Né en 1932, Bernard Feillet fut ordonné prêtre à Paris, en 1958. Son ministère le plus décisif fut sans doute celui du Centre Spirituel St Bernard à Montparnasse où, dans la mouvance conciliaire, sous l'épiscopat du très humble et chaleureux Cardinal François Marty, et dans la dynamique de mai 68, il tenta de donner chair à son intuition d'une Eglise faite pour offrir à chacun un espace, des conditions d'accueil et une écoute favorables à une libre recherche spirituelle. L'avènement du cardinal J.M. Lustiger à la tête du diocèse marqua, pour cette expérience, une période de turbulences. Depuis lors, ayant travaillé longtemps dans l'édition, il se consacre à partager avec le plus grand nombre les fruits d'une réflexion et d'une méditation profondes et incisives.
"L'étincelle du divin" : ce petit ouvrage est plus la compilation ordonnée de diverses conférences, interventions ou articles donnés par l'auteur entre 1999 et 2004, qu'un exposé systématique sur les questions abordées. D'où, parfois, des redites et des reprises qui ne facilitent pas le compte rendu. Mais c'est aussi et surtout un "témoignage", voire une longue confidence sur la trajectoire humaine et spirituelle d'un "chrétien" qui n'a jamais cessé de se laisser bousculer par la vraie vie, la vraie rencontre avec le "frère" humain, au détriment des a priori et des idées reçues.
La pensée de Marcel Légaut est omniprésente dans ce cheminement, comme source de questionnements fondamentaux, mais aussi comme incitation à poursuivre l'aventure au-delà des intuitions de ce grand spirituel.
N.B : Dans le travail qui suit, les titres des chapitres sont ceux de l'auteur. Tous les passages en cursive sont repris de l'auteur. Les passages en caractères gras sont mis ainsi en valeur à l'initiative du rédacteur de ce résumé.
Ouverture. ( p. 9-11)
Cette brève introduction à l'ensemble prend acte des conditions nouvelles dans lesquelles se pose aujourd'hui, en Occident, la "question de Dieu".
Au fur et à mesure que l'interrogation spirituelle du monde occidental se dégage de la prégnance de la théologie chrétienne concernant la divinité de Jésus et la domination d'un Dieu tout-puissant qui dirige le monde et dicte sa révélation à ses prophètes, la question de la religion est radicalement déplacée.
Désormais, cette question interroge l'avenir, et ne cherche plus une réponse dans les siècles passés (…) la question se porte sur des espaces inexplorés, que la personne de Jésus ne suffit plus à baliser.
De plus, la question s'est déplacée, d'une communauté de croyants appuyés sur une tradition et sur des écritures, pour devenir celle de l'individu (…) : l'être singulier en qui la question de Dieu se pose de manière singulière.
On ne peut donc plus, désormais, séparer la question de Dieu de l'homme qui se la pose.
Il ne s'agit plus, comme le font les religions, de partir de Dieu pour définir l'homme, mais de partir de l'homme pour explorer son émergence vers le divin.
Ce nouveau questionnement, au sein d'un monde volontiers "athée", pourrait être une chance de sauver Dieu de l'idolâtrie.
De plus, on passerait de la question : qui suis-je devant Dieu ? (où Dieu m'est extérieur et me fait face) à la question : Que devient Dieu en moi ?
Devenir soi. (p. 13-20)
Reprenant ici le titre de l'ouvrage de Marcel Légaut, Bernard Feillet invite chacun, dans ce chapitre, à partir de sa propre expérience, à se réapproprier sa vie, en la confrontant non plus à un a priori "religieux", mais sous l'angle de notre simple appartenance à l'humanité, au sens le plus vaste.
Il s'est agi, dans son cas particulier, de mettre de côté la question de quel "prêtre" ? et dans quelle "Eglise" ? pour revenir à la question décisive : quel homme suis-je devenu ?
