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11 avril 2020 6 11 /04 /avril /2020 08:00
André Verheyen Jésus avant le Christianisme
André Verheyen

C’est le titre d'un livre d'Albert NOLAN, publié en 1979 aux Editions Ouvrières à Paris. Sur la couverture du livre nous pouvons lire: "Albert Nolan est aumônier national des étudiants en Afrique du Sud. Il est né en 1934. Dominicain, il est, dans son ordre religieux, provincial pour toute l'Afrique australe."

Dès les premières lignes, l'auteur pose un problème passionnant.

"Des milliards d'hommes, à travers les âges, ont vénéré le nom de Jésus. Qui nous dira ceux qui, parmi eux, l'ont réellement compris, ceux qui ont mis en pratique ce qu'il voulait voir se réaliser ?

"Ses paroles ont été si souvent déformées, déviées de leur sens qu'on a l'impression qu'on peut désormais tout leur faire dire, ou qu'elles n'ont plus rien à dire.

"Son nom, tant d'hommes en ont usé, abusé, pour justifier leurs crimes, assurer leur autorité, soutenir leur héroïsme, ou leur folie, qu'on se demande si, ironie suprême, on n'a pas précisément, au nom même de Jésus ressuscité, prêché, répandu les idées contre lesquelles il s'était, de son temps, le plus violemment opposé.

"Jésus ne peut être complètement identifié à ce grand phénomène religieux du monde occidental qu'a été le christianisme. Il est bien plus que le fondateur d'une des grandes religions du monde. Il se tient devant le christianisme tel le juge de tout ce qui a été fait en son nom. Le christianisme ne peut en revendiquer la possession exclusive. Jésus appartient à l’humanité tout entière"

Précisons que NOLAN vit le drame de l'Afrique du Sud, avec ses violences, tortures dans les prisons, exécutions sommaires, etc. Il constate aussi que certaines Eglises en son pays utilisent la foi pour soutenir ouvertement une politique d'asservissement et qu'alors "il reste une référence ultime et solide: le Jésus de l'Histoire, l'homme Jésus avant le christianisme".

Mais il est intéressant de noter qu'il consacre toute la troisième partie (une sur quatre, sept chapitres sur les dix-neuf de son livre) à la Bonne Nouvelle du Royaume.

Nous avons eu nous-mêmes l'occasion de signaler le déplacement de sens de La Bonne Nouvelle après la mort de Jésus.

On trouve une autre approche, plus théologique, de ce même problème dans un article de la revue "Concilium" (n° 245 de 199, consacré au Messianisme dans l’histoire), écrit par Ion SOBRINO sous le titre "Messie et Messianisme – Réflexions depuis le Salvador".

Voici deux passages caractéristiques pour notre propos.

"L'oubli du messianisme a des racines socio-politiques, mais aussi, d’une certaine manière, il commence dès après la résurrection de Jésus. Le problème est donc aussi ecclésial et théologique; il consiste, au nom du médiateur (Christ ressuscité), à reléguer au second plan la médiation (la réalisation de la volonté de Dieu, le Royaume de Dieu dans les paroles de Jésus, les espérances messianiques). A notre avis, deux choses se sont produites: on a donné la priorité au médiateur sur la médiation, et le médiateur a été compris efficacement davantage selon le modèle de Fils de Dieu que selon celui de Messie." (o.c. page 145)

"Cela nous conduit à un problème central dans le Nouveau Testament, qui va bien au-delà du passage connu qui s'opère de Jésus à Christ, c'est-à-dire du Jésus qui prêche au Christ prêché. Il s’agit d'un changement dans la compréhension du dessein de Dieu : au centre du kérygme, ce n'est plus directement la venue du royaume de Dieu annoncé par Jésus, mais l'apparition du Christ. Quoique médiateur et médiation continuent à être en relation, la "bonne nouvelle" de Dieu se concentre maintenant sur le Christ et non sur le royaume de Dieu, davantage sur le médiateur (l'envoyé de Dieu) que sur la médiation (la réalité d’un monde selon la volonté de Dieu). De la sorte, les réalités qui étaient importantes pour Jésus de Nazareth se formulent de manière à ce que, d'une part, il y ait continuité entre l’avant et l’après de Pâques, mais aussi discontinuité.

Ainsi, les premiers croyants continuent d'espérer le salut et rapportent au Christ, et maintenant de façon absolue, mais ce salut n'est pas formulé comme "royaume de Dieu", libération des nécessités plurielles, terrestres et transcendantes, personnelles et collectives, mais comme salut plus transcendant (dans la parousie), plus personnel (de l'individu) et plus religieux (pardon des péchés)." (o.c. page 147-148)

Marcel LEGAUT, de son côté, faisait remarquer que la pensée théologique et spirituelle de l'Eglise a tellement accentué la mort et la résurrection du Christ qu'on a parfois l'impression que la vie terrestre de Jésus n'a pas d’importance.

C'est bien l'impression que nous avons, en effet, lorsque nous disons dans la prière eucharistique "Faisant ici mémoire de la mort et de la résurrection de ton Fils,…" Pourquoi pas de sa vie ?

"… la tentation est grande - à laquelle d'ailleurs on a très généralement succombé - de négliger la vie humaine de Jésus, d'y atténuer la transcendance de son rayonnement personnel, au profit de sa mort "seule rédemptrice" et de sa résurrection, "seul fondement de la foi en lui". (Débat sur la foi - Marcel LEGAUT et François VARILLON - Chez Desclée De Brouwer en 1972, page 45)

"La mort de Jésus est la conséquence de sa vie, de sa mission, non d'une volonté extrinsèque à Jésus. Il ne pouvait que mourir de cette façon pour être fidèle à l’ensemble de ce qu'avait été sa vie. Sa mort ne peut pas être séparée de sa vie, ce que l'on fait trop souvent quand, oubliant tout ce qu'il a vécu, le négligeant, on ne parle, "on ne fait mémoire" que de sa mort et de sa résurrection." (o.c. page 71)

On touche ici un aspect fondamental de notre foi : à qui s'adresse notre foi, à l'Eglise catholique, au christianisme des apôtres et des premiers chrétiens ou à Jésus lui-même ?

Dans la présentation catholique traditionnelle on ne pose pas cette question; on la trouve même déplacée. Il y a toute une littérature spirituelle ou religieuse qui souligne que la fidélité à Jésus suppose la fidélité à l'Eglise, qu'on ne peut les dissocier.

De même le magistère traditionnel n'a jamais envisagé un seul instant qu'on puisse mettre en doute l'identité entre la pensée de Jésus et la proclamation officielle de l'évangile par les Apôtres. Cette proclamation ou 'annonce' officielle est souvent désignée par un mot repris du grec : le Kérygme. On la trouve dans le Nouveau Testament en général et dans les différents résumés de la foi chrétienne appelés 'symboles'.

Loin de prêter aux responsables de l'Eglise quelque mauvaise intention, on peut penser que c'est dans un souci de simplification pédagogique et pour rendre service au une forme claire peuple chrétien qu'ils ont toujours essayé de donner au contenu de la foi chrétienne une forme simple, résumée, unifiée, par exemple dans les catéchismes.

Mais l'état des connaissances actuelles dans le domaine biblique - et surtout leur diffusion dans des livres et articles accessibles à un public de plus en plus large - permet de valoriser les différences et les diversités plutôt que de penser qu’il faut les minimiser.

L'exemple le plus simple est l'explication d'une diversité de présentation entre deux évangélistes par la diversité des publics auxquels ils s'adressent.

Un autre exemple est la possibilité de déterminer la date plus ou moins tardive de certains écrits du Nouveau Testament, ce qui explique l’évolution de la réflexion et du langage.

Tout cela permet de ne plus considérer comme impertinente la question de la conformité entre le projet de Jésus et l'image qui nous en a été transmise par les auteurs de nos écrits du Nouveau Testament. Autrement dit : la question de "Jésus avant le Christianisme."

Un cas remarquable est celui des réflexions sur le sacerdoce dans l'épitre aux Hébreux, comparées à ce que Jésus a effectivement vécu.

