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9 mars 2019 6 09 /03 /mars /2019 09:00
André Verheyen Il est temps de devenir sérieux
André Verheyen

Je me sens de plus en plus interpellé par la pagaille intellectuelle dans laquelle le peuple chrétien doit se débrouiller au seuil du troisième millénaire.

On dit que Pâques est la plus grande fête de l'année. Et on cite souvent "Si le Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vaine" (l Cor. 15, 17). Je suis d'accord, évidemment. Mais j'ajoute avec Marcel Légaut : "Je voudrais demander à saint Paul de préciser ce qu'il entend par ce mot "ressuscité".

Le 25 f é vrier 1996, je lisais dans "DIMANCHE" - diffusé à des centaines de milliers d'exemplaires, distribué dans toutes les boîtes aux lettres de plusieurs paroisses, donc aussi chez des non-croyants qui essaient honnêtement de savoir quelle est notre foi : "La meilleure "preuve" que Jésus est le Fils de Dieu c'est sa résurrection."

Or, je pensais que des auteurs sérieux, jouissant du même label officiel "Imprimatur", avaient déjà montré que la résurrection du Christ n'est pas un miracle ni la réanimation de son cadavre. (LA FOI DES CATHOLIQUES - Le Centurion 1984 - page 240).

Je pensais que des exégètes de qualité nous avaient déjà introduits au genre littéraire des évangiles, nous mettant en garde contre une lecture "historicisante" et nous disant que "les Evangiles ne sont pas de la biographie" [LE GRAND CODE de Northrop FRYE - Seuil 1984 - pp. 85-86 (cité dans L.P.C. n° 54, page 16)].

Je pensais que les exégètes nous avaient suffisamment expliqué la portée des Signes utilisés par les évangélistes dans la foulée des auteurs de l'Ancien Testament (voir les "cycles" d'Elie et d'Elisée dans les livres des Rois (I Rois 17; II Rois 4).

En particulier, pour ce qui concerne le "tombeau ouvert" ou le "tombeau vide", voir "Pour lire le Nouveau Testament" d'Etienne Charpentier (Cerf 1981 - page 38).

Je me souvenais même d'un commentaire liturgique, paru dans La Libre Belgique il y a quelques années et où l'auteur posait cette merveilleuse question: "Et les Apôtres? Ont-ils cru en Jésus parce qu'il est ressuscité ? Ou bien ont-ils proclamé sa résurrection parce qu'ils croyaient en lui ?"

Oui, il est temps de devenir sérieux !

Est-il imaginable qu'un théologien de renom consacre 25 pages en 1995 à un plaidoyer pour l'interprétation biologique de la naissance virginale de Jésus ! (Bernard Sesboué - Pédagogie du Christ- Cerf 1995 – pages 203-229)

Je ne résiste pas à l'envie de vous citer cette "perle" :

"Dans la conception virginale comme dans la résurrection, l'unité concrète de la nature divine et de la nature humaine du Christ doit pouvoir se signifier aussi au niveau du biologique, car l'histoire surnaturelle est l'unité de l'histoire naturelle et de l'histoire humaine." (o. c. page 227) ???

Voilà ce qu'on publie encore en 1995 !

Alors que nous disposons depuis longtemps de l'excellente étude du Père Jean-Pierre Charlier "Marie vierge et mère" (n°4 de la série "Connaître la Bible"- 40, avenue de la Renaissance, B - 1040 Bruxelles).

J'ai souscrit à la ''Déclaration du Peuple qui est Eglise''. Les problèmes qui y sont évoqués sont importants. Mais je me dis qu'il y a actuellement un autre problème, celui de la crédibilité pour mon Eglise.

Et j'ai envie de lancer une "Mini-déclaration d'une Mini-portion du Peuple de Dieu concernant un MAXI-problème de Pagaille Théologique".

Les noms des signataires seraient publiés et, bien sûr, cette déclaration serait proposée à tous les théologiens et à tous les évêques.

André Verheyen - avril 1996

26 mai 2018 6 26 /05 /mai /2018 08:00
André VerheyenLe paysage n'est pas juste!
André Verheyen

Un amateur de randonnées en montagne n'oubliait jamais d'emporter avec lui le guide touristique qui détaillait les itinéraires, les points de vue intéressants et les caractéristiques du paysage. Il y avait déjà un certain nombre d'années qu'il se fiait ainsi à ce guide. Et voilà qu'un jour il s'arrêta, tout perplexe, car le paysage ne correspondait pas à ce qu'il pouvait lire dans son guide touristique. C'est alors qu'il s'écria: "Mais le paysage n'est pas juste!"

***

Arrivés à la maison, ses compagnons lui demandèrent: "Explique-nous la parabole du randonneur en montagne". Il leur dit: "Quand des spécialistes de la théologie traditionnelle continuent de parler dans un langage qui ne correspond plus à la culture des gens, le message ne passe plus. Alors, ils disent: ces gens n'ont plus la foi.

Mais les disciples insistèrent: "Peux-tu nous donner un exemple? Il dit: "Vous savez qu'il est écrit:

"Le dogme de l'Assomption parle en ce sens de notre propre avenir, il désigne l'objet de l'espérance qui nous habite dès aujourd'hui dans le temps de l'histoire, car la création attend avec impatience la révélation des "fils de Dieu", et nous aussi, qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l'adoption, la délivrance de notre corps" (Rom. 8, "19 et 23). L'Assomption atteste que Dieu a déjà anticipé pour la mère de son Fils le salut espéré par les chrétiens !??! (n° 265 p. 44)." (extrait du document "Marie... Controverse et conversion", cité dans un article de Jean-Marie HENNAUX, SJ. - voir "Pastoralia" de mars 1998)

"Lorsque, dans quelques années, dans des églises plus ou moins vides, les autorités ecclésiastiques souscriront encore à ces déclarations œcuméniques avec pompes et cérémonies, elles penseront sans doute: dommage que tant de gens n'aient plus la foi pour se réjouir avec nous!"

***

Ce qui vaut pour la "mariologie" vaut pour tous les autres domaines du message chrétien.

Un domaine sensible est le langage du rituel de la confirmation. Est-ce qu'on se rend compte qu'on tient ce langage à des jeunes de 12 à 17 ans?

Cependant, il ne faudrait pas croire que la méprise ne touche que les jeunes. Ainsi, un de mes confrères qui était titulaire d'une classe de sixième latine (des garçons d'environ 13 ans) dans un grand collège de la capitale avait vécu la Confirmation de la majorité de ses élèves. Le lendemain du congé qui avait suivi cette célébration se révéla comme un jour de classe particulièrement pénible. Aussi, lorsqu'après la classe ce collègue nous rejoignit au réfectoire pour le goûter, il me dit: "tu me croiras ou tu ne me croiras pas, mais j'ai les trois quarts de mes élèves qui ont été confirmés samedi dernier... eh bien, ils sont aussi bêtes qu'avant!"

***

Je laisse évidemment à ce confrère la responsabilité de son affirmation. Mais - plus fondamentalement - revenons au langage de ce rituel de la Confirmation. La difficulté principale semble résider dans l'ambigüité du terme "donner" ou du terme "recevoir" quand il s'agit de !'Esprit. Comment un rite sacramentel peut-il "donner" l'Esprit? Que peut signifier, dans notre sensibilité culturelle d'aujourd'hui, que nous avons "reçu" l'Esprit Saint au baptême et que nous le "recevons" davantage par l'imposition des mains et l'onction d'huile de la Confirmation?

En particulier, dans le rite central de l'onction d'huile, on peut se demander si la formule "N., sois marqué(e) de l'Esprit Saint, le don de Dieu." ne gagnerait pas à mieux dissocier le signe du signifié. Telle quelle, cette formule ne correspond à aucun vécu expérimental. Le jeune est marqué de l'onction d'huile mais la relation avec l'Esprit - pour être crédible - doit être exprimée dans le registre du signe.

On pourrait suggérer par exemple: "N., comme cette onction d'huile signifie sa douceur pénétrante et son pouvoir de guérison, que l'Esprit du Seigneur puisse te communiquer sages­ se, intelligence, amour et force."

***

J'entends d'ici les protestations de ceux qui vont me dire: "Et que faites-vous de l'action efficace du Sacrement ?"

Je les renvoie à ce que disait mon confrère dont les trois quarts de sa classe avaient été confirmés. Et j'ajoute: "Chers amis, trouvez-nous un langage crédible, qui corresponde au vécu. Mais ne nous dites pas que c'est le paysage qui n'est pas juste !"

