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30 décembre 2023 6 30 /12 /décembre /2023 09:00

 

bateau lpc Jésus, illustre et inconnu
Extraits du livre de Jérôme Prieur et Gérard Mordillat
Ed. Desclée de Brouwer 2001
2
 
Comment Jésus est-il né ?

La question de savoir quelles circonstances ont pu entourer la naissance de Jésus, avant d'être une question que nous nous posons aujourd'hui, est exactement ]'une de celles que les évangélistes se sont posées.

Dire « les évangélistes » en l'occurrence est excessif, pour ne pas dire abusif.

Marc, celui qui invente le genre évangélique, est le premier à raconter sous forme d'une histoire, d'un récit de la vie et de la mort de Jésus, « l'évangile », étymologiquement « la bonne nouvelle », l'annonce du Royaume de Dieu. Le texte que nous connaissons est daté d'environ l'an 70, peu avant ou peu après, trente à quarante ans après la mort de Jésus. Bien qu'il soit traditionnellement placé en seconde position dans les éditions du Nouveau Testament, Marc précède donc les autres évangiles qui se sont définis par rapport à lui.

Or Marc ne s'intéresse qu'à l'existence de Jésus adulte.

Luc et Matthieu écrivent chacun leur évangile, du moins sous une forme définitive, vers les années 80-90, soit plusieurs dizaines d'années après les « événements » eux-mêmes.

Les deux évangélistes éprouvent alors une nécessité qui n'avait pas été ressentie jusque-là, celle d'écrire l'enfance de Jésus. S'agissant de ces derniers, on a même forgé l'expression d' « évangile de l'enfance » qui s'applique aux deux préambules de leurs récits, comme à une partie autonome de l'histoire de Jésus. Autonome, elle l'est en effet non seulement sur le fond, mais par le style qui laisse penser que les deux prologues ont été ajoutés après coup au récit des deux évangiles, pour pallier un manque.

D'où vient la nativité ?

Aussi célèbre que celle de la crucifixion, la scène de la nativité projette jusqu'à nous une curieuse illusion d'optique. La grotte ou l'étable, l'âne et le bœuf qui protègent le berceau, et même les bergers qui deviennent « trois rois mages », Gaspard, Melchior et Balthazar qui viennent adorer le nouveau-né n'existent nulle part dans les évangiles canoniques.

On pourrait les chercher, ce serait en vain, même chez Matthieu et Luc dont ils s'inspirent pourtant. C'est une création des évangiles apocryphes à partir des VIe-VIe siècles, dont les inventions successives seront rassemblées à la fin du XIIIe siècle par La Légende dorée de Jacques de Voragine, un auteur italien envers qui la chrétienté a une dette immense. Plus que de tout autre texte, c'est de ses écrits que naîtront l'immense majorité des représentations de la vie de Jésus. S'il devait y avoir un cinquième évangile, plus qu'à Flavius Josèphe, il mériterait de lui être attribué. L'évangile de Matthieu avait ouvert la voie à la féérie. Guidés par une étoile, les mages - métamorphosés chez Luc en bergers conduits par un ange - sont évidemment des symboles.

Qui sont les mages ?

Sages et astrologues, ils savent lire les manifestations du ciel. Mais rien ne servirait de faire appel aux calculs astronomiques de Kepler pour affirmer qu'une conjonction de Jupiter et de Saturne se produisit dans la constellation du Poisson en l'an 7 voire plus exactement le 17 avril de l'année suivante...

Chargés de présents, l'or, l'encens et la myrrhe qui signifient l'Afrique, l'Asie et l'Orient, les mages sont les émissaires du monde non-juif. Ce sont des païens qui, les premiers, viennent rendre hommage au véritable « roi des Juifs », contrairement à son peuple qui ne le reconnaît pas et l'ignore.

Les mages ne sont pas seulement des bienfaiteurs particulièrement éclairés. Ils sont porteurs d'une intention polémique. Au moment où s'écrit l'évangile de Matthieu, quelques dizaines d'années plus tard, probablement en Syrie dans la région d'Antioche, ces trois mages servent à légitimer la foi des premiers chrétiens qui ne sont pas d'origine juive.

