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10 mars 2018 6 10 /03 /mars /2018 09:00
Herman Van den MeersschautLe Buisson ardent
Herman Van den Meersschaut

La Bible est un monde parfois bien difficile à pénétrer. Comme dans une forêt plantée de variétés différentes et très anciennes il n'est pas simple de distinguer les espèces ; dans la Bible il n'est pas toujours facile d'identifier le genre littéraire de certains récits, même dans le Nouveau Testament. Est-ce historique, un mythe, une légende, un conte, une chronique ? Comment ces textes très anciens, issus d'une culture qui nous est devenue étrangère, peuvent-ils encore parler aux hommes du troisième millénaire ?

J'aime comparer la Bible à une forêt, une magnifique pépinière, une pépinière de paroles d'hommes très variées mais traitant toutes des rapports qu'ils entretiennent avec le mystère insondable du divin. Les récits mythiques et poétiques racontent cela magistralement.

Nous savons qu'une lecture littérale, fondamentaliste, ne mène qu'à des incohérences et des contradictions ôtant au texte toute crédibilité pour le lecteur d'aujourd'hui.

Il n'y a, en effet, qu'une clé pour exprimer l'indicible, c'est la poésie, qu'elle soit image, musique ou parole. Le mythe comme la poésie utilisent largement le symbole. Seul le langage symbolique permet de dévoiler un petit peu ce que l'homme vit dans l'intimité de son expérience spirituelle. Notre société scientiste ne se soucie malheureusement pas beaucoup de poésie qui est de l'ordre de l'être et de l'intériorité, alors qu'elle ne prône que l'avoir et le paraître. Dommage. !

La science a cependant beaucoup contribué à mieux connaître la culture dans laquelle est née la Bible. Il est évident que toute la recherche exégétique, archéologique, historique, philologique, etc. nous aide à mieux comprendre certains symboles.

Je vous propose donc un petit essai, une très libre interprétation d'un passage du Premier Testament.

Arrêtons-nous au récit du buisson ardent en EXODE chap. III, les versets 1 à 10.

On peut se rappeler que ce texte a été écrit par plusieurs auteurs et que le début de sa rédaction date, pense-t-on, du neuvième siècle av.J.C. Les auteurs mettent en scène un personnage qui aurait vécu 250 ans plus tôt !! Je vous propose, donc, de le relire comme un mythe en évacuant toute recherche de vraisemblance scientifique ou historique, mais en portant toute l'attention sur les images utilisées.

Rappelons que Moïse, devenu fugitif suite au meurtre d'un soldat égyptien, se réfugie chez Jéthro au pays de Madian. Il y épouse une de ses filles qui lui donnera un fils qu'il nommera Gershom , car dit- il "je suis un immigré en terre étrangère". Personnage divisé entre son origine hébraïque et son éducation de prince égyptien, on pourrait dire qu'il se sent étranger à lui-même, dans une sorte de "noman's land" spirituel. Dans ce qui précède, Dieu ne s'est pas encore révélé à lui. Moïse va donc vivre une expérience intérieure qui va déterminer toute sa vie.

Dès le début du chapitre III, les éléments symboliques sont en place. Si l'on veut bien considérer que le décor décrit par l'auteur n'est pas simplement le lieu dans lequel le personnage se déplace, mais la représentation symbolique de ce qui se passe en lui au plus intime de son être, le récit prend alors toute sa profondeur.

«... il les avait menés par-delà le DESERT, et parvint à la MONTAGNE de Dieu»

Moïse a tout perdu : titre, palais, richesse, respectabilité, identité... Il n'est plus égyptien, mais pas hébreux non plus. Prince exilé devenu berger, nomade, il n’est plus personne, il va vivre sa traversée du désert. La marche dans le désert est évidemment symbole d'un cheminement spirituel douloureux comme tous nous avons pu en vivre. Moments de solitude, de dépouillement, de doute, de choix aussi. C'est le lieu des grandes décisions. Le désert c'est le vide où tout est possible. Il n'y a pas de chemins tracés, à chacun de tracer sa propre route.

Mais dans le désert on ne peut plus tricher, il s'agit d'être vrai. On se trouve face à l'essentiel. C'est là qu'on peut renaître. La méditation de Moïse, son face à face avec lui- même, va le mener ainsi par-delà le désert à l a montagne de Dieu.

Gravir la montagne, monter, s'élever vers le sommet, est un symbole universel de l'élévation spirituelle, de la proximité avec la divinité, de la recherche personnelle de ce que l'homme a de meilleur en lui, de ses valeurs essentielles. C'est, sans doute, dans ces moments privilégiés que la lumière jaillit.

"L'ANGE du Seigneur se manifesta sous la forme d'une FLAM M E jaillissant du milieu du buisson"

Comment interpréter ce passage ?

L'ange, le messager est , pour moi, celui qui exprime le lien invisible et indicible entre l'humain et le divin. Moïse va vivre ici une expérience toute nouvelle, parce que personnelle.

La religion égyptienne dans laquelle il avait été élevé était, en effet, basée entièrement sur des rites à accomplir avec une grande précision par des prêtres, mais interpellait peu l’individu.

Ainsi, c'est au plus profond de son être qu'il va sentir jaillir la flamme. Le buisson, comme l'arbre, n'est-il pas une merveilleuse image de l'homme planté les pieds dans la terre et la tête dans le ciel ? Le feu exprimant, bien sûr, la présence mystérieuse de Dieu.

Il est intéressant de voir comment dans sa méditation Moïse est surpris, attiré par cette lumière qui se présente d'une façon inattendue.

« Je vais M'AVANCER POUR CONSIDERER .... et VOIR POURQUOI.... »

Il est attentif à ce qui se passe en lui, il s'interroge.

C'est quelque chose de chaleureux, de bon qui lui arrive, qui l'embrase et ne le consume pas comme le ferait le feu de la haine ou de la jalousie.

Et "Le Seigneur le vit s'avancer pour mieux voir".

Il y a ici comme un subtil jeu d'approche, avec de petits signes discrets pour attirer l'attention. Moïse aurait pu rester indifférent à tout cela et passer son chemin mais il a fait le détour pour mieux voir. Le divin ne s'impose pas à l'homme, mais ne se révèle qu'à celui qui le cherche. Ce n'est que lorsque Dieu voit Moïse s'avancer qu'il l'appelle par son nom.

« MOÏSE, MOÏSE!....ME VOICI, répondit-il.. »

Une voix qui est de lui, qui ne pourrait être sans lui et qui n'est pas que de lui. (Marcel Légaut). Une voix venue "de l'ailleurs qui se cache dans nos yeux". C'est au cœur de l'homme que l'humain et le divin se rejoignent et se mêlent.

Moïse, meurtrier en fuite, vivait replié sur lui-même, centré sur son échec. En le nommant, la voix le reconnaît en tant que personne, malgré son indignité. Moïse peut être à nouveau, il peut renaître. Avant de savoir ce que la voix va lui dire il répond: "Me voici", l'esprit disponible à ce qui se présente.

« N'APPROCHE PAS ....OTE TES SANDALES....cette TERRE est SAINTE»

L'expérience spirituelle a ses limites, il faut l'accepter, il n'y a pas d'accès direct au divin. Quant à la terre sainte elle n'est pas, ici, un lieu géographique mais un instant de vie qui , lui, est sacré parce que fondateur dans la vie de Moïse. Cet appel va, en effet, déterminer tout son avenir.

Et que dit cette voix ?

" C'est moi LE DIEU DE TON PERE... » Moïse a lors SE VOILA LA FACE... »

Dieu lui rappelle ainsi ses origines.

Moïse voit soudain resurgir le souvenir de ses frères hébreux. Il supporte difficilement la vérité du face à face, comme Adam, dans la Genèse, qui se sent nu et se cache de Dieu après la faute. Il n'y a pas de reproche, mais une interpellation, comme, quand Dieu appelle Adam en disant: Où es-tu? Certains rabbins traduisent : Où en es-tu?

Evidemment, Moïse a vu la misère, entendu les clameurs, connu les angoisses des hébreux, mais que pouvait-il y changer? En lui montrant à nouveau la situation des Israélites dans toute sa cruelle réalité la voix lui fait reprendre conscience de l'existence de l'autre. Ayant repris confiance, s'impose alors à lui, comme une exigence, sa résolution de délivrer de l'injustice les Hébreux dont il se sent maintenant solidaire.

« Maintenant, VA, JE T'ENVOIE pour FAIRE SORTIR mon peuple»

Dieu ne dit pas : "Viens" mais "Va". Le divin le renvoie vers les autres, le pousse à le délivrer de son enfermement. Ce « va » est un appel au dépassement, à l'engagement de tout son être au service des autres. Dieu est présenté, dans ces quelques versets, comme une réalité intérieure dont la présence est ressentie, avant tout, comme un appel à être. Serait-il le fondement de l'être lui- même? L'appel du divin en nous est toujours un appel à "être pour les autres", un appel à aimer, à pardonner, à partager. C'est, pour moi, le seul critère de discernement de nos voix intérieures. L'homme ne peut être pour Dieu, s'il n'est pas pour l'homme.

Voilà, nous nous arrêterons au verset 10, il serait trop long de développer ici les différentes excuses que Moïse va se trouver pour échapper à sa mission. Je pense que nous les connaissons d'ailleurs très bien nous-mêmes.

Laissons à un autre poète, Jacques Brel, le soin de conclure en nous parlant, à sa façon, de cette flamme qui se présente, tôt ou tard, à chacun de nous qu'il soit croyant, agnostique ou athée.

Ainsi certains jours paraît une flamme à nos yeux

A l'église où j'allais on l'appelait le Bon Dieu

L'amoureux l'appelle l'amour

le mendiant la charité

Le soleil l'appelle le jour

et le brave homme la bonté

Ainsi certains jours paraît

une flamme en nos cœurs

Mais nous ne voulons jamais laisser luire sa lueur

Nous nous bouchons les oreilles

et nous nous voilons les yeux

Nous n'aimons point les réveils

De notre cœur déjà vieux

(Extrait de: Sur la place.1955)

Et nous, où en sommes-nous ?

Herman Van den Meersschaut - LPC février 2007

11 novembre 2017 6 11 /11 /novembre /2017 11:37
Luc BossusCommentaires à propos de l’article « Des mythes qui donnent à penser » d’Herman Van den Meersschaut
Luc Bossus

Presque à la fin du texte, les phrases « Ce n’est pas parce que la Bible est un texte que l’on dit sacré ("parole de Dieu") qu’il faut renoncer à ce qu’on est en face d’elle. Au contraire même : dans un dialogue vrai, c’est faire honneur à l’autre que de lui résister et de rester soi-même en face de lui. » m’ont interpellé.

