même du christianisme nous sortions résolument des catégories conceptuelles du péché originel, accompli à l'origine de l'humanité, et du rachat payé par la mort de Jésus-Christ afin que Dieu nous accorde le salut ? ... Pour penser autrement il convient non seulement de préciser et de purifier le vocabulaire, mais il faut bien plus créer un vide qui ne permette plus les automatismes des chrétiens trop bien-disants." (o. c. page 143) (2)

Dans les communautés de chrétiens trop bien-pensants et "trop bien-disants", on n'ose pas créer ce vide par peur de se faire accuser de "ne plus avoir la foi".

Dans nos rencontres de "Libre Pensée Chrétienne" c'est par désir de fidélité à la pensée biblique et au projet de Jésus que nous prenons nos distances par rapport à un discours rationnel et dogmatique qui pense sauver les mythes fondateurs mais qui, en réalité, les détruit en évacuant toute leur valeur de signe.

André Verheyen - LPC – juillet 1999

(1) L'ERRANCE - DDB 1997 (retour)
(2) Idem. (retour)
4 février 2017 6 04 /02 /février /2017 09:00
André VerheyenLes spécialistes
André Verheyen
A l’aube du christianisme – La naissance des dogmes - Marie Emile Boismard - Edition du Cerf 1998 Marie Emile Boismard

Quand on parle de spécialistes, l’appréciation est généralement favorable. En effet, si je dis que tel historien est un spécialiste de la période gallo-romaine, je peux supposer qu’il connaît beaucoup de choses sur cette période, probablement beaucoup plus que les autres historiens. Je pense donc que je trouverai plus facilement chez lui ce que je cherche en cette matière. Cependant, dans le domaine médical circule la boutade : "un spécialiste, c’est quelqu’un qui sait de plus en plus sur de moins en moins et un généraliste, c’est quelqu’un qui sait de moins en moins sur de plus en plus…"

La théologie a aussi ses spécialistes. Et là aussi on peut faire des expériences étonnantes. C’est ainsi que dernièrement un théologien spécialisé en théologie dogmatique avait répondu- avec quelque suffisance, semble-t-il - à un spécialiste en exégèse biblique : "Oui mais ça, c’est de l’archéologie."

La spécialité de Jacques Duquesne, c’est le journalisme. Dans un article du Vif/l’express il dénonçait "une conspiration du silence" autour du livre "A l’aube du christianisme – La naissance des dogmes" de Marie-Emile Boismard. (Edition du Cerf 1998)

Dans son "Avant-propos", Marie Emile Boismard dit : "Ce volume donne le résultat de nos réflexions après quarante-cinq ans d’enseignement." Et il formule son propos comme suit : " …les dogmes auxquels nous croyons maintenant ne sont pas nés du jour au lendemain avec le christianisme. Aussitôt après la résurrection du Christ, les apôtres ne croyaient pas encore que Jésus était Dieu, ils n’avaient aucune notion du mystère de la Trinité, ils ne soupçonnaient même pas que la mort de leur maître eût une valeur rédemptrice. Ce fait est admis par la quasi-totalité des théologiens modernes. La question se pose alors inévitablement : à quel moment sont nés les principaux dogmes de l’Eglise, et comment se sont-ils progressivement formés ? C’est à cette double question que voudrait répondre le présent volume." (o.c.p7)

Ce qui est remarquable – et amusant à la fois – c’est qu’au fil de la lecture du livre de Marie Emile Boismard on se sent devenir spécialiste avec lui.

Je voudrais donner un exemple.

Pour le commun des mortels – dans ce cas-ci, pour l’immense majorité des catholiques pratiquants – cela ne pose aucun problème d’entendre à l’office la lecture d’un extrait de la lettre de Paul à Tite (2,11à14) et plus tard dans l’année un extrait de la lettre de Paul à Timothée (2,1à8). Il faut être spécialiste de l’exégèse biblique pour remarquer que ces deux textes sont contradictoires.

"Tt2, 13-14 : Nous attendons la bienheureuse espérance et l’apparition de la gloire de notre grand Dieu et sauveur, Jésus-Christ, qui s’est livré pour nous afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier un peuple qui lui appartienne en propre, zélé pour le bien."

"Tm2, 5-6 : Car unique est Dieu, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, un homme, le Christ Jésus, qui s’est livré en rançon pour tous."

"Ces deux textes sont liés par le thème du rachat par le Christ. Mais tandis que le premier affirme que Jésus est Dieu, le second commence par rappeler la croyance juive en un dieu unique, pour noter ensuite que Jésus n’est qu’un homme, ce mot étant bien mis en évidence " (o.c.page 97) "Nous voici en présence de deux textes qui sont incompatibles. Ils ne peuvent pas être du même auteur. Nous avons vu que le second est le plus ancien. Peut-il remonter à Paul lui-même ? (o.c.99)"

Il n’est pas possible de donner un aperçu valable d’un problème aussi important en quelques lignes, mon but est ailleurs. Je voudrais montrer que, contrairement à ce que disait le théologien spécialisé en dogmatique cité ci-avant, c’est l’exégèse des textes de référence qui conditionne le dogme et pas l’inverse. Mais ce n’est pas aux théologiens ou aux spécialistes que je m’adresse : j’ai plusieurs amis qui sont déçus, ou même choqués quand on met en doute la pertinence d’une citation biblique. Et qui s’étonnerait que cela vaille surtout pour l’évangile de Jean ?

Et pourtant !...Peut-on encore, en 1999, brandir une citation de l’évangile en lui attribuant une valeur d’ "inspiration" ou de "révélation" au sens traditionnel ?

André Verheyen - LPC 90/1999

Dubitando ad veritatem pervernimus
En doutant on parvient à la vérité

Cicéron