Cela permet aussi de prendre ses distances avec une certaine présentation traditionnelle qui voulait que notre foi se réfère inconditionnellement au kérygme (voir ci-dessus) dans sa forme considérée comme définitive puisque, disait-on, la révélation était clôturée avec la mort du dernier Apôtre.

La plus grande sympathie pour le messager de la personne aimée n'empêche nullement de vérifier la conformité de son témoignage ni surtout de donner la priorité à la pensée de la personne aimée par rapport aux interprétations du messager.

On comprend aisément qu’il y a encore "du pain sur la planche" pour l’œcuménisme, en particulier pour tous ceux qui ont une conception un peu trop "sacralisée" des textes de référence.

André Verheyen (n°26 septembre 1999)

29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 09:00
bateau lpc De la prêtrise à l’abandon des doctrines
Réactions
Pascal, Henri, J.M., Francis

Le livre de Roger a été classé "meilleure vente" sur le site AMAZON pendant une semaine (catégorie "théologie")

Réaction de Pascal Hubert dans Golias Hebdo n°533

« Mon livre va à contre-courant de la mentalité croyante ambiante, car il témoigne de mon abandon de l’Église Catholique et de mon cheminement vers l’incroyance religieuse avec sa justification. » Roger Sougnez

Je lis en ce moment De la prêtrise à l’abandon des doctrines. Un livre de déconditionnement salutaire, de Roger Sougnez. S’il n’a pas la forme du pamphlet, il n’en conserve pas moins le tranchant de l’épée. Venant d’un prêtre qui a quitté le sacerdoce en 1987, âgé aujourd’hui de 92 ans, c’est chose suffisamment rare et précieuse pour s’y arrêter un instant. En d’autres temps, à n’en pas douter, pareille audace aurait valu à son auteur la mise à l’Index et les bûchers de l’Inquisition. Mais, au XXIe siècle, comment croire encore à tant inepties religieuses ?

Ce livre, sans langue de bois et d’une parfaite cohérence, sera incontestablement apprécié des croyants qui sont mal à l’aise dans leur foi du fait des dogmes et des enseignements du Magistère qu’ils ressentent de plus en plus comme d’un autre temps. Disons-le sans détour : arguments à l’appui, ils seront confortés à les abandonner purement et simplement et à se faire enfin confiance. À l’inverse, ce livre sera honni par celles et ceux qui s’en tiennent encore à la Bible et à la Tradition comme « Parole de Dieu » donnée et interprétée infailliblement par la seule « Église une, sainte, catholique et apostolique ». Comment s’en étonner d’ailleurs ? Toute remise en question du Magistère a toujours été clivante (la « crise moderniste » est lourde d’enseignements à cet égard) : elle en libérera certains d’un joug devenu insupportable, en insécurisera d’autres qui pensaient vivre de certitudes et ne plus avoir à chercher ni à douter. Parce qu’il ne s’agit pas, en l’espèce, de proposer quelques réformes d’ordre pastorales, mais bien de saper l’autorité de l’Église Catholique comme étant définitivement inapte à guider – et à fortiori, à « sauver » ! – l’humanité. Jugez-en plutôt : exit le péché originel, clef de voûte de tout l’édifice religieux ; exit les dogmes aussi fondamentaux que la divinité de Jésus, la Trinité, Marie vierge et mère de Dieu, l’Enfer et la Résurrection ; exit les sacrements ; exit encore l’historicité de la Bible et de ses miracles, exit enfin le monumental catéchisme de l’Église catholique, promulgué par le pape Jean-Paul II en 1992 et qui s’avère totalement anachronique et non crédible…

Reprenant les mots d’Albert Einstein, la pensée de Roger Sougnez pourrait se résumer ainsi : « Le mot Dieu n’est pour moi rien de plus que l’expérience et le produit des faiblesses humaines, la Bible un recueil de légendes, certes honorables, mais primitives qui sont néanmoins assez puériles. Aucune interprétation, aussi subtile soit-elle ne peut selon moi changer cela. »

Mais, cela dit, vous ne trouverez aucune rancœur ni règlement de compte dans le propos. Roger Sougnez, désormais athée tranquille, s’est laissé guider par le seul souci de vérité, de fidélité à soi et d’honnêteté à l’égard de ses anciens paroissiens et étudiants qu’il regrette d’avoir involontairement induits en erreur. Ses propos sont, en effet, le fruit d’un long cheminement et de recherches rigoureuses qui l’ont amené à ne plus enseigner ce qu’il percevait peu à peu comme des chimères. Évoquant Albert Jacquard, éminent généticien et biologiste, il estime qu’ « il n’y a rien de pire que de ne pas s’autoriser à dire ce que l’on pense vraiment ». Et cette réalité vaut évidemment pour tant d’autres dans l’Église qui ne partagent plus les enseignements du Magistère, mais n’osent pas encore le dire, par crainte d’ébranler la foi des croyants, par obéissance à l’Institution ou par manque de courage. Exception faite de quelques-uns cités par Roger Sougnez, dont Jacques Musset (qui préface le livre), Gérard Fourez, Jean Kamp, Roger Lenaers ou encore Lytta Basset.

La question légitime que l’on se pose inévitablement face à pareil « retournement » : mais que reste-t-il de vrai alors ? Sur quoi ou sur qui encore s’appuyer ? Roger Sougnez croit en l’historicité de l’homme Jésus, un homme exceptionnel, mais qui, lui aussi, fut soumis à son temps et dont, en définitive, nous savons bien peu de choses. Ainsi, reprenant les propos de Gérard Mordillat : « Personne ne peut affirmer avec exactitude où les évangiles ont été écrits. Ni quand ni par qui ni pour qui ni contre qui. » Tout au plus peut-on considérer que « son message [de Jésus] et sa vie d’ouverture, de vérité, de paix et d’amour, dénonçant mauvaise foi, hypocrisie et suffisance ont permis à l’humanité de connaitre un progrès substantiel ». Mais, Roger Sougnez de nous mettre en garde : « Remarquons que deux dangers guettent celui qui a le souci de prendre Jésus comme modèle. Premièrement, le monde actuel est tellement différent, qu’il faut une grande prudence dans cette imitation. Ce qui était excellent à une certaine époque peut être contre-indiqué à une autre. Deuxièmement, l’important pour un être humain n’est pas d’imiter un autre, mais de découvrir son projet personnel de vie où il pourra développer au mieux ses propres potentialités. » Ce point me paraît fondamental : il ne s’agit plus de vivre sa vie par procuration, mais d’oser enfin la vivre pleinement par soi-même. C’est là une révolution copernicienne, un changement de paradigme, une véritable entreprise de libération intérieure. En conclusion du chapitre sur « La morale », Roger Sougnez entend d’ailleurs rencontrer l’objection selon laquelle son livre aboutirait à ôter tout « sens à la vie ». « Bien au contraire ! », affirme-t-il. « Ne plus adhérer à la morale catholique traditionnelle, dont beaucoup de points ne sont plus pertinents, ne signifie nullement vivre sans morale ! Ce serait ignorer la multitude des humains et singulièrement les athées et les agnostiques, qui ont choisi de vivre leur engagement autrement en osant le libre examen. Nous devrions nous efforcer de déployer notre énergie afin de promouvoir des valeurs, qu’elles soient individuelles et sociétales, authentiques même si elles sont exigeantes, qui donneront sens à notre existence : davantage de vérité, de justice, d’honnêteté, de souci de l’autre, etc. C’est là un programme exaltant. »

Nous le voyons, pareille prétention est à mille lieues du discours ecclésial qui entend soumettre la vie de tout croyant à la « Parole de Dieu » et à la « Sainte Tradition » comme seules « Vérité » de nature à nous conduire au Salut… Et comment ne pas s’apercevoir que la peur de l’enfer et la culpabilité de vivre sa vie auront permis à l’Église de maintenir leurs ouailles sous l’emprise de ses enseignements, y compris ceux que les sciences ont démentis depuis longtemps (à commencer par la Création de l’univers et de l’être humain, selon le livre de la Genèse…). Un livre de déconstruction méthodique donc, aux accents nietzschéens – « Et pourquoi n’irais-je pas jusqu’au bout ? J’aime à faire table rase » –, qui ravira les plus audacieux. Mais Roger Sougnez le sait parfaitement : malgré toutes les bonnes raisons d’abandonner des croyances illusoires, elles n’en restent pas moins profondément ancrées au point où les remettre en question peut se révéler impossible pour nombre de croyants.

