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17 novembre 2008 1 17 /11 /novembre /2008 17:28
Jésus, notre frère juif, ou Jésus, notre Dieu ?
Alain Dupuis
LPC n° 3 / 2008

« Jésus était Jésus et n'était que Jésus (….). Méditant ce que Jésus a été, ne cessant d'explorer sa vie et de vivre de son message, tant d'hommes ont découvert qu'ils étaient, eux aussi, « capables de Dieu » ».

P. Bernard Feillet ( in "L'étincelle du divin" 2005. DDB)

À cette question, bon nombre d'entre nous répondraient instinctivement : les deux à la fois, bien sûr ! Pourtant, les deux millénaires qui nous séparent aujourd'hui des origines de l'aventure spirituelle issue du Judaïsme et d'un juif particulier, Jésus de Nazareth, attestent que la réponse n'a jamais été aussi simple. Et dans la crise actuelle, on peut se demander si de la réponse qu'on y fera dans ce siècle ne dépendra pas la « transmission », en ce 3ème millénaire, de ce qu'il nous révèle à la fois de « l'Homme » et du « Divin ».

Selon la Tradition officielle, c'est clair : Jésus est, comme « incarnation » du Dieu qui a « pris chair de la vierge Marie », « pleinement Homme » et « pleinement Dieu »…

Pleinement Dieu ? En tout cas nos textes fondateurs (Nouveau Testament) et l'ensemble de la Tradition ecclésiale se sont évertués très tôt à mettre en évidence, de mille manières, son identité d'être plus ou moins « sur-naturel », jusqu'à en faire une « personne » divine « descendue du ciel » pour être « immolée », incontournable « médiateur » du « salut » entre l'Homme et « le Père ». En revanche, textes fondateurs et Tradition sont d'une confondante discrétion concernant sa « pleine humanité » !

Un silence assourdissant !

Pour nos « Credo », Jésus se contente d'être « né de la vierge Marie, … d'avoir souffert sous Ponce Pilate, puis d'être mort »

Entre « il est né » et « il est mort », pratiquement RIEN, hormis sa « passion » ! Dès la rédaction des premiers écrits « chrétiens », l'homme-Jésus disparaît des préoccupations des auteurs ! Paul lui-même, son contemporain, semble n'en rien savoir… et n'en éprouver aucune gêne pour disserter sur lui pendant des pages !

Selon les historiens, Jésus est né entre -7 et -4 avant notre ère, et aurait été exécuté entre 28 et 33, après, au maximum, 2 années et demie de « vie publique ». Quelques 35 années de la vie d'un homme qui en a vécu au maximum 39, sont totalement passées par profits et pertes !

Pour nous, hommes du 21ème siècle, le silence sur toutes ces années de « devenir » humain est, bien sûr, choquant, et peut légitimement conduire à prendre tout le reste des propos le concernant, passablement portés sur le « merveilleux », comme suspects…

Tout se passe comme si, dans son cas, la lente maturation de l'homme avait été délibérément « gommée ». Gommée et recouverte de « récits » et de « discours » visant à faire entrer, coûte que coûte, cet homme simple, rayonnant, atypique et subversif, dans les « schémas » du déjà connu, et déjà su « religieux » (M. Bellet) ou du matériel « mythique » dont on disposait suivant le temps et le milieu d'élaboration des écrits le concernant : prophète, messie davidique, Fils (unique) de Dieu, Logos divin.

Seule, chez Luc, l'affaire de la « fugue » de Jésus au milieu des docteurs inscrit le « cursus » de Jésus dans celui d'un jeune juif, admis, vers 12 ans, à lire et commenter la Torah devant des docteurs, et nous le montre, de plus, très « motivé ». Puis, on nous dit, comme en passant, que, par la suite, Jésus « grandissait en sagesse, en taille, en grâce, auprès de Dieu et des hommes… ». Formule convenue qui, pour une « personne divine » descendue du « ciel » est étrange… et pour un « homme », reste fort courte !

Un silence qui laisse filtrer quelque chose ?…

Certes, à l'époque et dans cette culture, l'enfant ne comptait pas (sauf, justement, aux yeux de Jésus qui devait avoir ses raisons !). Adulte, il entrait dans le rôle que le groupe lui assignait, faisait ce à quoi on l'avait préparé, disait ce qu'il avait appris à dire, croyait et pensait selon ce qu'on lui avait enseigné. C'est encore le cas dans bien des sociétés. À partir de là, pour « les gens », encadrés par les « clercs » de l'époque, toute « déviance » ne pouvait qu'être d'origine sur-naturelle : soit une « possession » démoniaque…, soit une « emprise » divine. Le Jésus public, par son mode de vie personnel et social, par ses actes et ses propos, se montre volontiers « déviant ». Aussi, dans nos textes, LA question à son sujet tourne bien autour de ce dilemme : était-il « de Béelzéboul » ou « de Dieu » ?