Non pas parce que je ne serais pas d’accord avec elles, mais simplement parce qu’il faudrait, je pense, y introduire une petite précision qui a son importance.

A mon avis, pour qu’un dialogue soit vrai, il faudrait qu’une condition soit remplie de la part de chacun. Cette condition, c’est de laisser la porte entr’ouverte pour que les idées de l’un et de l’autre puissent trouver un terrain d’accueil favorable dans l’esprit de chacun. Sans cela, chacun restera sur sa position en résistant aux arguments de l’autre… ! Et là, on ne sera plus dans un dialogue !

Pour permettre d’alimenter la réflexion à propos du « dialogue », voici quelques citations qui me semblent être intéressantes à ce sujet :

« Un véritable dialogue est une aventure dont on ne sait pas où elle peut nous mener. Chacun doit y venir en assumant son histoire, ses convictions. Et seuls ceux qui n’ont pas peur pour leurs idées sont capables de cela. C’est le contraire tout à la fois de l’intolérance et du consensus mou. » Guy HAARSCHER, Doyen de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’ULB

« Dialoguer vraiment, c’est reconnaître l’originalité de l’autre et chercher le meilleur en lui. Il y a des hommes libres partout et des enchaînés partout, plus nombreux que les hommes libres. » Gabriel RINGLET

« Le dialogue est ce moment qui consiste pour chacun à mettre provisoirement entre parenthèses ce qu’il est et ce qu’il pense pour essayer de comprendre et d’apprécier, même sans le partager, le point de vue de l’autre. » Dominique PIRE

Et ce moment peut être fabuleux quand il est vécu dans le respect !

Luc Bossus

29 avril 2017 6 29 /04 /avril /2017 08:00
Christiane van den MeersschautMiracles ou résurrections
Christiane van den Meersschaut

Les petits enfants sont avides d'histoires merveilleuses où plane le mystère. Ils nous demandent ainsi de leur raconter : "Jésus qui fait des miracles". Cela augmente "leur" foi en Jésus, leur foi dans le surnaturel.

Nous constatons très vite, qu'en grandissant, des réactions différentes vont apparaître. Une petite partie d'entre eux se contenteront de ces belles histoires merveilleuses. Certains ne prieront toute leur vie que dans l'espoir d'être les heureux bénéficiaires d'un miracle, tandis que d'autres, découragés parce que le miracle ne se produit pas, en perdront "leur" foi.

D'autres encore, un beau jour, ne trouvant pas de réponses à leurs questions, estimeront ces histoires inacceptables et affirmeront que tout ça n'existe pas! Enfin, les derniers vont faire un chemin personnel de recherche et par-delà les méandres de l'approfondissement, vont se voir dessiner tout un chemin de lumière. Ils deviendront adultes dans la foi.

Ce travail de recherche personnel prend beaucoup de temps, demande beaucoup de volonté et de persévérance. Cela n'est pas possible pour tout le monde !

Il me semble donc, qu'il faut utiliser un autre langage, et une autre façon d'enseigner. Je suis souvent ahurie lors de rencontres, suite à une homélie avec tel ou tel prêtre, d'entendre celui-ci posséder telle ou telle clé de lecture d'un texte biblique, alors qu'il vient d'en discourir d'une façon littérale et fondamentaliste pendant 15 minutes. A ma demande de savoir pourquoi il n'a pas présenté le texte à la lumière de ses connaissances actuelles, la réponse est invariablement : "J'ai peur de choquer les gens. Les gens ne sont pas prêts à entendre cela." Personnellement, je crois que si nos églises se vident, c'est parce que le langage utilisé n'est plus crédible, est souvent vide de sens, n'est pas adapté à nos interrogations, n'est plus nourriture, Bonne Nouvelle !

Prenons les textes des miracles. Quelles merveilleuses histoires ! Bien sûr, elles satisfont les petits enfants, mais en grandissant dans la foi, beaucoup se demandent en quoi ce texte est porteur d'une Bonne Nouvelle pour eux aujourd'hui ? Pourquoi, malgré leur foi et leurs prières, il ne leur est pas répondu par le miracle qu'ils attendent ?

Si déjà, dès l'âge de 9, 10 ans, nous pouvions présenter les miracles, non pas en donnant l'importance au prodige lui-même, mais bien en répondant à la question : "Qu'est-ce que cette histoire de Jésus veut me dire à moi aujourd'hui ?"

Parce que si ces textes tiennent la route à travers les millénaires, c'est qu'il y a une Bonne Nouvelle de Jésus à y découvrir. Alors, cherchons les clés pour décoder ces récits. Les ayant découvertes, plus personne ne pourra être déçu ou se sentir roulé. Certains toutefois, en toute liberté pourront dire : ce message ne m'intéresse pas, c'est trop dur pour moi, c'est tout à fait fou... et s'en aller. Mais ce sera sans rancoeur et avec une attitude de tolérance vis-à-vis de ceux qui y croient, de ceux qui en vivent, plutôt qu'une attitude de mépris.

Dans les récits des miracles, nous constatons l'indépendance, l'autonomie, la liberté laissée aux hommes par Jésus. La plupart du temps, Il se fait "arracher ses miracles". Jamais, Il ne se comporte comme un magicien ou un dictateur. Ces textes, à travers leurs petites histoires, nous disent : si tu fais confiance à Jésus, si tu crois en Lui, tu peux te RE-NOUVELER, tu peux RE-SUSCITER. C'est cela qui est porteur de vie, peu importe comment l'histoire s'est réellement passée !

Je me propose de partager avec vous la façon dont j'ai décodé le récit du miracle de la pêche dite miraculeuse en Luc 5,1-11 avec des élèves de primaire, afin que ces miracles deviennent nourriture pour aujourd'hui.

Suite à l'étude attentive du texte, nous arrivons à la synthèse suivante.

... "nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre ... " (Lc 5,5)Ils ont bien fait leur travail, mais ils n'ont pas de résultats, ils sont en manque, en besoin, c'est le vide.
"Un jour, ... Jésus ... vit... et pria Simon... " (Lc 5,1-3)Jésus a un regard du coeur et jette dans leurs coeurs blessés par le manque, le besoin sa Parole
... "ils étaient descendus et lavaient leurs filets" (Lc 5,2)Ils ont abandonné, ils ont déjà tout essayé, il n'y a plus rien à faire pour eux, c'est la fin, c’est "la mort"
"Jésus monta... ... s 'assit... " (Lc 5,3)pria celui-ci de lui faire confiance cette fin deviendra commencement c'est "la vie"
''Avance ... en eau profonde " (Lc 5,4)Et voilà que ces spécialistes qui connaissent toutes les ficelles du métier font confiance à quelqu'un qui ne connaît rien au métier. Ils sont tellement en besoin, en manque, le vide est tellement grand qu'ils écoutent sa Parole. Ils avancent au large et tout devient possible.
...''jetez vos filets... " (Lc 5,4)C'est une parole qui pousse à l'action. Ne restez pas là, à ne rien faire, faites quelque chose ! Et c'est la pêche miraculeuse, les poissons débordent de partout.

Mais Jésus dit :

..."dès maintenant, ce sont des hommes que tu prendras " (Lc 5, 10)Car c'est la vie qui doit déborder, l'homme est le coeur de la vie, c'est ce que Dieu a de plus précieux au monde. Alors, il ne faut pas que l'homme se noie dans des problèmes de pauvreté, d'injustice, de solitude, de tristesse, d'exclusion, de chômage...
Il faut le RE-SUSCITER à la vie.

Mais pour prendre des hommes :

  • ne reste pas là à laver tes filets
  • ne te décourage pas
  • ne crois pas que le miracle est impossible
  • ne reste pas assis sur tes habitudes, ta routine
  • va en eau profonde, prends le large pour voir les événements de plus loin, pour voir plus lar­ge, pour agrandir l'horizon
  • secoue- toi crois en des paroles, des gestes qui suscitent la vie. Ta maison, tes habitudes, de loin, au large deviendront toutes petites

Demande-toi alors comment engager une nouvelle fois l'aventure ?

Pour cela :

''Jette tes.filets" (Lc 5,4)Tisse des liens d'amour autour de ceux qui se noient.

Ensemble, nous cherchons alors qui se noie dans notre classe, notre famille, nos amis, notre entourage. C'est ainsi que nous découvrons qu'à tour de rôle, nous pouvons vivre de la Parole et être des pêcheurs d'hommes, mais aussi les noyés ayant besoin de faire confiance à la Parole.

Il m'arrive ainsi fréquemment de témoigner de mon vécu d'enseignante. Comme professeurs, il nous arrive bien souvent d'être là, assis, à laver nos filets, parce qu'un élève nous pose une difficulté par rapport à l'ensemble de la classe, ou par rapport à nous-mêmes. Qu'alors, il nous arrive de tout critiquer, eux, leurs parents, les collègues. Nous avons envie de changer de métier, de tout abandonner ! C'est parce que nous sommes découragés. Nous croyons avoir bien préparé nos cours, tout fait pour avoir un bon contact, une bonne ambiance et nous n'obtenons pas le résultat attendu.

Jésus nous dit alors "avancez en eau profonde ", avancez vers le large. Continuez votre travail, malgré votre "ras le bol", allez chercher plus loin en profondeur. Vos élèves valent tous quelque chose, cherchez ce qui est caché en eux, prenez la peine de relire encore une fois leur dossier, de reprendre le dialogue avec leurs autres professeurs, la psychologue, de rencontrer une nouvelle fois les parents.

Ensuite, tout redevient possible : l'élève se sent accepté tel qu'il est, l'ambiance de la classe est meilleure, le groupe est plus détendu, plus heureux, car ensemble nous RE­ VIVONS en relation d'amour. Quelle résurrection ! Quelle pêche miraculeuse !

Les élèves ensuite s'expriment à leur tour et partagent, à leur grand étonnement, des pêches miraculeuses où parfois ils étaient pêcheurs d'hommes, où parfois ils étaient les noyés.

Nous nous questionnons alors :

  • nos mains servent-elles bien à continuer le travail de Jésus ?
  • nos pieds servent-ils bien à parcourir des chemins de rencontre ?
  • nos coeurs servent-ils bien à aimer nos frères de partout ?
  • nos vies sont-elles "images de Dieu" ?