C'est rejoindre le destin commun de l'humanité et penser comme l'homme existant aujourd'hui, investi de l'interrogation de l'humanité entière sur son existence tout en admettant, selon lui, que penser l'humanité et se penser soi-même est impossible sans mettre Dieu en cause.
La confrontation à l'absolu demeure, mais juste pour nous obliger à admettre qu'en notre humanité, tout est relatif et qu'en dehors de ce relatif, il n'y a pas d'autre espace pour que l'humanité puisse se dire et puisse s'accomplir.
Et reste aussi, bien sûr, que je ne peux me découvrir vivant, sans me percevoir mortel.
Ce qui me met, comme tous, devant la "question essentielle" (la question de Dieu). Question qui, dans l'espace de cette vie, pour l'auteur, ne recevra aucune réponse.
Il s'agit donc de revenir à notre dimension d'humanité et de nous investir passionnément dans la seule tentative qui demeure à notre portée, qui est la tentative d'aimer.
Car, si la question de Dieu demeure "essentielle", finalement, la question existentielle est d'amour.
Bernard Feillet "reconnait" ainsi que ses motivations de toujours, même "religieuses", n'ont jamais été que la quête du bonheur, pour lui et pour autrui.
Il dit avoir rangé l'impossible salut au rayon des accessoires (…) et s'être désintéressé de tout ce qui n'était pas pour le bonheur, de ce qui n'était pas au service de la vie, pour devenir attentif en chacun à la tentative d'aimer.
Et de nous proposer cette belle formule d'adéquation simplement humaine avec soi-même : Que dire de ce qui me fait vivre ? Etre avec chaque être ce que la vie me donne d'être.
Une parole forte. ( p. 21-28)
Dans ce chapitre, Bernard Feillet invite chacun à se réapproprier le droit et le devoir de "prendre la parole", évoquant la force d'une parole personnelle et ses limites.
Selon lui, toute prise de parole est une prise de risque. Risque par rapport à soi-même (…) Celui qui intervient (…) se met en danger de contradiction entre ce qu'il a été, ce qu'il est et ce qu'il devient.
Mais risque aussi, parce que toute parole décisive, qui implique une mise en cause de soi-même, affecte les contours de la vérité établie et déstabilise le sujet par rapport à la base de la position commune. (…)
Par conséquent, il faut bien s'attendre à ce que la parole qui révèle l'être dans sa recherche de vérité engage un risque pour la parole dogmatique.
Déstabilisante pour l'institution, la parole de l'individu implique le risque assumé de conflit. Conflit qui autorise à contredire l'autre, sans nier l'autre.
En effet, le droit et le devoir de prendre la parole suppose forcément celui de laisser la parole à l'autre.
Dangereuse donc, la parole authentique est totalement justifiée par la nécessité pour l'individu de ne pas nier son existence, de ne pas oublier d'exister.
Mais, en revanche, plus l'individu reconnait qu'il parle à partir de sa propre existence (…) plus il ne peut témoigner que de lui-même.
Ce qui pose la question de la validité du témoignage : L'individu peut-il témoigner de Dieu ? L'individu peut-il témoigner de sa foi ?
Pour l'auteur, en tant qu'individu, je ne peux pas témoigner de Dieu. Et, si je parle comme tous les autres réunis, je ne témoigne de rien non plus.
En revanche, s'il s'agit de témoigner de sa foi, l'individu le peut, tout en sachant qu'il ne témoigne pas de Dieu, mais de sa foi en Dieu, c'est-à-dire de son être propre.
Finalement, il n'est possible de parler que de ce dont on est responsable et de ce pourquoi on compromet sa vie. On ne peut tenir une parole forte en dehors de sa propre vie. Mais, à partir de là, l'individu qui prend la parole, au creux de sa modestie, cerné par les limites de sa présence au monde, dépendant de son lieu et soumis aux connaissances et aux contraintes de son temps, doit être investi de la conviction de son être unique (…) Il lui appartient d'être soi, et donc insoumis.