Jamais on ne se demande par quel cheminement personnel Jésus a pu en venir à être celui qu'il est devenu, au milieu de son peuple. L'idée même d'un « cheminement personnel » était-elle envisageable dans ce monde-là ? Comment chercher dans l'évidente banalité de cette vie villageoise le creuset d'une telle métamorphose ? De cette humanité-là, d'ailleurs, « que peut-il sortir de bon ? » à moins d'un « prodige » ?

Et si la question ne se pose pas, n'est-ce pas, précisément, qu'on ne souhaite pas qu'elle se pose, puisqu'on a, en magasin, déjà une ou des réponses toutes faites ?

Le silence de sa famille, père (décédé ?), mère, frères et soeurs confondus, sur ces années, surprend également… si bien qu'on peut, justement, se demander s'il ne les quitta pas très tôt pour suivre sa propre quête, au point qu'ils furent plus que déroutés en découvrant, plusieurs années après, le « Jésus nouveau » qui ré-apparaît, un jour, sous les traits d'un « maître », controversé, mais suivi par beaucoup.

Et en effet, deux indices pourraient venir corroborer ce soupçon sur les années qui « mirent au monde » le Jésus prédicateur. Indices évoquant des faits réels et qu'on s'est contenté de « rhabiller » à la mode « théophanique » ou symbolique.

Il s'agit du baptême de Jésus par Jean, le prophète baptiseur, et des 40 jours au désert. La plupart des spécialistes actuels sont d'accord pour dire que Jésus, non seulement reçut le « baptême de repentance et de rémission des péchés » (mais oui !) des mains de Jean, mais qu'il fut un de ses nombreux disciples, jusqu'à ce que, Jean hors circuit, il décide de voler de ses propres ailes. Ce baptême en devenant « théophanie-investiture », sous la plume des rédacteurs, fut très certainement, selon les historiens, un des nombreux « arrangements » qui visaient à rétablir la suprématie absolue de Jésus sur Jean, alors très controversée par les anciens suiveurs du Baptiseur.

L'épisode des « tentations » au désert, évidemment purement allégorique, pourrait bien, quant à lui, « ramasser » en un nombre très symbolique de 40 jours, plusieurs années de maturation spirituelle du jeune homme Jésus au voisinage de l'un de ces foyers de « renouveau spirituel » radicalisants qu'étaient, par exemple, les communautés esséniennes, et d'où certains pensent que Jean était peut-être lui-même issu.

Ne faut-il pas voir dans ce passage par le désert (lieu biblique où Dieu se propose de « parler au coeur » de l'homme), l'évocation d'un chemin de « conversion » parcouru par Jésus, et au terme duquel, « libéré » de beaucoup d'« illusions » spirituelles et de bien de pièges sournois du « religieux », il se sentit autorisé à partager ses découvertes avec ses coreligionnaires, tentant de renouveler radicalement leur perception de l'homme, de Dieu, et leur attente escatologique.

La « conversion » d'un homme d'Israël ?

Quand nos pères dans la foi ont tenté de cerner, plusieurs siècles après sa disparition, l'identité exacte de ce Jésus et la vraie nature de sa relation au « Divin », ils ne disposaient plus que de documents déjà lourdement marqués par diverses formes de « reconstruction » théologique des faits, des paroles, comme du personnage, en vue de conforter ou même de « fabriquer » la stature « sur-humaine » du prophète galiléen.

Or il semble désormais bien établi que le Maître, loin de mettre en avant sa « personne », ait investi toutes ses forces à dévoiler un nouveau visage du Dieu d'Israël d'une part, et à « subvertir » totalement les idées et les espoirs de son peuple concernant l'avènement, imminent (?), du "ROYAUME ( Règne) de DIEU", obsession politico-religieuse de ses contemporains, comme du Baptiste d'ailleurs. N'entendait-il pas seulement, à partir de sa propre expérience, appeler Israël à une toute nouvelle relation à son Dieu, et à un nouveau regard sur l'Homme ?

Mais un tel engagement ne fut-il pas le fruit d'un long travail de « conversion » intérieure…, de ruptures, de « dépouillements » successifs ?

Oui, sûrement, à un moment, Jésus a rompu avec sa famille, son métier, la synagogue du village, en quête d'une « voie » plus conforme à ce qu'il pressentait du mystère « divin », en lui et pour son peuple.

S'il a rejoint un temps son aîné qui proposait un baptême d'eau en « rémission des péchés », moyennant leur confession publique, en vue du « Règne de Dieu » imminent, dûment précédé d'un « jugement » radical, n'est-ce pas, tout simplement, qu'il adhérait encore à un tel scénario….

