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21 novembre 2020 6 21 /11 /novembre /2020 09:00
John Shelby Spong Echapper au littéralisme biblique
John Shelby Spong
Evêque émérite de l’Eglise épiscopalienne de Newark, New Jersey, USA

La fête de Noël est proche. Nous proposons donc à votre réflexion le premier chapitre du livre de J.S.Spong "Né d’une femme", conception et naissance de Jésus dans les évangiles - éditions Karthala-2015. Les sous–titres sont de la rédaction.

Pendant la majeure partie des deux mille ans d'histoire depuis la naissance de Jésus de Nazareth, l'Église chrétienne a participé à l'oppression des femmes et l'a soutenue. Cette oppression a été à la fois manifeste et secrète, consciente et inconsciente. Elle est principalement issue de la capacité de l'Église à définir au nom de Dieu une femme et à faire que cette définition persiste. Elle est fondée sur une compréhension littérale de l'Écriture sainte envisagée comme la parole infaillible de Dieu. La Bible a été produite à une époque patriarcale. Le patriarcat et Dieu sont si profondément et si naïvement liés au genre par la hiérarchie exclusivement masculine de l'Église, que les hommes n'ont presque pas compris en quoi cette alliance est utilisée au détriment de toutes les femmes. De façon unique et étrange, les passages de la Bible qui ont le plus contribué à cette négativité sont les récits de naissance de Matthieu et Luc. Plus que cela n'est communément compris, ces histoires ont aidé au développement du stéréotype ecclésiastique de la femme idéale à l'aune de laquelle toutes les femmes devaient finalement être jugées. Le pouvoir de ces récits de naissance sur les femmes réside dans leur imagerie romantique, subtilement illusoire. Les passages bibliques contenant des préjugés manifestes envers les femmes peuvent être rapidement repérés et aisément mis de côté. Mais des définitions habiles, transmises inconsciemment, et des schémas traditionnels répétés ne sont pas aisément repérés. C'est ainsi que, dans ces passages des Écritures saintes, le portrait d'une femme connue sous le nom de "la vierge" est entré jusqu'au cœur des récits chrétiens et, depuis ce lieu, elle a exercé une influence considérable.

La vierge mère

Chaque année à la période de Noël, Marie est sortie de l'Église et placée dans une posture d'hommage public pendant environ deux semaines. Elle est habillée en bleu pâle, représentée avec des yeux timides et baissés, et définie en des termes évoquant la pureté virginale. Aucune figure féminine de l'histoire occidentale ne rivalise avec elle dans l'établissement de canons. Puisqu'elle est connue sous le nom de "la vierge", elle a contribué à ce schéma particulièrement chrétien qui consiste à considérer les femmes principalement en termes de fonctions sexuelles. Les femmes sont autorisées à renier leur sexualité en devenant des religieuses vierges ou elles sont autorisées à avoir une sexualité en devenant des mères prolifiques. Mais, dans les deux cas, les femmes sont définies non pas d'abord comme des personnes et ensuite comme des êtres sexués, mais d'abord et avant tout comme des "femelles" dont la sexualité détermine l'identité. Selon moi, cela signifie que, lue de manière littérale, la Bible dans son ensemble et les récits de naissance qui se concentrent en particulier sur la personne de la vierge sont coupables d'aider et d'encourager les préjugés sexistes qui perdurent et dénaturent encore les femmes jusqu'à aujourd'hui.

Je veux contester publiquement et avec vigueur cette approche de la tradition virginale et des images sexuelles qui entourent les récits bibliques de la naissance de Jésus. Mais je veux faire cela précisément en tant que chrétien, et un chrétien qui chérit les Écritures. Cette tâche traduit pour moi la volonté de m'attaquer aux questions épineuses de la foi. J'entends affirmer que la Bible est mon alliée dans la lutte visant à mettre un terme à l'oppression des femmes. J'entends aussi fêter Noël chaque année en utilisant les lectures et symboles traditionnels de cette période, mais je chercherai à libérer les traditions de Noël de leur littéralisme destructeur. Je ne crois pas que Marie était littéralement vierge au sens biologique du terme. Je ne crois pas qu'une femme considérée comme une vierge mère puisse être présentée de manière crédible aux hommes et aux femmes d'aujourd'hui comme une femme idéale. Je ne crois pas que l'histoire de la virginité de Marie mette en valeur le portrait de la mère de Jésus. Au contraire, je crois que cette histoire a porté atteinte à l'humanité de Marie et qu'elle est devenue une arme aux mains de ceux dont les préjugés patriarcaux dénaturent l'humanité de tous en général et des femmes en particulier. Mais avant d'étudier les récits de naissance, il est nécessaire de parcourir brièvement la Bible dans son ensemble.