L'homme à la recherche de sa divinité. ( p. 29-45)
Depuis des siècles le christianisme a posé la question de Dieu en partant de Dieu. Nous tentons aujourd'hui de la poser à partir de l'homme.
Ici Bernard Feillet, s'inspirant directement de la pensée de Marcel Légaut, paraphrase le titre de son ouvrage "L'homme à la recherche de son humanité", pour aller encore au-delà : la recherche de sa divinité.
Dans cette démarche, un impératif préalable : tenir Dieu à distance.
C'est-à-dire : Ne pas parler à la place de Dieu, ne pas solliciter son intervention, que ce soit pour le monde, pour le déroulement de l'histoire ou dans ma vie, ne pas lui imputer notre projet dans nos décisions et dans nos entreprises, ne pas lui attribuer la naissance historique et culturelle d'une religion plutôt que d'une autre, ne pas lui donner l'image d'une personne qui pense le monde et le dirige, en un mot, ne pas l'imaginer et ne pas l'utiliser, fût-ce pour les meilleures causes.
A la lecture de "Devenir soi", l'auteur confie avoir découvert que notre parcours, nettoyé de tout "surnaturel", n'est rien d'autre que notre parcours, mais que le mystère de Dieu, inhérent à cette vie, (…) appartient en propre à chacun d'entre nous.
Il propose donc, à celui qui voudrait aller à la découverte de sa divinité, d'entreprendre le récit de sa propre vie, en commençant par reconnaitre que tout ce que nous avons reçu de l'histoire, de la culture, des traditions religieuses et de la tradition biblique, peut être compris (…) comme le récit d'une humanité à la recherche de sa divinité. Aventure collective, dans laquelle nul n'est seul, mais où chacun est unique, dans un "récit" qui est en cours et s'invente chaque jour.
Pour lui, l'œuvre de Légaut est comme l'autobiographie d'un croyant à la découverte de sa divinité dans l'exploration de son humanité.
La grande question (…) atteint chaque individu en ce moment de l'histoire qui est le sien. C'est-à-dire que la question (…) est toujours contemporaine de l'homme vivant. Ainsi en fut-il de Jésus : la singularité de Jésus et le récit de sa foi (…) nous convoque, nous les vivants d'aujourd'hui, à être chacun créateur de la parole singulière qui ne peut être prononcée que par nous.
La foi n'est pas tant de croire en Jésus, mais d'inventer notre foi singulière dans le dynamisme de la foi de Jésus.
En effet, nous avons cru que l'essentiel de la foi était de croire en Dieu. Et c'est ce qui nous a handicapés pour apprendre à laisser Dieu devenir Dieu en nous. (…)
En chacun donc, le récit de la foi implique, à la fois de se reconnaître unique comme étincelle du divin, et d'être solidaire de la naissance de Dieu dans l'humanité entière.
En l'homme, la trace de l'infini. ( p. 47-57)
Ici, Bernard Feillet aborde la vaste question de la "spiritualité".
Il a cette belle définition de la spiritualité : ce qui anime et révèle le dynamisme et l'intensité d'une vie.
Bien sûr, chez nous, chez les croyants comme les incroyants, la spiritualité reste marquée par la culture chrétienne occidentale qui est la nôtre.
Il y a lieu d'être modeste, d'avoir conscience du caractère singulier de notre expérience (…) et de ne pas considérer comme le monde entier ce qui n'est que notre jardin…
Il convient donc de rester attentif à tous les autres courants spirituels(…) parce qu'ils rejoignent, dans un autre contexte, les questions de nos (…)contemporains.
Et ceci d'autant plus qu'en Occident (…) l'expression traditionnelle de la foi est devenue incroyable. Beaucoup de chrétiens sont passés insensiblement de la foi affirmée, selon les termes qui leur avaient été proposés, à la découverte de la spiritualité. L'espace de la spiritualité s'est ouvert à eux au-delà des balises de leur foi.
Ainsi, pour l'auteur, la spiritualité est, comme la prière, une attitude de l'être… un détachement… une purification du regard… intime, au plus profond de chaque être ; elle lui donne de rencontrer tout autre au plus profond de son être.