André Verheyen - LPC - 1998

12 mai 2018 6 12 /05 /mai /2018 08:00
Christiane van den MeersschautLangue de bois ou langue de feu ?
Christiane van den Meersschaut

Essai de lecture symbolique du récit de la Pentecôte en Actes 2- 1 à 42…

Des "hommes pieux sont venus de toutes les nations qui sont sous le ciel" (Ac 2,5) à Jérusalem. Il y a là, des Juifs de naissance et des convertis à la religion juive (v 11) ; des Asiatiques (v 9), des Africains (v 10), des Arabes (v 11), des Européens (v 10).Ils sont venus à Jérusalem pour faire une démarche religieuse, ils sont en quête de Dieu, ils ont un cœur disponible.

Alors qu'ils déferlent vers le Temple et que leurs voix disparates emplissent les rues, les disciples de Jésus, eux, sont calfeutrés, repliés sur eux-mêmes, vivant de leurs souvenirs, le cœur chargé de regrets.

Par la force de l'Esprit de Jésus qui vit en eux, le choc se produit. Les disciples comprennent que la Parole qui leur a été donnée ne se limite pas à l'hébreu ( l'hébreu était considéré par les Juifs comme la langue de feu, le feu symbolisant la présence de Dieu auprès des hommes, donc, la langue de Dieu) et au peuple hébreu (le peuple de Dieu) mais qu'elle doit se proclamer dans toutes les langues et à toutes les Nations.

Les disciples prennent conscience de leur mission. Ils sortent de leur enfermement, de leur peur et témoignent de Jésus à tous ces gens qui sont "profondément surpris" (v 7) d'entendre ces "Galiléens" (v 7) leur communiquer "les merveilles de Dieu" (v 11) dans "leur propre langue" (v 11).

La diversité des langues, des coutumes n'est donc plus un obstacle à la communication. Un peuple nouveau est en train de naître, l'humanité divisée (tour de Babel) est réconciliée et tout le monde entend et comprend l'annonce "des merveilles" de Dieu. On vit de l'Esprit et non plus de la lettre !

Mais il ne s'agit pas d'une unité qui pourrait se faire au prix de l'abolition des différences. Chacun doit rester lui-même, avec ses différences qui pourront devenir lieux d'échanges et d'enrichissement mutuel.

Le récit des Actes des Apôtres nous montre que Pierre, Philippe, Jean... reconnaissent que la Parole de Dieu est pour toute communauté ou culture qui est prête à recevoir Dieu et à faire alliance avec Lui. Ils adaptent, ils ajustent leur langage à chaque groupe d'auditeurs :

  • - aux Juifs de Judée (Ac 2,22,36) Reconnaissez Jésus comme le Christ. Reconnaissez que vous avez eu tort de le tuer. Reconnaissez que c'est bien Lui le Messie !
  • - aux Samaritains de Samarie (Ac 8,4-25) Convertissez-vous de l'idolâtrie. Renoncez à la magie. Vous n'avez aucune part au Royaume, si votre cœur n'est pas honnête devant Dieu.
  • - aux Païens de Césarée (Ac 10) Dieu n’agit pas différemment selon les nationalités (v 34), la parole de Yahvé n'est pas réservée aux seuls Juifs. L'Esprit donné par Dieu se répand aussi sur les non-Juifs (v 45).

Si les disciples ont pu parler "en langues" c'est parce qu'ils sont entrés en relation en changeant en eux-mêmes ce qui les coupait de cette relation aux autres : la peur, les idées reçues et non réfléchies, la langue de bois... C'est parce qu’ils rejoignent les autres dans leur vécu en utilisant leurs mots. Ces mots de tous les jours utilisés pour dire Dieu sont compréhensibles pour des cœurs disponibles et en recherche.

Et nous, héritiers de cette Parole, quelle est notre mission? Pour entrer en relation, sommes-nous prêts à changer notre langage, notre façon d’être ? Ou bien, avons-nous peur d'être déstabilisés en cherchant les clés de lecture du langage biblique ? Osons-nous utiliser une langue de feu compréhensible qui, grâce aux acquis de l’exégèse, parle clairement au cœur de nos contemporains.

Comme les disciples, laissons-nous guider, transformer par l'Esprit afin que nous puissions agir et vivre du même Evangile. Non pas dans une unité imposée où les diversités s'effacent, mais dans une communion où les différences sont vécues comme un lieu de communication d'une richesse inédite.

Christiane van den Meersschaut - LPC-1998

Bibliographie
  • "Actualité des Mythes" par André Wénin
  • "'Pierre préside à la naissance de l'Eglise" par André Tivollier
  • " Récit de Pentecôte" conférence de Danielle Lambrechts
  • ''La Vie" périodique n° 2 I 79 du 3/6/87
31 mars 2018 6 31 /03 /mars /2018 08:00
André VerheyenFaut-il réécrire l’Evangile ?
André Verheyen

Aussi étonnant que cela paraisse, c'est la conclusion à laquelle certains de nos amis arrivent lorsqu'ils se trouvent dans l'embarras devant des passages d'interprétation difficile, comme le sont souvent les récits de miracles ou d'apparitions du Christ ressuscité.

Et nous avons souvent entendu la question: mais pourquoi lit-on encore aujourd'hui ces textes qui conduisent sur de fausses pistes ?

Une question plus pertinente, qu’on nous pose souvent, est la suivante: pourquoi y a-t-il encore tant de prêtres qui parlent dans leurs homélies comme si les choses s'étaient historiquement et matériellement passées comme dans les récits évangéliques ?

On peut d'ailleurs en dire autant pour les cours de religion.

Voici une anecdote, un fait vécu parmi d'autres. Il y a quelques mois, une fille de 13 ans revient du lycée et me dit: "Le professeur de religion a dit que Jésus a marché sur l'eau. Mais moi, je ne crois pas ça!" Je lui demande: "Et elle n'a pas expliqué ce que ça veut dire? Elle n’a pas dit que c’est une image symbolique?"

Elle me répond : "Non. Elle a dit que c'est un miracle".

Il est clair que nous regrettons cette situation où on continue de donner des interprétations littérales ou "historicisantes" de passages d'évangile qui ont un genre littéraire particulier.

Il me semble qu'il y a deux raisons principales à cette situation: ou bien les personnes qui doivent donner le commentaire n'ont pas la formation nécessaire dans le domaine de l'exégèse ou du genre littéraire évangélique, ou bien ce sont des personnes qui optent consciemment pour des positions traditionnelles et pour cette lecture historicisante ou fondamentaliste.

Alors? Réécrire l'évangile? Non. Mais en donner un commentaire et des explications valables, certainement.

Nous n’allons pas repeindre les beaux tableaux des "Primitifs Flamands" sous prétexte que les scènes bibliques qu'ils représentent ne se sont pas passées en Flandre à l'époque post-médié­vale. Il suffira d'en donner un commentaire adéquat!

Dans cette optique, signalons l'excellent ouvrage "Pour lire LE NOUVEAU TESTAMENT" qu'Etienne CHARPENTIER publiait en 1981 aux éditions du Cerf. On y trouve des pages très éclairantes sur "Le genre littéraire 'évangile'" (pp. 18-19) et sur "Les genres littéraires dans les évangiles" (pp. 20-21).

J'évoquais ci-dessus deux possibilités: soit le manque de formation exégétique, soit l'option traditionaliste. Il faudrait y ajouter une troisième qu'on appelle, en politique, la langue de bois : on ne peut pas désavouer les prises de position officielles. Et donc, on fera les contorsions discursives les plus savantes pour prouver que, malgré tout, on ne s'est pas trompé et qu’il ne faut pas changer le discours.

On comprend que cette tentation touche fortement ceux qui pensent devoir défendre à tout prix des formules dogmatiques de nos Ecritures, de nos Crédos ou de nos Conciles.

Le cas le plus significatif, à l'heure actuelle, me semble être le foisonnement de littérature philosophico-théologique autour de la "chair" et du "corps" en relation avec l'idée de "résurrection de la chair ou du corps".

Ce problème n’est pas réservé aux spécialistes; il touche le peuple chrétien.

On a pu en voir encore récemment un exemple dans le courrier des lecteurs de l'hebdomadaire "Dimanche" (numéro 23 du 4 juin 2000). Un lecteur écrit: "Dans la brochure de Noël du Cardinal Danneels, ‘Passeport pour un nouveau millénaire’, je ne comprends pas bien le dernier paragraphe de la page 34 : "Il est d’ailleurs particulièrement important de dire à nos contemporains que la résurrection promise concerne d'abord notre corps".

On ne peut évidemment pas s'attendre à ce que "Dimanche" réponde: "Vous avez raison, Monsieur. Le Cardinal s'est mal exprimé. La Vie Nouvelle qui est visée par le terme traditionnel de "résurrection" est une réalité spirituelle." !