Un livre captivant, à lire lentement, à méditer, à laisser descendre au fond de soi et à reprendre encore, tant nous avons été bercés par de douces illusions et tant les sujets révisés sont nombreux : la Révélation, quelques grands dogmes, les sacrements, la morale, l’élaboration du catholicisme, la religion, sans oublier le parcours lent et lucide qui amènera peu à peu Roger Sougnez à l’incroyance, ainsi que les raisons impérieuses d’un tel travail. Un livre qui fait du bien, mais qui invite à un décapage radical. C’est précisément, on l’aura compris, ce qui fait de ce livre un grand livre qui vient combler un vide « en passant au crible les positions fondamentales du catholicisme pour en dénoncer l’inconsistance ». Au fond, s’il fallait une justification à ce livre et une excellente raison de le lire, ce serait celle-ci : « Il n’est pas éthiquement défendable de dissimuler des faits pour la seule raison qu’ils pourraient entrer en conflit avec des croyances auxquelles on est attaché. Qui plus est, c’est une insulte à l’égard de nos semblables, qui sont ainsi traités comme des enfants trop immatures pour regarder la vérité en face. »

Le témoignage de Roger Sougnez me fait songer au Testament de Jean Meslier, autre prêtre devenu athée, qui au XVIIIe siècle déjà osait affirmer : « Pesez bien les raisons qu’il y a de croire ou de ne pas croire, ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige si absolument de croire. Je m’assure que si vous suivez bien les lumières naturelles de votre esprit, vous verrez au moins aussi bien, et aussi certainement que moi, que toutes les religions du monde ne sont que des inventions humaines, et que tout ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige de croire, comme surnaturel et divin, n’est dans le fond qu’erreur, que mensonge, qu’illusion et imposture. »

C’est précisément ce que refuse l’Église Catholique et que Roger Sougnez – avec quelques rares pionniers qu’il faut espérer de plus en plus nombreux – nous propose d’oser enfin : l’abandon des doctrines.

Et le livre de se refermer sur une urgence à vivre : « Il nous appartient d’inventer notre propre parcours de vie, avec lucidité sur nous-mêmes et sur nos croyances et avec empathie pour les humains, sans nous laisser enfermer dans d’anciens canevas de pensée. La vie est si précieuse et si courte, veillons à ne pas la gâcher. »

Pascal HUBERT, Golias Hebdo, n° 533

Réaction de Henri Huysegoms

J’apprécie hautement le livre « De la prêtrise à l’abandon des doctrines » que je possède et relis de temps en temps. Je suis totalement d’accord avec son contenu.

Sougnez a attendu le grand âge pour le faire publier. Comme je le comprends.

Je me trouve aussi parfois confronté à la pensée de gens qui acceptent totalement tout ce qu’a promulgué l’Église comme vérité absolue.

Si on faisait douter ces gens de la véracité des affirmations dogmatiques, de leurs « certitudes », cela n’aboutirait qu’à les déboussoler.

Je n’ai pas encore le franc parler de Spong et de beaucoup d’autres.

Amitiés,

Henri Huysegoms

Réactions personnelles à la lecture du livre de Roger Sougnez

Malgré quelques petits problèmes rencontrés pour me le procurer, j’ai reçu et lu le livre de Roger Sougnez recommandé par LPC.

Je le trouve très richement documenté. En quelque 200 pages, il rassemble de nombreuses citations du Catéchisme de 1992, un relevé de multiples contradictions entre les évangiles, des exemples de mauvaises traductions de l’hébreu ou du grec qui aboutissent à des dogmes contestables, des tas de remarques judicieuses sur l’abus de pouvoir de l’Eglise. Il reconnaît par ailleurs que les valeurs prônées et vécues par Jésus restent riches (p.62) et il exprime une certaine admiration pour le pape actuel.

Voilà pour les aspects positifs.

Néanmoins ce livre me déçoit profondément. D’abord parce qu’il ne m’apprend rien. Il y a bien longtemps que grâce à des livres qu’il cite (Lenaers, Musset, Kamp), grâce aussi à LPC, de nombreux chrétiens progressistes ont pu déjà faire un cheminement analogue sans tomber pour autant dans un nihilisme qui frôle le désespoir. L’auteur a beau se défendre d’être matérialiste, il ne laisse aucune place à un mystère, une transcendance, un au-delà de l’homme. S’il démolit l’Eglise catholique, il aurait peut-être pu laisser de la place pour un Christianisme libéré des dogmes (il le fait mais à peine). Il ne croit pas à la Résurrection de Jésus, moi non plus mais je crois qu’au matin de Pâques les apôtres se sont relevés et eux sont donc ressuscités d’une certaine manière et ont transmis un message extraordinaire même si son expression a pris quelques rides au fil du temps.

On dirait que l’auteur n’a pas réussi à dépasser la critique négative propre à l’adolescence pour arriver à reconstruire à partir des « mythes » anciens un questionnement nouveau qui dépasse le fondamentalisme tout en redonnant du sens.

Personnellement il y a longtemps que je ne crois plus aux dogmes, que je trouve le langage de l’Eglise tout à fait inadéquat, même s’il y a une légère avancée, beaucoup trop lente sans doute. Je crois cependant l’institution nécessaire pour transmettre l’évangile qui ne peut se vivre que dans une communauté. Et je reste à l’intérieur avec l’espoir, illusoire peut-être, de contribuer à la faire évoluer un peu à la fois en collaborant avec d’autres chrétiens progressistes. J’essaie cependant de ne pas choquer ceux qui ne pensent pas comme moi afin de ne pas rompre à l’avance toute possibilité de dialogue.

D’autres lectures me semblent beaucoup plus judicieuses pour faire évoluer les mentalités. Je pense aux livres de Marie Balmary qui donnent des interprétations de passages de l’ancien et du nouveau testament qui les rendent parlants pour notre temps. Je pense aussi à un livre tout récent : Jésus selon Mathieu. Héritages et rupture par Colette et Jean-Paul Deremble qui propose verset après verset une relecture de Mathieu qui s’appuie sur tous les outils modernes de l’analyse de textes. Ces livres-là sont porteurs d’Espérance tout en dépassant l’obscurantisme.

J.M. 6 juin 2018

Réaction au livre de Roger Sougnez

Chères amies, chers amis,

Je reste tout de même un peu songeur devant ce programme et ce titre, car que reste-t-il finalement ?

Souvenons-nous de cette petite pointe de colère d'André Verheyen face à qui lui disait "je ne sais plus que croire" et, dès lors, estimait qu'on faisait du mauvais travail.

Autant je suis contre l'hyper-conservatisme (nous avons "souffert" récemment en assistant par hasard et sans nous y attendre, à une messe Lefèvriste à Saint-Brieuc qui nous a démoli le moral pour tout un moment), autant je me reconnais désarçonné ici par ce côté "tabula rasa" : c'est ainsi.

Bien amicalement,

Francis 7 février 2019

6 juillet 2019 6 06 /07 /juillet /2019 08:05
Charles Delhez sj L’Église, un système qui s’effondre
Charles Delhez sj

 

S’il ne se passe rien, on peut dire que dans un siècle, il ne restera en Europe plus grand-chose du christianisme. Mais il peut être totalement transformé par des innovations dont nous n’avons pas aujourd’hui la moindre idée(1).

