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30 juin 2010 3 30 /06 /juin /2010 14:15
Alain Dupuis Qui sème le vent…
Alain Dupuis
LPC n° 10 / 2010

« Malheur à vous …qui parcourez mers et continents pour faire un seul disciple ; et lorsqu'il est
venu à vous, vous en faites un fils de la géhenne deux fois pire que vous ! » (Mt 23-15)

Pas un journal télévisé, pas une "une" de quotidien ou d'hebdomadaire qui ne se fasse, jour après jour, l'écho de nouveaux faits de "pédophilie", sortant de l'ombre par dizaines, par centaines, sur tous les continents, et mettant en cause des ministres de l'Eglise catholique romaine.

Même si ce genre de drame n'épargne pas, loin de là, la société civile, dans tous les milieux et sous mille formes, l'ampleur du phénomène et ce taux de fréquence devrait donc bien, logiquement, conduire l' Eglise à chercher "en interne" les causes possibles de ce désastre. Or, pour l'instant, contre tout bon sens, il semble qu'officiellement on continue à ne voir là que de gravissimes défaillances, individuelles et accidentelles, liées à l'influence délétère d'un "monde moderne" et d'un "esprit du temps", censés véhiculer tous les vices…

La mise en cause de tout un système ne semble toujours pas à l'ordre du jour…

Un phénomène vieux comme le monde ?

Certes, l'Eglise n'a pas inventé cette "pédérastie", c'est-à-dire cette attirance érotique d'hommes adultes pour les jeunes garçons (ta paedia en grec), forme exacte de la "déviance" sexuelle dont il est majoritairement question ici.

L'Histoire témoigne de la présence de ce type de relations, plus ou moins tolérées, plus ou moins codifiées ou réprimées, suivant les lieux et les époques, dans toutes les sociétés humaines. Bien malin qui dira vraiment, surtout en quelques lignes, où s'enracine, chez l'homme mâle adulte, cette attirance érotique, parfois "amoureuse", pour les jeunes garçons…

Il semble toutefois qu'on puisse hasarder quelques points communs aux cultures ou aux milieux où fleurissent plus volontiers ce type de liaisons : des sociétés patriarcales (phalocratiques ?) où la femme, volontiers infériorisée, est cantonnée à son rôle de génitrice (ou de vestale ?). Sociétés aussi dans lesquelles, très tôt, pour des raisons à la fois sociales, culturelles, mais aussi religieuses, on écarte, au seuil de la puberté, les jeunes garçons, du monde féminin jugé avilissant pour le futur "mâle" appelé, lui, aux plus hautes destinées, militaires, civiles ou religieuses… C'est le cas de nombreuses sociétés traditionnelles, c'était le cas des sociétés gréco-romaines, c'est le cas de nombreuses sociétés musulmanes, et aussi, de certaines sociétés bouddhistes où, par exemple, les jeunes garçons peuvent être recrutés extrêmement jeunes par les monastères…Or, il est de notoriété publique que la pédérastie (plus occulte qu'avouée) est monnaie courante dans l'ensemble de ces milieux… Le catholicisme reproduirait-il lui aussi, quelque part, des conditions favorables à cette même dérive ?

Une misogynie et une sexophobie anciennes ?

Dès les origines, le christianisme n'ajouta-t-il pas au machisme patriarcal proche-oriental de ses origines, une défiance néo-platonicienne (voire gnostique) croissante à l'égard du corps, de la "chair", donc à la fois de la sexualité ET de la femme vue, dès lors, comme un dangereux objet de chute pour la "virtus" des mâles.

Sans parcourir toute l'histoire ambiguë de la "chrétienté" sur ce sujet, souvenons-nous que la "mixité" dans l'éducation fut une conquête moderne (années 60 du 20ème siècle), impulsée par la "laïcité", et qui rencontra une forte résistance des milieux ecclésiaux, particulièrement des puissants milieux éducatifs catholiques (écoles et mouvements de jeunesse)…

Pour le sujet qui nous occupe, il nous suffira de remonter à un catholicisme très récent. Celui de la fin du 19ème siècle et d'une grosse première moitié du 20ème. Un catholicisme pudibond, vouant un culte obsessionnel à la "chasteté" de ses garçons, et à la "virginité" de ses filles. Bref, un catholicisme menant une guerre sans merci à toute expression affectivo-sexuelle de ses enfants et de ses adolescents ! Or ce catholicisme-là a encore, à l'époque, le quasi monopole de l'éducation en internats, très appréciée de la bourgeoisie prospère et de l'aristocratie (parfois aussi des "pauvres", dans les "Maîtrises" des cathédrales), où il espère recruter ses futurs clercs…

Et l'immense majorité des clercs mis en cause dans la vague de révélations actuelle ne sont-ils pas issus de ces générations-là ?