Mais nous remarquons aussi :

  • que Dieu aide
  • car Jésus propose, accompagne, donne une Parole
  • mais ne le fait pas à leur place. Nous choisissons de prier

si l'homme veut "allez en eau profonde " "monta dans la barque" "jetez vos filets"

Il regarde assis

  • en écoutant sa Parole
  • en demandant la confiance, le courage. Mais pas que Dieu le fasse pour nous et sans nous.

Dès la troisième primaire, nous étudions ainsi les récits des miracles, et nous découvrons qu'ils sont des récits de résurrection pour l'homme. Les enfants qui ont reçu un récit merveilleux, leur apprenant qui est Jésus, dans leur petite enfance, découvrent alors toute la richesse porteuse de vie de ces récits. Ils apprennent aussi qu'il y a d'autres clés de lecture possibles pour un même texte et qu'ils pourront les découvrir tout au long de leur vie. J'espère ainsi les passionner à devenir des chercheurs de Dieu, plutôt que de les "enfermer" dans un récit historique qui est "la vérité", "un mystère".

Les enfants rentrent très bien dans cette démarche. Et librement en toute autonomie, ils choisissent de vivre cela ou non.

"N'ayons pas peur", Jésus n'a jamais obligé quelqu'un à Le suivre.

Christiane van den Meersschaut

Bibliographie

  • Jean DEBRUYNNE : « Ouvrez.. »
  • Jean-Pierre CHARLIER : Quelques réflexions sur les miracles des évangiles.
  • DUQUESNE :"Jésus'·
22 avril 2017 6 22 /04 /avril /2017 08:00
Christiane van den MeersschautAutres traversées, autres passages, autres pâques
Christiane van den Meersschaut

Jésus pour revenir du territoire des Géraséniens, dans la décapole païenne, doit traverser le lac, il doit passer sur l'autre rive.

Dans l’évangile de Marc 5, 21 à 43, arrive Jaïre, un chef de la synagogue. Il vient appeler Jésus: "Viens vite imposer tes mains." C'est que sa petite fille est en train de passer sur l'autre rive. Elle qui devient pubère, elle qui va pouvoir donner la vie, elle est à toute extrémité.

Jésus se met en marche tandis qu'une foule nombreuse l'accompagne. Une femme est là, sur un chemin de traverse. Elle a des pertes de sang depuis 12 ans et se meurt parce que personne ne peut vaincre son mal. Elle voit en Jésus un « éveilleur » et se décide à traverser la foule dans l'espoir de le toucher.

Ce n'est pas chose simple que cette traversée. Depuis 12 ans, elle est rejetée par tous. Sa maladie la rend impure. Pour les contemporains de Jésus, comme pour les juifs pieux d'aujourd'hui encore, le Lévitique (15-19) impose des lois précises à ce sujet. La loi lui interdit de toucher un autre ou de se laisser toucher. Elle est donc morte pour les autres, elle n'est plus en relation, en communication. Elle doit se tenir à distance, à l'écart. Elle doit vivre comme une lépreuse. Elle est la lépreuse de la loi ! Si elle transgresse cette loi, on a le droit de la lapider.

Et pourtant, elle pense que cet homme, Jésus, pourrait se laisser toucher par elle, elle veut passer vers celui qui donne la vie, entrer en relation avec lui.

Mais, à côté de Jésus, se trouve un chef de synagogue, un gardien de la Loi. Celui qui fait croire à la femme que Dieu, la Loi, la foule, tout est contre elle. Celui qui fait croire à la foule que cette femme n'a pas sa place parmi les purs. Mais la confiance de la femme est grande, elle veut passer vers l'autre rive, même si pour cela il faut transgresser la loi. Pourquoi ne risquerait-elle pas sa vie, elle qui est déjà morte ?

Cependant le regard et le discours des autres qui la condamnent depuis 12 ans, l'empêchent de venir face à Jésus. Par honte et culpabilité elle n'ose l'approcher que par derrière ! Comme on comprend que lorsque Jésus se retourne et demande : "Qui m'a touché ?", la malheureuse se jette à ses pieds craintive et tremblante.

Comment, mais comment savoir quelle est la personne qui a touché Jésus, alors que celui-ci est serré, étouffé, bousculé par la foule ? Jésus, lui, demande à cette personne de prendre identité, de s'éveiller, de se nommer devant tous, le chef de la synagogue et la foule. Il faut qu'elle se nomme pour retrouver sa dignité, pour passer sur la rive de la vie, pour ressusciter. En même temps, Jésus donne à la foule la capacité de la reconnaître, il leur signifie qu'elle n'est pas impure aux yeux de Dieu. Il l'appelle "ma fille" elle est "du Père" (sinon de la Loi) et ainsi ils peuvent la reconnaître comme "sœurs".

Pour la faire vivre, il faut renouer la relation avec elle.

Jésus reçoit autant qu'il donne. Quelle confiance en lui avait cette femme pour braver les interdits, pour traverser la foule, pour passer au-dessus de la Loi et renaître avec Jésus dans l'amour de Dieu. Mais comme nous dit Adolphe GESCHE : "La foi en Dieu, n'a de sens que si elle me donne la foi en moi."

Jésus s'est d'abord occupé de la femme bannie par la Loi, par l'intouchable qui le touche timidement, mais l'émeut au plus profond de son cœur. Ensuite, seulement, viendra le tour du légiste, de celui qui a la connaissance et qui demande une intervention puissante et pourquoi pas magique: "Viens imposer", demande-t-il à Jésus.

Jésus se remet en marche pour arriver à la maison du chef de la synagogue. Il y trouve des gens emmurés, enfermés dans leurs cris et leurs pleurs comme dans un tombeau. Il les fait sortir, il les pousse dehors, il les fait passer vers la lumière. Lui, il passe à l'intérieur avec ceux qui ont confiance en ses paroles de vie, Pierre, Jean, Jacques, le père mais aussi la mère de l'enfant. Il donne une juste place à la femme, elle qui n'a pas sa juste place à la synagogue. Il met la mère, la femme, en égalité avec le père, l'homme, face à la vie, alors qu'ils ne le sont pas face à la Loi. Et l'homme de la Loi, ce chef de la synagogue voit alors que Jésus n'impose pas les mains, mais prend la main de l'enfant pour la mettre debout, pour la mettre en marche. Il lui dit : "Eveille-toi, lève-toi fillette" toi qui dors ne te laisse pas dominer par la Loi. Je te donne la vie. Tu es du Père, fillette. Ensuite, il demande qu'on lui donne à manger. Manger : signe qu'elle est bien vivante, mais aussi signe de relation aux autres. Il ne faut pas, fillette, ne te nourrir que des idées de la Loi, il faut aussi entrer en relation.

En regardant Jésus œuvrer de la sorte, Jaïre pourra certainement mieux comprendre le sens de son nom "Dieu éclaire". A son tour, pourra-t-il saisir la main de sa femme pour qu'ensemble ils puissent prendre la main de leur fille lui secouer l'esprit et le cœur, l'éveiller à l'amour, à la défense du plus petit, du pauvre, du rejeté ?

Aujourd'hui encore, il est insupportable de voir le sort que l'Eglise réserve à certains. Comment la hiérarchie peut-elle juger qu'un homme, une femme n'est pas digne de Dieu et lui refuser les sacrements ? Jésus ne nous dit-il pas qu'il est venu pour les malades, ceux qui sont humiliés par leur passé, ceux qui sont rongés par une culpabilité enfermante, tous les blessés du corps et de l'âme ? Comment des hommes se réclamant héritiers de Jésus peuvent-ils mépriser les femmes au point de leur refuser leur juste place dans l'Eglise ? Jésus ne nous montre-t-il pas la grande place qu'il accorde aux femmes malgré tous les préjugés de sa culture ?

Mais aujourd'hui nous sommes heureux de voir des "Jacques Gaillot" qui œuvrent au milieu des plus démunis. Nous nous réjouissons de voir nos églises s'ouvrir aux sans­ papiers. Tous sont fils et filles du Père. Nous qui sommes Eglise, qui nous disons héritiers de Jésus, les considérons-nous vraiment comme nos frères et sœurs ? Nous faut-il encore faire du chemin, traverser, passer sur l'autre rive pour qu'ensemble nous puissions chanter la Pâque ?

Christiane van den Meersschaut

Sources : Conférences : José REDING - Philippe BACQ - J.-P. CHARLIER

1 octobre 2014 3 01 /10 /octobre /2014 12:25
Harold S. Kushner Un homme appelé Job.
Harold S. Kushner
LPC n° 27 / 2014

Harold S. Kushner est né à Brooklyn en 1935. Eminent rabbin aligné avec l'aile progressiste du judaïsme conservateur. Diplômé de l'Université de Columbia et de l'Université hébraïque de Jérusalem, il a enseigné à l'Université Clark au Massachusetts et à l'école rabbinique de la Jewish Theological Seminary. Quand il a eu la douleur de perdre son fils de 14 ans, il a cherché des réponses à ses questions dans les livres de théologie, auprès de ses maîtres et amis. Son livre : "Pourquoi le malheur frappe ceux qui ne le méritent pas"(1981 Ed.Sand/Primeur) est le fruit de ses réflexions. En voici un extrait.

ll y a environ deux mille cinq cents ans, vivait un homme dont nous ne saurons jamais le nom, mais qui a depuis enrichi énormément la vie et l'esprit des humains. Cet homme sensible voyait de braves gens tomber malades et mourir partout autour de lui alors que des gens orgueilleux et égoïstes prospéraient. Il avait fait l'apprentissage de toutes les façons sages, pieuses et savantes de voir la vie, et il en était aussi insatisfait que nous le sommes aujourd'hui. Comme il était exceptionnellement doué et possédait une solide culture littéraire, il écrivit un long poème philosophique pour tenter d'expliquer pourquoi Dieu laisse survenir des malheurs aux braves gens. Ce poème apparaît dans la Bible sous le titre du Livre de Job.

J'ai toujours été fasciné par le Livre de Job ; je l'ai étudié, lu et relu, et je l'ai enseigné un grand nombre de fois. C'est un livre difficile à comprendre, un livre profond et magnifique sur le plus crucial des sujets : pourquoi Dieu laisse-t-il souffrir des personnes qui sont bonnes ? L'argumentation de l'auteur est difficile à suivre parce que, à travers certains personnages, il présente des vues qu'il n'accepte probablement pas lui-même, et parce que le texte est écrit dans un hébreu châtié qui, des milliers d'années plus tard, est souvent difficile à traduire. Si vous comparez deux traductions du Livre de Job, vous pouvez vous demander si ce sont des traductions du même livre. Un des vers les plus importants peut aussi bien vouloir dire "Je craindrai Dieu" que "Je ne craindrai pas Dieu", et il n'y a aucun moyen de déceler avec certitude l'intention de l'auteur. L'énoncé de foi : "Je sais que mon Sauveur est vivant", peut être aussi compris comme "Je serai sauvé pendant que je suis encore vivant". Mais, de façon générale, le livre est clair et plein de force, et nous pouvons tenter de l'interpréter.