Marcel GAUCHET

 

Il m’arrive souvent, de ces temps-ci, de penser au pape François. Quel poids ne porte-t-il pas sur ses épaules ? Son nom dit bien sa mission. « L’Église a besoin d’un nouveau François : tout ce qui nous encombre, il ne l’avait pas, tout ce dont nous avons besoin, il l’avait », avait déclaré feu le cardinal Danneels avant son élection. Le saint d’Assise est en effet bien connu pour son amour de la nature et sa « sobriété heureuse ». Le Poverello était aussi intensément attaché au Christ – rappelons-nous les stigmates – et soucieux de toute l’Église. Dans la chapelle lézardée de San Damiano, il avait entendu Jésus lui dire : « Rebâtis mon Église ! » Le jeune converti avait d’abord cru qu’il s’agissait de maçonner. Mais très vite, il comprit qu’il était question de l’Église avec une majuscule. Par les nombreuses communautés nées dans sa mouvance, François apporta la réponse à l’Église de l’époque.

C’est souvent par le bas que l’Église a pu renaître, à partir de petites poches de fraternités évangéliques. Ne serait-ce pas ce dont cette institution bimillénaire a un urgent besoin ? Nous traversons en effet une crise profonde, la plus forte depuis 400 ans, a pu dire Odon Vallet, historien des religions. Dans nos pays, cette crise me semble double : globale, d’une part ; interne de l’autre.

Une crise religieuse globale

Nous assistons à la disparition de la « matrice catholique » de notre société, à la fin du « modèle paroissial ». Celui-ci est exsangue dans les campagnes et survit à peine dans les villes. Jadis, l’institution romaine quadrillait tout le territoire. Chaque étape de la vie était encadrée par elle, quasi chaque association avait son aumônier. L’Église dictait les valeurs, soutenait les arts, organisait les universités et offrait un sens à la vie par sa spiritualité. Notre société était chrétienne. On en est loin aujourd’hui. Les institutions sont désormais laïques et la culture se sécularise, les citoyens se défont de la religion(2).

L’Église, qui était au centre, se retrouve à la marge, « exculturée », selon le mot de Danièle Hervieu-Léger. La sociologue française des religions a pointé trois domaines où le fossé entre la culture héritée du christianisme et celle de la modernité s’élargit, ceux du rapport à l’au-delà, à la nature, à la hiérarchie. Voyons.

La prédication partait des manques de l’existence et présentait un au-delà où ils seraient comblés. Nous sommes désormais – mais non pas tous – dans une société d’abondance et de surconsommation. L’inquiétude pour la moisson n’est plus notre souci quotidien. La croyance en un au-delà compensatoire disparaît au profit de la valorisation de l’ici-et-maintenant.

Dans la nature, on pouvait lire la volonté de Dieu, puisqu’il en était le Créateur. Aujourd’hui, elle est ce que l’homme domine, transforme, utilise. L’homme n’est plus devant elle comme devant un grand livre ouvert, mais au-dessus d’elle comme un manager. Il n’interroge plus la Bible, mais il met en place des comités éthiques.

Depuis la Révolution française, enfin, la société a essayé d’éliminer toute hiérarchie et mis en place des « républiques d’égaux ». Même la famille est concernée. L’Église catholique, elle, est une société fortement hiérarchisée où l’argument d’autorité reste souvent utilisé.

Le christianisme peut-il se dire dans la modernité ?

Le christianisme s’est dit dans la brillante culture religieuse du Moyen Âge, par exemple, ou dans celle du Baroque. Mais ceci est du passé. Notre présent, c’est la modernité. La religion a cessé d’envelopper toute la société, de l’organiser et d’être le premier lieu de sens pour l’individu et son rapport au monde. Jésus avait fait entendre son Évangile dans un monde spontanément religieux ; les premiers chrétiens parlaient d’une voie, d’un chemin. L’Église en a fait une religion. Le défi est aujourd’hui de redire l’originalité chrétienne dans un paysage sorti de la religion, où Dieu n’est plus évident.

Certes, la « chrétienté », cette collusion de la hiérarchie ecclésiale avec le pouvoir civil, est morte. Mais pas le christianisme. Un christianisme pauvre, nettement minoritaire dans nos régions, mais plus évangélique, va pouvoir apparaître. Un homme comme le jésuite Joseph Moingt a acquis la conviction que seul un recentrage sur l'Évangile plutôt que sur la religion pourrait permettre que le message soit entendu du monde actuel. Le théologien parisien parle d’un « humanisme évangélique(3)».

Le centre unique n’est désormais plus la paroisse, lieu d’accueil pour tous, mais le monde lui même où, au coude à coude avec les hommes et les femmes de bonne volonté, les chrétiens créent d’autres lieux – éventuellement provisoires – où se vivent différents aspects de notre humanité, qu’ils soient spirituels, culturels ou humanitaires, incarnant différentes valeurs de l’humanisme chrétien. Ce serait des « tiers-lieux ecclésiaux », selon l’expression d’Arnaud Join-Lambert(4), des espaces hospitaliers et innovants ouverts à tous. Cette Église sera donc multipolaire, en réseau. Le Pape François utilise souvent, pour la décrire, l’image géométrique du polyèdre, une unité, mais dont chacune des parties a sa particularité, son charisme.

La paroisse traditionnelle peut être un de ces lieux, mais ne sera plus le seul. Les monastères et abbayes aussi, comme le montre Danièle Hervieu-Léger dans son récent livre Le temps des moines. Clôture et hospitalité(5). « La conviction théologique qui fonde [cette] démarche, écrit-elle, est qu’à la pluralité de la société doit correspondre une pluralité de communautés afin que la mission chrétienne pour suivre sa course. »

C’est en se décentrant vers le monde que, paradoxalement, l’Église pourra se régénérer. Cela fait clairement écho au pape François qui, dès le début de son pontificat, a parlé d’une « Église en sortie ». Tout à l’opposé donc de la structure concentrique héritée de la réforme grégorienne du XIe siècle. Dans l’optique chrétienne, en effet, ce qui devrait importer, ce n’est pas que l’institution perdure, mais que le message continue à être annoncé. Sous cet angle, le ministère sacerdotal, par exemple, n’est plus l’incontournable, l’intouchable, celui qui exerce un quasi monopole. Le rôle du prêtre peut être revu afin de correspondre mieux au message lui-même en contexte de postchrétienté. Nous y reviendrons.

Les trois cercles concentriques

Les « valeurs » de l’Évangile sont universelles. Qui ne reconnaît pas dans le partage, le pardon, la solidarité, un supplément d’humanité ? Ces valeurs ressemblent à celles promues et vécue par Jésus qui, aux yeux des chrétiens, est la figure de l’humain accompli. Tout humain « de bonne volonté » peut se reconnaître dans l’Évangile. Tous ceux qui vivent leur existence en vérité de conscience(6), qui tentent d’humaniser toute situation, œuvrent dans le sens des droits humains et cherchent à être des humains parmi les humains, malgré leurs incohérences — mais qui n’en a pas ? — tous ceux-là, quelle que soit leur foi religieuse sont, aux yeux des croyants, animés par l’Esprit de Dieu.

D’un point de vue chrétien, j’aime voir trois cercles concentriques, séparés par une frontière en léger pointillé. Il y a ceux qui, appartenant à d’autres religions ou même s’opposant à toute religion, vivent des valeurs semblables à celles de l’Évangile. Ils puisent dans le fonds commun de l’humanité qui, aux yeux du chrétien, est créée à l’image de Dieu, sans distinction de race ou de religion. Ce qui ressemble à l’Évangile, même s’il ne s’en revendique pas, rend Dieu présent et contribue à la croissance du Royaume, c’est-à-dire de ce monde enfin transfiguré de part en part par l’amour, conformément au projet divin.

Il y a, deuxième cercle, ceux qui se réclament des valeurs chrétiennes, mais sans les enraciner dans une transcendance ni entretenir une relation avec le Christ. Ils ont hérité de ces siècles d’imprégnation chrétienne. Ces valeurs prennent corps dans bien des institutions : les caisses de solidarité sociale, la Justice qui respecte le droit de la défense, l’enseignement qui se veut le plus égalitaire possible, les hôpitaux qui accueillent les malades et promeuvent la santé pour tous, indépendamment des classes sociales. Le christianisme a gagné, estime Luc Ferry : ses valeurs — essentiellement l’égalité démocratique et la logique d’amour — ont été intégrées par la société. Notre société occidentale est bien « sortie de la religion », selon la formule de Marcel Gauchet.

