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22 mai 2021 6 22 /05 /mai /2021 08:00

 

Henri Persoz Une Église qui sait parler à tout le monde
Pentecôte
Extrait du livre : Ne nous trompons pas de royaume- Editions "La Barre franche"
de Henri Persoz (1)
Actes 2 ,1-13

« Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Tout à coup survint du ciel un bruit comme celui d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie; alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux. Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer. Or, à Jérusalem, résidaient des juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. A la rumeur qui se fit, la foule se rassembla et fut en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue. Déconcertés, émerveillés, ils disaient : « Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes , Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici, tous, tant juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.» Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres :

« Qu'est-ce que cela veut dire ? » D'autres s'esclaffaient : « Ils sont pleins de vin doux.»

De la Torah à l' Esprit

La Pentecôte est d'abord une fête juive. Le livre des Actes nous le rappelle bien puisqu’il précise « Quand le jour de la Pentecôte arriva ». En hébreu cette fête se dit «jour du don de la Torah». Car, selon la tradition, le cinquantième jour après la Pâque qui marqua le départ d'Egypte, les Hébreux reçurent, sur le mont Sinaï, la Torah, la Loi; d'où le mot Pentecôte qui vient du grec cinquante. La Pentecôte chrétienne se greffe donc sur la commémoration du don de la Loi, pour la remplace r par celle du don de l’Esprit. C' est pourquoi l'on parle d'un vent violent. En grec, comme en hébreu, le même mot désigne le vent et l'esprit. L'Esprit, c'est le souffle de Dieu, c'est un déplacement d'air qui vient du ciel comme le vent. Puisque nous ne pouvons pas imaginer que le vent soit immobile, l'Esprit ne l'est pas non plus.

Il va de Dieu aux hommes, d'une personne à l'autre, d'une génération à l'autre, d'une culture à l'autre. C'est pourquoi dans la Bible, il est associé à la Parole. L'Esprit est Parole, comme Dieu est Parole, c'est-à-dire communication, déplacement d'une idée, d'un senti ment, d'une conviction. Si nous revenons à la physique, la parole est une vibration de l'air, un souffle qui se propage dans toutes les directions en même temps.

Dans l'ancienne alliance, du temps de Moïse, la Parole allait de Dieu aux hommes. Ici, dans cette nouvelle alliance, l'Esprit-Parole circule entre les hommes pour raconter les merveilles de Dieu. Dieu ne parle plus; il est l'objet de la Parole; il est ce dont on parle.

Au Sinaï, le Seigneur descend dans le feu. Mais dans cette maison où sont réunis les disciples, ce sont leurs langues elles-mêmes qui sont de feu, qui brûlent de ce qu'elles ont à dire, si bien que les disciples parlent tous en même temps. Mais voilà que les étrangers, de passage ou en résidence à Jérusalem, les entendent. Il n'y avait pourtant pas de haut-parleurs dans la rue. Mais les paroles des disciples sont entendues de la ville. Là est l'événement. Les disciples ne parlent plus entre eux, en vase clos. Mais ils se font entendre et comprendre de toutes les populations rassemblées. L'Esprit de Pentecôte, c'est donc ce vent qui sort de la maison sainte pour remuer et étonner tous ceux de la ville qui sont venus des quatre coins du monde pour la fête.

Le cinquantième jour arrive au bout de 7 fois 7 jours. Or le chiffre 7 symbolise la plénitude, l'achèvement. 49 est donc la plénitude des plénitudes. Et lorsque Dieu délivre sa Torah sur le Sinaï, il marque l'achèvement de la libération d'Égypte. A la Pentecôte chrétienne, l'achèvement de cette aventure de Jésus le Mes sie consiste en ce que sa parole est brusquement portée à toutes les nations, et de façon compréhensible. Si l'achèvement de la libération c'est la loi, l'achèvement de la loi c'est l'amour.

Parler le langage des autres

« Et un grand bruit se fit entendre, comme un violent coup de vent, et les disciples parlèrent tout à coup d'autres langues, celles qui leur permettaient de se faire comprendre. » Luc prend ici le contre-pied d'un phénomène bien connu à l'époque, surtout en milieu païen, appelé glossolalie ou parler en langues. Il déplace à peine les mots en transformant le « parler en langues» en « parler d'autres langues ». Mais il inverse radicalement le sens. Car le préposé à la glossolalie entrait dans une sorte d'extase, d'état second, et se mettait à tenir des propos incompréhensibles. Plus les propos étaient incompréhensibles, plus celui qui les tenait était censé être proche de la divinité, car elle seule était capable de comprendre. Certaines communautés chrétiennes ont été tentées par ces pratiques venues du paganisme, notamment l'Église de Corinthe. C'est pourquoi l'apôtre Paul met cette Église en garde, au chapitre 14 de sa première lettre : parler à Dieu dans une langue que seul Dieu peut comprendre, c'est bien, dit-il en résumé, mais cela ne sert à rien puisque cela ne profite à personne. Ce n'est pas à Dieu qu'il faut parler, c'est aux hommes. Il vaut donc mieux avoir des propos intelligibles.