Qui était Job et quel est ce livre qui porte son nom ?

Il y a très longtemps, selon les érudits, il devait exister une histoire traditionnelle très connue, sorte de fable morale portant sur un homme pieux nommé Job, que l'on racontait pour renforcer les sentiments religieux des gens. Job est si bon, si parfait, qu'on s'aperçoit vite qu'il ne s'agit pas d'une personne réelle. Il s'agit d'un conte, dans le style "Il était une fois", racontant la vie d'un brave homme qui a beaucoup souffert.

L'histoire veut qu'un jour Satan se présenta devant Dieu pour l'entretenir de tous les péchés des gens sur terre. Dieu répondit à Satan : "As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n'y en a aucun comme lui sur terre, c'est un homme tout à fait bon qui ne pèche jamais." Et Satan de rétorquer : "Naturellement, Job est pieux et obéissant. Ce n'est pas difficile pour lui, tu l'as comblé de grâces et de richesses. Enlève-lui tout cela et tu verras s'il demeurera encore longtemps ton serviteur obéissant." Dieu accepte de relever le défi de Satan. Sans avertir Job de ses intentions, Dieu détruit sa maison et son bétail, et fait mourir ses enfants. Job est affligé de furoncles par tout le corps et chaque instant devient pour lui une torture physique. Sa femme l'incite à maudire Dieu, même si Dieu doit pour cela le frapper à mort. Il ne peut pas faire pire que ce qu'il lui a déjà fait. Trois amis viennent consoler Job et le pressent aussi d'abandonner sa piété si c'est là toute la récompense qu'elle lui apporte. Mais Job demeure inébranlable dans sa foi. Finalement, Dieu apparaît : Il réprimande les amis pour leurs conseils et récompense Job de sa fidélité. Il lui donne une nouvelle maison, une nouvelle fortune et de nouveaux enfants. Voici la morale de l'histoire : lorsque des temps difficiles surviennent, n'ayez pas la tentation d'abandonner votre foi en Dieu, car il a ses raisons d'agir comme il le fait, et si vous gardez votre foi assez longtemps, il vous dédommagera de vos souffrances.

A travers les générations, bien des gens ont dû entendre cette histoire ; sans doute certains en ont-ils été réconfortés. D'autres en revanche devaient se sentir mortifiés devant leurs doutes et leur apitoiement sur eux-mêmes après avoir entendu l'exemple de Job.

Pour l'auteur c'était un dilemme. En quel Dieu voulait donc nous faire croire cette histoire ? En un Dieu qui tuerait des enfants innocents et imposerait une angoisse insupportable à son serviteur le plus fidèle, afin d'affirmer son point de vue, afin, en avons-nous presque le sentiment, de gagner une gageure contre Satan ? Quelle sorte de religion cette histoire nous impose-t-elle ? Une religion qui se réjouit d'une obéissance aveugle et qui fait un péché de la protestation devant l'injustice ?

L'auteur était tellement perturbé par cette vieille fable pieuse qu'il l'a prise, l'a intervertie et en a fabriqué un poème philosophique où les comportements des personnages sont inversés.

Le Poème de Job dans la Bible

Dans le poème, Job se plaint de Dieu et ce sont ses amis qui soutiennent la théologie conventionnelle : l'idée que "Au juste ne peut échoir aucun malheur." S'efforçant de réconforter Job, ses trois amis lui servent toutes les paroles pieuses traditionnelles. Essentiellement, ils prêchent le point de vue de la fable originale : "Ne perds pas la foi malgré ces calamités !" Nous avons un Père aimant au ciel et il veillera à ce que les bons prospèrent et à ce que les méchants soient punis.

Job, qui a probablement dit ces mêmes paroles un grand nombre de fois à d'autres affligés, se rend compte pour la première fois combien elles sont vides de sens et choquantes. Que voulez-vous dire par : "Il veillera à ce que les bons prospèrent et à ce que les méchants soient punis" ? Dites-vous que je suis méchant et que c'est pour cette raison que ceci m'arrive ? En quoi étais-je si terrible ? Qu'est-ce que j'ai fait de pire que tout ce que vous avez pu faire vous-mêmes pour que je doive subir une telle fatalité ?

Ses amis sont effrayés par ce déchaînement. Ils répondent que personne ne peut s'attendre à ce que Dieu lui dise pourquoi il est puni. Ils affirment que nous pouvons seulement supposer que personne n'est parfait et que Dieu sait ce qu'il fait ; que si nous n'assumons pas cela, le monde devient chaotique et invivable.

Ainsi se poursuit la discussion. Job ne prétend pas être parfait, mais dit avoir essayé, plus que la plupart des gens, de vivre une vie bonne et décente. Comment Dieu peut-il être un Dieu d'amour s'il épie constamment les gens, prêt à sauter sur la moindre imperfection et à l'utiliser pour justifier sa punition ? Comment Dieu peut-il être un Dieu juste si tant de méchants ne sont pas punis aussi sévèrement que Job ?

Le ton monte. Job devient agressif. Ses amis lui disent : "Job, tu nous as trompés. Tu nous as donné l'impression que tu étais aussi religieux et pieux que nous le sommes. Mais maintenant, nous voyons comment tu jettes la religion par-dessus bord aussitôt que quelque chose de désagréable t'arrive. Tu es orgueilleux, arrogant, impatient et blasphématoire. Pas besoin de se demander pourquoi Dieu te fait cela. Cela prouve seulement notre point de vue : les humains peuvent se tromper en se demandant qui est un saint et qui est un pécheur, mais tu ne peux pas tromper Dieu."

Après trois cycles de dialogues où nous entendons alternativement Job énumérer ses plaintes et ses amis défendre Dieu, le livre atteint son paroxysme.

L'auteur permet à Job de faire appel à un principe du droit criminel biblique : si un homme est accusé sans preuve d'avoir mal agi, il peut prêter serment en jurant de son innocence. A ce moment, l'accusateur doit en arriver à une preuve évidente contre lui ou abandonner les charges. Dans un long et éloquent énoncé aux chapitres 29 et 30 Job jure qu'il est innocent. Il affirme qu'il n'a jamais négligé les pauvres, jamais pris quelque chose qui ne lui appartienne, ne s'est jamais vanté de sa fortune ou réjoui du malheur de son ennemi. Il met Dieu au défi d'apparaître avec une preuve contre lui ou d'admettre qu'il est juste et qu'il a souffert à tort. Et Dieu apparaît. (Ch. 38 à 41)

S'élève ensuite un terrible coup de vent venant du désert, et Dieu répond à Job dans cette tornade. Le cas de Job est si violent, son défi est si grand, que Dieu arrive sur terre pour lui répondre. Mais la réponse de Dieu est difficile à comprendre. Il ne parle pas du tout du cas de Job et il ne détaille pas ses péchés pour expliquer sa souffrance.

Au lieu de cela, il demande à Job, en fait, ce qu'il sait sur la façon de gouverner le monde :

  • Parle si ton savoir est éclairé, où étais-tu quand je fondais la terre ?
  • Qui en fixa les mesures, le sais-tu ? Et qui tendit sur elle le cordeau ?…
  • Qui enferma la mer à deux battants… quand je découpai pour elle sa limite…
  • Tu n'iras pas plus loin, lui dis-je…
  • Es-tu parvenu jusqu'aux dépôts de neige ? As-tu vu les réserves de grêle ? …
  • Sais-tu comment les bouquetins font leurs petits ?… Donnes-tu au cheval la bravoure ?
  • Est-ce sur ton conseil que le faucon prend son vol ? (Job, 38-39)

Et alors, un Job très différent répond : "Je ne suis rien. Que puis-je te répondre. Je mets ma main dans ma bouche. J'ai déjà trop parlé ; je vais maintenant me taire." (Job 40,4-5)

Le Livre de Job est probablement la discussion la plus extraordinaire, la plus complète, la plus profonde jamais écrite sur la souffrance survenant aux honnêtes gens. Une partie de sa grandeur réside dans le fait que l'auteur relate scrupuleusement tous les points de vue, même ceux avec lesquels il n'est manifestement pas d'accord. Même si ses sympathies vont clairement à Job, il s'assure que le discours des amis est aussi soigneusement rendu que les paroles de Job. Le tout forme un morceau de grande littérature, mais dont le message reste difficile à comprendre. Quand Dieu dit : "Comment oses-tu me défier sur ma façon de mener le monde ? ", est-ce le dernier mot sur la question ou n'est-ce qu'une paraphrase de plus sur la piété conventionnelle de l'époque ?

Pour essayer de comprendre le livre et la réponse qu'il propose, considérons trois propositions que chacun voudrait bien être capable de croire :

  • A. Dieu est tout-puissant, et il est la cause de tout ce qui arrive dans le monde. Rien n'arrive qu'il n'ait pas voulu.
  • B. Dieu est juste et loyal, et il veut que les gens obtiennent ce qu'ils méritent, de sorte que les bons prospèrent et que les méchants soient punis.
  • C. Job est une bonne personne.

Aussi longtemps que Job est fortuné et en bonne santé, nous pouvons croire aux trois propositions en même temps, sans difficulté. Lorsque Job commence à souffrir, lorsqu'il perd ses biens, sa famille et sa santé, nous avons un problème. Nous ne pouvons plus donner un sens aux trois propositions ensemble. Nous ne pouvons plus en accepter que deux et nous devons nier la troisième.

Si Dieu est à la fois juste et puissant, Job doit alors être un pêcheur qui mérite ce qui lui arrive. Si Job est bon, mais que Dieu le fait néanmoins souffrir, alors Dieu n'est pas juste.

Si Job méritait mieux et que Dieu ne met pas fin à sa souffrance, alors Dieu n'est pas tout-puissant. Nous pouvons voir l'argument du Livre de Job comme une incitation à nous montrer prêts, à sacrifier une des trois propositions, afin de pouvoir conserver notre croyance dans les deux autres.

Quel est le choix des amis de Job ?