Enfin, troisième cercle, la koinonia, communion fraternelle en Jésus, l’Église proprement dite. Les croyants pratiquants entretiennent explicitement dans leur communauté la mémoire de ce Jésus parce que son message et sa personne demeurent subversifs jusqu’à la fin des temps. Le sacrement de l’Eucharistie donne une visibilité rituelle à leur utopie d’un banquet offert à toute l’humanité. Jésus a plus d’une fois utilisé cette image et lui-même partageait volontiers la table avec ceux qui l’invitaient, pharisiens ou pécheurs.

La communauté est ici importante. On ne peut être chrétien tout seul. Et c’est peut-être là que le bât blesse. La petite communauté des disciples autour du Christ ou au lendemain de la Pentecôte est devenue une gigantesque institution qui a traversé, bon an mal an, les siècles. Ses membres ne sont plus à portée de voix, mais en relation hiérarchique. Elle est maintenant ce système que nous voyons bien malade aujourd’hui. L’institution — sans doute nécessaire — est devenue lourde et fragile, passible de tous les dérapages et scandales. La pédophilie des clercs, les abus sexuels, les doubles vies n’en sont que des symptômes. Le mal est plus profond. Le système pyramidal s’effondre. L’Église est désormais pour beaucoup un obstacle à ce qui demeure prioritaire : l’annonce de la bonne nouvelle évangélique. Or, Jésus n’était pas venu fonder une institution garantissant au monde la véritable religion. Il avait simplement mis en marche une « mouvance de disciples » et leur avait donné mission d'annoncer et de répandre son projet de Royaume de Dieu.

Notons au passage l’attente grandissante de communautés plus émotionnelles où des sentiments intenses sont partagés, les Églises traditionnelles apparaissant comme froides et figées. On assiste en effet à une véritable explosion de communautés protestantes évangéliques et pentecôtistes partout dans le monde. Elles parviennent à susciter chez leurs fidèles, en terme de pratique, ce que les Églises historiques n’obtiennent plus.

Cette Église est actuellement en situation de diaspora. Elle s’inscrit dans la mosaïque sociale avec de moins en moins de privilèges. Elle a droit à la parole comme les autres, mais ne peut plus parler plus haut que les autres. Cette étape de la modernité, Habermas l’appelle « postséculière ». Les croyants, estime-t-il, ont le droit de contribuer aux débats publics par des arguments religieux. Il parle de « réserves de valeurs » présentes dans la société civile grâce, par exemple, aux Églises. La vision de Paul VI était prophétique : « L’Église se fait conversation avec la société, de laquelle elle se reconnaît intimement solidaire » (Ecclesiam Suam, (6 août 1964). Mais un petit nombre, s’il vit le message en vérité, ne peut-il pas soulever le monde ? Jésus évoquait le peu de levain capable de faire lever toute la pâte.

La lettre à Diognète, un anonyme du IIe siècle, mérite ici une mention spéciale :

Les chrétiens ne se distinguent pas des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Leur genre de vie n’a rien de singulier. Ils se conforment aux usages locaux, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois… En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde.

Une institution en péril

La crise est aussi interne. Notre propos sera ici limité. Nous nous en tiendrons à l’organisation de l’Église dans nos pays de postchrétienté. Ce système, aujourd’hui, s’effondre, mais l’Église peut survivre autrement.

Dans son livre Réinventig organizations, Frédéric Laloux veut contribuer à des relations plus participatives ou collaboratives et davantage horizontales que verticales dans le monde de l’entreprise. Il classe les différents modèles d’organisation et leur donne une couleur : le rouge pour l’autorité forte, l’ambre pour les structures pyramidales rigides et stables, qui répètent toujours le passé, l’orange pour le modèle méritocratique, le vert pour le type plus familial et l’opale pour celles fondées sur la valorisation de la contribution de chacun tout en permettant des prises de décision efficaces, la résolution de conflits et une centration sur les objectifs fondamentaux.

L’Église ne devrait-elle pas prendre exemple sur le modèle opale et renoncer au fonctionnement rouge ou ambre qui ressemble si peu à ce que Jésus présente dans l’Évangile ? Qu’on se souvienne du Lavement des pieds (Jean 13, 1-17), épisode propre à Jean mais qui trouve un quasi un correspondant dans l’évangile de Luc, situé aussi le Jeudi, veille de la mort du Christ. Je ne peux m’empêcher de le citer. Jésus vient de partager le pain et le vin en signe de sa mort prochaine et d’annoncer la trahison de Jésus. Voici ce qui suit immédiatement :

24 Ils [les apôtres] en arrivèrent à se quereller : lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ?

25 Mais il leur dit : « Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs.

26 Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert.

27 Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert(7).

Il semblerait que l’Église des premiers siècles ait fonctionné selon cette dynamique opale. De nombreux passages évangéliques en sont la trace. Vint le tournant constantinien (313) et surtout celui de Théodose qui érigea le christianisme en religion d’État (380). L’Église s’est alors mise à fonctionner à la manière de l’empire, surtout lorsque celui-ci s’effondra et qu’elle prit le relais. Au XIe siècle, la réforme grégorienne(8) quadrilla tout le territoire selon le modèle hiérarchique, soumettant chaque chrétien à un curé lui-même soumis à son évêque, celui-ci relevant du pape. Ainsi une société parallèle, une societas perfecta, parce que d’origine divine, se constituait et a perduré jusqu’à son effondrement actuel(9). En Europe, en effet, la désertion connaît aujourd’hui une ampleur sans précédent. Les fidèles quittent l’Église de leur enfance et les baptêmes des adultes sont loin de compenser(10).

L’Église semble encore fonctionner de manière autarcique, mais tourne de plus en plus à vide. Les pratiquants de jadis se font absents. Si l’on estimait à 42% dans les années 60 le nombre de pratiquants hebdomadaires, on parle actuellement de 3% au moins une fois pas mois. Nos contemporains croient de moins en moins — « Je crois que je ne crois plus ». Les jeunes particulièrement ne prennent pas le relais. Ils ne se retrouvent pas dans le langage chrétien et ne sentent plus appartenir à l’Église, sauf quelques cercles identitaires, opérant un retour à la tradition. Leurs solidarités sont ailleurs. Ils ont appris à être heureux sans Dieu. En Belgique, selon une étude franco-britannique récente (2018) sur les jeunes de 16 à 29 ans, ils seraient 22% à se dire catholiques, dont seulement 2% de pratiquants. En France, 64% se déclarent sans religion.

À l’occasion de l’affaire « Barbarin (11)», on commence à percevoir que les dérapages du personnel ecclésiastique relèvent de la juridiction civile et pas seulement de celle de l’Église. Les chrétiens aspirent à une autre Église : « La vraie attente des chrétiens du XXIe siècle n’est-ce pas plutôt : la participation, la cogestion, l’égalité, la non-discrimination entre “simples” baptisés et baptisés ordonnés(12)… ? ». Le théologien Yves Congar : « Tout ce qui concerne les chrétiens devrait être décidé avec eux. »

D’une « mouvance » (José Antonio Pagola), le christianisme était devenu une religion avec tous les maux caractéristiques de celles-ci, que Jésus avait voulu combattre. À titre d’illustration qui ressemble à une caricature, mais qui est une citation tout a fait exacte, voici une affirmation de l’encyclique Vehementer nos où Pie X (1906) condamnait la loi française de séparation de l’Église et de l’État : « L’Église est, par essence, une société inégale c’est-à-dire une société comprenant deux catégories de personnes, les pasteurs et le troupeau. » On devine sans peine les conséquences d’une telle vision des choses : patriarcalisme, autoritarisme, cléricalisme…

Les prêtres et le cléricalisme

Toute religion a tendance à s’organiser en institution susceptible de toutes les dérives et oublieuse de son inspiration première. La question du cléricalisme est au centre de la problématique. Elle tourne, bien sûr, autour du statut du prêtre(13) et finalement de la conception de l’Église. Joseph Moingt n’hésite pas à dire : « Une société qui ne produit plus de prêtres est une société qui ne désire plus se reproduire sur le modèle de son passé religieux(14). »

Manifestement, en effet, le modèle actuel du prêtre ne séduit plus la jeune génération. Les séminaires sont vides. Rien ne semble indiquer un redressement de la courbe drastiquement descendante des vocations classiques dans notre pays(15). Et faire appel à des prêtres étrangers, c’est entretenir le système obsolète. On ne résout pas les problèmes avec les outils qui les ont engendrés, disait Einstein. Il s’en suit que les églises se vident et que l’on ne regarde pas le problème en face.

