Est-il possible de savoir quelque chose de Dieu ? Les religions peuvent-elles offrir à leurs fidèles plus qu'une approche incertaine du divin qui demeure vague et lointain ? Comment en effet des démarches humaines, même les plus respectueuses et les mieux intentionnées, pourraient-elles prétendre saisir quelque chose d'exact et de précis à propos de Dieu ?
Pour les Juifs, Dieu s'est révélé en particulier à Abraham, Moïse et les Prophètes et sa volonté est clairement exprimée dans la Torah.
Pour les chrétiens, Dieu s'est fait connaître lui-même en Jésus-Christ.
Pour l'Islam, c'est Dieu lui-même qui a dicté le Coran à Mahomed.
Ce sont toujours des hommes qui expriment ce qui est considéré comme révélé.
Dépassant les circonstances particulières qui ont été à l'origine des religions et les questions d'historicité qu'elles suscitent, nous n'échappons évidemment pas à cette conviction que la perception d'un signe révélateur de Dieu, autant que son expression, sont toujours l'œuvre d'êtres humains. D'où la question inévitable : qu'y a-t-il d'autre que l'imagination humaine ou comment faire le tri entre l'apport humain et ce qui pourrait avoir une autre origine ? […]
Mais pour le croyant de bonne volonté, la difficulté majeure est que lorsqu'on indique ce caractère humain et subjectif de l'approche particulière du sacré dans les différentes religions, il a l'impression que sa foi est menacée. C'est pourquoi, il est toujours bon de rappeler des situations analogues qui, dans le passé, ont abouti non pas à une perte de la foi mais à sa maturation : songeons, bien sûr, à l'affaire Galilée et à l'évolutionnisme de Darwin.
Dans ce domaine comme dans d'autres, la peur est mauvaise conseillère. Applaudissons donc ceux qui font un travail de pionniers, comme le théologien Hans Kung par exemple dans "Une théologie pour le troisième millénaire" Seuil 1989.
"Quelle est donc l'attitude fondamentale requise aujourd'hui des chrétiens face aux religions du monde ? […]
- un peu plus d'indifférence à l'égard de la prétendue orthodoxie, qui se veut la norme du salut ou du non salut de l'homme et ne craint pas de recourir à la force et la coercition pour imposer sa prétention à la vérité. […]
- un sens plus aigu de la relativité face à toutes les absolutisations humaines, qui entravent une coexistence féconde des différentes religions. […]
- une volonté plus effective de synthèse face à tous les antagonismes confessionnels et religieux, qui font encore couler tous les jours le sang et les larmes, pour que règne enfin entre les religions la paix, et non plus la guerre, la haine, la controverse. " (o.c.p 328)
Ces passages sont extraits du chapitre "L'unique vraie religion existe-t-elle ?". Sujet tout à fait passionnant pour une optique de libre pensée chrétienne.
Dans son essai de réponse à cette question, Hans Kung distingue une approche "de l'extérieur", du point de vue des sciences des religions et une approche "de l'intérieur", du point de vue du croyant chrétien.
La première approche
"À voir les choses de l'extérieur…, il y a plusieurs vraies religions : des religions qui, malgré toute leur ambivalence, répondent au moins fondamentalement aux critères que nous avons établis (éthiques et religieux)" (o.c.p352)
Ces critères, l'auteur les avait exprimés de la manière suivante :
"a) Critère positif : dans la mesure où une religion sert l'humanité, dans la mesure où, dans son enseignement dogmatique et moral, dans ses rites et institutions, elle promeut les hommes dans leur identité, leur signification et leur valeur humaines, et où elle leur permet de mener une existence porteuse de sens et fructueuse, dans cette mesure elle est une religion vraie et bonne.
Autrement dit, ce qui protège, guérit et accomplit les hommes dans leur être humain physique et psychique, individuel et social (vie, intégrité, liberté, justice, paix), ce qui est donc humain, authentiquement humain, voilà ce qui peut se réclamer à bon droit du 'divin' ".
"b) Critère négatif : dans la mesure où une religion propage l'inhumanité, dans la mesure où, dans son enseignement dogmatique et moral, dans ses rites et institutions, elle entrave les hommes dans leur identité, leur signification et leur valeur humaines, et où elle contribue à leur faire manquer une existence porteuse de sens et féconde, dans cette mesure elle est religion fausse et mauvaise.
Autrement dit, ce qui opprime, blesse et détruit manifestement les hommes dans leur être humain physique et psychique, individuel et social, ce qui est donc inhumain ou non authentiquement humain, cela ne peut pas se réclamer du 'divin'". (o.c.p338-339)
On sent chez Hans Kung le professeur qui expose le plus clairement possible, en répétant certaines choses pour bien se faire comprendre.
L'autre approche :
"À voir les choses de l'intérieur, du point de vue du croyant chrétien s'orientant d'après l'évangile, il y a pour moi la vraie religion ; pour moi qui ne puis suivre tous les chemins à la fois, elle est le chemin à suivre : c'est le christianisme, dans la mesure où il témoigne de l'unique vrai dieu en Jésus. Cette unique vraie religion pour moi, pour nous chrétiens, n'exclut nullement la vérité dans d'autres religions […].
Mais aucune religion n'a la vérité, Dieu seul a toute la vérité. Dieu seul - quel que soit le nom dont on l'appelle - est la vérité". (o.c.p352-353)
Il n'est donc plus de mise de parler de "seule vraie religion" ou de "seule révélation authentique".
Et l'auteur termine son livre par une perspective d'avenir en montrant que, finalement, toutes les religions sont appelées à disparaître.
"Qui sait comment se présentera la christologie, la coranologie, la bouddhologie… de l'an 2089 ? Une seule chose est sûre, en ce qui concerne l'avenir : à la fin de la vie humaine et du cours du monde, […] il n'y a plus place pour aucune religion, à la fin se tient l'Indicible lui-même que visent toutes les religions…"
En conclusion, nous dirons donc que, dans la perspective de libre pensée chrétienne, nous retenons les deux approches que Hans Kung propose.
Il n'est donc plus question de savoir quelle est "la vraie religion". Par contre, je peux dire que ma religion est vraie "pour moi", dans la mesure où elle m'apporte une "vraie" approche de Dieu et du sens qu'il peut donner à ma vie.
Les communautés de base à Madagascar expriment cela dans une très belle formule : "Dans les églises on dit que Dieu existe ; dans les communautés, on le vit et on le voit."
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