Ceux qui sont entrés dans cette aventure ne savent plus s'ils peuvent se dire croyants de la foi commune, mais se reconnaissent habités et reliés par une spiritualité (…) qui est chrétienne et (…) intimement liée à celle qui animait Jésus.
Un Jésus qui ne leur semble pas tant un modèle, encore moins une incarnation de Dieu dans notre humanité, toujours présent et à l'œuvre parmi nous, mais une suggestion pour déceler dans l'humanité contemporaine les traces du mystère de Dieu (…) un guetteur de la présence du divin en tout homme.
Bernard Feillet confesse : pour ma petite part dans cette recherche, je tente d'explorer le désir du mystère de Dieu qui m'habite à la lumière de ce que fut Jésus… Où puis-je chercher le cours de ce désir, si ce n'est dans le courant de mon propre devenir… Puisque je n'ai plus de mots pour raconter Dieu, il ne me reste que mon histoire et celle des hommes de mon humanité.
La spiritualité est, en fait, "contemplation" de la mise en œuvre du mystère de Dieu dans sa propre vie, pour devenir capable de la percevoir dans la vie de tout être.
Finalement, nous ne pouvons prétendre servir Dieu qu'en servant l'homme, vers la découverte de son humanité accomplie…
La foi des religions et la foi de tout homme ( p.59-78)
Ce chapitre aborde l'épineux problème de la prétention et de l'aptitude des religions à "dire Dieu" pour répondre à la question des hommes.
Chargés d'histoire, investis de traditions religieuses millénaires, nous nous trouvons aujourd'hui questionnés comme au premier matin de notre humanité…
Ce n'est pas que ces traditions ne disent rien sur Dieu ; elles ont même beaucoup parlé. Et, si les religions ont tant parlé de Dieu, c'est que Dieu n'a pas parlé directement aux hommes et qu'il a bien fallu (…) que les hommes, entre eux, parlent à sa place.
Qu'en est-il alors de la Révélation dont chacune des traditions (juive, chrétienne et musulmane) se reconnait être le dépositaire, voire le bénéficiaire ?
Le Dieu qui parlait tant, autrefois, "à nos pères" ne parlerait-il plus ? Et, s'il ne parle plus, a-t-il jamais parlé ? Et, si Dieu n'a pas parlé aux patriarches, aux prophètes… s'il n'a pas adressé une parole définitive à Jésus, s'il n'a rien dicté à Mahomet, que disons-nous quand nous parlons de : "Parole de Dieu" ?
Peut-être autre chose que ce que nous semblons dire… L'homme à la recherche de son humanité, confronté à la souffrance, au mal, à la mort, révélé à lui-même par l'invention de l'amour et la créativité du bonheur. L'homme confronté à l'expérience des autres hommes… a laissé surgir du fond de son humanité… l'émergence d'une parole par laquelle il se parlait à lui-même et en laquelle s'engendrait en lui un écho du divin. Bernard Feillet propose d'appeler révélation la lumineuse histoire de cette émergence. En en acceptant les limites et les contradictions, car : rien de ce qui nait de l'homme n'échappe à la contradiction.
Ainsi, dans l'histoire des hommes… se lèvent des individus dont la présence et la parole deviennent décisives pour la communauté… En eux se manifeste que le mystère de Dieu est unique en chaque être… et ils témoignent que le sens même de l'humanité est d'être la matrice du Divin, (…) de mettre Dieu au monde. Ce sont des "prophètes".
Ainsi, dit Feillet, Jésus est mon prophète…. En reconnaissant ainsi Jésus, je ne dis pas que Jésus a été désigné par Dieu pour être (…) l'unique prophète de l'humanité (…) le seul témoin accompli de la vérité (…) le seul homme investi de la présence de Dieu parmi tous les hommes…Jésus était Jésus et n'était que Jésus.