Alors que Jésus avait suscité une fraternité où la seule hiérarchie était vue par le bas, en terme de service, très vite s’est mise en place un « dualisme hiérarchique » (José Arregi), une « structuration binaire » (Hervé Legrand). Ce modèle a engendré une scission dans le corps ecclésial, a pu dire le pape François qui a fait de la lutte contre le cléricalisme un de ses chevaux de bataille.

Le prêtre était devenu un personnage sacré, se tenant à l’écart du commun des mortels jusque dans sa sépulture qui devait être séparée de celle des laïcs et située dans un lieu plus honorable, disait encore le Droit canon de 1917 (1209 § 2). C’est à sa désacralisation qu’il faut travailler. Depuis quelques décennies, le tournant s’opère. On peut maintenant tutoyer le prêtre qui ne porte plus cette soutane qui le mettait à part (même si le « col romain », vestige de l’habit ecclésiastique, a tendance à revenir). Serait-ce un raccourci que de dire que le célibat obligatoire dans l’Église latine en est une traduction, même s’il faut reconnaître que les Églises au clergé marié ne sont pas non plus sans problèmes.

Le registre théologique du sacrifice abonde dans le même sens. Que l’on se souvienne de l’expression, aujourd’hui pratiquement disparue, du « saint sacrifice de la messe ». Toutes les religions ont pratiqué des rites sacrificiels – sacrifices végétaux, animaux et même humains. Or, s’il y a sacrifice, il faut des sacrificateurs. Ces « prêtres » (au sens grec du mot hiereus) sont, par ces rites, en contact direct avec la ou les divinités, et ils en deviennent sacrés, car ils ont accès à ce qui échappe à l’homme ordinaire. Notons que, dans le Nouveau Testament, on ne voit jamais Jésus faire des sacrifices, pourtant fréquents dans l’Ancien Testament. S’il va au Temple, c’est pour enseigner (pour prier, il se retirait dans des endroits solitaires)(16).

Au vingt-et-unième siècle, cette culture sacrificielle n’existe plus guère. Nous nous exprimons dans un autre registre symbolique, que l’on pourrait qualifier d’humaniste. Malgré tout, la conception que l’on a du prêtre ne s’en est pas encore totalement affranchie, et le vocabulaire liturgique non plus. Vatican II, sur ce point, n’est pas encore assimilé. Ce Concile distingue le « sacerdoce commun des fidèles » et le « sacerdoce ministériel ». Si, selon le Concile, y a une différence essentielle et non uniquement de degré entre les deux sacerdoces des prêtres, qui est au service du premier, il n’y en n’a pas pour autant une entre les personnes qui sont appelées à ce service et les fidèles. Tous les chrétiens sont sur pied d’égalité en vertu de leur baptême. Or tel est bien le problème du cléricalisme : le prêtre se réduit à sa fonction et s’attribue dès lors un statut sacré. En découle le syndrome de tout pouvoir. Il est urgent de passer d’une logique sacrificielle à une logique fraternelle.

Les prêtres de demain

Ce qui est notamment en jeu avec la raréfaction des prêtres, c’est la fraction du pain en mémoire de Jésus, la messe. Il ne s’agit de maintenir une structure verticale de l’Église, mais de permettre notamment aux communautés chrétiennes des villages oubliés de faire ce geste en mémoire de Jésus car, pour un catholique, il est fondateur. Et ce problème se posera très prochainement pour les communautés urbaines et pour tous les petits groupes qui, comme au temps des catacombes, se réunissent dans des habitations privées. Il ne faudrait pas oublier le droit d’une communauté à l’eucharistie. Le peuple de Dieu est premier et non la hiérarchie.

La question du célibat « obligatoire » des prêtres revient souvent dans les conversations entre croyants. Il ne s’agit pas de supprimer la vocation au célibat, mais d’accueillir plusieurs manières de vivre ce ministère ordonné. L’évêque Fritz Lobinger, que le Pape a lui-même cité lors de l’interview dans l’avion du retour de Panama, plaide pour une mise en place de deux clergés : l’un marié, appelé « corinthien » (selon le modèle pratiqué par saint Paul à Corinthe et dans les communautés qu’il fondait), à temps partiel, issu de la communauté et reconnu par l’évêque, pour animer la fraternité et présider l’eucharistie ; l’autre « paulinien », engagé dans le célibat, œuvrant à temps plein pour conduire les communautés à l’état adulte, faire le lien entre elles, former et animer les prêtres de communauté. J’avoue être séduit.

En termes techniques, il s’agit de permettre l’ordination des viri probati, de personnes dont la maturité a été éprouvée, de prêtres « corinthiens ». Dans ce cas de figure, il ne s’agirait plus d’être prêtre dès le plus jeune âge (c’est d’ailleurs de moins en moins fréquent), mais d’être un jour ou l’autre choisi par la communauté. On retrouverait ainsi le sens profond du mot grec presbuteros : l’ancien. C’est vers la quarantaine ou la cinquantaine, en effet, que l’on serait appelé à ce service – bénévole ou à charge de la communauté –, après avoir mené à bien sa vie conjugale, familiale, professionnelle. La personne élue sera présentée à l’évêque qui confirmera ce choix en lui imposant les mains. L’exigence de formation qui leur serait demandée ne serait évidemment pas la même que celle d’aujourd’hui pour les prêtres à plein temps et pour toujours. Sept années d’étude après les humanités, ce serait disproportionné.

Problèmes particuliers

Des ministres élus. Aux origines chrétiennes, seul pouvait recevoir l’ordination celui qui était appelé par une communauté déterminée. Le lien avec celle-ci était donc essentiel. S’il cessait d’en être le président, il redevenait laïc au sens plein du terme, c’est-à-dire un baptisé comme les autres. C’était d’ailleurs la communauté tout entière qui concélébrait sous la conduite de celui qui la présidait. Avant le concile de Nicée (325), douze pères de familles avaient droit à un président ordonné par l’évêque. Parfois même un laïc était appelé à célébrer l’eucharistie. Il faut attendre le 2e millénaire pour entrer dans un système binaire et voir la dimension ecclésiale de l’eucharistie réduite au célébrant, la dimension communautaire s’estompant. On en vint à parler, au XIIIe siècle, du « caractère » conféré par ce sacrement, c’est-à-dire une marque indélébile, une empreinte quasi ontologique. On pouvait devenir prêtre « à soi tout seul ». « Celui qui doit présider à tous, disait le pape saint Léon le Grand, au Ve siècle, doit être élu par tous. » Ne pourrait-on en revenir, dans nos pays, à une élection des évêques et à un choix des prêtres par les communautés (qui seront de taille plus réduite et donc plus intenses).

Des ministères à temps partiels et temporaires. Ne pourrait-on pas envisager la présidence d’une communauté comme un service temporaire et une occupation à temps partiel ? Si le choix vient de la communauté et que l’accent n’est plus mis sur le « caractère » sacré du prêtre – Tu es sacerdos in æternum —, la réponse peut être positive. À une époque où de nombreux baptisés se forment, il ne devrait pas être difficile de trouver des personnes aptes. Idéalement, il faudra toujours une reconnaissance de l’évêque, un mandat qui manifeste que le prêtre n’est pas seulement l’émanation de la communauté mais aussi un don de Dieu et qu’il relie à l’Église universelle à laquelle chaque membre appartient.

