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1 janvier 2014 3 01 /01 /janvier /2014 17:08
Gérard Bessière On peut le dire : Jésus était "Conflit".
Gérard Bessière
LPC n° 24 / 2013

Jésus et les conflits (1)

[…] Entre pharisiens et sadducéens, scribes et prêtres, esséniens et zélotes, Juifs et Romains, dans la société palestinienne crispée, Jésus ne se laisse annexer par personne. Il n’est d’aucun parti, d’aucune caste, d’aucune classe.

Il n’était pas prêtre. Il n’était pas Docteur de la loi. L’étonnement n’a jamais cessé autour de cet homme qui échappait à toutes les qualifications : " le fils du charpentier". Il s’est joué de tous les titres : rabbi, maître, messie, Fils de Dieu, Fils de l’homme. Aucun n’était à sa mesure unique, Jésus demeure inclassable. Et inutilisable pour les groupes ou factions qui se disputent les diverses formes du pouvoir. Mais, s’il n’est récupérable par aucune coterie, il va gêner tout le monde ! Sa seule approche fait sentir que les catégories et même les institutions séparent et rétrécissent les hommes.

Car pour Jésus, tout homme est un homme […] (Et) il laissera tomber, avec une audace tranchante : "Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat" (Mc 2,27). Comme s’il contestait toute une société, dans ce qu’elle a de plus vital et de plus sacré : son identité, son passé, sa religion. Quel homme impossible ! Et quel "homme" !

Alors que les écoles théologiques se livraient à la casuistique et à l’acrobatie des interprétations, lui bouleversera les données de la dispute. Car au cœur du conflit, il porte un autre conflit. Sur le feu, il jette du Feu.

C’est un monde autre qu’il veut, c’est une lumière inconnue sur la vie qui jaillit de ses yeux. Impossible de s’approcher de lui, de l’impliquer dans une discussion, de tenter de le piéger dans un débat, sans que le débat ne se déplace brusquement : Jésus ne demeure jamais sur le terrain de ses adversaires, les questions des opposants sont volatilisées, les hommes sont renvoyés au vertige de leur propre conscience, dans l’imminence redoutable et fascinante de l’Unique.

En tout affrontement d’hommes, Jésus déchire l’inconscience, pour montrer que Dieu lui-même est affronté. Jésus n’a jamais été le conciliateur des parties en présence. Il dévoile et active un conflit plus large, plus radical, plus brûlant : celui de Dieu contre toutes les suffisances, toutes les morgues humaines. La paix de Jésus passe par la division, le glaive, la guerre, dans les familles, dans les sociétés et, finalement, dans chaque individu : "Si ton œil te scandalise…".

Jésus n’est jamais lénifiant. Il exacerbe les conflits. Il les porte jusqu’à la moelle des os. On ne pourra pas s’abriter derrière des observances, des rites, des pratiques. Il ne suffira pas d’appartenir à une race, élue, de faire partie des hommes pieux, de jeûner et de donner la dîme. Aucune morale, aucune religion ne protégera contre le regard de Jésus. C’est au cœur de l’homme, à la pulsation la plus profonde de sa vie, que le prophète de Nazareth sépare l’ombre et la lumière. C’est là que l’homme doit sans cesse recevoir de Dieu un cœur de chair à la place du cœur de pierre, c’est là que l’homme doit sans cesse […] reconnaître les traits de Dieu dans la foule des frères humains. Mort et vie, guerre et paix, brûlure et douceur…

Dans les conflits qui déchiraient la société palestinienne, Jésus ne prendra même pas "partie" pour les marginaux et les exclus de toutes sortes : publicains, samaritains, malades, pécheurs, étrangers, Jésus ne se fera pas leur leader. Son attitude sera d’une autre altitude : il les fera exister. Il montrera en acte qu’ils sont les citoyens du Royaume attendu. […]

Dans le regard, la parole et les actes de Jésus, toute une société culbute. Le Royaume de Dieu sera celui des pauvres, des doux, des écrasés, des humbles, des artisans de paix, des assoiffés de justice, des persécutés. Les conflits ne seront pas résolus par des transferts de pouvoir et des bouleversements de rapports de puissance. […]

On peut le dire : Jésus a été Conflit. Dans l’âpreté de tout conflit, dans toutes les crispations collectives de son temps, il a démesurément agrandi les brèches d’existence. Pas étonnant que cet homme si solitaire dans son invention d’humanité ait vu s’unir contre lui les ennemis irréconciliables. Tous les conflits d’alors, raciaux, politiques, religieux, ont fini par l’entourer d’un nœud monstrueux. Dans l’universel conflit qu’il avait suscité, Jésus verra se dresser la haine. Bientôt la parodie de justice, la torture, le supplice sembleront l’engloutir dans les flots de ténèbres du monde.

Mais ce dénouement de mort sera l’acte de naissance du christianisme. Et le conflit de Jésus ne cessera plus de courir dans les cendres humaines. "Je suis venu apporter le feu… ". Tous ceux qui le reconnaitront comme Christ – les "chrétiens" comme on dit trop vite – sont fils de ce Conflit. Les vrais "chrétiens" ne peuvent pas traverser l’existence sans être quelque jour les incendiaires du monde. Tout conflit ravive en eux, autour d’eux, le Conflit. C’est la naissance perpétuelle du christianisme. […] C’est en fonction des conflits traversés par les premières générations chrétiennes que les évangélistes ont raconté Jésus. […] Tout au long des temps, les "chrétiens" raviveront les conflits premiers lorsque de nouvelles fièvres de société et de vie les contraindront à chercher les énergies de l’avenir. Chaque fois le conflit s’ouvrira de nouveau.

Gérard Bessière

(1) Extraits du chapitre IV de "L’arborescence infinie – Jésus entre passé et avenir" (pages 213 à 220) Ed. Diabase 2012. (retour)
Published by Libre pensée chrétienne - dans Jésus