Les amis de Job sont prêts à arrêter de croire en la proposition C, voulant que Job soit une bonne personne. Ils veulent croire au Dieu qu'on leur a enseigné. Ils veulent croire que Dieu est bon et qu'Il contrôle tout. Et la seule façon d'y parvenir, c'est de se convaincre que Job mérite ce qui lui arrive. Au départ, ils veulent vraiment réconforter Job et l'aider à se sentir mieux. Ils essayent de le rassurer en citant tous les dogmes religieux que, comme Job, ils ont acceptés. Ils essaient de convaincre Job que le monde a un sens, qu'il n'est pas un lieu chaotique et insignifiant. Là où le bât blesse, c'est qu'ils ne peuvent donner un sens au monde et à la souffrance de Job qu'en décidant qu'il mérite ce qui lui arrive. Dire que tout fonctionne dans le monde de Dieu peut s'avérer réconfortant pour un spectateur ordinaire, mais c'est une insulte pour l'affligé et l'infortuné.

"Courage, Job, personne n'a jamais que ce qui doit lui arriver ! ", voilà un message pour le moins décourageant pour quelqu'un se trouvant dans la situation de Job.

Pourtant, il est difficile à ses amis de dire autre chose. Ils croient et veulent continuer de croire en la bonté et au pouvoir de Dieu. Mais si Job est innocent, Dieu doit alors être coupable de faire souffrir un innocent. Devant cette hypothèse, ils trouvent plus facile de croire en la responsabilité de Job que de croire en l'imperfection de Dieu.

Il se peut aussi qu'ils n'aient pu être objectifs quant à ce qui était arrivé à Job. Leur pensée peut avoir été embrouillée par leurs propres réactions de culpabilité et de soulagement à l'idée que ces infortunes soient tombées sur Job et non sur eux.

Il y a un terme psychologique allemand, Schadenfreude, qui désigne cette réaction embarrassante de soulagement que nous ressentons quand un événement pénible arrive à quelqu'un d'autre plutôt qu'à nous-même. Le soldat au combat qui voit tomber son ami à vingt mètres de lui alors que lui-même n'est pas touché ; l'élève qui voit un autre enfant avoir des problèmes pour avoir copié à l'examen. Ces personnes ne souhaitent pas que leur ami soit dans une situation difficile, mais ils ne peuvent s'empêcher d'avoir un soupir de soulagement parce que le malheur n'est pas tombé sur eux. Ils entendent une voix intérieure leur disant : "Ça aurait tout aussi bien pu être moi", et ils essaient de réduire cette voix au silence en se répétant : "Non, ce n'est pas vrai. Il y a une raison pour laquelle c'est arrivé à lui, et non à moi."

Cette attitude psychologique se produit aussi lorsque nous blâmons la victime d'un malheur afin que sa douleur ne nous semble pas si irrationnelle ou menaçante. Si les juifs s'étaient comportés différemment, Hitler n'aurait pas été amené à les exterminer. Si telle jeune femme n'avait pas été habillée de façon si provocante, cet homme ne l'aurait pas violée. Si les gens travaillaient davantage, ils ne resteraient pas confinés dans leur pauvreté. Si la société n'accablait pas les gens de messages publicitaires proposant des produits de consommation qu'ils ne peuvent se permettre d'acquérir, ils ne voleraient pas. Blâmer la victime, c'est une façon de se rassurer, de croire que le monde n'est pas un endroit aussi mauvais qu'il peut le paraître et qu'il y a de bonnes raisons à la souffrance des gens. Cela permet à ceux qui ont de la chance de croire que leur bonne fortune est méritée et que ce n'est pas qu'une question de hasard. Cette manière de penser aide chacun à se sentir meilleur – sauf la victime qui souffre maintenant de la condamnation sociale en plus de son malheur. C'est l'approche des amis de Job, et si cette approche peut résoudre leur problème, elle ne facilite en rien celui de Job ou le nôtre.

Comment Job comprend-t-il sa souffrance ?

Pour sa part, Job ne veut pas soutenir une croyance religieuse qui fait de lui un malfaiteur. Job est absolument certain de n'être pas mauvais. Il n'est pas parfait, soit, mais il n'est pas pire que les autres, selon les normes morales courantes, en tout cas pas au point de mériter de perdre sa maison, ses enfants, sa richesse et sa santé pendant que d'autres conservent les leurs. Et il n'est pas prêt à mentir pour préserver la réputation de Dieu.

La solution était de rejeter la proposition B qui affirme la bonté de Dieu. Job est en fait un homme juste, mais Dieu est si puissant qu'il ne s'attarde pas à des considérations de justice et de loyauté.

Un philosophe pourrait formuler le dilemme de la façon suivante : Dieu peut choisir d'être juste et donner à quelqu'un ce qu'il mérite, en punissant le méchant et en récompensant le juste. Mais pouvons-nous dire en toute logique qu'un Dieu tout-puissant doit être juste ? Serait-il toujours tout-puissant si nous, grâce à nos vies vertueuses, pouvions le contraindre à nous protéger et à nous récompenser ? Ou bien en serait-il réduit à être une sorte de machine distributrice cosmique dans laquelle nous n'aurions qu'à insérer le bon nombre de pièces pour obtenir ce que nous voulons (avec l'option de frapper et de maudire la machine si elle ne donne pas ce pour quoi nous avons payé) ?

On dit qu'un ancien sage s'était réjoui de l'injustice dans le monde en ces termes : "Maintenant, je peux faire la volonté de Dieu par amour pour lui et non par intérêt personnel. " C'est-à-dire qu'il pouvait être une personne morale et obéissante par amour véritable pour Dieu, sans calculer que les gens moralement obéissants seront récompensés par la chance. Il pouvait aimer Dieu, même si Dieu ne l'aimait pas en retour. Le problème avec cette réponse, c'est qu'elle essaie de prôner la justice et la loyauté de Dieu tout en suggérant que Dieu est si grand qu'il est au-delà des limites de la justice et de la loyauté.

Job voit Dieu au-dessus des notions de justice, il le voit si puissant qu'aucune règle morale ne s'applique à lui. Dieu est vu comme une sorte de potentat oriental doué d'un droit absolu de propriété, de vie et de mort sur ses sujets. Et, en fait, la vieille fable de Job dépeint Dieu exactement de cette façon : comme une divinité qui afflige Job sans aucun scrupule moral afin d'éprouver sa loyauté et qui croit qu'elle a "réparé " le mal fait à Job en le récompensant ensuite avec prodigalité. Le Dieu de la fable, proposé comme modèle à vénérer pendant tant de générations, ressemble à un vieux roi fragile récompensant ses sujets non pas pour leur bonté, mais pour leur loyauté.

Ainsi Job souhaite constamment qu'il y ait un arbitre comme médiateur entre lui et Dieu, quelqu'un devant qui Dieu aurait à s'expliquer. Mais lorsqu'il s'agit de Dieu, il admet tristement qu'il n'y a pas de règle. "S'il ravit une proie, qui l'en empêchera et qui osera lui dire : "Que fais-tu ?" (9,12)

Comment Job comprend-il sa souffrance ? Nous vivons dans un monde injuste, dit-il, sans espoir de justice. Il y a un Dieu, mais il est libre quant aux limites de la justice et de la droiture.

Et l'auteur anonyme du livre, quelle est sa réponse à l'énigme de l'injustice de la vie ?

Comme on l'a déjà dit, il est difficile de savoir exactement ce qu'il pensait et quelle solution il avait à l'esprit quand il a décidé d'écrire son livre. Il semble clair qu'il ait mis sa propre réponse dans la bouche de Dieu au moment du discours dans la tempête, point culminant du livre.

Mais qu'est-ce que cela signifie ? Job est-il simplement réduit au silence en découvrant qu'il existe un Dieu en charge de tout, là-haut ? De cela, Job n'avait jamais douté. C'était la sympathie de Dieu, sa justice, sa loyauté, qui étaient en question, non son existence.

La réponse est-elle que Dieu est si puissant qu'il n'a pas à s'expliquer à Job ? C'est précisément ce que Job a prétendu dans tout le livre : il y a un Dieu, et il est si puissant qu'il n'a pas à être équitable. Quelle est, alors, l'intention de l'auteur, lorsqu'il fait apparaître Dieu et le fait parler si c'est tout ce qu'il lui fait dire ? Et pourquoi Job en fait-il un tel cas s'il advient que Dieu est d'accord avec lui ?

Dieu signifie-t-il (comme certains commentateurs le suggèrent) qu'il doit s'occuper d'autres considérations, dépassant le bien-être d'un individu particulier, lorsqu'il prend une décision qui affecte notre vie ? Dit-il que, de notre point de vue, nos maladies et nos échecs en affaires sont les choses les plus importantes qu'on puisse imaginer, mais que lui a bien davantage de préoccupations à l'esprit ?

L'interpréter de cette manière serait affirmer que la morale de la Bible, mettant l'accent sur la vertu humaine et sur la sainteté individuelle, n'a aucun sens pour Dieu. Que la charité, la justice et la dignité de l'être humain prennent leur origine ailleurs qu'en Dieu. Si nous adhérions à cette croyance, beaucoup d'entre nous seraient tentés de quitter Dieu et de chercher à vénérer dans l'être humain cette source de charité, de justice et de dignité.

Je me permets de suggérer que l'auteur du Livre de Job prend une position qui n'est ni celle de Job ni celle de ses amis. L'auteur croit en la bonté de Dieu et en celle de Job. Il est prêt à abandonner sa croyance en la proposition A, c'est-à-dire, en l'affirmation selon laquelle Dieu est tout-puissant. En ce monde, des malheurs arrivent à des gens qui sont bons, mais ce n'est pas Dieu qui le veut. Dieu aimerait que les gens obtiennent ce qu'ils méritent de la vie, mais il ne peut pas remédier à tout. Obligé de choisir entre un Dieu tout-puissant et un Dieu bon qui n'est pas tout à fait bon, l'auteur du Livre de Job choisit de croire en la bonté de Dieu.

Les lignes les plus importantes du livre sont, peut-être, celles prononcées par Dieu dans la seconde moitié du discours dans la tempête, chapitre 40, versets 9 à 14 :

  • Ton bras a-t-il une vigueur divine, ta voix peut-elle tonner pareillement ?…
  • D'un regard, ravale l'homme superbe, écrase sur place les méchants.
  • Enfouis-les ensemble dans le sol…
  • Et moi-même je te rendrai hommage, de pouvoir triompher par ta dextre.