L’ordination des femmes. Question plus délicate que celle-là. Le Nouveau Testament, marque un tournant, faisant une place importante aux femmes. Saint Paul, même s’il parle sur fond d’une culture encore patriarcale, a proclamé haut et clair l’égalité de l’homme et de la femme: « Il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Galates 3, 28). De plus, la première page de la Bible donnait déjà de l’être humain une vision sexuée et pas seulement masculine. Quant à notre culture moderne, elle tend vers l’égalité des sexes.

L’Eglise tient à la différence intrinsèque, et pas seulement culturelle, entre l’homme et la femme. Elle voit dans le fait de réserver la prêtrise aux hommes une cohérence symbolique avec sa conception anthropologique : il n’existe pas un être humain indifférencié, mais deux manières différentes d’être au monde. Or les sacrements se situent dans le registre symbolique et non organisationnel. Le Christ étant historiquement un homme (cela fait partie de la contingence de l’histoire), seul un homme peut agir in persona Christi, à la place du Christ, selon la formule théologique consacrée.

Mais si l’on veut maintenir le dialogue avec la culture moderne et si, de plus, on promeut une conception moins sacrée du prêtre, ordonner les femmes serait un pas en avant dans la ligne du tournant opéré par Jésus. Cela va dans le sens de l’histoire et lèverait une réserve importante de nos contemporains vis-à-vis de l’institution ecclésiale. La première étape sera la réinstauration de diaconesses et la création – puisque tel est le mot – de femmes cardinales, leur donnant ainsi un rôle de conseil du pape et d’élection de son successeur. L’onction des malades ne pourrait-elle pas aussi être donnée par une religieuse, voire — allons plus loin — par le laïc ou la laïque qui visite la personne sur son lit d’hôpital ou à la maison ? Ne doit-on pas desserrer l’étau sacramentel devenu un quasi monopole sacerdotal et masculin (exception faite pour le mariage et le baptême) ? Il me semble que oui.

Conclusions

L’Église, devenue minoritaire, est invitée à quitter l’extensif en vue de l’intensif, à passer de la societas perfecta, qui avait tout en son sein pour ses fidèles, à une « koinonia » fraternelle et solidaire, intensive, où ses membres se ressourcent et tissent des liens chaleureux. Il faudra veiller, bien sûr, à ne pas oublier le coude à coude avec ceux qui n’appartiennent pas à ces communautés, à ne pas privilégier le particulier au détriment de l’universel(17). Ce qui est certain, c’est que l’Église-institution de type paroissial d’il y a moins de 50 ans encore ne fera plus partie de notre paysage dans un temps tout proche. Il faudra créer d’autres lieux pour que l’Évangile puisse encore rencontrer les hommes et les femmes d’aujourd’hui.

Pour les lecteurs non chrétiens qui observent l’évolution de la société, cet article leur apparaîtra comme une description sociologique de l’évolution de l’institution qui a marqué profondément l’histoire de l’Occident. Pour les catholiques, il apparaîtra peut-être comme un coup de massue. Où est l’Église d’antan ? En effet, c’est un changement de cap profond que proposent ces lignes. François, le pape venu du bout du monde, a invité, dès le début de son pontificat, à « abandonner le confortable critère pastoral du “on a toujours fait ainsi”. J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés(18). » Dans ce domaine, il ne faut pas avoir peur de l’éphémère. Ce n’est pas parce qu’une initiative ne dure que quelques années qu’elle n’a pas porté de fruit. Procéder par essai et erreur est humain.

La nostalgie est un immobilisme. Les chrétiens doivent se tourner résolument vers l’avenir tout en restant enracinés dans les intuitions originales du christianisme en ses débuts. Il y va de leur survie dans nos pays. Si Jésus a voulu susciter une communauté de femmes et d’hommes qui vivent de sa Bonne Nouvelle et sont ainsi levain dans la pâte, il n’avait pas envisagé une institution puissante. Sans doute la chrétienté a-t-elle porté des fruits. Il ne faut donc pas la rayer de nos mémoires. Mais tel n'est plus notre étape historique. Les chrétiens sont devenus un « petit troupeau » (Luc 10, 32). Ils ont à trouver leur juste place dans cette société qui, sans le savoir sans doute, attend d’eux un supplément d’âme. Il est temps non de quitter l’Église, mais de sortir des églises. Car l’Évangile est un fameux trésor à partager !

 

 

Charles DELHEZ sj, mai 2019

 

Si nous ne sommes pas comme les premiers chrétiens, nous serons les derniers.

Christine PEDOTTI

 

 

(1) Marcel GAUCHET, Chrétiens, tournez la page, Entretiens avec Yves de Gentil-Baichis. Bayard, 2002, p. 79 (retour)
(2) On peut distinguer la sécularisation objective, ou laïcisation des institutions, et la sécularisation subjective, ou effacement culturel de la religion. (retour)
(3) Voir Joseph MOINGT, Revue Études, « Pour un humanisme évangélique », octobre 2007. L’expression est certes risquée, car elle peut paraître soit réduire l’Évangile à un humanisme sécularisé, soit vouloir récupérer le second dans les eaux du christianisme, mais voulant éviter par là un communautarisme qui rendrait l’Église incapable de communiquer avec le monde moderne. (retour)
(4) Arnaud JOIN-LAMBERT, Nouveaux lieux ecclésiaux pour régénérer l’Église en Europe, dans Études, mars 2019, p. 79-90. Merci à lui pour sa réflexion stimulante. (retour)
(5) Danièle HERVIEU-LÉGER, Le temps des moines. Clôture et hospitalité, Paris, PUF, 2017. (retour)
(6) « Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne n’est pas donnée à lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir » (Vatican II, Gaudium et Spes, § 16). Le concile ajoute que cette conscience est « le sanctuaire où (l’homme) est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre ». (retour)
(7) Luc, chapitre 22, 24-27. (retour)
(8) Le pape Grégoire VII, 1073-1085. (retour)
(9) Le sommet de cette « dérive monarchique » (Henri Tincq) fut sans doute le concile Vatican I qui proclama l’infaillibilité pontificale, mais sans faire l’unanimité. Cette « societas perfecta » ne doit-elle par faire place un une « koinonia solidaire » ? Voir plus bas. (retour)
(10) En Belgique, 45 657 baptêmes en 2010 ; 33 875 en 2016. 239 adultes ont reçu le baptême à Pâques 2019, dix de plus que l’année précédente. (retour)
(11) Le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, Primat des Gaules, condamné en mars 2019 pour la gestion du dossier d’un prêtre pédophile, l’abbé Preynat. (retour)
(12) Correspondance privée. (retour)
(13) Le vocabulaire autour du prêtre est varié : président de l’assemblée, ministre ordonné, état sacerdotal, presbytérat, Anciens… Nous n’entrerons pas ici dans les nuances. (retour)
(14) Joseph MOINGT, Faire bouger l'Église catholique, Desclée de Brouwer, 2012, p. 65. (retour)
(15) Deux entrées au séminaire en francophonie cette année, 3 séminaristes pour les 7 ans de formation sacerdotale à Malines-Bruxelles, et 4 à Liège… (retour)
(16) L’épître aux Hébreux reprendra ce vocabulaire, mais précisément pour montrer que le don de Jésus sur la croix peut être compris comme un dépassement du sacrifice de l’Ancien Testament. Si ce texte utilise ce registre, c’est pour rejoindre ses lecteurs encore marqués par la théologie sacrificielle. (retour)
(17) Voir la distinction faite par Max Weber (1864-1920) et Ernst Troeltsch (1865-1923) entre le « type Église », extensif, caractéristique de la chrétienté, et le « type secte », intensif. Le danger de ce deuxième type est bien sûr l’oubli du monde dans lequel on se trouve. (retour)
(18) François, Evangelii Gaudium, 2013, n° 33. (retour)
23 février 2019 6 23 /02 /février /2019 09:00
bateau lpc Il ne suffit pas
Jo Bock

Faut-il ordonner prêtres des personnes mariées ? Comme Charles Delhez vient de le demander instamment dans sa chronique du 30/01, dans LLB. Voir http://reli-infos.be/saint-pere-il-y-a-urgence-a-ordonner-pretres-des-gens-maries.