Fondamentalisme et lecture littérale

Étant donné la révolution du savoir des six cents dernières années, je suis ébahi que quelqu'un puisse encore considérer les mots de la Bible comme dictés par Dieu, infaillibles et éternels. Cependant, cette affirmation est prononcée avec une grande efficacité et trouve un terrain fertile dans le cœur de beaucoup de gens, qui se disent eux-mêmes de simples croyants. C'est à ce public que les télévangélistes (évangéliques) adressent leurs appels. Ces prédicateurs électroniques de la Parole offrent à leurs légions la sécurité biblique, la certitude dans la foi et même la supériorité dans leur sentiment de salut. En retour, leurs adeptes procurent aux télévangélistes un vaste cortège qui peut être converti en pouvoir politique et en immenses ressources financières. L'histoire a montré que ni le pouvoir politique, ni les ressources financières ne sont systématiquement utilisés de manière responsable.

Au cours de ces dernières années, j'ai eu l'occasion de débattre avec deux des télévangélistes les plus connus aux États-Unis lors d'émissions télévisées sur la Bible. Je suis pour eux un cas intéressant à étudier parce que, lorsque j'étais enfant, j'étais un fondamentaliste biblique et on a fait du contenu de la Bible une part de mon être même. Depuis l'âge de douze ans, j'ai lu ce livre extraordinaire tous les jours. Le détail biographique à relever dans mon cheminement spirituel est que, lorsque j'ai quitté le fondamentalisme, je n'ai pas cessé d'aimer la Bible. La Bible reste aujourd'hui mon principal sujet d'étude. Je suis donc un phénomène étrange, en tout cas dans l'Amérique chrétienne. On dit de moi que je suis théologiquement un libéral. Pourtant, j'ose me qualifier de croyant biblique et de chrétien. Pour beaucoup, une telle combinaison est une contradiction dans les termes.

Incroyable ignorance

Lorsque j'entends un personnage public suggérer que la Bible exprime exactement ce qu’elle dit littéralement, je suis à ce point effaré que je dois me rappeler que quelque sept décennies se sont écoulées depuis le fameux procès Scopes dans le Tennessee. Ce procès n'a pas seulement captivé l'attention de la nation, il a aussi eu pour effet de déclarer un jeune professeur de sciences de lycée coupable d'avoir épousé la théorie de l'évolution dans sa salle de classe, défiant ainsi la vérité de l'Écriture sainte. Dans le Tennessee des années 1920, ceci constituait un crime. Au cours de ce procès, Clarence Darrow fut brillant dans un débat contradictoire avec William Jennings Bryan, acculant son adversaire à énoncer des inepties en posant des questions sur la Bible, telles que "Où Caïn a-t-il trouvé sa femme?" et "Etait-il vraiment possible pour un être humain nommé Jonas de vivre trois jours et trois nuits dans le ventre d'une baleine ?" Cependant, le jury a voté la condamnation du jeune professeur de lycée, car l'engagement envers le littéralisme biblique faisait plus profondément partie du système de conviction de cette époque que l'engagement pour la vérité. Leurs conclusions furent tellement étranges qu'elles ont propulsé M. Scopes, M. Darrow et M. Bryan au cœur même du folklore américain.

C'est incroyable, mais l'exposition médiatique d'un tel littéralisme biblique existe toujours aujourd'hui, régulièrement alimentée par la télévision. Ce pouvoir médiatique fait que malgré tout l'ignorance religieuse continuera à vivre un peu de temps encore. De plus, il permet que ce niveau d'ignorance continue à déterminer une grande partie des questions et des problèmes religieux de notre époque, et ce, je le redoute, en causant la perte totale de crédibilité de tout système religieux.