Or la relecture attentive des textes permet aujourd'hui aux spécialistes de constater qu'entre le Jésus adhérant à la prédication de Jean, et le Jésus qui entreprend d'exposer SA vision des choses, il y a tout un monde !

La rupture est telle que les évangiles laissent entendre que Jean lui-même, du fond de sa détention, doute que Jésus soit « celui qui doit venir… ». Jésus ne répond pas sur cette « identité », il répond par les « signes » évidents (pour lui) que Dieu est à l'oeuvre dans son action et exprime le voeu que Jean ne soit pas de ceux qui vont « chuter », faute de « pouvoir croire » au Royaume tel qu'il le rend manifeste !

Car le chemin de « conversion » qu'a subi Jésus toutes ces années fut probablement un véritable « retournement » intérieur qui a TOUT chamboulé :

  • Son « expérience » du Dieu d'Israël.
  • Sa perception du Royaume.
  • Sa perception de l'Homme.
  • Et jusqu'au bout, ses « illusions » sur le mode d'« agir » de Dieu en ce monde.

 

Une « foi » nouvelle en Dieu, et en l'Homme.

Ce qui a peut-être le plus perturbé, intrigué, et même scandalisé ses amis autant que ses ennemis, fut probablement la « relation » personnelle que Jésus semblait entretenir, dans de fréquents et longs moments de solitude, de silence et de recueillement, mais aussi dans la vie quotidienne, avec Dieu. Il ne fait aucun doute que, depuis l'enfance, Jésus « croyait » au Dieu d'Israël, et en célébrait le « culte » collectivement et rituellement, comme la plupart de ses concitoyens. Il est clair, en revanche que le Jésus adulte avait « rencontré » un Dieu vivant, proche, et qu'il vivait en Sa « présence » et de Sa « présence ».

Du culte du « Très Haut », législateur pointilleux, juge ombrageux et redouté, réputé pouvoir « tout donner », puis « tout reprendre » au gré de ses humeurs et de la « conduite » de son peuple, de ce Dieu dont on attend de spectaculaires interventions, Jésus est passé à l'expérience intérieure d'un Dieu proche, totalement fiable, toujours offert, toujours donné, gratuit comme une intarisssable source d'eau vive.

J'ai tendance à croire que le plus grand scandale et la plus grande incompréhension historique, en son temps, et encore plus tard, fut celle-ci : « Est-il possible à l'homme de vivre dans une telle relation à Dieu ? » et « Est-il concevable que Dieu puisse se faire aussi proche d'un homme ? ».

Il semble qu'à mesure que l'on s'éloigna du souvenir de ceux qui avaient « mangé et bu avec lui », la réponse à ces deux questions fut de plus en plus négative : on propulsa ce « saint homme » dans les sphères du divin… et l'on renvoya Dieu « gouverner » les mondes depuis son ciel lointain !

Or, le Dieu que Jésus expérimente est un coeur aimant, désireux d'éveiller au coeur de l'homme une même aptitude à l'amour.

Ainsi Jésus découvrait-il d'un même coup un nouveau visage de Dieu (qu'il choisira souvent de désigner sous le vocable araméen usuel : « Abba »), mais aussi, en l'homme qu'il est, et en tout homme, une aptitude méconnue à aimer. Il comprenait, peu à peu, que cette « révélation » en lui, concernait, en fait, chacun des fils d'Israël, voire tous les hommes, à commencer par les plus « démunis » physiquement, moralement et socialement.

Stupeur et totale incompréhension lorsque Jésus, tout à la joie qui l'habite désormais, leur dit : « N'attendez pas Dieu, ni son « Royaume » dans du « spectaculaire » toujours remis à « demain », car, je vous le dis, même si vous ne le voyez pas, il est là, présent, aujourd'hui, à portée de votre main ! ».

Le Royaume où « vit » déjà Jésus, c'est celui des « coeurs de pierre » qui se laissent transformer en « coeurs de chair », capables désormais « de porter les fardeaux les uns des autres », de pardonner jusqu'à 77 fois 7 fois, de ne « pas se dérober » au frère dans le besoin… Des coeurs pauvres, libres de toutes les sécurités, les attaches, les certitudes et les volontés de puissance… Des coeurs simplifiés, unifiés, qui voient avec le regard de Dieu… Des coeurs pacifiés et pacifiants… Bref, des coeurs qui, à tavers toutes les « béatitudes » qu'il énumère, deviennent capables d'aimer, d'un même mouvement, le Dieu qui habite l'homme, et le frère, habité de Dieu. Entrer dans ce processus, c'est participer, ici et maintenant, au « Royaume » du « Père » ; et à tous ceux qui entreprendront de vivre selon les « dispositions de coeur » du Royaume, Jésus promet, ni plus , ni moins (!) : « Alors serez-vous appelés fils de votre Père. » (Mt 5-45).