Toutes les religions ont tenté de dire Dieu et se sont revêtues de son autorité et de sa puissance. Mais, précisément, ce qui a rendu possible la foi des quatre-mille ans de croyants qui nous ont précédés, n'est-ce pas ce qui va rendre impossible la foi pour l'humanité des temps à venir ?
Il y a un type de foi qui prétend atteindre Dieu et même s'en servir. Or le désir de Dieu s'accompagne du renoncement à Dieu…
Ce que l'on doit demander aux religions, c'est d'être contemplatives de la spiritualité de l'humanité entière, de se laisser éclairer par cette croissance qui déborde leurs repères, afin de ne pas rendre la foi impossible aux hommes et de maintenir pour eux les cieux ouverts…
On doit comprendre que ce n'est pas le christianisme qui sauvera l'humanité, c'est sa capacité d'ouverture à la croissance spirituelle de l'humanité qui pourra sauver le christianisme.
L'homme écho de Dieu ( p. 79- 94)
Quand nous parlons de Dieu, nous ne parlons en fait que de l'écho en nous de ce nom, de la transformation de nos vies par cette évocation… Nous ne savons rien de Dieu en dehors de la connaissance de notre propre humanité.
Et, puisque l'humanité change, le mystère de Dieu connu en notre humanité change aussi. Si l'humanité échappe à ses archaïsmes primitifs, le mystère de Dieu échappera aussi à ses représentations archaïques… Et, comme notre histoire n'est pas close, le mystère de Dieu ne peut être circonscrit dans une parole qui se prétendrait définitive.
Mais comment ne pas être, parfois, submergé par cette vieille fatigue de l'humanité… comment ne pas douter qu'il soit encore possible de réinventer le mystère de Dieu, sans se réfugier dans le confort (…) du discours indéfiniment répété ? …
En compensant la vieille fatigue par tout le bonheur déjà éprouvé, et en y puisant l'énergie d'une parole neuve qui garde l'avenir ouvert à d'autres bonheurs… en renonçant ainsi au confort confiné du religieux, (…) et en nous livrant ainsi à la découverte d'une autre relation au mystère de Dieu où nous serons les acteurs d'une nouvelle relation permettant d'exister plus.
Ainsi de la prière : ne rien attendre de Dieu, ne pas espérer qu'il exauce ma prière, mais maintenir l'ouverture de ma vie vers l'immense. Et penser que la prière, par la disposition où elle nous met, est en elle-même son propre exaucement.
Ainsi de l'"amour de Dieu". Ne rien attendre de Dieu en ce qui concerne ma propre vie, c'est aussi admettre que Dieu ne m'aime pas. Mais c'est dire cet amour autrement, en référence à l'amour qu'il nous est possible de vivre entre nous. (…) Un amour qui soit assez fort pour qu'il ne nous soit pas impossible de prononcer le nom de Dieu. Ainsi, inventer l'amour dans sa propre vie pour créer l'espace possible où le nom de Dieu ne soit pas impossible à prononcer.
On préférera ainsi parler de Dieu en termes de présence, d'émergence en moi-même de ce qui me dispose à aller aux limites de mon humanité…
Revenant au personnage de Jésus, l'auteur admet que, du peu que nous en savons, Jésus se laissait habiter par la prière comme un mystique qui s'en remet à l'infini de Dieu. Mais, ajoute-t-il, sa prière n'était pas la mienne, dans cette évidence que je ne suis pas lui et que toute prière est unique…
Dans la prière, dit l'auteur, j'entends seulement me livrer et communier à la vulnérabilité de l'humanité qui ne cesse, en elle-même, comme je le tente en moi-même, d'ouvrir un nouvel espace – espace à recréer chaque jour du temps – au-delà duquel Dieu n'est pas impossible.
Finalement, la question de Dieu ne porte pas sur Dieu mais sur l'accomplissement de notre humanité. Et le devenir de Dieu en est l'enjeu définitif.
C'est, pour l'auteur, le sens de la tâche à laquelle Jésus s'est consacré : l'annonce du Royaume de Dieu.