Mais il est regrettable qu'on entretienne le flou artistique par des considérations comme: "Notre corps dépasse le biologique. Il est matière pétrie d'esprit. Il a déjà quelque chose de spirituel. Ainsi un sourire est plus qu'une grimace physique. Il est l'expression de notre être profond, de notre vécu spirituel. Entre le corps et l'âme, il y a une relation profonde. Que serait une joie qui ne pourrait se dire dans un sourire? Mais que serait également une caresse qui ne ferait pas chaud au cœur ?.....

"Le corps est appelé à être transfiguré, transformé et non abandonné, échangé. Nous serons les mêmes, mais différemment.....! Et la cerise sur le gâteau: "C'est ce que nous voyons déjà réalisé en Jésus-Christ ressuscité. Telle est notre espérance. A Dieu, rien n'est impossible."

Manifestement, on n'a toujours pas tiré les leçons des affaires Galilée et Darwin!

Comme si notre foi chrétienne nous permettait d'en savoir plus sur le corps et l'esprit que les scientifiques et les philosophes...

C’ est dommage que je ne connaisse pas le lecteur qui a posé la question dans "Dimanche".

J’ aimerais tellement lui répondre: "Monsieur, tenez-vous-en à ce qu’a dit le premier Pape:

"Selon la chair il a été mis à mort; selon l’esprit il a été rendu à la vie" (première lettre de St Pierre III,18)"

André Verheyen - LPC - 2000

31 mars 2018 6 31 /03 /mars /2018 08:00
Herman Van den MeersschautDe Bellet à Lazare
Herman Van den Meersschaut

''Qu'est-ce qui nous reste quand il ne reste rien ?

Ceci : que nous soyons humains envers les humains, qu'entre nous demeure l'entre nous qui nous fait hommes." (1)

Extrait de "Incipit" de Maurice Bellet,

Ce petit ouvrage m'a poussé à aller retrouver dans l'Evangile cet expert en humanité qu'est Jésus.

M. Bellet dit que "si l'humain envers les humains venait à manquer, nous tomberions dans l'abîme de l'inhumain ou du déshumain, le monstrueux chaos de terreur et de violence ou tout se défait"(2).

Cela me semble bien rejoindre ce désir infini de Jésus de vouloir sortir les hommes de ces ténèbres d'inhumanité dans lesquelles souvent ils se débattent.

Si Jésus vient nous "sauver" de quelque chose c'est bien de cet abîme inhumain. Le vivre ensemble n'est possible que dans la communication vraie et sincère, la relation de confiance aux autres. Dès que la confiance est minée, c'est le chaos.

On peut remarquer dans les récits évangéliques que Jésus guérit surtout des affections qui coupent la communication, la relation ; qui excluent, qui déshumanisent l'individu qui en est atteint. Comprises symboliquement ces affections sont évidemment très significatives, puisqu'elles sont l'image de toutes nos aliénations, nos manques, nos souffrances que la société nous impose ou que nous nous imposons nous-même. Comme par exemple : nos aveuglements et nos manques de clairvoyance, nos mutismes volontaires ou forcés, nos manques d'écoute et nos ignorances, nos comportements fébriles, nos peurs devant l'action et nos lâchetés, nos esclavages, nos violences, nos folies, nos corruptions et nos compromissions, nos enfermements, nos morts spirituelles...

Voilà tout le tragique de la vie qui défile dans ces guérisons.

Dans l'Evangile un homme debout qui marche, va bien moralement. Un homme assis va déjà moins bien. Un homme couché va très mal et pour un homme mort il n'y a plus rien à faire. Pour nous peut-être, pas pour Jésus évidemment.

Je voudrais m'arrêter ici à cet homme mort de l'Evangile avec le récit de la "réanimation de Lazare" (Jean 11. 17 à 44). Ce récit qui n'a rien d'historique d'après les exégètes est souvent interprété comme une préfiguration de la résurrection de Jésus et comme un texte liturgique utilisé dans la catéchèse du baptême (3). Il présente dans cette optique une très grande richesse.

Mais au baptisé du 20e siècle que je suis, que me dit ce récit aujourd'hui? Quel chemin d'humanité me propose-t-il ? Je me risquerai donc, en toute liberté à une interprétation personnelle.

Prenons le récit au verset 17. Jésus arrive en pleine tragédie. Si l'on comprend la mort de Lazare comme image symbolique de toutes nos morts spirituelles, morales, sociales, relationnelles, on constate que la situation de celui-ci évoque celle de tout homme "écrasé" par les pires vicissitudes de la vie.

On peut remarquer qu'il n'y a aucun jugement porté sur Lazare. On ne sait pas ce qui a pu l'amener à être aussi radicalement coupé de tous et à se retrouver enfermé dans ces ténèbres.

J'y verrais tout être humain, qu'il soit victime ou bourreau, se retrouvant à un moment de son existence acculé dans cet abîme d'inhumanité symbolisé ici par le tombeau: les prisonniers ou les tortionnaires de tous les goulags, les affamés du Soudan, les victimes de tous les terrorismes et les égorgeurs intégristes ou plus près de chez nous le S.D.F. ou le réfugié en rupture totale avec la société... Ne nous arrive-t-il pas, à nous aussi de plonger parfois dans cet abîme ?

Ce qui est éclairant sur les intentions de Jésus, c'est le choix des noms dans ce récit.

L'exégète J.P.Charlier propose de l'intituler: Histoire de "Dieu qui fait miséricorde" (Lazare) dans la "Maison de l'abaissement" (Beth-anie).

Jésus va donc rejoindre celui qui s'est abaissé ou a été rabaissé par d'autres, être de cœur avec lui.

A Béthanie, il trouve tout le monde dans le désarroi le plus complet.

Mais aux versets 20 à 32 sa venue va provoquer tout un mouvement de réveil. Marthe sort de sa torpeur, interpelle Marie qui entraînera derrière elle une foule plutôt sceptique; mais tout le monde se retrouve finalement à l'endroit où Jésus se tenait: c'est-à-dire hors du village. Il nous faut donc absolument sortir du village de notre "moi" pour ouvrir notre cœur à la misère de nos frères.

Je verrais ici aussi un lent travail de conscientisation, de réveil des consciences devant l'urgence.

Jésus a dit à Marthe: Ton frère se relèvera, non pas comme tu le penses dans un au-delà lointain: mais ici et maintenant ! Y crois-tu? Il faut que l'Homme vive dignement aujourd'hui et non pas seulement dans un au-delà hypothétique!

La foi en nos possibilités, la confiance en nous-mêmes, voilà ce que Jésus réveille en nous.

Mais voilà qu'au verset 33, Jésus "frémit et se trouble " en les voyant se lamenter. On pourrait interpréter cela comme un signe d'impatience ou de déception devant l'inertie de cette foule prostrée. Ne disons-nous pas parfois, devant certaines de nos faiblesses que "c'est à pleurer" ?

Est-ce cela qui va décider Jésus? En tout cas au verset 34, il se lance et demande: Où l'avez- vous déposé ?

Il met ainsi tout le monde en mouvement (versets 38 à 44) malgré certaines réticences de Marthe. (v. 39)

On va voir où il en est.

La voie que Jésus propose est claire et s'articule en trois temps.

- D'abord "Enlevez la pierre". Otez d'abord ce qui oppresse l'homme : son angoisse, sa culpabilité, son ignorance, sa misère, sa faim. Attaquez-vous aux racines de son aliénation. Laissez pénétrer un peu de lumière dans ses ténèbres pour qu'il puisse voir où il en est, pour qu'il puisse respirer, se ressaisir et expirer à nouveau.

Oter la pierre est un travail difficile, qui se traduit dans les gestes simples et quotidiens.

C'est parfois plein de risque lorsqu'on se heurte aux structures mêmes de notre société.

- Ensuite c'est à Lazare de faire sa part : "Lazare, sors !" Il faut parfois qu'on nous secoue. Dans toute marginalisation, l'intéressé ne peut en sortir que si l'on lui témoigne un minimum de confiance, ce qui lui donnera la volonté pour faire un premier pas.

C'est ainsi que Lazare sort entravé de bandelettes et le visage couvert d'un linge. Il sort de son trou, il n'a pas encore retrouvé son autonomie, l'avenir est encore voilé.

- C'est alors que Jésus dit : "Déliez-le et laissez-le aller."

Voici à nouveau un long et patient travail de réhabilitation, de relèvement, de reconstruction, de libération, que seuls nous sommes incapables de réaliser.

Remarquez que Jésus, image du Père, ne fait rien lui-même. Mais son amour pour l'homme entraîne l'assemblée. Ce sera dans la communion fraternelle: le rassemblement des énergies que ses sœurs, ses amis vont ramener lentement Lazare sur le chemin d'une vie plus humaine. Une vie où il pourra à nouveau aimer et être aimé.