Parallèlement, l'évangile de l'enfance propre à Matthieu confie à Jésus le rôle d'être un nouveau Moïse. Persécuté par Hérode comme Moïse, selon le livre de l'Exode, l'a été par Pharaon, il raconte que Jésus doit fuir pour échapper à la mort promise à tous les nouveau-nés (et dont aucune source historique ne fait état). D'où le bref épisode de la fuite de Jésus et de ses parents, mais en Égypte. L'Égypte devient chez Matthieu l'exact contraire de ce qu'elle était pour le petit Moïse, une terre d'asile.

Ce qui est pour le moins paradoxal : des juifs cherchent la liberté dans le pays qui est pour eux le symbole même de l'esclavage! Ce voyage n'est qu'un retournement rédactionnel de l'épisode biblique sans le moindre fondement historique.

On sait que l'Égypte a eu une grande importance dans la naissance du christianisme primitif (les papyrus les plus anciens des évangiles proviennent tous de cette région).

Or les références explicites sont quasiment absentes de l'ensemble des écrits du Nouveau Testament. Cette fuite en Égypte que rien n'atteste est ainsi l'une de ces mentions rarissimes, comme un hommage rendu à cette communauté qui sera d'une grande importance dans le christianisme primitif.

Pourquoi l'évangile de Luc raconte- t-il une autre histoire?

Ce texte supposé n'aurait pas seulement été récupéré par le rédacteur de l'évangile de Luc, il aurait été dédoublé afin de raconter le récit de la conception et de la naissance de Jésus, récit Du côté de l'évangile de Luc, la construction est beaucoup plus savante. Elle vise surtout à unir Jésus et Jean le Baptiste, au point d'en faire des cousins.

IL faudrait citer tout le premier chapitre de l'évangile de Luc pour mesurer combien l'auteur a poussé jusqu'à l'extrême le parallélisme entre le destin de Jean le Baptiste et celui de Jésus: tous les deux naissent à la même époque, le même ange annonce leur venue au monde, leurs deux pères sont également surpris de la nouvelle puisque ni la femme de Zacharie ni celle de Joseph ne sont en état d'enfanter, l'une, Élizabeth, étant trop âgée, l'autre, Marie, étant trop jeune, les deux naissances sont miraculeuses, les enfants qui seront « grands devant le Seigneur » reçoivent tous deux leur nom de Dieu, l'un et l'autre descendent de David... La similitude entre Jésus et Jean le Baptiste est telle qu'on pourrait presque croire qu'il s'agit d'un seul et unique personnage, à tout le moins de deux jumeaux nés du même œuf.

De même que leurs mères chantent les strophes d'un même cantique, peut-être faut-il, comme certains chercheurs l'ont observé, envisager l'hypothèse d'un « évangile » baptiste - c'est à dire d'un récit ou en tous cas d'une tradition orale ou écrite, d'un hymne qui célébrait Jean le Baptiste, voire le reconnaissait comme le Messie, mais ignorait absolument Jésus qui n'a rien à voir avec l'histoire mais tout avec les pratiques juives d'écriture et de réécriture.

Où est né Jésus?

La question du lieu de naissance de Jésus est moins simple qu'elle n'en a l'air.

A défaut du moindre registre d'état civil, là encore il faut se fier aux évangiles. Or à nouveau sur ce point, celui de Matthieu et celui de Luc diffèrent notablement de ceux de Marc et de Jean.

Marc et Jean ignorent le nom même de Bethléem qui n'apparaît pas une fois dans leur évangile. Même si cela est surprenant: ils ne s'intéressent pas à la naissance et à l'enfance de Jésus.