Un élevage en serre chaude…

Partout dans le monde, pour faire éclore les futures "vocations", la recette était alors de s'y prendre tôt !

Prenez donc de jeunes garçons et, dès l'âge de 11-12 ans, plongez-les pour plusieurs années dans un milieu clos, à dominante masculine. Vous garantirez ainsi que tout leur "relationnel", voire leur "affectivité", à un moment crucial de leur évolution, ne connaîtra d'autre "altérité" que "mâle" : celle d'adultes célibataires, auréolés de "sacré" et de camarades du même sexe, auréolés de candide pureté…

Le bocal n'étant pas tout à fait étanche, l'imaginaire du petit mâle humain étant ce qu'il est, et les flots de testostérone pubertaire entrant en action, il y a risque que vos jeunes sujets commencent à fantasmer sur des images féminines plus ou moins suggestives et cherchent à donner "chair" à de troublants mais impérieux appétits sexuels et affectifs naissants. Halte - là !

Au prix d'un discours répétitif et persuasif, et au rythme d'une confession hebdomadaire obligatoire, vous inscrirez, au plus profond de leur structure mentale et émotionnelle, la crainte sacrée de toute "souillure" de l'âme par ce qui est "impur" ! Et qu'est-ce qui est impur ? Les filles et le sexe ! Tout "fantasme" et tout plaisir sexuel a rang d'impureté des impuretés devant l'Eternel ! Seul vrai "péché mortel" clairement répertorié, à tel point que, même au seuil des vacances d'été, vous mettrez vigoureusement en garde vos protégés contre les sataniques dangers de l'oisiveté, du soleil et des corps dénudés…

Ne perdons pas de vue que "Petits Séminaires", manécanteries et autres internats étaient vus comme les meilleures pépinières de "vocations" !

Des pépinières, mais pour quelle récolte ?

Que peut-il advenir d'un petit d'homme normalement constitué, mais fragilisé émotionnellement, psychologiquement, affectivement, par la coupure d'avec sa famille et soumis à un pareil conditionnement à l'âge de toutes les maturations ?

Bien sûr, un pourcentage important de ceux qui ont été soumis, parfois dix années consécutives, à un pareil traitement, ont eu assez de santé et d'instinct de survie pour se rebeller contre cette véritable entreprise de castration "pour le royaume"…et contre la "religion" sous-jacente. Ceux-là sont sortis, malgré tout, encore capables d'une saine maturation affective et sexuelle…

Malheureusement, bien souvent, les plus vulnérables, les plus sensibles, les plus fervents, les plus généreux et les plus enclins à se donner, corps et âme, aux idéaux flamboyants qu'on leur proposait, furent les victimes de cette coupable manipulation mentale. Elle les laissa, à jamais, sexuellement et affectivement immatures. Et, on le verra, ce furent souvent aussi ceux-là qui se crurent (et que l'on voulut croire) appelés à servir Dieu et les hommes dans le "célibat consacré", comme on dit…

Or, immaturité sexuelle et inhibition face aux femmes ne veut pas dire, loin de là, absence de libido ni de pulsions affectivo-sexuelles, d'autant plus violentes et incontrôlables qu'elles sont réprimées et frustrées dès l'origine.

Beaucoup de ces jeunes gens ont vu leur inclination naturelle vers l'autre sexe tuée dans l'œuf et frappée d' interdit (ou en tout cas l'ont-il vécu ainsi). Mais ne s'est-elle pas muée, bien souvent et bien malgré eux, en désirs pour la "chair" plus accessible, omniprésente, de leurs jeunes condisciples et en des amitiés amoureuses parfois enflammées, qui ont illuminé leur désert sensuel et affectif ? Amours secrètes, furtives, culpabilisantes au plus haut point, avortées et "sublimées" au nom de la sacro-sainte chasteté, ne sont-elles pas demeurées, et à jamais, les seules expériences connues d'une possible extase amoureuse pour ces adultes inachevés ?…N'y a-t-il pas eu là, dans bien des cas, la mise en place, autour de visages et de corps d'enfants, d'un véritable fonctionnement psychique amoureux de substitution ?

Un tragique cercle vicieux !

L'abondance apparente de ces cas d'hommes blessés, estropiés jusque dans le plus intime de leur identité sexuelle, dans les rangs du clergé catholique ne peut être le fruit d'un malheureux hasard !