Voilà le chemin de résurrection que, personnellement, je découvre dans ce récit.

Un message interpellant qui nous rappelle que nous avons en nous-mêmes toutes les ressources nécessaires pour faire croître cet "entre nous qui nous fait hommes".

Et si nous tombons quand même dans l'abîme d'inhumanité, Jésus nous assure "qu'il n'y a pas d'homme condamné." (4)

Herman Van den Meersschaut - LPC - 1998

(1) lncipit de M. Bellet, p. 8 (retour)
(2) lncipit de M Belle t, p. 8 (retour)
(3) "Les miracles dans l'Evangile", J.-P. Charlier, pp. 67-68 (retour)
(4) lncipit de M. Bellet , p. 77 (retour)
31 mars 2018 6 31 /03 /mars /2018 08:00
bateau lpcCommentaire sur « Pourquoi Jésus a-t-il été mis à mort » de Fred C.Plumer
Xavier Berton

Envoyé par m. Xavier Berton (xavier.berton@wanadoo.fr)

J’ai aimé l’article de Fred C. Plumer à la fois pour nous dire que Jésus n’est pas mort pour nos péchés et aussi qu’il n’est pas un martyr intentionnel, mais je propose au-delà de la recherche de « raisons historiques circonstanciées», une réflexion directement issue des travaux de René Girard.

Je n’ai pas lu l’article évoqué où Fred C. Plumer explique pourquoi Jésus n’est pas mort pour nos péchés, mais depuis toujours j’ai été mal à l’aise face à cette affirmation culpabilisante sur le rachat. Je pense bien que c’est une déviance profonde qui n’a pas facilité « l’épanouissement » des chrétiens a minima. De même je n’envisage pas facilement l’hypothèse pourtant bien répandue du « martyr intentionnel ». Elle est très anthropomorphique et sans nuance, en présentant Dieu qui envoie son fils sur terre avec la certitude de le sacrifier pour racheter..., une vision pire que celle d’Abraham et Isaac. Souvent par le passé je me disais que Jésus était venu sur terre pour expliquer aux hommes qu’il leur fallait construire leur vie sur l’amour (et en relation avec l’Amour) et donc rejeter la violence. Malheureusement cette tentative a échoué et les hommes n’ont pas trouvé d’autre moyen que la violence pour se débarrasser de cet empêcheur de tourner en rond. Ainsi la crucifixion n’était inscrite mais était le fait de la non acceptation du message. Je me précisais dans ma tête que cette tentative, toujours répétée aux cours des siècles, échouait encore maintenant, mais que quotidiennement des exemples autour de moi me montraient la force, la puissance de l’amour… Et puis la lecture des livres de R Girard m’a donné des fondements plus argumentés à mon intuition, à ma réflexion. En mettant en évidence que le fondement de tous nos échanges et de nos règles de vie en société plus ou moins bien acceptées était une violence initiale à la fois responsable et fondatrice, une violence mieux encadrée, maîtrisée, « civilisée » par ces règles de nos jours, mais toujours présente. Il confronte cette hypothèse avec les mythes fondateurs de sociétés les plus diverses, ça marche. Puis il le fait avec la Bible, et là problèmes récurrents avec l’annonce et la venue d’un envoyé-sauveur, Jésus. Girard montre que Jésus, dans la suite des annonces des prophètes, essaye de faire comprendre ce mécanisme de la violence qui est présente dans toutes les relations et invite à construire sa vie sur l’amour (cf. Je vous révélerais « les choses cachés depuis la fondation du monde »). Il est rejeté comme dans mon intuition, mais la seule façon pour lui de mettre en lumière de manière radicale ce mécanisme de violence et montrer ainsi que l’amour est in fine plus fort, c’est de nous laisser, historiquement le peuple juif et les romains, mais nous au quotidien, aller au bout de notre seule réaction humaine naturelle, la violence, la mise à mort de l’empêcheur qu’il est.

On ne peut pas en conclure qu’il meure « à cause » de nos péchés, « par rachat », ce serait simpliste, et bêtement et stérilement culpabilisant, mais il y a un lien… De même il n’est pas « martyr intentionnel », mais allant au bout de notre logique et de nos armes, c’est une manière de s’offrir. D’ailleurs je n’ai jamais pensé que les martyrs, tel le Père Kolbe, avaient l’intention d’être mis à mort, mais ce dernier, comme ce gendarme qui vient de s’échanger contre une otage, a tout de même fait un acte volontaire à un moment, échange qui a entraîné sa mort. Par ce geste, il a montré sans le rechercher que l’amour par le don de soi était plus fort que la violence. Le seul fait de citer ces actes aujourd’hui est bien la preuve que l’amour est plus fort que la mort, la violence, et que le témoignage (involontaire) porte du fruit. Pour Jésus, ce me semble être la même chose avec en plus la résurrection, mais c’est une autre histoire même si c’est la suite… Ce message d’un Dieu qui nous aime et nous propose l’amour, est en soi suffisamment nouveau, « révolutionnaire » pour ne pas le maquiller de nos visions anthropomorphiques.

Xavier Berton

9 décembre 2017 6 09 /12 /décembre /2017 09:00
Christiane van den MeersschautDes images de notre enfance à une interprétation d'adulte
Christiane van den Meersschaut

Je rejoins P.de Locht, G.Ringlet et G.Fourez (LPC n°20 février 2007 pages 4, 5) lorsqu'ils parlent d'une foi libre et personnelle qui dépasse les images de notre enfance pour s'exprimer dans un langage d'adulte réactualisé dans notre culture contemporaine.

Ce travail n'est pas facile et même impossible pour beaucoup, d'après les confidences qui me sont faites ! Je voudrais partager avec vous, bien simplement, mon itinéraire.

Lorsque j'étais enfant (née en 1945), l'enseignement que j'ai reçu était envahi par le merveilleux et le mystère. Chacun sait combien ces deux composantes captivent tous les enfants du monde et font d'eux un public acquis d'avance. Jésus était le "Super héros" de mon enfance. Il était tout puissant, car il pouvait miraculeusement guérir, rendre à la vie, multiplier la nourriture, arrêter les tempêtes, marcher sur l'eau...

Quel enfant ne rêve d'avoir un pareil ami? Quel enfant ne rêve de lui ressembler? Dans ma foi enfantine, mon adhésion à Jésus était totale et inconditionnelle mais basée sur la toute- puissance de Jésus. ( aujourd'hui, elle l'est toujours mais basée sur le message d'amour de Jésus).

Cependant, à mesure qu'on grandit, petit à petit par la réflexion, des questions surgissent, des doutes s'installent. L'évangile est Bonne Nouvelle, mais en quoi est-il Bonne Nouvelle pour moi, pour mes proches, pour ceux qui sont derrière le Rideau de fer, pour les petits Congolais... me demandais-je? Malgré mes ferventes prières journalières, je constatais que les problèmes familiaux et les problèmes du monde.

Eh bien! Jésus ne les résolvait pas!

Commence alors pour moi, le temps de l'information, d'abord auprès de mes professeurs de religion, de mon aumônier de Patro, de la religieuse responsable de notre préparation à la communion solennelle, des prédicateurs de mes retraites...

Je ne recevais pas de réponses qui me conviennent, au contraire, cela engendra en moi en sentiment de culpabilité. On me disait que si j'osais poser pareilles questions, c'est que je n'avais plus la foi, (on me le dit encore parfois aujourd'hui, mais peu importe, car aujourd'hui je sais que personne ne peut mesurer la foi d'un autre. La foi est une relation personnelle entre Dieu et l'homme) qu'il fallait croire en bloc tout ce que l'on m'enseignait et que ce que je ne comprenais pas, c'était le mystère de Dieu, qui me serait révélé à ma mort, à condition d'aller au Paradis, ce qui ne serait peut-être pas mon cas! Il n'était pas question, sous peine de péché, d'oser remettre en question l'enseignement du magistère et c'est ainsi que mes éducateurs forgèrent en moi une conscience scrupuleuse qui m'empoisonna la vie.

Le temps passe. Jeune ado, je rencontre celui qui devait devenir mon mari. Tous les deux, nous sommes passionnés de Dieu, de Jésus. Nous en parlons librement, Herman achète une Bible en 1962, nous partageons nos questions et essayons ensemble de trouver des réponses par une mise en commun de nos lectures.

