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4 février 2017 6 04 /02 /février /2017 09:00
André VerheyenLes spécialistes
André Verheyen
A l’aube du christianisme – La naissance des dogmes - Marie Emile Boismard - Edition du Cerf 1998 Marie Emile Boismard

Quand on parle de spécialistes, l’appréciation est généralement favorable. En effet, si je dis que tel historien est un spécialiste de la période gallo-romaine, je peux supposer qu’il connaît beaucoup de choses sur cette période, probablement beaucoup plus que les autres historiens. Je pense donc que je trouverai plus facilement chez lui ce que je cherche en cette matière. Cependant, dans le domaine médical circule la boutade : "un spécialiste, c’est quelqu’un qui sait de plus en plus sur de moins en moins et un généraliste, c’est quelqu’un qui sait de moins en moins sur de plus en plus…"

La théologie a aussi ses spécialistes. Et là aussi on peut faire des expériences étonnantes. C’est ainsi que dernièrement un théologien spécialisé en théologie dogmatique avait répondu- avec quelque suffisance, semble-t-il - à un spécialiste en exégèse biblique : "Oui mais ça, c’est de l’archéologie."

La spécialité de Jacques Duquesne, c’est le journalisme. Dans un article du Vif/l’express il dénonçait "une conspiration du silence" autour du livre "A l’aube du christianisme – La naissance des dogmes" de Marie-Emile Boismard. (Edition du Cerf 1998)

Dans son "Avant-propos", Marie Emile Boismard dit : "Ce volume donne le résultat de nos réflexions après quarante-cinq ans d’enseignement." Et il formule son propos comme suit : " …les dogmes auxquels nous croyons maintenant ne sont pas nés du jour au lendemain avec le christianisme. Aussitôt après la résurrection du Christ, les apôtres ne croyaient pas encore que Jésus était Dieu, ils n’avaient aucune notion du mystère de la Trinité, ils ne soupçonnaient même pas que la mort de leur maître eût une valeur rédemptrice. Ce fait est admis par la quasi-totalité des théologiens modernes. La question se pose alors inévitablement : à quel moment sont nés les principaux dogmes de l’Eglise, et comment se sont-ils progressivement formés ? C’est à cette double question que voudrait répondre le présent volume." (o.c.p7)

Ce qui est remarquable – et amusant à la fois – c’est qu’au fil de la lecture du livre de Marie Emile Boismard on se sent devenir spécialiste avec lui.

Je voudrais donner un exemple.

Pour le commun des mortels – dans ce cas-ci, pour l’immense majorité des catholiques pratiquants – cela ne pose aucun problème d’entendre à l’office la lecture d’un extrait de la lettre de Paul à Tite (2,11à14) et plus tard dans l’année un extrait de la lettre de Paul à Timothée (2,1à8). Il faut être spécialiste de l’exégèse biblique pour remarquer que ces deux textes sont contradictoires.

"Tt2, 13-14 : Nous attendons la bienheureuse espérance et l’apparition de la gloire de notre grand Dieu et sauveur, Jésus-Christ, qui s’est livré pour nous afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier un peuple qui lui appartienne en propre, zélé pour le bien."

"Tm2, 5-6 : Car unique est Dieu, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, un homme, le Christ Jésus, qui s’est livré en rançon pour tous."

"Ces deux textes sont liés par le thème du rachat par le Christ. Mais tandis que le premier affirme que Jésus est Dieu, le second commence par rappeler la croyance juive en un dieu unique, pour noter ensuite que Jésus n’est qu’un homme, ce mot étant bien mis en évidence " (o.c.page 97) "Nous voici en présence de deux textes qui sont incompatibles. Ils ne peuvent pas être du même auteur. Nous avons vu que le second est le plus ancien. Peut-il remonter à Paul lui-même ? (o.c.99)"

Il n’est pas possible de donner un aperçu valable d’un problème aussi important en quelques lignes, mon but est ailleurs. Je voudrais montrer que, contrairement à ce que disait le théologien spécialisé en dogmatique cité ci-avant, c’est l’exégèse des textes de référence qui conditionne le dogme et pas l’inverse. Mais ce n’est pas aux théologiens ou aux spécialistes que je m’adresse : j’ai plusieurs amis qui sont déçus, ou même choqués quand on met en doute la pertinence d’une citation biblique. Et qui s’étonnerait que cela vaille surtout pour l’évangile de Jean ?

Et pourtant !...Peut-on encore, en 1999, brandir une citation de l’évangile en lui attribuant une valeur d’ "inspiration" ou de "révélation" au sens traditionnel ?

André Verheyen - LPC 90/1999

Dubitando ad veritatem pervernimus
En doutant on parvient à la vérité

Cicéron