Chez Matthieu, « Jésus étant né à Bethléem de Judée » (Mt 2,1), apprend-on incidemment. La proximité géographique entre Bethléem et Jérusalem n'étant que de quelques kilomètres, cela doit expliquer que le roi Hérode le Grand puisse se sentir menacé au cœur même de sa capitale et qu'il décide, dans le récit, de faire massacrer tous les innocents de cette petite bourgade. Chez Luc, c'est le recensement de Quirinius qui provoque le départ de Nazareth (où a eu lieu l'Annonciation) et le voyage vers Bethléem : « Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s'appelle Bethléem - parce qu'il était de la maison et de la lignée de David - afin de se faire recenser avec Marie sa fiancée qui était enceinte » (Le 2, 3-5).

Est-ce plausible ?

L'argument administratif est évidemment fallacieux. Le recensement ordonné par les autorités impériales qui est d'ordre fiscal doit établir le lieu de résidence de chaque assujetti au paiement de l'impôt.

Faire naître Jésus à Bethléem ne relève pas de la topographie, c'est un signe. C'est voir en Jésus un successeur de David, c'est exprimer qu'il est venu au monde pour restaurer sur terre le royaume de Dieu.

Ce qui importe n'est pas de l'ordre de la vraisemblance, mais d'ordre symbolique: par Joseph, fût- il un faux-père, un père adoptif, Jésus doit apparaître comme un descendant de David, roi et prophète à la fois, souverain de la terre d'Israël quand le royaume terrestre de Yahvé n'était ni occupé par les païens, ni divisé entre le Nord et le Sud, entre la Judée, la Galilée, la Samarie. Il faut indéniablement voir l'influence de cette tradition dans l'épître de Paul aux Romains lorsqu'elle précise que Jésus est « issu de la lignée de David selon la chair » (Rm 1,3).

Il est du reste très significatif de lire la première question que les disciples posent à Jésus ressuscité au début des Actes des Apôtres, livre qui constitue en quelque sorte la suite de l'évangile selon Luc, le deuxième tome de l'œuvre du même auteur. Réunis à Jérusalem, les disciples l'interrogeaient ainsi: « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? » (Ac 1, 6). C'est cette question qui traverse tout le récit de Luc et qui s'inscrit, notamment, dans l'arrière-plan du lieu nommé Bethléem. Le voisinage avec Jérusalem est en outre mis à profit par l'évangéliste Luc. Des quatre évangiles c'est celui qui fait la part la plus forte à la Ville sainte.

Luc est aussi le seul à rappeler que huit jours après sa naissance Jésus a été circoncis comme le veut le Deutéronome, mais aussi présenté au Temple (bien qu'il confonde allègrement les différents rites juifs de purification prescrits les uns par le Lévitique, les autres par les Nombres ou l'Exode...), pour insister sur la grande piété et l'observance très stricte qui marquent les débuts de Jésus.

Et Nazareth ?

- Luc conclut justement cette incursion à Bethléem et à Jérusalem, en Judée, par un retour en Galilée, au pays des parents de Jésus : « Et quand ils eurent accompli tout ce qui était conforme à la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville » (Le 2, 39). La boucle est bouclée, mais on sent ce que cette expédition loin de Nazareth a de forcé.

- Chez Matthieu, un même embarras se devine dans le texte. L'ange du Seigneur apparaît à Joseph qui s'est réfugié en Egypte et lui ordonne de revenir avec les siens sur la terre d'Israël car Hérode le Grand est mort. Mais apprenant que son fils régnait sur la Judée, Joseph craint de s'y rendre. « Averti en songe, il se retira dans la région de Galilée, et vint s'établir dans une ville appelée Nazareth ; pour que s'accomplit l'oracle des prophètes : Il sera appelé Nazôréen » (Mt 2, 22-23).

Cette affirmation apparemment rassurante pose plus de problèmes qu'elle n'en résout.

L'oracle des prophètes n'a jamais été retrouvé dans la Bible. C'est sans aucun doute un faux verset biblique, une invention de l'évangéliste.

Ce n'est pas tout.