Plus tard, vers les années 1974, c'est avec J.P. Charlier que mon ciel va s'éclairer. Voilà quelqu'un qui m'ouvre tout grand une porte, qui fait reculer mes peurs en disant parfois des choses que j'avais ressenties sans oser les exprimer à haute voix, car je m'en sentais coupable. Voilà quelqu'un qui me pousse à prendre des libertés par rapport à l'enseignement que j'ai reçu, quelqu'un qui me déculpabilise, quelqu'un qui me communique un enthousiasme fou à vouloir aller toujours plus loin dans la compréhension des textes.

Et, c'est le début d'une nouvelle aventure. En premier lieu, il s'agira de se documenter pour découvrir les exégètes qui ont un langage crédible pour notre temps, ensuite lire, suivre des conférences et des cours. Recevoir leurs paroles, les manger, les digérer pour se les réapproprier afin qu'elles deviennent porteuses de sens dans ma vie, pour qu'elles me fassent vivre de l'amour de Jésus. L'évangile va devenir une Bonne Nouvelle compréhensible pour moi aujourd'hui. Quelle libération! Quel bonheur!

Pour illustrer cela, je prendrai dans l'évangile de Matthieu 14,22-32, l'histoire de Jésus marchant sur le lac pour essayer de montrer comment petit à petit ce texte est vraiment devenu une Bonne Nouvelle.

Quel enfant ne serait pas émerveillé par ce récit ? Ce texte suscite en lui une admiration sans borne pour ce Jésus qui a la toute- puissance de marcher sur l'eau sans couler. C'est bien une preuve, nous dit-on, que Jésus est Dieu, qui d'autre que Dieu pourrait faire cela? En plus, on nous enseigne que comme Pierre, si nous avions vraiment la foi, mais nous ne l'avons pas, on pourrait en faire autant. Tout est dit. Et c'est, ajoute- t-on, une Bonne Nouvelle !

Petite fille, je pensais qu'étant l'amie de Jésus-Dieu, qui était si puissant, je ne devais avoir peur de rien. Puisque je croyais en lui, comme toute ma famille, nous étions protégés et cela me rassurait, c'était une Bonne Nouvelle. Cependant, très vite, je me demande pourquoi les grands saints dont on m'a parlé, n'ont pas marché sur l'eau, car si nous n'avons pas vraiment la foi, eux devaient l'avoir puisqu'ils sont saints. A quoi ça sert que Jésus vienne nous montrer qu'il marche sur l'eau, si jamais personne d'autre ne pourra faire de même? En quoi est-ce une Bonne Nouvelle? A ces questions, la religieuse qui donne le cours de religion me met à la porte en disant que je suis un élément perturbateur. Moi, à la porte, je pleure d'être incomprise et de me sentir punie injustement!

En grandissant, plein de nouvelles questions sur cette interprétation se bousculent dans ma tête. Mais les réponses qu'on me donne se cachent derrière l'assurance de mon enseignant que "ma foi est petite et que j'ai douté"(MT 14,31.) Ces réponses, auxquelles je crois, ne me font pas grandir dans la foi, elles me culpabilisent et me rendent malheureuse.

Contrairement à certains d'entre- nous, je ne pense pas qu'être en recherche, qu'avoir des doutes est un état de crise, je pense au contraire que le doute et la recherche sont les marques d'un grand intérêt et des moteurs qui font avancer les choses.

Devenue adulte, j'apprendrai enfin, entre mille autres choses, que les miracles sur la nature ne sont pas historiques Que les auteurs les utilisent pour faire passer un message. Que nous devons en avoir une lecture symbolique. Quelle libération pour moi ! Quel travail aussi que dépasser ma culpabilité pour oser avoir une foi libre et personnelle ! Mais pour cela, il me faudra sérieusement me mettre à l'étude. J'apprendrai que Matthieu qui écrit son évangile vers les années 80 pour la communauté juive veut convaincre celle-ci que Jésus est le nouveau Moïse et qu'avec lui, c'est toute l'histoire d'Israël qui recommence. En effet, dès le début on peut y découvrir de très nombreux passages où il y a un parallèle entre la vie de Jésus et celle de Moïse. Dans le passage qui nous occupe (MT 14,22-32), nous pouvons aussi remarquer le parallèle que devaient certainement comprendre les contemporains de Jésus.

Dans un commentaire d'évangile (1987), Hyacinthe Vulliez disait à peu près ceci: Sachant que les Israélites pensaient que la mer était l'endroit redoutable de la demeure des puissances maléfiques et sataniques que Dieu devait vaincre pour que s 'accomplisse son dessein sur le monde, par son avancée paisible sur les flots déchaînés, Jésus révèle et affirme son pouvoir sur le mal. Comme Moïse, quand il ouvrit la mer pour faire passer les hébreux à pied sec. Pour Mt, Jésus est le nouveau Moise, le libérateur. Un Jésus que les disciples eux-mêmes ont quelque peine à reconnaître et, sans doute, à admettre, ils le prennent pour un fantôme. Pierre l'enthousiaste au caractère bien trempé, va demander à Jésus d'en faire autant. Mais pour ce faire, il ne lui est pas donné de pouvoir magique, c'est une invitation à la foi qu'il reçoit. Quand il croit, il domine les flots, quand il se laisse dominer par la peur, il est submergé. Ce récit s’ achève par le cri unanime de la foi des disciples : "Vraiment, tu es fils de Dieu"

Cette interprétation est beaucoup plus riche que celle qui me fut enseignée étant enfant et, on peut comprendre qu'elle était parlante et porteuse de sens pour la communauté juive contemporaine de Matthieu. L'auteur leur démontrait en s'appuyant sur leur tradition biblique que Jésus était bien le nouveau Moïse, un fils de Dieu. Il voulait déculpabiliser les juifs qui avaient quitté le judaïsme orthodoxe pour devenir disciples de "La Voie de Jésus" et convaincre les sceptiques de rejoindre la nouvelle communauté. En effet, il leur fallait une grande foi pour remettre en question toutes leurs traditions et affronter les persécutions dues à leur choix.

Une autre interprétation est de "dire l'importance de la foi en Jésus, ainsi que la difficulté de s’y maintenir. Sans une foi à toute épreuve, plus forte que tous les vents contraires, même le chef des apôtres ne pouvait poursuivre sa marche." (Evangiles de l'Acébac) La barque représentant l'Eglise qui devra subir des persécutions, des mésententes, des schismes, ... mais qui grâce à la foi de ses fidèles traversera les temps sans encombre jusqu'à l'autre rive (la fin des temps.)

Ces interprétations, ne me sont pas suffisantes pour être Bonne Nouvelle pour moi aujourd'hui et ici. Elles ne me semblent pas non plus porteuses de sens pour les enfants d'aujourd'hui.

En lisant le texte, toute une série de questions surgissent :

Les disciples sont invités à passer sur l'autre rive. Quelles sont pour moi l'une et l'autre rive ? Ma naissance, ma mort.

Les disciples sont invités à monter dans la barque. Quelle est ma barque? Tous ceux qui traversent ma vie, qui sont en relation avec moi de loin ou de près.

Il leur faudra traverser la mer, combattre les vents mauvais. Quels sont mes vents mauvais? Tout ce qui engendre le non-amour, mais aussi les malheurs indépendants de ma volonté ( guerre, mort ... )

Vers la fin de la nuit, autrement dit au petit matin Jésus apparaît. Quand est- ce pour moi la fin de la nuit? Quand enfin, les textes évangéliques deviennent Bonne Nouvelle, lumière dans ma vie.

Les disciples prennent Jésus pour un fantôme. Quand Jésus est-il un fantôme pour Moi ? Quand je ne reconnais pas dans un texte le chemin qu'il veut me montrer.

Pierre est capable de marcher sur l'eau. Quand puis-je marcher sur l'eau? Quand je vis les valeurs évangéliques autour de moi.

Pierre s'enfonce dans l'eau. Quand suis-je en train de me noyer? Quand je me laisse submerger par mon égoïsme, par mon orgueil.

Pierre crie. Quand puis-je crier ? Quand je fais confiance aux autres, quand je suis humble et sans artifices.

Jésus étendit la main et le saisit. Quand Jésus me prend-il la main? Quand je prends le temps de lui donner du temps, quand j'apprends à mieux le connaître par la méditation ou la prière.

Les disciples disent: « Tu es vraiment un Fils de Dieu ». Quand puis-je proclamer cela? Quand j'expérimente l'amour fraternel.

Jésus qui marche sur l'eau est comme un guide qui montre le chemin aux hommes pour traverser la vie, d'une rive à l'autre, de la naissance à la mort. La mer et les vents mauvais vont nous harceler, comme tous les malheurs qui assaillent les hommes; guerres, pauvreté, injustices, violences, indifférences ... Tous nous seront confrontés un jour ou l'autre avec la souffrance. Face à elle, si nous sommes en demande, la foi dans les valeurs évangéliques va nous permettre de sortir la tête hors de l'eau.