Je cite ces lignes pour montrer ce qu'elles signifient : "Si vous pensez qu'il est si facile de garder le monde droit et vrai, et d'empêcher les choses injustes d'arriver aux gens, essayez donc."

Dieu veut que le juste vive heureux et en paix, mais il lui est impossible d'apporter ce bonheur et cette paix. Il est trop difficile, même pour Dieu, d'empêcher la cruauté et le chaos d'atteindre des victimes innocentes. Mais, sans Dieu, l'homme ferait- il mieux ?

Le discours se poursuit au chapitre 41 où on décrit le combat de Dieu contre Léviathan, le serpent de la mer. Grâce à ses efforts, Dieu peut l'attraper dans un filet et le transpercer avec des harpons, mais ce n'est pas chose facile. Si le serpent est un symbole du chaos et du mal, un symbole de tout ce qui est incontrôlable dans le monde (comme c'est le cas dans l'ancienne mythologie), l'auteur dit que même là, Dieu a de la difficulté à mettre le chaos en échec et à limiter les dommages que le mal peut faire.

Des personnes innocentes souffrent ici-bas. Il leur arrive des infortunes pires que ce qu'elles méritent, elles perdent leur emploi, elles tombent malades, leurs enfants souffrent ou les font souffrir. Mais ces tourments qui arrivent ne représentent pas la punition de Dieu pour quelque mal qu'ils ont fait. Les malheurs ne viennent pas de Dieu.

Cette conclusion peut nous rendre inquiets. D'une certaine façon, il était réconfortant de croire en un Dieu sage et tout-puissant qui garantissait un traitement juste et des fins heureuses, qui nous assurait que rien n'arrivait sans raison ; d'une manière analogue, la vie était plus facile quand nous pouvions croire que nos parents étaient assez sages pour savoir quoi faire et assez forts pour que tout tourne bien dans notre existence.

La religion des amis de Job pouvait aussi être réconfortante pour autant que nous ne prenions pas les problèmes des victimes innocentes trop au sérieux. Quand nous avons rencontré Job, quand nous avons été Job, nous ne pouvons plus croire en cette sorte de Dieu sans abandonner notre droit de nous sentir en colère, de sentir que nous avons été maltraités par la vie.

Donc, nous devons ressentir un soulagement à l'idée que Dieu n'est pas la cause de ce mal. Si Dieu est un Dieu de justice et non de pouvoir, alors il peut toujours être de notre côté lorsque des malheurs nous arrivent. Il peut savoir que nous sommes des personnes bonnes et honnêtes qui méritons mieux. Nos infortunes ne sont pas causées par lui ; ainsi, nous pouvons nous tourner vers lui pour lui demander de l'aide. Notre question ne sera pas celle de Job : "Dieu, pourquoi me fais-tu cela à moi ?" Elle sera plutôt : "Dieu, vois ce qui m'arrive ; peux-tu m'aider ? " Nous nous tournerons alors vers Dieu non pour être jugés ou pardonnés, non pour être récompensés ou punis, mais pour être renforcés et réconfortés.

Si nous avons grandi, comme Job et ses amis, en croyant en un Dieu qui ne soit que sagesse, que toute puissance, que connaissance, il sera difficile pour nous, comme cela l'était pour eux, de changer notre vision de Dieu (tout comme il était difficile pour nous, lorsque nous étions enfants, de constater que nos parents n'étaient pas tout-puissants, qu'un jouet brisé devait être jeté parce qu'ils ne pouvaient pas le réparer et non parce qu'ils ne le voulaient pas).

Si nous pouvons arriver à comprendre que Dieu ne contrôle pas tout, alors la vie devient beaucoup plus facile.

Nous serons capables de nous tourner vers Dieu pour qu'Il nous aide au lieu de nous en tenir à des attentes irréalistes vis-à-vis de lui qui ne se réaliseront jamais. Après tout, la Bible parle à plusieurs reprises de Dieu comme étant le protecteur du pauvre, de la veuve et de l'orphelin, sans jamais dire pourquoi on devient pauvre, veuve ou orphelin.

Nous pourrons conserver notre fierté et notre sens de la bonté sans nous croire jugés et condamnés par Dieu. Nous pourrons être en colère contre ce qui nous est arrivé sans éprouver de colère contre Dieu. Qui plus est, nous pourrons reconnaître, dans notre colère contre les injustices de la vie et dans notre compassion instinctive en voyant des gens souffrir, l'inspiration de Dieu qui nous enseigne à nous révolter contre les injustices et à éprouver de la compassion envers les affligés. Plutôt que de nous croire en conflit avec Dieu, nous interpréterons notre indignation comme la colère de Dieu contre l'injustice qui s'exprime à travers nous ; nous pouvons alors être certains que lorsque nous hurlons de douleur, nous sommes encore du côté de Dieu, et qu'il est encore de notre côté.

Harold S. Kushner

1 janvier 2012 7 01 /01 /janvier /2012 12:06
Reflets de vie… en ouvrant la Bible …L'argent ne pardonne pas : la condamnation à mort de Jésus.
Antoine Harmant
LPC n° 16 / 2011

Cherchez l'anomalie dans les citations qui suivent :

  • "Puis Jésus commença à leur enseigner qu'il fallait que le Fils de l'Homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite. Il tenait ouvertement ce langage." (Mc 8, 31-32)
  • Ou
  • "…Cet homme qui avait été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l'avez pris et fait mourir en le clouant à la croix." (Actes 2, 23; voir aussi 3,18; 4, 28; Lc 18, 31)

Vous avez trouvé? Oui, c'était évident. Félicitations ! Vous n'avez pas trouvé? Alors deux indices:

  • Compréhensibles comme relecture après les événements "mort-résurrection", si ces événements avaient été prédits par Jésus, ils auraient fait l'impasse de sa vie, de ses choix (puisqu'il y aurait un programme pré-décidé) et des motifs de sa condamnation. Ces passages transforment Jésus en un simple exécutant de la volonté de Dieu, dans un dessein pré-établi pour racheter l'humanité pécheresse.
  • D'autre part, la crucifixion étant un des supplices le plus atroce et humiliant inventé par les humains, ne faudrait-il pas aller discuter avec ce dieu qui aurait prévu cela pour reconsidérer l'humanité (théologie du rachat)?

Prophète, Jésus dérangeait, mais tant qu'il était en Galilée, loin du temple de Jérusalem, c'était supportable. Et peut-être même à Jérusalem: à la limite on l'aurait bastonné pour qu'il se taise. ( cf. Actes 5, 40)

L'accueil spontané réservé à Jésus par le petit peuple, lors de son entrée à Jérusalem, a irrité les autorités. Jésus s'en est bien rendu compte car, le soir venu, n'étant plus protégé par lui, il quitte Jérusalem (Mc 11, 11). Le lendemain, il revient et c'est l'épisode raconté par les quatre évangiles (1) des vendeurs et changeurs chassés du temple, au nom d'une haute considération pour celui-ci: N'est-il pas écrit (Isaïe 56,7) "Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations? Mais vous, vous en avez fait un repaire de brigands." (Mc, 11, 17)

En agissant ainsi, Jésus heurte de front le business du temple et cela ne pardonne pas. Quand l'économique et l'argent sont bousculés, ils deviennent sans pitié et assassins - cf. Alliende, Oscar Romero ou les juges et journalistes victimes des mafias - "Cela vint aux oreilles des grands prêtres et des scribes et ils cherchaient comment le faire périr; car ils craignaient, parce que le peuple était ravi de son enseignement. Le soir venu, il s'en allait hors de la ville" (Mc, 11, 18-19). L'enjeu sera alors, pour y arriver, de séparer Jésus du peuple. Jésus reste prudent et continue à sortir chaque soir de Jérusalem. C'est d'ailleurs hors de Jérusalem, un soir, qu'il sera arrêté quelques jours plus tard.

Les passages suivants ne relèvent plus d'un enseignement paisible, mais sont un évitement des pièges tendus par les classes dirigeantes:

  • Question sur l'autorité de Jésus posée par les grands prêtres, les scribes et les anciens Mc11,27-33 et //
  • Contre-attaque menée par Jésus par les paraboles des deux fils (seulement chez Matthieu), des vignerons homicides (Mc, 12, 1-11 et //) et du festin nuptial (aussi seulement chez Matthieu)
  • Question sur l'impôt dû à César posée par les pharisiens et les hérodiens (Mc, 12,13-17 et //)
  • Question sur la résurrection des morts posée par les sadducéens (Mc, 12,18-27 et //)
  • Question sur le premier commandement posée par un scribe (Mc 12, 28-34 et //).

Tous ces pièges ayant échoué "Nul n'osait plus l'interroger" (Mc 12,34), Jésus circule librement dans le temple et passe à l'offensive:

  • Contre les scribes (Mc, 12, 35-40 et //)
  • Contre le trésor du temple (Mc, 12, 41-44 et Lc)

Le trésor, c'est la caisse centrale de l'institution (cf. 2R, 12,9-17 et Néhémie 12, 44) qui permet à celle-ci de vivre et faire vivre prêtres, lévites et serviteurs du temple (on évoque 8000 prêtres, en service par roulement de 24 classes / semaine). Dt. 14, 28-29 cite aussi une fonction de redistribution sociale. Les prêtres chargés de l'administration du trésor étaient plus intéressés par les gros donateurs, mis certainement en évidence, que par les quelques sous des petites gens…

Si le coeur religieux du temple était le "Saint des Saints", le trésor en était le coeur vital! Comme plus aucun dirigeant n'osait interroger Jésus, c'est devant ce coeur vital que, poursuivant son projet de purification du temple, il va s'installer et faire ses commentaires à haute voix.

Jésus met à nu ce qui s'y passe, à savoir l'intérêt pour les grosses offrandes et le mépris pour les petits sous des pauvres !

L'obole de deux fois 25 cents, qu'une vielle femme vient apporter par solidarité et par foi, est regardée comme insignifiante par rapport aux sommes considérables données par les gros donateurs. Le commentaire de Jésus ne se fait pas attendre : "Tous ont mis de leur superflu, mais elle, de son indigence a mis tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre" (Mc, 12,44) C'est l'attaque frontale contre le point le plus sensible, le centre du business du temple et cela ne se pardonne plus. Le prophète n'a pas seulement dit la vérité, il a surtout attaqué le business. Il doit mourir. Déjà, après l'épisode des vendeurs chassés, Jésus devait mourir, mais maintenant le compte à rebours a commencé: il doit mourir avant la Pâque qui a lieu dans deux jours (Mc, 14,1-2) (2)

L'attaque contre l'argent du temple est au moins égale à un blasphème (attaque directe contre Dieu) : une seule issue, la mort et elle doit être humiliante. Celui qui a osé attaquer le business doit devenir méprisable. Sous un emballage politique "Il veut devenir roi des Juifs", les grands prêtres obtiennent sans difficulté que Jésus soit cloué sur la croix (3).

