Après 2000 ans… Qu'avons-nous fait de lui ? | |
Herman Van den Meersschaut |
En 2001 l'Église catholique a fêté 2000 ans de Christianisme. Ce fut, pour beaucoup, l'occasion de "jubiler" pour ces deux millénaires de bons et loyaux services rendus à la gloire de l'Église Romaine. Pour d'autres ce fut l’heure des bilans. Je n'aurai pas la prétention de me risquer dans un tel exercice. Je dirais simplement que 2000 ans de Christianisme ont imprégné notre culture occidentale d'une façon telle que notre quotidien le plus banal en est continuellement nourri : le calendrier, les fêtes chômées, le langage, les arts, etc. On peut, sans doute, dire que le Christianisme a produit le meilleur de ce dont l'homme est capable, mais, peut-être, aussi le pire. Pouvons-nous vraiment bien mesurer les dégâts humains qu'ont pu provoquer la domination spirituelle de l'Église sur les masses, l'antisémitisme, les croisades, les schismes, l'inquisition, la collusion avec les pouvoirs séculiers ? Mais n'est-ce pas là une caractéristique de toutes les religions instituées, qui pour se maintenir doivent défendre, avec bec et ongles, leur pouvoir sur les consciences ? Mais notre Église est-elle bien celle de Jésus? A-t-il lui-même fondé une Église ? Mais, au fond, qui était donc ce Jésus dont nous nous disons disciples ? Du personnage historique nous ne savons que peu de choses et ce que nous en savons passe inévitablement au travers du filtre des évangiles. Ceux-ci, écrits bien après la mort de Jésus, ne sont pas simplement une transcription fidèle des faits et gestes de celui-ci, mais l'expression littéraire des témoignages de plusieurs générations de disciples. Je vous propose de suivre Hans Küng (1) dans sa tentative de cerner de plus près, dans les textes néo-testamentaires, les véritables intentions de Jésus et le message qu'il a délivré. C'est dans son magnifique ouvrage "Être chrétien" (2) que l'auteur tente de répondre à la question : "Qui est le Christ ?". Je me permets de le citer librement : … Le Christ n'est autre que Jésus de Nazareth. Il n'était pas un prêtre, mais un "laïc" célibataire -ce qui surprenait- un guide d'un mouvement "laïc". Il n'était pas théologien et n'a construit ni théorie ni système. Il annonçait le royaume de Dieu avec les mots de tous les jours, à l'aide d'images, de récits et de paraboles. Il était totalement étranger à l'oligarchie sacerdotale dirigée par les Sadducéens (le Temple) et pourtant, assez curieusement l'Église verra souvent Jésus comme le garant de l'appareil ecclésiastique et religieux.
En somme, c'est un acquis important dans l'approche de la personne de Jésus que de ne pas l'enfermer dans le cadre étroit de l'ordre établi, de la révolution, de la fuite du monde ou du compromis. Jésus fait éclater tous les schémas. Il représente un défi lancé aussi bien à la gauche qu'à la droite : manifestement plus proche de Dieu que les prêtres, plus libre à l'égard du monde que les ascètes, plus moral que les moralistes, plus révolutionnaire que les révolutionnaires. Pourquoi ne s'est-il pas laissé annexer ? Cette attitude découle de la volonté même de Jésus. Qu'a-t-il voulu en fin de compte ?
Ainsi Jésus a provoqué ses contemporains à une décision ultime : non pas en faveur de tel dogme ou telle loi, mais en faveur de la Bonne Nouvelle du Royaume qu'il annonçait, c'est-à-dire la volonté de Dieu : le bien intégral de l'homme. Jésus ne se réfère pas à un Dieu nouveau, mais au Dieu d'Israël, dont il renouvelle la conception ; il l'annonce comme le père des égarés et s'adresse à lui de manière très personnelle, comme à son père. Du coup, se posait la question : Jésus n'était-il pas un hérétique, un faux prophète, un blasphémateur, un corrupteur du peuple ? La mort violente de Jésus était la suite logique de son attitude à l'égard de Dieu et des hommes. Elle est la réponse des prêtres, des gardiens de la Loi, du droit et de la morale à son action non-violente. Jésus devient le représentant des pécheurs, des transgresseurs de la Loi. Il meurt abandonné à la fois par les hommes et par Dieu. Or la mort de Jésus n'était pas la fin de tout. La foi de sa communauté est la suivante : le crucifié vit à jamais auprès de Dieu, il fonde ainsi notre espérance. La résurrection ne signifie pas le retour à la vie spatio-temporelle, ni sa prolongation, mais l'accueil dans la réalité insaisissable et englobante, ultime et première, que nous appelons Dieu… C'est ici que commence l'aventure de l'Église qui se constituera autour de la communauté des apôtres qui ont connu Jésus. C'est à la lumière des témoignages de ceux qui ont vécu cette expérience intérieure qu'a été la présence de Jésus-vivant dans leur vie, que s'élaboreront les premiers récits évangéliques. L'Église apostolique va rapidement se structurer. D'abord persécutée, elle arrivera finalement en 380 à être imposée comme religion d'état par les empereurs romains. C'est, peut-être, la pire chose qui soit arrivée dans l'expansion du Christianisme. Son mariage avec le pouvoir impérial a, sans aucun doute, très sérieusement altéré le message originel transmis par Jésus. Il me semble que, si l'Église veut rester crédible aux yeux du monde et être un exemple dans la réalisation du Royaume, il faudra qu'elle retourne très sérieusement aux sources de son existence en essayant de retrouver toute l'originalité et la fraîcheur du message du Jésus de l'Évangile et peut-être même d'avant les évangiles. Cette recherche, nous avons tous à la faire personnellement et à nous laisser interpeller : "Vous êtes le corps du Christ ? Qu'avons- nous fait de lui ?". Oui, en ce troisième millénaire déjà bien entamé, qu'allons-nous faire de lui ? |
Herman Van den Meersschaut. LPC n°95 – 1999-2016 |
(1) Hans Kung – Théologien de l’Université de Tubingen (Allemagne) (retour) (2) Vingt propositions de « Etre chrétien »- Editions de Seuil 1974 et « Etre chrétien » ; Editions du Seuil 1978. (retour) N.d.l.r.: À l'intention de ceux et celles qui s'intéressent davantage à la précision qu'à la symbolique des nombres, nous voudrions dire qu'ils peuvent avoir toutes leurs assurances ; nous sommes bien d'accord que l'an 2000 fait partie du deuxième millénaire… |