Si l'on crie, quelqu'un d'autre pétri de ces valeurs va nous tendre la main en nous donnant une parole de réconfort, un geste de tendresse, une écoute attentive, une présence chaleureuse, voire une aide matérielle.

Mais nous-mêmes, si nous sommes remplis de Jésus, à notre tour, nous entendrons le cri de celui qui se noie et nous pourrons lui saisir la main.

Ce texte m'apprend que d'une rive à l'autre, tout au long de ma vie, je serai tour à tour le demandeur et le donneur. Aux soirs d'incertitude, j'espèrerai des bras accueillants qui veillent sur mes pas, mais aux jours de clarté, je pourrai être lumière, chaleur et sens sur la route où cheminent tous ceux de ma barque. Et cela, en proclamant que Jésus est le chemin du Royaume ici et maintenant.

C'est pour moi, compris ainsi, un évangile Bonne Nouvelle.

Christiane van den Meersschaut - LPC- avril 2007.

11 novembre 2017 6 11 /11 /novembre /2017 11:37
Luc BossusCommentaires à propos de l’article « Des mythes qui donnent à penser » d’Herman Van den Meersschaut
Luc Bossus

Presque à la fin du texte, les phrases « Ce n’est pas parce que la Bible est un texte que l’on dit sacré ("parole de Dieu") qu’il faut renoncer à ce qu’on est en face d’elle. Au contraire même : dans un dialogue vrai, c’est faire honneur à l’autre que de lui résister et de rester soi-même en face de lui. » m’ont interpellé.

Non pas parce que je ne serais pas d’accord avec elles, mais simplement parce qu’il faudrait, je pense, y introduire une petite précision qui a son importance.

A mon avis, pour qu’un dialogue soit vrai, il faudrait qu’une condition soit remplie de la part de chacun. Cette condition, c’est de laisser la porte entr’ouverte pour que les idées de l’un et de l’autre puissent trouver un terrain d’accueil favorable dans l’esprit de chacun. Sans cela, chacun restera sur sa position en résistant aux arguments de l’autre… ! Et là, on ne sera plus dans un dialogue !

Pour permettre d’alimenter la réflexion à propos du « dialogue », voici quelques citations qui me semblent être intéressantes à ce sujet :

« Un véritable dialogue est une aventure dont on ne sait pas où elle peut nous mener. Chacun doit y venir en assumant son histoire, ses convictions. Et seuls ceux qui n’ont pas peur pour leurs idées sont capables de cela. C’est le contraire tout à la fois de l’intolérance et du consensus mou. » Guy HAARSCHER, Doyen de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’ULB

« Dialoguer vraiment, c’est reconnaître l’originalité de l’autre et chercher le meilleur en lui. Il y a des hommes libres partout et des enchaînés partout, plus nombreux que les hommes libres. » Gabriel RINGLET

« Le dialogue est ce moment qui consiste pour chacun à mettre provisoirement entre parenthèses ce qu’il est et ce qu’il pense pour essayer de comprendre et d’apprécier, même sans le partager, le point de vue de l’autre. » Dominique PIRE

Et ce moment peut être fabuleux quand il est vécu dans le respect !

Luc Bossus

14 octobre 2017 6 14 /10 /octobre /2017 08:00
Herman Van den MeersschautDes mythes qui donnent à penser
Herman Van den Meersschaut

Lorsqu'on aborde certains textes comme la naissance de Jésus, l'annonciation ou la résurrection, on peut constater qu'ils ne manquent pas de créer un grand malaise chez certains, quant au "sens" à donner à ces récits.

On sait que le Premier Testament fourmille de récits symboliques et mythiques. Les récits de la Genèse ne constituent-ils pas le mythe fondateur du peuple juif qui s'installe en Canaan et se construit ainsi ses origines.

Si beaucoup acceptent assez facilement le caractère mythique des récits de la Genèse, dès que l'on ose parler de mythe à propos des Evangiles, ils crient au scandale.

Et pourtant !

DREWERMANN n'a-t-il pas raison de dire que :

"Il y a longtemps que le vieil argument de l'historicité du Christianisme, mis en avant depuis l'époque des Pères de l'Eglise, ne fait plus le poids face aux données de l'histoire des religions: ce qui dans les traditions des "païens" n'est que pieuse invention (ou aveuglement diabolique) devient réalité historique dans le Christianisme ...

Si l'exégèse historico-critique se justifie et s'impose, c'est bien précisément parce qu'elle a mis en lumière le caractère an-historique, symbolique, des récits bibliques, de ceux-là mêmes qui constituent le noyau religieux de sa tradition." 1

J'ajouterais qu'il ne faut pas rester à ce constat, mais découvrir alors l'extraordinaire richesse qui se dégage de ces textes, une fois évacué leur "réalisme", leur "historicité".

DREWERMANN pense donc que :

"Les temps devraient être révolus où l'on ne voulait voir dans le monde des représentations mythiques qu'une étape préparatoire à la pensée scientifique, des temps où ce qui était mythique était synonyme de chimérique ou de faux." 2

André WENIN dit que "les récits mythiques, c'est de la philosophie racontée. Au lieu d'utiliser des notions abstraites, des concepts, les anciens recouraient à des récits, des images, des symboles."

Pour DREWERMANN aussi le mythe peut exprimer toute conception de la vie et du monde, il est une forme d'expression incontournable de la foi religieuse.

Mais, poursuit-il :

"Aujourd'hui comme hier, l'Eglise est incapable d'admettre la réalité du mythe dans les textes de la tradition chrétienne. Cette attitude conduit à ériger une sorte de tabou de la pensée qui veut que toutes les affirmations de la foi chrétienne soient "Révélations", tandis que toutes représentations païennes ne seraient que "nostalgie" ou expression des "désirs" des hommes." 3

"Révélation" : le mot est lâché. A partir de là, plus de discussion possible, seul le magistère détient la vérité. Ne serait-il pas plus sage, plus honnête de considérer le trésor qu'est la Bible comme un recueil dans lequel des hommes d'époques différentes nous livrent leurs réflexions, leurs recherches de sens, leurs découvertes concernant l'homme, la vie, la société et ce Dieu indicible qu'ils devinent derrière cet univers. Un Dieu se laissant dévoiler, plutôt qu'un Dieu se révélant à l'un ou à l'autre selon son bon vouloir.

Ces hommes l'ont fait à travers des récits, de la poésie, des mythes. Les auteurs des Evangiles n'ont rien fait d'autre. Le passage bref et fulgurant de Jésus dans leur vie les a bouleversés et a provoqué une réflexion, une vision nouvelle qu'ils ont exprimée avec les techniques littéraires de leur époque, dans des récits qui parfois empruntent d'anciens mythes qu'ils transposent sur la personne historique de Jésus. Personnellement, cela ne me gêne absolument pas.

J'aime beaucoup la façon dont André WENIN aborde les textes bibliques :

"Si on lit encore ces récits, c'est plutôt parce qu'ils abordent à leur manière des questions que nous nous posons encore aujourd'hui et qui touchent au sens de la vie : qui est l'homme ? Comment réussir sa vie ? Pourquoi le mal et la mort ? Etc. Mais si ce sont ces questions que le texte pose, il est clair que nous avons aussi notre avis à donner.

Lire le texte biblique, ce n'est pas y rechercher le sens. C'est entrer en dialogue avec lui, confronter notre point de vue au sien pour tenter d'aller plus loin dans la recherche de la vérité."

"Il faut bien se dire que, de toute manière, on interprète toujours. C'est vrai pour tout texte, biblique ou non. Lire, c'est interpréter; c'est-à-dire entrer en dialogue avec un texte. Et chacune, chacun dialogue avec tout ce qu'il ou elle est. Aussi, deux personnes ne feront jamais exactement la même lecture, ne comprendront jamais un même texte de manière identique. C'est encore plus vrai pour les mythes ou les récits mythiques, puisque non seulement ils parlent des réalités essentielles de la vie humaine, mais encore ils le font en racontant des histoires et en recourant à une symbolique particulièrement riche. Comme disent les philosophes, le mythe donne à penser, c'est-à-dire provoque la réflexion et demande qu'on s’y investisse, non seulement avec son intelligence, mais aussi avec toute son expérience de vie. Il ne s'agit donc pas uniquement de comprendre le mythe, mais aussi de se comprendre en dialogue avec lui.