Il n'était alors pas question de "rachat" ni de "rédemption". La mort de Jésus, comme la mort de tout homme (…) a été la consécration d'une vie qui a maintenu ouverte la voie vers le mystère de Dieu.
Quant à la "résurrection?" Tout ce qui en nous est d'amour et de créativité du divin sera manifesté en Dieu. (…) Nous pouvons appeler éternité l'accomplissement de l'être en Dieu. (…) En ce sens, la résurrection n'est pas une réalité spécifiquement chrétienne (…) et elle peut être comprise comme la reconnaissance de l'humanité de tout homme accomplie dans le mystère de Dieu. La spécificité chrétienne est de reconnaitre que cette vision a été confirmée par ce que fut, pour Jésus, l'accomplissement de sa vie.
Les choix de Dieu ( p. 95-99)
Court chapitre sur la théologie de l'élection : Israël, peuple élu ? Eglise, peuple de Dieu ?
La question tire à conséquence, non seulement pour les relations judéo-chrétiennes, mais dans le rapport de toutes les religions entre elles et des religions avec le monde.
Poser la question, c'est accepter de méditer le mystère de Dieu non plus dans la théologie de l'élection, mais dans la perspective d'une relation universelle et personnelle de Dieu à l'égard de tout homme. C'est poser un autre regard sur l'histoire divine de l'humanité entière.
La parole de Dieu ( p. 101-105)
Autre courte, mais dense et vigoureuse, méditation sur la Parole.
Au point de départ de toute réflexion sur "la Parole de Dieu"(…) avertit Bernard Feillet, je m'intéresse à cette manière très particulière qui est pour Dieu de se taire pour s'adresser aux hommes…
Le Dieu dont nous recueillons la parole, celui que nous faisons parler (…) ou, plus grave, que nous faisons parler à notre place et dont nous revendiquons, pour nous-mêmes ou pour notre religion, l'autorité : ce Dieu n'est pas Dieu. Il est, dans l'histoire de notre humanité, l'approche du Dieu inconnaissable, innommable.
Il est éclairant pour moi, poursuit-il, de penser que Dieu ne parle pas, n'intervient pas dans l'histoire des hommes (…) Mais que, dans notre humanité, il se passe un évènement considérable (…) une passion qui traverse le temps et les civilisations : c'est l'émergence du mystère de Dieu dans l'histoire de l'humanité (…) l'émergence de la découverte du mystère de Dieu à mesure que l'humanité prend conscience d'elle-même.
Par conséquent, que les Ecritures (auxquelles nous nous référons dans les religions du livre) soient témoins de cette histoire, implique qu'elles soient témoins de toutes les contradictions, violences, conflits de toute l'histoire de l'humanité.
Retracer cette "émergence", c'est entrer dans un conflit continu, comme trame même de l'Histoire, entre l'état d'un Dieu actuel et l'état d'un Dieu à venir.
A chacun d'entre nous, donc, d'écrire des pages nouvelles de l'émergence du Divin (…) en tant qu'acteurs de l'histoire. Pour les générations à venir, nous serons des jalons vivants de (…) ce mystère de Dieu qui ne cesse de se déplacer, de grandir et de se purifier au fur et à mesure que notre humanité (…) ne cesse elle aussi de grandir et de se purifier.
Concernant son approche des "Écritures", l'auteur reconnait prendre le texte tel qu'il (lui) arrive : témoin d'une recherche, d'une découverte et d'un tâtonnement. Mais il prétend bien accueillir ces tentatives créatrices avec un regard critique (…). Toute l'Ecriture, dit-il, ne me parle pas de Dieu, ou du moins tous les textes (…) ne me parlent pas du Dieu que je cherche. C'est pourquoi, selon lui, cette entreprise d'une appropriation contemporaine du texte par l'Individu ne serait pas sans péril de subjectivisme et d'intolérance …Elle demande d'être faite dans l'écoute de la lecture des autres… de ce que chacun peut en dire dans sa propre vie, dans l'humilité de l'écoute commune.