Pour commencer, je n’apprécie guère les différents arguments qui expliqueraient le manque de vocations au sacerdoce célibataire. S’appuyant sur les paroles du pape François, le P. Delhez attribue ce déficit « à la pauvreté du témoignage des prêtres, des évêques... » Je pense que les prêtres qui se démènent pour assurer les messes du dimanche et les enterrements successifs, dans leurs nombreuses paroisses, apprécieront.

Ensuite on stigmatise les baptisés : ce manque de vocations serait « dû à la pauvreté du témoignage… des chrétiens » et ce serait « faute de communautés vivantes » qu’il n’y aurait plus suffisamment de vocations sacerdotales. Et pourquoi ces communautés ne sont-elles pas plus vivantes ?…

Et l’on prétend que multiplier les prêtres serait le premier remède au manque d’évangélisation. « La chaîne de la transmission risque bien d’être rompue assez rapidement. » Alors que cette transmission est principalement assurée, non par les prêtres, mais par les professeurs de religion et les nombreux(ses) catéchistes. Le témoignage des « 163000 bénévoles qui font vivre nos communautés et nos mouvements » ne contribue-t-il pas, lui aussi, à la transmission d’un Evangile humanisant ?

Par conséquent, plutôt que de chercher à le renforcer, ne faudrait-il pas commencer par faire le bilan du système hiérarchique clérical ? Se demander p.ex. : pourquoi les jeunes, si entreprenants par ailleurs, délaissent-ils l’institution ? Pourquoi nos communautés ne sont-elles pas plus vivantes ? Pourquoi l’Église est-elle coupée de la vie ?

Par ailleurs, « l’attente de tant de chrétiens fidèles et sincères » serait aussi à analyser. Quand ces chrétiens constatent avec regret : « Il n’y a plus assez de prêtres ! », c’est parfois, simplement, parce que le nouvel horaire des messes ne leur plaît pas. Et comment interpréter, même quand il y a des messes, le fait que la pratique continue à diminuer ? La vraie attente des chrétiens du XXIe siècle n’est-ce pas plutôt : la participation, la cogestion, l’égalité, la non-discrimination entre ‘simples’ baptisés et baptisés ordonnés… ? « Tout ce qui concerne les chrétiens devrait être décidé avec eux » (Yves Congar).

A la fin de Vatican II, Paul VI aurait constaté : « Tout est à repenser ! » (le rapport entre l’Église et le Royaume ; la restructuration de l’eucharistie en l’axant sur la Résurrection ; les droits et devoirs des baptisés...). Tant que ce travail n’est pas entrepris, qui aura envie de s’engager dans l’Église ? Le manque de vocations sacerdotales ne peut-il pas être un « signe des temps » du besoin d’une refondation en profondeur ?

Il y a cent ans, il y avait des milliers de bons prêtres, mais cela n’a pas empêché la déchristianisation de la France (et de la Belgique). Pourquoi ?

Jo Bock

16 février 2019 6 16 /02 /février /2019 09:00
  Saint-Père, il y a urgence à ordonner prêtres des gens mariés
Charles Delhez, SJ

Dans l’avion qui le ramenait de Panama, le pape François a dit qu’il ne prendrait jamais la décision d’ordonner prêtres des gens mariés. Or nous en avons grandement besoin. Une chronique du P. Charles Delhez, SJ.

Saint-Père, je vous en supplie, donnez des prêtres au peuple chrétien, autorisez l’ordination de personnes mariées. Dans l’avion qui vous ramenait du Panama, vous avez fait une longue allusion au livre de l’évêque allemand Fritz Lobinger (1), vivant en Afrique du Sud. Il suggère qu’à côté d’un clergé traditionnel, il y ait des prêtres qu’il appelle "corinthiens", en référence au fonctionnement de la communauté créée par saint Paul à Corinthe. "Ils exerceraient plutôt leur ministère à temps partiel et seraient ordonnés pour une communauté particulière dans laquelle ils travailleraient en équipe", écrit-il. C’est ce modèle dont nous avons besoin aujourd’hui dans notre pays - et dans d’autres sans doute - pour revitaliser nos communautés. Elles sont en effet laissées à l’abandon faute de personnel qui connaisse chacun par son nom, comme le Bon Pasteur. Et cela nous permettrait de dépasser le cléricalisme que vous avez tant en horreur.

Je sais que c’est Dieu qui appelle et qui donne à son Église. Mais il ne fait rien sans nous. Oserais-je vous dire, avec le plus grand respect et mon affection filiale, que nous lui compliquons parfois la tâche ?

Je n’exprime pas ici mes convictions personnelles, mais l’attente de tant de chrétiens fidèles et sincères que je rencontre. Ils ont souvent été les heureux bénéficiaires de la générosité de leurs prêtres célibataires, mais ils constatent qu’il n’y a plus de vocations sacerdotales issues de leurs communautés. En Belgique, ils n’étaient que quelques unités à s’être présentés aux portes d’un séminaire en septembre dernier, et nous avons 3 486 paroisses. La chaîne de la transmission risque bien d’être rompue assez rapidement. Qui fera ce beau geste de la fraction du pain en mémoire de Jésus ? Il y a une urgence pastorale, comme dans les îles du Pacifique ou en Amazonie. 163 000 bénévoles font vivre nos communautés et nos mouvements. Quel vivier ! Parmi ces personnes mariées, certaines ont vraiment un cœur de pasteur, une connaissance profonde de l’Écriture et de la Tradition, une vie de prière et de charité intense, sans parler de leur dévouement à toute épreuve, à côté de leurs charges familiales ou professionnelles.

Dans notre région aux périphéries de l’Église, les jeunes n’envisagent plus une "carrière sacerdotale". Sans doute sont-ils trop loin de l’Église pour cela. Comme vous le dites, c’est notamment dû à la pauvreté du témoignage des prêtres, des évêques et des chrétiens, mais c’est un fait. De plus, dans tous les pays et dans le nôtre, les scandales sexuels à répétition, d’autant plus bruyants qu’ils sont sur fond de célibat obligatoire, ont défiguré ce témoignage. Et, hormis le drame de la pédophilie, heureusement minoritaire, le nombre de "doubles vies" dans les rangs du clergé est important. La règle demeure, Saint-Père, mais sur le terrain, même si les apparences sont parfois sauves, elle n’est pas toujours respectée, beaucoup s’en faut.

Un mot, dans la bouche de Jésus, m’a toujours profondément marqué : "Si tu veux…" Il n’impose jamais et respecte le rythme de chacun. Il fut un temps où notre Europe était suffisamment prête pour un célibat obligatoire. Et cela a donné de beaux fruits, les exemples de sainteté ne manquent pas. Mais ce n’est actuellement plus le cas chez nous.

Ne pas faire du célibat une condition pour être prêtre, c’est-à-dire pasteur d’une petite portion du Peuple de Dieu, rendrait le signe du célibat beaucoup plus parlant. N’est-il pas la vocation propre de la vie religieuse, féminine comme masculine ? Vous et moi sommes jésuites et le célibat fait partie de notre vocation. Je souhaite que beaucoup entendent encore cet appel, car cette vie est tellement belle. Mais, faute de communautés vivantes, cette vocation risque aussi de disparaître.

Il y a urgence, Saint-Père. C’est à votre cœur si sensible aux appels de vos brebis que je m’adresse. Vox populi, vox Dei, dit-on. Soyez assuré de toute mon affection fraternelle et filiale.

Charles Delhez, SJ

(1) Qui ordonner ? Vers une nouvelle figure des prêtres, Lumen vitae, 2008.
Contribution externe. Publié le mercredi 30 janvier 2019
Source Facebook, texte La Libre (retour)