Et c'est justement ce qu'il se passe à la Pentecôte. Enfin les disciples sont compréhensibles. Le parler en d'autres langues, qui vient de l'Esprit de Pentecôte, est celui que chacun peut comprendre dans sa langue maternelle, dans sa culture. Tous les habitants de la terre, qu'ils soient Grecs ou Arabes, Romains ou Perses, peuvent comprendre ce qui sort de la maison des disciples à partir de leur langue propre, de leur mode de pensée et de raisonnement, à partir de ce qu'ils ont dans la tête et dans le cœur. Remarquons bien que ce ne sont pas les Nations qui comprennent tout d'un coup la langue des disciples. Le texte dit bien: « Ils se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer». Ce sont donc les disciples qui se mettent à parler les langues du Monde, à avoir un langage accessible à tous ceux qui sont dans la ville. Il semblerait que chacun des disciples parlait une langue différente, destinée chacune à un peuple particulier. Actualisation du mythe de Babel; les merveilles de Dieu ne sont plus dites d'une seule façon, sur un seul mode, suivant une pensée unique, mais de multiples manières, afin que chacun puisse s'y retrouver à l'intérieur de sa culture, et saisir quelque chose des événements qui se sont déroulés. A la nouvelle Pentecôte, ce n'est plus Dieu qui s'adresse au peuple en hébreu; ce sont les hommes, les témoins du Christ, qui s'adaptent chacun aux langues et aux cultures de tous les peuples, pour parler de Dieu.

Évidemment, cette histoire n'est pas réaliste, on ne voit pas bien comment, tout à coup, les disciples pourraient parler des langues qu'ils ne connaissent pas, Luc le sait bien. A travers le mythe, il veut signifier que le message de Jésus doit pouvoir traverser toutes les cultures et toutes les langues.

Une Église ouverte

On a coutume d'associer cette nouvelle Pentecôte à la fondation de l'Église, bien que cela ne soit pas dit explicitement dans le texte et que cette fondation ait été évidemment plus progressive. Nous pouvons retenir surtout cette idée que l'Église peut commencer à se développer si ceux qui veulent raconter les merveilles de Dieu parviennent à s'adapter au langage de ceux à qui ils parlent, et savent traduire leur discours dans les langues de tous les étrangers qui sont dehors. Évitons donc la glossolalie, que nous pratiquons parfois sans même nous en rendre compte, lorsque nous parlons de Dieu de manière inaccessible à nos contemporains, ou lorsque nous parlons de Jésus en utilisant trop le langage mythologique de son époque, qui rendait le message clair en ce temps-là, mais qui aujourd'hui, au contraire l'opacifie, l'obscurcit.

Le souffle de Dieu, apparu à la Pentecôte, c'est donc ce déplacement d'une culture à une autre, pour que toutes les Nations, au long des siècles, comprennent ce qu'il s'est passé dans cette ville de Jérusalem, ce qu'il s'est dit dans ce lieu de réunion, d'abord fermé aux gens de la rue, aux étrangers de tous les pays, mais qui fut l'objet d'un violent coup de vent, d'un coup de l'Esprit, qui brûla toutes les langues, ouvrit portes et fenêtres, et répandit dans la ville cette clameur : « Dieu a fait des merveilles; avec Jésus, il a remis l'amour du prochain au centre de la vie des hommes ».

Au moment où Luc écrit le livre des Actes des Apôtres, à la fin du premier siècle, la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem est en voie de disparition, victime de son repli sur elle-même, de sa conception étroite de la communauté suivant laquelle, pour suivre Jésus, il faut d'abord accepter toute la pratique religieuse traditionnelle accumulée depuis des siècles, et parler la langue du peuple de l'ancienne alliance, une sorte de patois de Canaan. Et dans ce contexte de disparition de la première communauté chrétienne, le message de Pentecôte prend un relief particulier: l'Église peut exister à nouveau si ses membres sont capables de sortir de leur tradition et de leur langage pour s'adapter aux pensées étrangères, aux pensées étranges. C'est d'ailleurs tout le projet du Livre des Actes, de montrer comment le message chrétien a pu sortir de Jérusalem et se répandre jusqu'aux extrémités de la terre, en se faisant comprendre des Grecs, des gentils, des païens et d'autres peuples encore. Et pour cela, il ne fallait pas avoir peur des compromissions avec les autres cultures, des influences païennes, ce que l'on appelle les syncrétismes. La religion chrétienne a survécu, et même a réussi à convaincre, là où elle a su s'adapter suffisamment pour être comprise du grand nombre.

Bien des personnes se demandent ce qu'est l'Esprit Saint. Question difficile. Chaque passage biblique qui le mentionne informe sur un aspect particulier de ce qu'est l'Esprit Saint. Ici, nous apprenons que l'Esprit Saint est ce qui permet de nous faire comprendre au monde lorsque nous parlons des merveilles de Dieu. A l'époque, il venait du ciel en faisant beaucoup de bruit. Mais c'était une image. Aujourd'hui il vient surtout d'un effort sur nous-mêmes pour savoir traduire, dans la modernité, et pour les générations qui viennent, la force et l'aspect irremplaçable du christianisme.

Henri Persoz

(1) L’auteur : ingénieur de l’Ecole supérieure d’électricité et titulaire d’une maîtrise de théologie. Henri Persoz a été cadre dirigeant à Electricité de France et prédicateur de l’Eglise réformée de France (retour)
Published by Libre pensée chrétienne