L'eucharistie corps de l'humanité (p. 107-114)
Sans que la formulation de ce titre ne soit bien explicitée par le contenu de ce chapitre, ici encore des choses vigoureuses sont proposées à notre réflexion.
Pour l'auteur, l'Eglise se trouverait, en la matière, face à une nouvelle affaire aussi grave dans ses conséquences (dogmatiques) que l'affaire Galilée. En effet, malgré la stabilité du "dogme" officiel, même si elles ne sont pas toujours formulées explicitement, (les) options théologiques des fidèles… représentent une profonde transformation à l'égard de l'eucharistie.
De très nombreux fidèles n'adhèrent plus à l'enseignement établi sur la présence réelle (…) car ils ont de la présence de Dieu une autre expérience (…) Ils ne tentent plus de localiser Dieu (…), plus sensibles à l'ouverture que l'évocation de son nom apporte à leur existence qu'au besoin – quasi magique – de mettre la main sur Dieu.
A cela s'ajoute que de très nombreux chrétiens n'identifient plus aujourd'hui Jésus et Dieu. Ils reconnaissent l'un et l'autre, mais ne les confondent pas dans une même adoration. (…) Cette évolution(…) compromet sérieusement un édifice dogmatique séculaire, tout en provoquant les croyants à devenir autrement croyants.
La célébration de l'eucharistie n'est plus perçue selon les schémas archaïques d'un repas sacrificiel.
Ceux qui participent à ce repas célèbrent entre eux ce que Jésus a célébré avec ses autres disciples (…) : la communion, par le sacrement de la communauté humaine, à la grande Présence du mystère de Dieu en tout être.
Ce n'est pas pour faire venir Dieu (…) qu'on célèbre l'eucharistie, mais c'est parce que le mystère de Dieu habite l'humanité qu'il est possible de faire surgir, par un geste simple de cette humanité, le symbole de cette présence.
L'eucharistie serait donc, pour l'auteur, constitutive d'humanité et révélation de cette humanité en Dieu.
Ce que Jésus a vécu avec ses disciples, il revient aux chrétiens de le vivre aujourd'hui avec les hommes de leur temps. Cette mémoire (…) demande d'être saisie et accomplie dans la créativité contemporaine. Elle devra retrouver le dépouillement de ses origines afin d'être libre d'en faire surgir le sens dans un monde (…) de plus en plus alerté sur le sens d'un l'absolu au-delà de toutes croyances, dont l'exigence critique sera un bienfait pour la qualité même de la foi des croyants.
Dire Dieu aux hommes (p. 115 – 126)
Ce chapitre reprend nombre des idées déjà exprimées plus haut sur la possibilité, ou non, de dire Dieu.
L'auteur y réaffirme sa conviction : Nul ne peut prétendre impunément dire Dieu aux hommes. Une Eglise peut, elle aussi, succomber à l'illusion d'avoir prononcé une parole fidèle. Il n'y a sur Dieu que des paroles infidèles qui trahissent, malgré les meilleures intentions, celui dont on prétend connaître le secret.
Et après deux-mille ans de christianisme, les Eglises se demandent quels sont les mots justes pour annoncer un Dieu éternel à l'humanité livrée au cours imprévisible du temps.
C'est pourquoi l'auteur réitère sa réticence à parler de Dieu, et son choix de n'évoquer que le mystère de Dieu dont nous sommes investis (…) ce mystère qui met notre être à l'épreuve et qui rend tout homme unique au sein de l'humanité.
Puis il revient à son intuition profonde et personnelle que le mystère de Dieu est lié à l'humanité. Qu'il en est indissociable.
Pour lui la raison même de l'homme c'est l'émergence du mystère de Dieu, et la présence du mystère de Dieu dans le monde c'est l'existence de l'homme.
Il sait que cette vision ne fera pas l'unanimité, jugée par certains comme trop vague, panthéiste, où la réalité d'un Dieu personnel se trouverait diluée.