Cette relecture de l'évangile de Marc est peu courante. Elle n'estompe en rien tous les autres motifs que le pouvoir religieux avait pour faire disparaître ce prophète. Jésus, par sa liberté et par l'authenticité de ses actes et de ses paroles, bousculait ce qui servait de cadre de référence (respect du sabbat, du pur et de l'impur… ), les "bons observants" considérant ceux dont Jésus était proche comme mauvais.

Pour celles et ceux qui souhaiteraient prolonger leur recherche, "La légende du Grand Inquisiteur" (4) et les chapitres 26 et 28 de Jérémie sont éclairants, mais dans ces deux cas les condamnations n'iront pas jusqu'à la mort. (à suivre)

Antoine Harmant

(1) Jean le situe symboliquement au début de la vie publique de Jésus, les 3 autres à la fin. (retour)
(2) Le chap.13 de Mc étant une insertion eschatologique, le chap.14 est la suite du chap.12 (retour)
(3) Les condamnés politiques étaient cloués, les droits communs liés. (retour)
(4) Dostoïevski, Les frères Karamazov (retour)
1 octobre 2011 6 01 /10 /octobre /2011 10:04
Reflets de vie… en ouvrant la Bible …Du côté des Prophètes.
Antoine Harmant
LPC n° 15 / 2011

Cherchez l'anomalie dans la phrase qui suit :

  • "Et, commençant par Moïse et par tous les Prophètes, il leur fit l'interprétation de ce qui, dans toutes les Écritures, le concernait" (Luc 24,17).
  • ou

  • "Il fallait que s'accomplisse tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes" (Luc 24,44).

Vous avez trouvé ? Oui, c'était évident !

Vous n'avez pas trouvé ? Alors voici deux indices :

  • Dans le dictionnaire Larousse, en regardant au mot "prophète", nous pouvons lire :
    • dans la Bible, homme qui, inspiré par Dieu, parle en son nom pour faire connaître son message
    • le Prophète : Mahomet pour les musulmans
    • personne qui annonce un événement futur.
    Luc, dans les deux citations du dernier chapitre de son évangile, utilise le troisième sens qui est contraire à toute la tradition biblique. Probablement parce qu'helléniste, Luc était habitué aux oracles grecs prédisant l'avenir. Et c'est ce troisième sens qui est encore dans l'esprit de beaucoup d'entre nous.
  • Pour les Grecs, le prophète (pro-phèmi) était celui qui s'avançait pour parler (note de la nouvelle Bible Segond), celui qui, en s'avançant, manifeste sa pensée par la parole.

Pour son temps, là où il vit, pour les gens avec qui il vit ou vers qui il se sent envoyé, le prophète, profondément croyant,

  • essaie de discerner avec les yeux et le coeur de son Dieu, le sens des événements : "Car le prophète d'aujourd'hui, on l'appelait autrefois le voyant" (I Samuel 9,9) "J'ai mis mes paroles dans ta bouche" (Jérémie 1,9)
  • dénonce ce qui est contraire à son Dieu : "Ainsi parle le Seigneur : à cause de trois transgressions, à cause de quatre, je ne révoquerai pas mon arrêt : parce qu'ils ont vendu le juste pour de l'argent, le pauvre pour une paire de sandales ; ils harcèlent jusqu'à la poussière de la terre qui est sur la tête des petites gens, ils font dévier le chemin des pauvres" (Amos 2,6-7). "Ils ont bâti les hauts lieux du Baal pour jeter au feu leurs fils en holocauste au Baal, chose qui ne m'était pas venue au coeur" (Jérémie 19,5).
  • encourage à vivre à la manière de son Dieu, selon le "projet" de son Dieu : "Ne cherchez pas ce qui est mauvais, mais ce qui est bon afin que vous viviez" (Amos 5,14). "Avec quoi me présenterai-je devant le Seigneur ? Me présenterai-je avec des holocaustes ? Le Seigneur agréera-t-il des milliers de béliers ? …donnerai-je mon premier-né pour ma transgression ? Il t'a fait connaître, ô humain, ce qui est bon, ce que le Seigneur réclame de toi, rien d'autre que d'accomplir la justice, d'aimer avec tendresse et de marcher humblement avec ton Dieu" (Michée 6,6-8).
  • annonce ce qui pourrait arriver, si le peuple et ses dirigeants ne changent pas de manière de vivre : "A cause de cela, ainsi parle le Seigneur : vous ne m'avez pas écouté, chacun de vous n'a pas proclamé la libération de son frère, de son prochain. Je proclamerai contre vous - déclaration du Seigneur - une libération pour l'épée, pour la peste et la famine… je livrerai les hommes qui ont passé outre à mon alliance, qui n'ont pas réalisé les paroles de l'alliance qu'ils avaient conclue devant moi… je les livrerai à leurs ennemis, à ceux qui en veulent à leur vie… et je ferai des villes de Juda un lieu dévasté, sans habitant" (Jérémie 34,17-22).

Plus d'une fois, le futur prophète, vu la difficulté de cette tâche, essaie de résister à l'appel de son Dieu, ne s'estimant pas capable d'assumer cette mission (cf. Isaïe 6, Jérémie 1,4-10, Amos 7, 14-15… sans oublier Jonas). Le prophète parle donc pour son temps et n'annonce pas ce qui pourrait arriver 200, 500 voire 700 ans plus tard. Toutefois, la profondeur de ses paroles, la vérité humaine de celles-ci, leur densité existentielle auront comme conséquence que ces paroles vont dépasser l'époque et les circonstances pour lesquelles elles ont été dites. C'est ainsi que les premières communautés chrétiennes les ont relues, à travers la personne de Jésus et sa façon de vivre.

Quelques exemples de paroles prophétiques situées et datées, mais qui restent d'actualité aujourd'hui :

  • Amos (vers -740) dénonce la corruption, la débauche et l'exploitation des pauvres par les riches dans l'opulent Royaume du Nord (Israël), juste avant sa chute : "Je déteste vos fêtes, je les rejette… quand vous me présentez vos holocaustes et vos offrandes, je ne les agrée pas… éloigne de moi le tumulte de tes chants… mais que l'équité coule comme l'eau, et la justice comme un torrent intarissable" (Amos 5, 21-24).
  • Michée, à la même époque, parle dans le Royaume du Sud (Juda) : "Accomplis la justice, aime avec tendresse et marche humblement avec ton Dieu" (Michée 6,8).
  • Jérémie (vers -600) parle à Jérusalem, juste avant l'exil, (Royaume de Juda appelé, après la chute du Royaume du Nord en -722, "Royaume d'Israël") et annonce l'invasion du Royaume, vu l'attitude d'Israël. "Car il se trouve des méchants dans mon peuple… ils tendent un filet et prennent des hommes. Comme une cage est remplie d'oiseaux, leurs maisons sont remplies de tromperies ; c'est ainsi qu'ils deviennent puissants et riches. Ils sont devenus gras et resplendissants, ils dépassent toute mesure dans le mal ; ils ne rendent pas la justice à l'orphelin, et ils prospèrent ; ils ne respectent pas le droit des pauvres" (Jérémie 5,26-28).

Quelques exemples de paroles prophétiques, situées et datées, mais interprétées abusivement et de manière grecque dans leur relecture, ce qui a servi à alimenter ultérieurement de très discutables constructions théologiques:

  • Isaïe 7,14 : "Voici que la jeune fille est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel". Cette parole ne prédit pas la naissance virginale de Jésus, mais est l'annonce de la naissance d'un prince héritier, le roi étant jusqu'alors sans descendance. Annonce donc importante car, le roi étant signe de l'alliance, c'était l'alliance elle-même qui était mise en péril s'il n'avait pas de successeur.
  • Isaïe 42 à 52 : Dans les quatre chants du serviteur, le deuxième Isaïe ne parle pas de Jésus. Pour redonner espoir aux exilés, le prophète évoque un serviteur de son peuple, lui-même exilé, dont nous ne connaissons pas l'identité.
  • Michée 5,1 : "Et toi Bethléem… de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël." Le prophète ne parle pas du lieu de naissance de Jésus, mais du lieu d'origine de la descendance de la royauté de David, représentante de l'alliance.

La Bible a régulièrement dénoncé les faux prophètes, car il ne s'agit pas de parler pour plaire au roi ou au peuple (1Roi 22 ; Ezéchiel 13,10-11 ; Jérémie 6, 13 ; 23,16 ; 27,14-15 ; 28)

  • Jérémie 5,31 : "les prophètes parlent mensongèrement, les prêtres exercent leur pouvoir à leur guise et mon peuple aime qu'il en soit ainsi"

L'actualité des prophètes de jadis ne doit pas nous empêcher de découvrir les prophètes d'aujourd'hui. C'est au contraire notre tâche et, à la lecture des extraits cités plus haut, il m'apparaît évident qu'un grand nombre de ces paroles gardent toute leur vérité aujourd'hui. D'ailleurs, le fond de l'humain et les choix à assumer sont restés les mêmes, ce ne sont que les techniques qui ont évolué. Cette vérité m'amène à ne plus jamais parler d'"Ancien Testament" (cela fait déclassé, à jeter à la poubelle), mais de "Premier Testament", le temps de Jésus étant le Deuxième et notre temps le Troisième : une voix d'au-delà de nous a surgi, surgit et surgira toujours par des prophètes d'hier, d'aujourd'hui et de demain. A propos des prophètes d'aujourd'hui, j'aimerais citer, entre autres, parmi les grands : Gandhi, Helder Camara, Etty Hillesum, Nelson Mandela, Oscar Romero, Albert Jacquard… mais n'oublions pas les petits : mon voisin, ma voisine.

Antoine Harmant

1 juillet 2011 5 01 /07 /juillet /2011 11:39
Reflets de vie… en ouvrant la Bible …Les paraboles : fenêtres ouvertes sur un monde nouveau. (1)
Antoine Harmant
LPC n° 14 / 2011

Cherchez l'anomalie dans la phrase qui suit :

  • Jésus avait l'art de raconter des histoires pour que les gens simples et les enfants puissent le comprendre.