Un effet direct de tout ceci est que de plus en plus de personnes instruites de notre monde sont convaincues que la religion instituée est à peine plus qu'un système de superstitions hystérique, incapable de susciter la moindre adhésion ou allégeance. Ceux qui cherchent à être des citoyens de ce siècle et en même temps des chrétiens croyants représenteront une minorité qui se fanera jusqu'à en devenir presque invisible.

Rejeter le fondamentalisme

Il est assez facile de rejeter le fondamentalisme biblique en s'appuyant sur des motifs intellectuels. La Bible est pleine de contradictions. Le même Dieu qui dit à un endroit : «Tu ne commettras pas de meurtre» (Ex 20/13), ordonne à un autre endroit à Israël : «Va frapper Amaleq. Vous devrez vouer par interdit tout ce qui lui appartient. Tu ne l'épargneras point. Tu mettras tout à mort, hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes» (1 S 15/3ss). Le Dieu qui semble doté d'une conscience universelle quand on l'entend dire : "Grand est mon nom parmi les nations" (Mal 1/ 11) ou : "Que tout vallon soit relevé" (Es 40/ 4) est aussi dépeint comme se réjouissant de la noyade des Egyptiens dans la mer Rouge (Ex 15) et autorisant la tête des enfants des Edomites à être broyée " sur le roc " (Ps 13717-9). On pourrait aisément composer un manuscrit entièrement rempli de ce genre de contradictions.

Outre ces anomalies, des preuves géologiques et astrophysiques ont remis en question avec succès la " vérité " biblique. Ces preuves révèlent que la planète Terre existe depuis quatre à cinq milliards d'années et que la vie au stade humain ou immédiatement antérieur à celui-ci remonte à une période située entre cinq cent mille et deux millions d'années. Ces données documentées devraient pouvoir faire un sort à la " littéralisation " du récit de création en sept jours, et au calcul fait par l'évêque James Ussher estimant que la Terre a été créée en 4004 avant notre ère. Si le soleil ne tourne pas autour de la Terre, comme Josué le pensait, il serait assez difficile de lui ordonner d'arrêter sa course dans le ciel. Pourtant c'est précisément ce que Josué a fait selon la Bible, pour permettre à Israël de gagner sa bataille avant la tombée de la nuit (Jos 10/12-13). Nous pourrions aussi soulever des interrogations intéressantes sur ce qui s'est passé dans le système digestif du gros poisson quand Jonas y est entré et qu'il y est resté soixante-douze heures (Jon 1/ 17). À tout le moins, ce poisson aurait souffert d'une constipation aiguë. Les tombes se sont-elles réellement ouvertes au moment de la crucifixion de Jésus et des personnes mortes depuis fort longtemps se sont-elles réellement relevées pour aller dans Jérusalem et être vues par un grand nombre d'individus comme Matthieu le déclare (Mt 27/51-53)? Les eaux de la mer Rouge se sont­ elles vraiment ouvertes pour Moïse (Ex 14/21ss) ? De la manne est-elle tombée réellement du ciel pendant six jours seulement et s'est-elle arrêtée le septième jour pour ne pas violer le Shabbat (Ex 16/ 5) ? Noé a-t-il vraiment rassemblé tous les animaux du monde deux par deux sur un tout petit bateau (Gn 7/6-10) ? Cela incluait-il des kangourous, dont personne ne connaissait l'existence jusqu'à ce que l'Australie fût découverte des siècles plus tard? Jésus a-t-il marché sur les eaux (Mc 6/48-49), apaisé la tempête (Mc 4/ 37-41) et nourri une multitude avec cinq pains et deux poissons (Jn 6/1-14) ? Si le linge mortuaire a été laissé intact dans la tombe de Jésus quand il s'est relevé, comme Jean l'affirme (Jn 20/7), devons­ nous imaginer que le corps ressuscité était sans vêtement ?

La croyance en l'exactitude historique de ces textes n'est plus possible dans les cercles universitaires, mais elle prospère toujours vigoureusement sur les bancs de beaucoup de nos églises. Sous une forme moins flagrante, cette attitude fondamentaliste imprègne non seulement les rangs des masses irréfléchies, mais elle s'exprime aussi dans les hautes sphères ecclésiales sophistiquées, qui ont pourtant une formation universitaire.