L'adjectif « nazôréen », nazôraios, que l'on traduit aussi par « nazaréen », est utilisé en dehors de l'évangile de Matthieu par celui de Jean, par Luc également, quelquefois dans son évangile et systématiquement dans les Actes des Apôtres. Il semble apparaître ailleurs sous la forme nazarenos, « nazarénien », qu'emploient toujours l'évangile de Marc et à deux reprises celui de Luc, mais qu'on ne lit jamais chez Matthieu et chez Jean. Les philologues n'ont pas pu déterminer si ces deux dénominations qui transcrivent le grec sans le traduire pouvaient provenir de la même origine.

Quelles sont les étymologies possibles ?

Que l'on remonte à l'hébreu nazir (sanctifié, consacré) qui veut que le Saint de Dieu soit prédestiné depuis sa conception (Samson, par exemple, est « nazir »), au verbe natzar (garder, observer) qui désigne une observance très stricte de la Loi, ou à netzer, le « rejeton », qui serait une référence au chapitre I du livre d'Isaïe annonçant qu'un « rejeton » de la descendance de David régnera sur le pays, l'étymologie renvoie toujours à une mission sacrée. Pline l'Ancien signale, au livre V de ses Histoires naturelles, l'existence de nazôréens installés dans la province de Syrie vers les années 50 avant notre ère : Jésus aurait-il été surnommé « le nazôréen » parce qu'il appartenait à cette secte juive, dans le sillage des mouvements baptistes ? « Il y eut des nazôréens avant le Christ, c'est l'évidence même », rappelle au IVe siècle dans son traité Contre les hérésies, Épiphane. Lequel ajoute surtout : « Les chrétiens étaient connus de tout le monde sous le nom de nazôréens (ou nazaréens). La preuve en est que dans le Talmud, cette dénomination sert à qualifier les chrétiens. » En arabe, encore aujourd'hui, les chrétiens sont des « nosrims », des nazôréens.

Après la mort de Jésus, le terme nazôréen aurait été, lui, en usage à Jérusalem et en Palestine pour désigner parmi les « chrétiens » ceux qui se continuaient à se réclamer du judaïsme. L'adjectif« nazôréen » (ou « nazarénien ») peut donc a posteriori avoir été appliqué à Jésus pour faire rejaillir sa légitimité sur ceux qui se réclamaient de lui, ou sur ceux que l'on qualifiait ainsi.

Ce qui est certain en tout état de cause, c'est que l'étymologie du mot «nazôréen » ne peut en aucun cas dériver du nom de la ville de « Nazareth ».

Ce qui complique encore les données du problème, c'est qu'aucun document ancien, romain, grec ou juif ne mentionne le village de Nazareth. Nazareth n'apparaît nulle part dans la Bible ni dans les écrits de Flavius Josèphe qui cite pourtant un grand nombre de bourgades de Galilée. Est-ce la raison pour laquelle l'évangile de Jean met dans la bouche de Nathanaël, l'un des tout premiers disciples, cette étrange interrogation : « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? » (Jn 1, 46).

Sous la basilique de l'Annonciation et à proximité immédiate, des fouilles ont permis de mettre à jour des vestiges mais les plus anciennes traces archéologiques ne remontent pas en deçà du IIe siècle de notre ère.

Cela signifie-t-il que du temps de Jésus, Nazareth n'existait pas encore, et que c'est à partir du surnom de Jésus que le nom de la localité aurait été créé? Ou que le village de Galilée où Jésus a vécu n'était pas situé exactement à l'endroit où les pèlerins le vénèrent aujourd'hui?

Quoiqu'il en soit, il demeure que la dénomination « Jésus de Nazareth » constitue une dénomination étonnante dans la Palestine du premier siècle, et plus encore si Nazareth au lieu d'être un endroit facilement identifiable - comme Bethléem - était une provenance mineure, un lieu qui ne signifiait rien pour personne... L'appellation « Jésus le Galiléen » ou « Jésus de Bethléem » aurait été bien plus plausible, ou mieux encore: « Jésus, bar Joseph », « Jésus fils de Joseph »

A suivre
 
Published by Libre pensée chrétienne