Mais, dit-il, c'est une voie à la fois plus libre et plus austère que celle des catéchismes qui en savent trop sur Dieu et pas assez sur l'homme. Elle engage celui qui cherche Dieu, selon la rude expression de Bonhoeffer, à aller vers Dieu, sans Dieu.
Certains témoignent que Dieu est intervenu dans leur vie (…) d'autres reconnaissent au cours du temps qu'ils sont entrés dans l'acceptation du grand silence où Dieu se tait, sans avoir pour autant renoncé à vivre de son mystère. Ces derniers ne sont pas moins croyants que les premiers. Ils sont devenus autrement croyants.
A vouloir trop dire Dieu, n'a-t-on pas empêché des êtres, traversés du désir d'infini, de se découvrir croyants, dans une Eglise dont le bruit saccage le silence qui les habite ?
Le murmure qui monte (…) de la conscience humaine ne doit pas être couvert par la trompette de la foi. Le lieu de silence où réside en chaque être le nom de Dieu (…) s'accommode mal de l'enseignement des doctrines et des discours théologiques.
Puis Bernard Feillet revient sur cette idée que, contrairement à notre "croyance", Dieu ne nous aime pas.
Peut-être, tout simplement, parce que le mystère de Dieu est trop intime à nous-même pour être distinct de nous ?
L'extrémité de la prière serait alors d'avoir perdu les mots de la prière, l'extrémité de la foi, d'ignorer les repères de la foi… jusqu'à ce que me soit donné de prononcer la parole ultime de la révélation :"Je suis", parole unique de mon être et de Dieu.
Petit homme infime en chemin vers l'immense. (p. 127-133)
En guise de conclusion, ce court chapitre récapitule des points clés de l'itinéraire de l'auteur et des convictions qui l'animent désormais.
Rappelant son "passage obligé" par les étapes sacramentelles et doctrinales liées à l'institution catholique où il s'éveilla à la vie spirituelle, il confesse : comme beaucoup, je ne reconnais plus, dans cet (…) itinéraire obligé, le chemin de mon accomplissement.
Je sais, écrit-il, que l'équilibre est fragile entre ce que je voudrais maintenir de toute la tradition (…) et l'impérieuse nécessité d'aller moi-même, unique, vers l'unique essentiel.
…il s'agit de la foi, mais (…) pas de la foi enseignée, ni de la foi révélée. Il s'agit de la mienne, en relation avec ceux qui partagent ce chemin, pour rejoindre non pas d'abord une Eglise, ni la pratique d'un culte, ni l'exercice d'une prière, ni la rencontre d'une présence ressentie, ni même celle d'un Dieu aimant qui m'aurait choisi. Je cherche à communier, dans la créativité de ma foi singulière, à la créativité de la foi de l'humanité entière. L'auteur recourt de nouveau à Marcel Légaut pour exprimer cette expérience unique d'une foi singulière, pour traduire cette idée d'une étincelle du divin indissociable de (notre) être propre, en le citant : "Ce qui est de moi, qui ne serait pas sans moi, et qui est plus que de moi."
Puis il revient à cette idée de l' humanité "matrice divine". Ainsi engagée dans cet enfantement de Dieu au monde, la foi du croyant entre en mutation et elle devient une foi difficile.
Foi difficile, celle qui renonce à faire intervenir directement Dieu dans l'histoire de l'humanité ; celle qui contraint à se détacher du langage de la révélation ; qui fait renoncer même au mot de révélation.
Une foi dans laquelle ce que Jésus a été nous invite aujourd'hui à un dépassement de ce qu'a été Jésus. Chacun d'entre nous (…) et chaque homme, quelles que soient ses références religieuses, est invité à devenir le Christ, c'est-à-dire naissance du divin dans l'humanité.
Du point de vue des religions, dit-il, se référant à la vision de Teilhard de Chardin, nous sommes au néolithique de la foi.
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