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31 mars 2018 6 31 /03 /mars /2018 08:00
Herman Van den MeersschautDe Bellet à Lazare
Herman Van den Meersschaut

''Qu'est-ce qui nous reste quand il ne reste rien ?

Ceci : que nous soyons humains envers les humains, qu'entre nous demeure l'entre nous qui nous fait hommes." (1)

Extrait de "Incipit" de Maurice Bellet,

Ce petit ouvrage m'a poussé à aller retrouver dans l'Evangile cet expert en humanité qu'est Jésus.

M. Bellet dit que "si l'humain envers les humains venait à manquer, nous tomberions dans l'abîme de l'inhumain ou du déshumain, le monstrueux chaos de terreur et de violence ou tout se défait"(2).

Cela me semble bien rejoindre ce désir infini de Jésus de vouloir sortir les hommes de ces ténèbres d'inhumanité dans lesquelles souvent ils se débattent.

Si Jésus vient nous "sauver" de quelque chose c'est bien de cet abîme inhumain. Le vivre ensemble n'est possible que dans la communication vraie et sincère, la relation de confiance aux autres. Dès que la confiance est minée, c'est le chaos.

On peut remarquer dans les récits évangéliques que Jésus guérit surtout des affections qui coupent la communication, la relation ; qui excluent, qui déshumanisent l'individu qui en est atteint. Comprises symboliquement ces affections sont évidemment très significatives, puisqu'elles sont l'image de toutes nos aliénations, nos manques, nos souffrances que la société nous impose ou que nous nous imposons nous-même. Comme par exemple : nos aveuglements et nos manques de clairvoyance, nos mutismes volontaires ou forcés, nos manques d'écoute et nos ignorances, nos comportements fébriles, nos peurs devant l'action et nos lâchetés, nos esclavages, nos violences, nos folies, nos corruptions et nos compromissions, nos enfermements, nos morts spirituelles...

Voilà tout le tragique de la vie qui défile dans ces guérisons.

Dans l'Evangile un homme debout qui marche, va bien moralement. Un homme assis va déjà moins bien. Un homme couché va très mal et pour un homme mort il n'y a plus rien à faire. Pour nous peut-être, pas pour Jésus évidemment.

Je voudrais m'arrêter ici à cet homme mort de l'Evangile avec le récit de la "réanimation de Lazare" (Jean 11. 17 à 44). Ce récit qui n'a rien d'historique d'après les exégètes est souvent interprété comme une préfiguration de la résurrection de Jésus et comme un texte liturgique utilisé dans la catéchèse du baptême (3). Il présente dans cette optique une très grande richesse.

Mais au baptisé du 20e siècle que je suis, que me dit ce récit aujourd'hui? Quel chemin d'humanité me propose-t-il ? Je me risquerai donc, en toute liberté à une interprétation personnelle.

Prenons le récit au verset 17. Jésus arrive en pleine tragédie. Si l'on comprend la mort de Lazare comme image symbolique de toutes nos morts spirituelles, morales, sociales, relationnelles, on constate que la situation de celui-ci évoque celle de tout homme "écrasé" par les pires vicissitudes de la vie.

On peut remarquer qu'il n'y a aucun jugement porté sur Lazare. On ne sait pas ce qui a pu l'amener à être aussi radicalement coupé de tous et à se retrouver enfermé dans ces ténèbres.

J'y verrais tout être humain, qu'il soit victime ou bourreau, se retrouvant à un moment de son existence acculé dans cet abîme d'inhumanité symbolisé ici par le tombeau: les prisonniers ou les tortionnaires de tous les goulags, les affamés du Soudan, les victimes de tous les terrorismes et les égorgeurs intégristes ou plus près de chez nous le S.D.F. ou le réfugié en rupture totale avec la société... Ne nous arrive-t-il pas, à nous aussi de plonger parfois dans cet abîme ?

Ce qui est éclairant sur les intentions de Jésus, c'est le choix des noms dans ce récit.

L'exégète J.P.Charlier propose de l'intituler: Histoire de "Dieu qui fait miséricorde" (Lazare) dans la "Maison de l'abaissement" (Beth-anie).