Vous avez trouvé ? Oui, c'était évident ! Vous n'avez pas trouvé ? Alors voici deux indices :

  • Les paraboles ne sont pas des histoires pour les enfants, mais des paroles agissantes.
  • L'objectif n'est pas de faire comprendre, mais de créer une nouvelle aire de liberté.

Jésus a beaucoup employé les paraboles (2) mais il n'est pas le premier à le faire. Le Premier Testament (3) nous en livre quelques-unes comme, par exemple, la magnifique parabole du pauvre et de son agnelle (2 Samuel 12,1-15) que le prophète Nathan utilise afin que David reconnaisse son péché.

L'objectif de la parabole est de permettre à celui qui l'écoute d'opérer un déplacement. Les évangiles nous montrent Jésus utilisant les paraboles pour illustrer la nouveauté et la logique d'un monde en alliance avec Dieu (le Royaume des Cieux où Dieu était réputé habiter), monde nouveau, en rupture avec les manières de vivre et de réagir de son temps, et en se distanciant de certaines pratiques religieuses. Il ne s'agit pas d'un enseignement de type doctrinal (4)

Il y a d'une part, les paraboles dites du Royaume qui, telles un bouquet, révèlent, fleur par fleur, un aspect de ce "Vivre avec Dieu". Chaque fleur n'est qu'une partie du bouquet, mais elle est indispensable comme, par exemple, la parabole du Jugement dernier (Mt 25,31-45) (5) ou celle des Invités à la noce (Lc 14,16-24).

D'autre part, il y a des paraboles utilisées dans des situations tendues. Le fait raconté dans la parabole va entraîner l'auditeur à entrer dans l'histoire et à prendre position:

  • soit en accord avec l'histoire, par ex. Les deux Débiteurs (Lc 7,41-43) ou Le bon Samaritain (Lc 10, 30-37)
  • soit en désaccord avec l'histoire, par ex. Les Ouvriers de la onzième heure (Mt 20, 1-16) ou Les dix jeunes filles (Mt 25,1-13).

Une fois l'auditeur entré dans l'histoire de la parabole, il y a un terrain commun, une évidence partagée ou contestée, un lien entre le narrateur Jésus et l'auditeur(trice).

Cette unité recréée permet d'aller plus loin, d'ouvrir un nouvel espace de dialogue qui suscite une nouvelle manière de voir, de penser, d'agir, perçue comme étant celle proche de Dieu. Ce lien sauvegarde la relation en danger et ouvre un avenir au-delà de la contradiction.

Pour illustrer ce mécanisme, examinons la parabole des "Deux Débiteurs" utilisée par Jésus, après l'entrée de la femme pécheresse chez Simon le pharisien (Lc 7,36-50). Comme nous le montre Matthieu (Mt 15,10-20), la vie des pharisiens est profondément marquée par la notion de pur et d'impur. S'il est connu que cette femme est pécheresse, cela veut dire qu'elle est dans l'impureté et qu'elle rend dès lors impures la maison dans laquelle elle entre de même que les personnes qu'elle touche. Simon, en bon pharisien, est complètement bloqué par l'entrée de la femme et exprime ce blocage par cette phrase: "Si cet homme était prophète, il saurait qui est la femme qui le touche et ce qu'elle est".

Blocage complet ! Que faire ? Jésus utilise une parabole, celle des deux débiteurs acquittés, dans laquelle Simon va entrer (v.43), permettant ainsi un déblocage.

En terminant, il est important d'attirer l'attention sur un aspect indispensable pour comprendre les paraboles : une parabole veut dire une chose, révéler un aspect et non plusieurs ou tous. La parabole est comme un spot qui éclaire une face, d'autres se chargeant d'éclairer d'autres faces. N'essayons pas de sauver les cinq jeunes filles étourdies (Mt 25,11-12), ni celui à qui un talent a été confié et qui n'a pas osé prendre de risque (Mt 25,24-28) ou l'invité exclu qui n'a pas fait l'effort de revêtir la tenue mise à sa disposition (Mt 22, 11-13). La pointe de ces paraboles est autre : le récit tente de nous faire percevoir qu'il faut se préparer, oser réaliser quelque chose, prendre sa part de responsabilité et, pour souligner cette pointe, la parabole évoque celles et ceux qui ne sont pas entrés dans ces démarches.

En conclusion, nous pouvons dire avec Daniel Marguerat (6) que "La parabole n'enseigne rien, mais est une fenêtre ouverte sur un monde nouveau, au nom du Royaume proche, si proche qu'il touche le quotidien, le leur (7) comme le nôtre. Elle instaure le Royaume de Dieu comme un dérangement à accueillir, un mystère à percer".

Antoine Harmant

(1) L'expression est de Daniel Marguerat, exégète protestant contemporain (retour)
(2) En grec, le verbe paraballô signifie, entre autres, mettre une chose en parallèle avec une autre (retour)
(3) L'appellation courante ‘Ancien Testament' laisse supposer qu'il est dépassé, alors qu'il contient de véritables perles. Pour rappel : Testament = berith = Alliance (retour)
(4) Sauf dans l'évangile de Matthieu, structuré autour de 5 grands discours, dont celui des paraboles (Mt.13) (retour)
(5) Il s'agit d'une parabole et non d'une prophétie (retour)
(6) Daniel Marguerat, L'homme qui venait de Nazareth, éd. Du Moulin, 1990 (retour)
(7) Celles et ceux à qui Jésus s'adressait. (retour)
1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 10:32
Reflets de vie… en ouvrant la Bible …Jean le baptiseur, ouvreur d'une brèche que Jésus a amplifiée.
Antoine Harmant
LPC n° 13 / 2011

Cherchez l'anomalie :

"Jean baptisait sur les rives du Jourdain, près de la mer Morte. Et beaucoup venaient se faire baptiser, à commencer par les plus rejetés (publicains, soldats… cf. tout Lc). Jésus, habitant en Galilée, en entendit parler et vint aussi se faire baptiser. Les autorités du Temple voyaient ce baptême d'un très mauvais oeil" (cf. fin du chap. 11 de Mc).

Vous avez trouvé ? Oui, c'était évident, félicitations !

Vous n'avez pas trouvé ? Alors deux indices : Jean n'aurait jamais dû se trouver là et de plus dans ce rôle-là.

En effet, réputé fils de prêtre (1), Jean aurait normalement dû oeuvrer dans le Temple de Jérusalem. Le milieu du temple était un milieu fermé plein de ségrégations et d'enceintes éliminatoires (non-Juifs, femmes, hommes, simples prêtres…), très hiérarchisé et tarifé (2), où l'humain était justifié grâce à des attitudes et des pratiques extérieures. Les prêtres du Temple, sacrificateurs et intermédiaires entre le peuple et la divinité, le devenaient de par le clan dont ils étaient issus. Il n'y avait pas de sacrifices offerts ailleurs que dans le Temple de Jérusalem, les synagogues étant des lieux de prière et d'enseignement.

Nous retrouvons donc Jean (3) hors du Temple, hors de Jérusalem, au bord du Jourdain, offrant un chemin ouvert, accessible à toutes et tous, gratuit, touchant l'intérieur de l'humain, donnant une chance à chacun, même aux causes les plus désespérées et les plus méprisables (cf. Lc 3, 10-14). La seule exigence est un changement intérieur radical (conversion) qui ouvre à un avenir. Quelle libération et quelle liberté ! C'est probablement cela qui a amené Jésus (4) à faire une centaine de kilomètres pour rejoindre Jean et se faire baptiser. Et c'est au moment de ce baptême, expérience intérieure marquée par un acte extérieur, que Jésus s'approprie cette phrase du psaume 2,7 adressée à tout croyant, "Tu es mon fils bien-aimé. C'est moi qui t'ai engendré aujourd'hui" (5). Il aura besoin de 40 jours au désert (le temps biblique pour rencontrer Dieu) pour "digérer" cette expérience. Ensuite, il se mettra en route en homme libre, passionné de partager avec ses amis et avec celles et ceux qu'il va rencontrer, ce goût de l'alliance entre Dieu et les humains. Témoin de l'amour de Dieu et de son pardon, sur ce point il dépasse Jean le baptiseur qui s'appuyait et insistait sur un jugement imminent. Mais Jésus restera toute sa vie, jusqu'au bout, marqué par la brèche ouverte par Jean.

Et nous sommes, à notre tour, invités à passer par cette brèche, retrouver et vivre selon cette liberté intérieure.

Antoine Harmant

(1) Lc 1,5 Le prêtre Zacharie de la classe d'Abiya (la 8e des 24 classes sacerdotales) (retour)
(2) Annexe inspirée des notes et tableaux de l'édition d'étude de la Nouvelle Bible Segond (2002)
Dans trois des livres de la Torah (Exode, Lévitique et Nombres) sont indiqués les ‘tarifs' pratiqués, selon les circonstances, dans le Temple de Jérusalem. Ces tarifs stipulent l'occasion du sacrifice ou de l'holocauste, la sorte d'animal sacrifié et leur nombre.
Les holocaustes étaient réguliers (à l'occasion de fêtes solennelles) ou spécifiques (à l'occasion de consécration, purification…). Des sacrifices de paix étaient également tarifés, ainsi que des sacrifices (réguliers ou spécifiques) pour le péché et des sacrifices de réparation (spécifiques). Les animaux offerts allaient du taureau à la tourterelle en passant par l'agneau d'un an ou par le bélier…
A titre d'exemple, allez voir les chapitres 4 et 5 du Lévitique. Et c'est aux versets 7-13 du chapitre 5 que vous pourrez découvrir une perle d'humanité relative au pauvre : "s'il n'a pas de quoi se procurer une tête de petit bétail, il apportera au Seigneur, en réparation pour son péché, deux tourterelles ou deux colombes… et si ses ressources ne lui permettent pas de se procurer deux tourterelles ou deux colombes, il apportera en présent pour son péché un dixième d'epha de farine…". Mais cette perle "sociale" n'estompe pas le système autoritaire, fermé et presbytéral du Temple. (retour)
(3) Dans la lignée des prophètes (cf. Amos 5, 21-24 et Michée 6,8) (retour)
(4) Selon José Arregui, théologien basque réduit au silence, Jésus a été élevé dans une famille participant au réveil de l'identité nationale et religieuse juive (retour)
(5) Cette liaison est soulignée par l'ouverture du ciel, au sommet duquel Dieu était censé résider, selon la conception géographique de cette époque. De même par l'évocation de l'Esprit, qui rappelle l'acte de création (Genèse 1,2) et de recréation (cf. Noé Gen. 8) (retour)