Quelqu'un d'aussi important que le pape Jean-Paul II a apporté son soutien à un document qui déclare : « Les femmes ne seront jamais prêtres dans l'Église catholique romaine parce que Jésus n'a choisi aucune femme pour disciple. » Je suggère qu’il s'agit d'une utilisation littérale et inappropriée des Ecritures saintes. Selon les mœurs et l'ordre social du premier siècle, il était inconcevable qu'une femme fasse partie des disciples d'un rabbin ou d'un enseignant itinérant. Le rôle des femmes était trop circonscrit pour que cela fusse ne serait-ce qu'envisagé. Ici, le littéralisme biblique est superficiel plutôt qu'approfondi. Peut-être l'évêque de Rome n'a-t-il jamais pensé que Jésus n'avait pas non plus choisi un homme polonais comme disciple, mais cela n'a pas empêché l'accès à la prêtrise du garçon Karol Jozef Wojtyla, devenu plus tard Jean-Paul II. Bien sûr, cette attitude à l'égard des femmes évolue partout, y compris dans toutes les branches de l'Église chrétienne. Même ces Églises qui refusent encore d'ordonner des femmes les autorisent aujourd'hui à servir l'Église en tant que responsables d'activités et assistantes dans les conseils de paroisses. Rien de tout cela n'était possible avant la Seconde Guerre mondiale. Toutes les Églises compteront sûrement bientôt des femmes pasteurs, prêtres et évêques dans quelque temps.

Un neo-littéralisme

Quand j'écoute des prédications de Pâques et de Noël, je constate, sermon après sermon, un néo-littéralisme toujours vibrant, même dans ces grandes Églises qui seraient gênées si quelqu'un suggérait qu'elles étaient fondamentalistes. De la même manière, les documents officiels, les études et les lettres pastorales produites par le corps ecclésiastique ou des groupes d'évêques sont souvent étayées par une interprétation littérale de l'Écriture.

Un évêque cité dans la presse a déclaré par exemple que, dans sept passages spécifiques de la Bible, l'homosexualité est condamnée, comme si cette affirmation garantissait qu'il en serait toujours ainsi. Chaque mouvement qui a cherché à mettre un terme à une oppression de quelque forme dans l'histoire occidentale a eu à dépasser l'autorité de la lettre de la Bible. Le christianisme, avec ses Écritures, a persécuté les païens et a engendré un antisémitisme qui a alimenté aussi bien les Croisades que la Shoah, ou encore les dégradations contre des synagogues. Ce cadeau démoniaque du littéralisme biblique est encore une plaie pour nous aujourd'hui. Une Bible lue de manière littérale présente encore les Juifs comme des personnes diaboliques qui ont tué Jésus. " Nous prenons son sang sur nous et nos enfants " (Mt 27/25) est un texte souvent utilisé pour justifier nos préjugés. Les Juifs sont désignés comme enfants du diable dans le Nouveau Testament (Jn 8/ 44), et ils sont définis comme ayant reçu de Dieu un esprit de torpeur : " Des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre " (Rm 11/ 8). Il y a des moments où je frémis littéralement en entendant la lecture du récit du vendredi saint. Je prends conscience qu'une fois encore l'usage biblique du terme « les Juifs » dans ce passage renforcera à nouveau la tache sombre sur l'âme du christianisme à travers les âges.

D'autres préjugés portant atteinte à la vie n'ont cessé d'être perpétués à travers l'histoire en tant que positions officielles " chrétiennes ", étayés toujours par un usage littéraliste de la Bible. Figurent sur cette liste le rejet des gauchers considérés comme anormaux, l'esclavage et la ségrégation des personnes non blanches considérées comme des sous-hommes, le viol et le meurtre des personnes homosexuelles que l'on déclare malades ou dépravées, le rejet hors des sanctuaires de l'Église et même des cérémonies d'obsèques de personnes qui se sont suicidées, et le rejet et l'excommunication en vertu des lois canoniques des personnes divorcées, quelles que soient les circonstances ayant conduit au divorce. Cela m'a toujours semblé étrange qu'une chose appelée " la parole de Dieu " soit devenue encore et encore, dans la vie de l'Église, une arme d'oppression. Mais c'est l'histoire qui l'a montré.

John Shelby Spong
Suite la semaine prochaine

Published by Libre pensée chrétienne