Jésus va donc rejoindre celui qui s'est abaissé ou a été rabaissé par d'autres, être de cœur avec lui.

A Béthanie, il trouve tout le monde dans le désarroi le plus complet.

Mais aux versets 20 à 32 sa venue va provoquer tout un mouvement de réveil. Marthe sort de sa torpeur, interpelle Marie qui entraînera derrière elle une foule plutôt sceptique; mais tout le monde se retrouve finalement à l'endroit où Jésus se tenait: c'est-à-dire hors du village. Il nous faut donc absolument sortir du village de notre "moi" pour ouvrir notre cœur à la misère de nos frères.

Je verrais ici aussi un lent travail de conscientisation, de réveil des consciences devant l'urgence.

Jésus a dit à Marthe: Ton frère se relèvera, non pas comme tu le penses dans un au-delà lointain: mais ici et maintenant ! Y crois-tu? Il faut que l'Homme vive dignement aujourd'hui et non pas seulement dans un au-delà hypothétique!

La foi en nos possibilités, la confiance en nous-mêmes, voilà ce que Jésus réveille en nous.

Mais voilà qu'au verset 33, Jésus "frémit et se trouble " en les voyant se lamenter. On pourrait interpréter cela comme un signe d'impatience ou de déception devant l'inertie de cette foule prostrée. Ne disons-nous pas parfois, devant certaines de nos faiblesses que "c'est à pleurer" ?

Est-ce cela qui va décider Jésus? En tout cas au verset 34, il se lance et demande: Où l'avez- vous déposé ?

Il met ainsi tout le monde en mouvement (versets 38 à 44) malgré certaines réticences de Marthe. (v. 39)

On va voir où il en est.

La voie que Jésus propose est claire et s'articule en trois temps.

- D'abord "Enlevez la pierre". Otez d'abord ce qui oppresse l'homme : son angoisse, sa culpabilité, son ignorance, sa misère, sa faim. Attaquez-vous aux racines de son aliénation. Laissez pénétrer un peu de lumière dans ses ténèbres pour qu'il puisse voir où il en est, pour qu'il puisse respirer, se ressaisir et expirer à nouveau.

Oter la pierre est un travail difficile, qui se traduit dans les gestes simples et quotidiens.

C'est parfois plein de risque lorsqu'on se heurte aux structures mêmes de notre société.

- Ensuite c'est à Lazare de faire sa part : "Lazare, sors !" Il faut parfois qu'on nous secoue. Dans toute marginalisation, l'intéressé ne peut en sortir que si l'on lui témoigne un minimum de confiance, ce qui lui donnera la volonté pour faire un premier pas.

C'est ainsi que Lazare sort entravé de bandelettes et le visage couvert d'un linge. Il sort de son trou, il n'a pas encore retrouvé son autonomie, l'avenir est encore voilé.

- C'est alors que Jésus dit : "Déliez-le et laissez-le aller."

Voici à nouveau un long et patient travail de réhabilitation, de relèvement, de reconstruction, de libération, que seuls nous sommes incapables de réaliser.

Remarquez que Jésus, image du Père, ne fait rien lui-même. Mais son amour pour l'homme entraîne l'assemblée. Ce sera dans la communion fraternelle: le rassemblement des énergies que ses sœurs, ses amis vont ramener lentement Lazare sur le chemin d'une vie plus humaine. Une vie où il pourra à nouveau aimer et être aimé.

Voilà le chemin de résurrection que, personnellement, je découvre dans ce récit.

Un message interpellant qui nous rappelle que nous avons en nous-mêmes toutes les ressources nécessaires pour faire croître cet "entre nous qui nous fait hommes".

Et si nous tombons quand même dans l'abîme d'inhumanité, Jésus nous assure "qu'il n'y a pas d'homme condamné." (4)

Herman Van den Meersschaut - LPC - 1998

(1) lncipit de M. Bellet, p. 8 (retour)
(2) lncipit de M Belle t, p. 8 (retour)
(3) "Les miracles dans l'Evangile", J.-P. Charlier, pp. 67-68 (retour)
(4) lncipit de M. Bellet , p. 77 (retour)
Published by Libre pensée chrétienne - dans Commentaires d'évangiles Résurrection Lecture symbolique biblique Jésus