Dans ces conditions, il n'est ni étonnant ni scandaleux que les interprétations varient. D'ailleurs, si l'interprétation était évidente et s'imposait, où serait encore la liberté du lecteur, sa part d'engagement, de responsabilité ? Du reste, ceci est vrai pour toute la Bible. Et si le livre est enfermant, il faut le fermer... De plus, les différentes interprétations sont une richesse. Car, quand elles entrent en dialogue, elles permettent d'aller plus loin dans la compréhension du texte et de ce dont il parle : il n'y a plus seulement dialogue entre un lecteur et le texte, mais aussi entre les lecteurs à propos du texte. C'est ainsi qu'on peut comprendre l'affirmation selon laquelle l'Ecriture se lit en Eglise.

Ceci dit, il faut ajouter que si la lecture est un dialogue, elle doit faire en sorte que les deux parties en dialogue puissent être vraiment elles-mêmes. D'une part, le lecteur ne doit pas avoir peur de rester lui-même, de garder ses questions et ses convictions face au texte. Ce n'est pas parce que la Bible est un texte que l'on dit sacré ("parole de Dieu") qu'il faut renoncer à ce qu'on est en face d'elle. Au contraire même : dans un dialogue vrai, c'est faire honneur à l'autre que de lui résister et de rester soi-même en face de lui. C'est ainsi qu'on lui ouvre un espace pour qu'il puisse être lui-même en vérité, lui aussi." 4

Voilà, c'est bien dit et je ne puis qu'approuver.

Et vous, qu'en pensez-vous ?

La personne qui m'a dactylographié ce texte, avait été frappée par cette phrase "rester soi-même en face de lui". C'était pour elle comme une découverte. Cela montre bien à quel point le "tabou" dont parle Drewermann est encore profondément ancré dans l'éducation de beaucoup de chrétiens. Etre soi-même en vérité ! Nous voilà bien dans l'esprit L.P.C.

Herman Van den Meersschaut - octobre1998

(1) E. DREWERMANN: "De la naissance des dieux à la naissance du Christ", p. 34 (retour)
(2) idem p. 34 (retour)
(3) idem p. 34 (retour)
(4) André WENIN: "Actualité des mythes" p. 9 et pp. 133-134 (retour)
16 juillet 2016 6 16 /07 /juillet /2016 16:56
ABBA Père
Edouard Mairlot

1. L’épitre aux Galates ...il y a 50 ans

Le Concile Vatican II venait de se terminer. Un premier pas avait été franchi : on quitte le latin. C’est un temps de créativité liturgique et de chants religieux nouveaux. Un régal !... Il était clair cependant pour l’auteur de ce texte que ce changement amorcé dans l’Eglise ne pouvait que s’étendre et se radicaliser. Cet esprit de changement devait rapidement toucher tous les secteurs de la vie de l’Eglise. L’Eglise lui paraissait figée, bloquée, dans des rites, des dogmes, des structures dépassées.

De formation scientifique, il avait perçu quelques années auparavant qu’un « nouveau langage » était nécessaire pour exprimer sa foi chrétienne de façon crédible dans cette nouvelle culture qui était en train de se développer. Mais il ne savait alors rien de ce que cette exigence qu’il pressentait pouvait bien signifier.

Il terminait alors quatre années de théologie. Il en avait attendu beaucoup. Mais affronté à la théologie enseignée à l’époque – celle de « toujours » - il n’y avait rien trouvé pour avancer. L’enseignement reçu alors en exégèse était, disons, embryonnaire. Mais depuis peu la lecture de la bible nourrissait nombre de groupes et de chrétiens en recherche. Aussi comprit-il qu’il ne perdrait pas son temps s’il lisait attentivement l’Ecriture. C’était en même temps une façon de remonter aux origines pour pouvoir repartir ensuite autrement. Il y fit bien des découvertes. Mais l’une d’elles allait être déterminante et lui donner enfin une nouvelle compréhension qui deviendra vite une fondation renouvelée à « la foi de sa jeunesse ». Ce fut la Lettre de Paul aux Galates. Donnons-en ici une vue d’ensemble qui permette de mieux la comprendre, d’en saisir les enjeux et d’en dégager l’essentiel.

1.1 Cette Lettre paraissait bien compliquée par moments, en particulier quand elle semble se perdre pour nous dans les méandres d’une discussion rabbinique qui nous échappe largement. Son enjeu était cependant très concret: un païen qui découvre le Christ ne doit-il pas d’abord se convertir au judaïsme et faire sienne la loi juive dans tous ses détails ? Il devrait donc se faire circoncire. Celle-ci se faisait normalement dès la naissance. Mais ce n’est pas rien pour un adulte. Les conclusions de la Lettre seront cependant aussi claires que radicales : vous, mes frères c’est à la liberté que vous avez été appelés... Un seul commandement contient toute la loi en sa plénitude : tu aimeras tout prochain comme toi-même. (Gal 5.13-14) Elle raconte quel fut l’itinéraire – et les combats - de Paul. Comment en est-il arrivé là ?

Vous avez entendu... avec quelle frénésie je persécutais l’Eglise de Dieu et je cherchais à la détruire ; je faisais des progrès dans le judaïsme... par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. (Gal 1.13-14) Mais je reçus une « révélation de Jésus-Christ. » (1.11) ... quand Celui, qui dès le sein materne (1) m’a mis à part, daigna révéler en moi son Fils. (1.15-16) Et aussitôt, je partis annoncer ma foi nouvelle en Arabie, puis je revins à Damas. Après 3 ans, je montai à Jérusalem et je demeurai quinze jours auprès de Céphas... mais j’étais personnellement inconnu des Eglises de Judée. (1.22-23)

Ensuite, au bout de quatorze ans, je suis monté de nouveau à Jérusalem... Or, j’y montai à la suite d’une révélation et je leur exposai l’Evangile que je prêche parmi les païens ; je l’exposai aussi dans un entretien en particulier avec les personnes les plus considérées, de peur de courir ou d’avoir couru pour rien. (2.1-2)

Paul a donc reçu une révélation de Jésus Christ (1.11). Il a le souci primordial d’être en accord avec Pierre qu’il a déjà rencontré ; mais une autre révélation (2.1) le pousse à bien vérifier s’il est oui ou non en communion avec ceux de Jérusalem. Cette unité dans la foi commune en Jésus est vitale à ses yeux. Et la question essentielle paraissait toute simple : fallait-il circoncire les païens convertis au Christ ; ainsi Tite, un de ses compa - gnons de voyage, un Grec ? (2.3) Des juifs convertis venant de Jérusalem venant à Antioche, une ville païenne, déclaraient que si. On se réunit donc, et ce fut ce que l’on appellera plus tard le premier concile de l’Eglise naissante à Jérusalem. (Ac 15) La réponse fut négative. Les notables n’ont rien ajouté à mon Evangile. Jacques, Céphas et autres colonnes de la communauté... nous tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion. A nous d’aller aux païens, eux à la Circoncision. (2.9)

Cependant Céphas vint peu après à Antioche ; il prenait ses repas avec les païens convertis. Mais vinrent des juifs convertis, de l’entourage de Jacques à Jérusalem, et il n’osa plus le faire devant eux. Et d’autres firent de même. Paul dit alors à Pierre devant tout le monde : ton attitude n’est pas cohérente. Toi, juif converti tu vivais à l’aise avec des païens, convertis tout comme toi ; et voilà que tu as peur d’autres juifs qui veulent imposer les usages juifs à ces mêmes convertis. Ce n’est pas ce qui fut décidé à Jérusalem. (2.11-14)

1.2 Pour Paul, l’enjeu était de taille : ou c’est la pratique de la loi qui compte - qui sauve - ou c’est la foi au Christ. Or, écrit-il, je vis désormais selon le don de Dieu ... dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est livré pour moi. C’est désormais le Christ qui vit en moi... Je suis crucifié avec le Christ... Si la loi pouvait nous sauver, alors que nous sommes tous pécheurs, cela signifierait que le Christ est mort pour rien. (2.15-21)

Vous m’avez accueilli, rappelle-t-il aux Galates, sans mépris, ni dégoût, alors que j’étais malade. (4.12-14) Je vous ai alors dépeint les traits de Jésus Christ en croix. Vous avez alors cru à la prédication que je vous faisais. Et, de Dieu, vous avez alors reçu l’Esprit qui a fait des miracles parmi vous. Votre vie en a été transformée. (3.1-4). Vous ne saviez comment me remercier. (4.15). Or tout ce vécu n’a rien à voir avec la loi. Comment pourriez-vous l’oublier. (3.5 & 4.16)

Jusqu’ici Paul n’a fait que rappeler des faits : ce que fut son expérience personnelle ; puis ce que vécurent avec lui les membres de la communauté des Galates. De plus, réunis à Jérusalem, on était bien d’accord : tous reconnurent que le message d’amour de Jésus crucifié s’adressait indistinctement à tous, qu’ils soient juifs ou païens (2). N’en déplaise à certains juifs de l’entourage de Jacques, le frère de Jésus, à Jérusalem, il n’est donc pas nécessaire de se plier à la loi juive, ni à la circoncision qu’elle impose.