Homosexualité et pédérastie (au sens propre) sont des fonctionnements psychiques très difficiles à assumer socialement. La pédérastie d'autant plus qu'elle est désormais clairement « criminalisée ». Cet état de fait peut engendrer deux conséquences :

La première, consciente et volontariste, est, pour celui qui se voit affligé de ce type de fonctionnement, de vouloir sortir du piège "par le haut". De sublimer pour tenter de dissoudre le problème dans une ardente et exigeante spiritualité, de qui il attend maîtrise de soi et transfiguration, ad majorem Dei gloriam, de ses pulsions les plus inquiétantes.

La seconde, complémentaire, plus obscure et souterraine, est de vouloir définitivement nier le drame intérieur et social auquel on est acculé, en l'habillant du vêtement gratifiant et protecteur du célibat sacerdotal…ou religieux : pour autrui (et pour soi-même ?) désormais, si l'on n'a pas de vie affectivo-sexuelle connue, c'est par un choix parfaitement assumé, altruiste, sublime et respectable…

Tout est en place, désormais, pour que, au minimum, le schéma castrateur soit perpétué …et, au pire, pour que l'immature se découvre bientôt criminel…

Il serait bien sûr parfaitement injuste de soupçonner la bonne foi et la parfaite générosité de tant de jeunes hommes qui se sont mis ainsi au service de Dieu, de leurs frères et d'une Eglise qu'ils aiment… peut-être "abusivement"…

Mais, en admettant (?) qu'un adulte équilibré (?), parfaitement (?) en possession de ses facultés relationnelles et amoureuses, puisse choisir volontairement l'abstinence et la chasteté…tous les spécialistes savent qu'une affectivité et une identité sexuelle profondément blessées débouchent obligatoirement, tôt ou tard, sur des "passages à l'acte".

Or, une des caractéristiques de l'activité affectivo-sexuelle blessée et immature, est la "compulsivité" : ainsi des "conquêtes" enchaînées du Don Juan, des rencontres innombrables de certains homosexuels immatures et des innombrables jeunes "victimes" de certains pédérastes, comme en témoignent les faits actuellement médiatisés.

De telle sorte que ceux que leur maîtres avaient cru munir d'une inviolable "ceinture de chasteté"…se révèlent en fait porteurs d'une ceinture explosive, fatale pour eux comme pour ceux qu'ils approchent !…

Sur qui pleurer ?

Lors d'une visite dans la très catholique île de Malte, les médias se sont émus de voir Joseph Ratzinger essuyer une larme devant les "victimes" de prêtres pédophiles…

Mais sur qui pleurait-il donc ?

Sur ces hommes abusés encore enfants, puis emmurés dans un silence ravageur pendant de si longues années ?

Sur ces prêtres abuseurs, dont l'âme fut littéralement saccagée par une pédagogie et une spiritualité suspectes, erronées, perverses, pour ne pas dire criminelles ?

Ou encore sur l'effondrement dans le scandale le plus humiliant, de ce système institutionnel totalement aveugle et égaré dans ses concepts désincarnés, hors d'âge et de toute raison ?

N'est-il pas aussi stupéfiant que révoltant de voir aujourd'hui ce Pape et ses acolytes larmoyer sur ces milliers de victimes et battre leur coulpe sur la poitrine des autres, de ces milliers de pathétiques prêtres en perdition ? De les entendre aujourd'hui en appeler, sans vergogne, à toutes les rigueurs de la justice des hommes…sans songer une seule fois à s'agenouiller devant "victimes" et "bourreaux" pour leur demander pardon au nom de l'institution qui a orchestré si longtemps et couvert un tel désastre humain ?

L'heure n'est-elle pas, enfin, à un authentique repentir ?

C'est-à-dire la reconnaissance publique que, sur bien des points, dans sa surdité et ses aveuglements, l'Institution, en faisant obstinément fausse route, a abîmé irrémédiablement tant d'hommes et de femmes. C'est-à-dire aussi la prise, enfin, de toutes les mesures pour que cessent les discours et les pratiques erronées et perverses qui violent et bafouent la nature humaine, à la fois homme et femme, son intégrité et sa dignité, telles que les sciences humaines et une saine théologie permettent aujourd'hui de les cerner.

L'heure n'est-elle pas, surtout, à une authentique miséricorde, non en discours mais "en actes véritablement" : celle qui mettrait enfin l'Institution à genoux aux pieds de toutes les victimes de ses égarements, pour les servir en leur offrant, à toutes, une par une, l'écoute attentive et les conditions humaines, thérapeutiques et spirituelles de l'authentique pardon, puis d'une sereine reconstruction ?…

Mais que peut savoir une "institution" de ce qu'est la miséricorde vraie ?

Alain Dupuis