Et si Jésus a conscience que le chemin de « filiation » dans lequel il est entré lui-même le fera « participant » de la « perfection » qui est en Dieu, il ne doute pas que tout homme qui entre dans ce processus de « nouvelle naissance » sera engendré intérieurement comme « fils » et participera aussi de la même perfection :

« Vous donc, vous serez parfaits, comme votre Père est parfait… » ( Mt 5-3).

« Vous donc, vous deviendrez miséricorde comme votre Père est miséricorde »

(Lc 6‑36).

Jésus, notre frère, passé de la « religion » à la « foi » ?...

Si on en croit les « évangiles » (mais doit-on toujours croire les évangiles ?), aussi habité qu'il fût de cette « présence » qui avait transfiguré sa vie, Jésus ne fut épargné par aucune des pesanteurs propres à nos fonctionnements humains. Ainsi les textes nous le montrent-ils parfois d'une étrange naïveté, que nous connaissons tous bien, comme s'il avait cru que « tout Israël » allait forcément s'enthousiasmer pour la « nouveauté » qui s'était imposée à son esprit et à son coeur… et il semble qu'il y ait cru jusqu'à la dernière minute. En conséquence de cela, on nous le montre souvent impatient, parfois violent, parfois amer… Impatient de voir ce « feu » d'amour qui le brûle se répandre en Israël comme une traînée de poudre. Mais aussi impatient devant des foules avides de prodiges, sa famille et ses disciples désespérément obtus face à la nouveauté qu'il porte. Violent parfois, verbalement, avec ceux qui lui disputent le « pouvoir » d'enseigner le peuple, ou physiquement, avec ceux qui, au Temple, s'engraissent de la crédulité du peuple, des petits… Pas tendre, en tout cas, avec tous les « clercs » qu'il accuse de faire obstacle à Dieu, aveugles qui guident d'autres aveugles !

Amer, il l'est souvent, à la limite de la désespérance, se lamentant sur « cette génération » sourde et aveugle aux « signes des temps », ou sur cette « Jérusalem » qui n'en finit pas de « passer à côté » des occasions de salut, en rejetant ou massacrant les « prophètes ».

Mais le plus troublant pour nous (et peut-être le plus rassurant, pour certains), c'est qu'on nous le montre, surtout sur la fin, encore très imprégné de l'illusion « religieuse » d'un Dieu « tout puissant » qui, s'il le voulait, pourrait renverser le cours des choses !

Réelle ou fictive, son « entrée triomphale » à Jérusalem suggère que Jésus ne désespérait pas, lors de cette Pâque-là, que tout allait enfin basculer spectaculairement dans le sens de son appel, et donc du côté de Dieu.

Jésus n'a-t-il pas espéré, jusqu'à peu avant son arrestation, que « quelque chose » allait se passer par quoi Dieu s'imposerait au vu et au su de tous ?

Le SILENCE et l'ABSENCE du Père dans le déroulement des « choses humaines » (et les affaires de procès truqués, de condamnations arbitraires et d'exécutions sanglantes sont bien, que nous sachions, des « choses humaines », très humaines) telles qu'elles se déroulaient, ne furent-ils pas l'occasion de la dernière et suprême « conversion » de Jésus, son vrai passage de la « religion » à la FOI la plus nue en cette mystérieuse réalité dont il « vivait » depuis tant d'années ?

Jésus crut-il vraiment que les événements désormais inéluctables de son arrestation, sa condamnation et son exécution tenaient de la « volonté » de Dieu ? Si c'est le cas, c'est que lui, à ce moment, et les rédacteurs de ces récits, plus tard, n'étaient pas encore « guéris » de l'idole divine « toute puissante » et despotique de leur imaginaire « religieux ». Mais il me plaît de penser que ce jour-là, Jésus passait (et nous faisait passer) de la « croyance » à un Dieu qui fait l'Histoire des hommes, à la « confiance » en un Dieu qui fait les hommes capables de choisir une AUTRE histoire, en les faisant « fils ».

Jésus avait choisi cette « autre » histoire et l'a assumée jusqu'au bout…

Peut-on douter que ce choix l'ait fait entrer dans la VIE pour toujours, comme tous ceux qui ont choisi la VIE, d'une manière ou d'une autre ?... Et, en Dieu, n'y a-t-il pas autant de "manières" que d'hommes qui viennent en ce monde ?...

« On t'a fait savoir, homme,
ce qui est bien,
ce que Yahvé désire pour toi :
rien d'autre que d'accomplir la justice,
d'aimer avec tendresse,
et de marcher humblement avec ton Dieu.
»

(Mi 6-8)

Alain Dupuis

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