1.3 Paul va maintenant argumenter avec eux. Le fil de cette discussion entre experts du premier Testament, ramenée à son essentiel, est finalement assez simple. Peut-elle, telle quelle, pleinement nous convaincre alors que tout ce passé juif nous concerne assez peu, pensons-nous, et surtout que nous ne le connaissons quasi pas? Pour Paul, elle est une étape de son raisonnement qu’il va prolonger et dépasser ... en nous renvoyant à son propre vécu qui est aussi notre vécu intime.

Tout repose sur le fait qu’Abraham crut en Dieu (3). Et en conséquence, Celui-ci lui fit la promesse suivante: « en toi seront bénies toutes les nations. » (Gn 12.3) Si bien que ceux qui se réclament de la foi sont bénis avec Abraham (3.6-8). Or la loi, sur laquelle s’appuient ses opposants, n’est apparue qu’après quatre cent trente ans. (3.17) Celle-ci ne peut donc se substituer, voire s’opposer (3.21) à cette promesse.

De plus, la loi est incapable de communiquer la vie. (3.21) Elle ne fait que nous rendre conscients de nos transgressions de celle-ci (3.19) et elle devient alors source de malédiction. (3.10) Tous, elle nous a enfermé sous le péché afin que la promesse, par la foi en Jésus Christ, appartienne à ceux qui croient. (3.22)

Cette loi, sous la garde de laquelle nous étions enfermés, eut cependant un rôle positif. Ainsi nous servit-elle de pédagogue jusqu’au Christ. C’est alors que : par la foi au Christ Jésus, nous avons découvert : que nous étions tous fils de Dieu. (3.23-27) C’est ainsi que le temps de la loi est désormais terminé. Mais alors : il n’y a plus ni juif, ni grec. Et de même n’y a-t-il plus ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme... vous êtes tous de la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse (4). (3.28-29)

1.4 Telle est donc ma pensée, poursuit Paul immédiatement : aussi longtemps que l’héritier est un enfant, il ne diffère en rien d’un esclave, lui qui est maître de tout. Comme cela se faisait dans le monde romain, il est soumis à des tuteurs et à des régisseurs jusqu’à la date fixée par son père. (4.1-2) Lorsque l’enfant est sorti de l’enfance, celui-ci prendra alors sa formation en mains et il lui apprendra à se comporter pour qui il est réellement : le fils, le successeur, l’héritier (5). Et nous, de même, quand nous étions soumis aux éléments du monde, nous étions esclaves. Mais quand est venu l’accomplissement du temps, Dieu a envoyé son fils... pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu’il nous soit donné d’être fils adoptifs (6). (4.3-5) Et la preuve que vous êtes des fils (7), c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’esprit de son fils qui crie : Abba-Père.

Telle est donc l’expérience fondatrice qu’a faite Paul, une révélation, une expérience toute intérieure. (1.12) Il en parle en grec comme d’une : apokalupsis. Et il va utiliser le même mot pour nous expliquer ce qui l’a décidé pour monter à Jérusalem (2.2). Ici, Paul a pu percevoir que Jésus vivait sa relation au mystère de Dieu d’une manière toute autre que la sienne qui était cependant un vrai juif. Et il a accepté d’y risquer sa vie, au point d’accepter d’en mourir par fidélité intérieure. Paul, alors qu’il persécute ceux qui le suivent, va « comprendre » que ces derniers ont raison. Il va devenir l’un d’eux. Et ce Jésus, cet homme Jésus, deviendra tout pour lui. Devenus à notre tour, disciples de Jésus de Nazareth, nous reconnaissons qu’en nous aussi une voix crie Abba. Nous la découvrons quand nous nous approchons dans le silence du mystère de Dieu en nous et que nous nous abandonnons à lui dans la confiance.

Il faudra cependant revenir ultérieurement sur ce mot : sa richesse, mais aussi ses ambiguïtés possibles, et même ses limites bien réelles. Après Bonhoeffer évoquant la fin « du dieu bouche-trou de nos ignorances » ; et tant d’autres, dont R. Lenaers qui nous montre que la dualité terre/ciel ne tient plus quand on parle du divin. Bref, ce mot est-il encore adéquat dans notre langage d’aujourd’hui ?

1.5 Le chapitre quatre, ne nous apprend rien de neuf qui soit bien éclairant. La suite, par contre, tire les conséquences de cette expérience de l’Abba que nous reconnaissons présent en nous. A ce moment, aucune ambigüité ne sera plus possible, comme nous allons le voir.

C’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés. Donc tenez bon et ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage. (5.1) écrit Paul. L’observance de la loi ne sert de rien. Mais si vous voulez quand même vous y fier, vous en devenez l’esclave et vous rompez alors avec le Christ.

Il va reprendre et préciser : Vous, frères, c’est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair ! Mais, par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres. Car la loi toute entière trouve son accomplissement en cette unique parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même. (5.13-15)

Tout est dit et, cette fois, sans plus aucune ambiguïté possible. L’expérience intime que nous sommes appelés à vivre, chacune et chacun, montre son authenticité dans ses conséquences et les fruits qu’elle fait murir. Nous conduit-elle à cette liberté et cet amour fraternel ? Cet amour pour tout un chacun, juif ou grec... ou étranger quel qu’il soit... homme ou femme ? (3.28) Pensons évidemment aussi à la relation de couple.

Quel que soit le nom que l’on puisse aujourd’hui attribuer à Dieu ; et il arrive de plus en plus souvent que l’on ne lui en reconnaisse aucun qui serait suffisamment authentique pour que l’on puisse le faire nôtre ; ou encore que l’on se déclare « agnostique » ; si nous ne sommes à l’aise dans aucune religion... l’essentiel n’est pas là. Quel est notre comportement dans la vie ? Savons-nous aimer ? Est-ce bien la seule loi qui nous guide dans le quotidien ?

1.6 Tout est dit et bien dit, semble-t-il. Mais voici que Paul se fait bien réaliste sur notre réalité humaine. Ecoutez-moi : marchez sous l’impulsion de l’esprit et vous n’accomplirez plus ce que la chair désire. ... Entre eux c’est l’antagonisme ; aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez. Mais si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes plus soumis à la loi. (5.16.18)

La suite est toute simple... à comprendre en tout cas. Un antagonisme entre « la chair » et « l’esprit » ? Paul va reprendre toute une liste des œuvres de la chair :

libertinage, impureté, débauche,
idolâtrie, magie,
haines, discorde, jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions, envie,
beuveries, ripailles
. (5.19-21)

(Nous les avons regroupées par familles ; « la chair » n’est pas que le sexe)

Mais voici le fruit de l’esprit :
amour, joie, paix,
patience, bonté, bienveillance,
foi, douceur, maitrise de soi ;
contre de telles choses, il n’y a pas de loi
. (5.22-23)

Toute cette réalité demande-t-elle plus d’explications ? Cela n’irait-t-il pas de soi en quelque sorte ?

Pour Paul, en tout cas, l’objectif est clair : Il s’agit d’être une créature nouvelle. (6.15) écrit-il de sa main tout en fin de cette lettre.

Edouard Mairlot - 23.05.16

(1) Référence à Jérémie 1.5 (retour)
(2) Dieu ne fait pas acception de personne (2.6)... signifie n’a pas de préférence pour certains. (retour)
(3) Citation de Gen 15.6. (retour)
(4) Ce texte peut nous paraitre bien dépassé en ces temps de mondialisation. La démocratie cependant, qui déclare chacun libre et égal, quelle que soit sa race, est née dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Elle est en crise actuellement et cherche de nouvelles voies pour progresser. L’esclavage a, en principe, été supprimé dans la seconde moitié du XIXème siècle. Il continue cependant plus que jamais sous la forme de l’oppression des pauvres par les riches. Cette toute puissance de l’argent ne respecte rien ni personne, épuise les ressources de la planète, perturbe gravement le climat, réduit la biodiversité... Quant à « l’égalité homme-femme », reconnaissons qu’on n’y est pas encore arrivés... Et, c’est à nous de prendre nos responsabilités et de prendre en mains tous ces problèmes... (retour)
(5) Selon la loi romaine, il sera « adopté ». Le terme s’appliquait tant à celui qui est génétiquement son fils qu’au fils « adopté » si le premier fait défaut. (retour)
(6) Reconnu pour ce qu’il est : un vrai fils. Voir note précédente (retour)
(7) Traduction de la Bible de Jérusalem, préférée ici à celle de la TOB : Fils, vous l’êtes bien (retour)