Quelques grands dogmes | |
Roger Sougnez professeur d’Ecole Normale (1927-2019) Extrait de son livre « De la prêtrise à l’abandon des doctrines » Ed. Golias |
Nos problèmes humains sont déjà fort compliqués ; faut- il en plus nous encombrer d'élucubrations, trop souvent en dehors du réel, affirmées par des églises et des théologiens qui tentent de justifier des conceptions dépassées et nous fournissent des réponses insatisfaisantes ou invraisemblables ? Par exemple : la foi, nécessaire au salut , est un don de Dieu. Il la confère arbitrairement seulement à qui Il veut, alors qu'il est censé être amour et justice pour tous. Beaucoup de fidèles sont fort attachés à leurs dogmes mais se sont rarement interrogés sur leur véritable sens. Confrontés aux raisons développées par les critiques, ils ne les examinent même pas et ne voient qu'une chose : leur dogme est « attaqué », il faut le défendre et s'y accrocher davantage . Pourtant , rien qu'en réfléchissant sérieusement à ce que signifient réellement les mots, on peut déjà constater qu'ils sont souvent contradictoires, invraisemblables et inacceptables. Les dogmes chrétiens se sont élaborés à partir de traditions populaires et non de réalités historiques. Maintenant que nous savons ce que valent réellement ces bases, tout ce qui s'est construit sur elles s'effondre. L'Eglise ne peut pas continuer comme si de rien n'était, ce serait une imposture et elle tomberait dans le travers: « Errare humanum est, perseverare diabolicum » (Se tromper est humain, il est diabolique de persévérer). Certains, s'apercevant qu'ils ont fait fausse route, trouvent dommageable de le reconnaître et ne veulent pas faire marche arrière . Si elle veut connaître encore une certaine crédibilité, l'Eglise devrait avoir le courage d'entreprendre une tâche gigantesque : abandonner tout ce qui n'est pas valable dans sa doctrine et sa morale. D'ailleurs, l'adage le rappelle: « Ecclesia semper reformanda » : « L'Eglise doit constamment se réformer ». Le péché originel
Je commence par le péché originel, dogme capital, « une vérité essentielle de la foi » parce qu'il est très rebutant et que son rejet a d'énormes conséquences qui ébranlent tout le système chrétien. C'est aussi toute une vision de l'individu et de la société qui est en jeu. Il est bien connu, tant il a fait couler beaucoup d'encre, et il n'est pas nécessaire que je rentre dans les innombrables commentaires, spéculations et polémiques qu'il a suscités. Péché de désobéissance à Dieu commis par Adam et dont tous les hommes sont réputés coupables dès leur naissance , en inimitié avec Dieu, privés d'immortalité. Il aurait entraîné des conséquences désastreuses incommensurables pour l'humanité. Vous en trouverez le récit au chapitre trois de la Genèse. Jésus n'en parle jamais, ni les premières communautés chrétiennes. C'est Saint Paul qui parlera des conséquences du péché d'Adam. Pour mieux mettre en lumière que le salut peut être apporté à l'humanité par un seul homme, Jésus, il le compare à Adam en déclarant que tous les humains ont été constitués pécheurs par la désobéissance du seul Adam. (Rom 5.12.sv) « De même en effet que, par la désobéissance d'un seul homme, la multitude a été rendue pécheresse , de même aussi, par l'obéissance d'un seul, la multitude sera-t¬ elle rendue juste » (v.19). C'est le grand théologien Saint Augustin (354-430) qui développera la doctrine du péché originel. Pour lui, l'humanité tout entière est damnée , perdue (massa damnata) et seule une partie sera sauvée par le Fils de Dieu venu sur Terre, si elle adhère à l'Eglise « Hors de l'Eglise, pas de salut ». Voici, sans commentaire , des textes du Catéchisme de l’Eglise Catholique de 1992 qui expriment la doctrine encore actuelle de l'Eglise officielle.
J'ai pris précisément ce dernier texte comme exemple, même s'il est employé dans un sens métaphorique , car le catéchisme comporte beaucoup de textes aberrants de ce genre. Rien qu'en réfléchissant sérieusement à la doctrine du péché originel et au récit biblique, on s'aperçoit qu'ils sont invraisemblables, remplis d'incohérences et d'iniquités. Un Dieu d'amour qui a créé l'homme pour qu'il partage son bonheur ne peut lui faire une telle interdiction : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin , mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras tu mourras certainement » (Gn 2.17). Si une seule chose nous est interdite , alors que tout le reste est permis , c'est évidemment vers celle-là que nous serons irrémédiablement attirés. C'est tout de même pervers ! Quand nous voyons dans l'évangile comment se comporte le père de l'enfant prodigue, on peut penser que , si Adam avait commis une faute , Dieu miséricordieux , qui veut le bonheur des hommes, aurait pu facilement lui pardonner d'un seul mot. S'il fallait une sanction , en aucun cas, elle n'aurait dû être d'une telle ampleur. En tout cas, Il ne pourrait être injuste au point de déclarer les descendants également coupables et méritant les mêmes châtiments . On peut remarquer que la Bible nous présente comme châtiments infligés par Dieu ce qui constitue le côté le plus pénible de la condition naturelle de l'homme (et qui ne résulte pas d'une condamnation). Dès l'origine, la femme enfantait dans la douleur , la nature rude et le travail pénible accablaient l'homme. C'est encore plus probant pour le serpent condamné par Dieu à ramper sur le ventre (Gn.3.14); ce n'est pas un châtiment: avant le péché d'Adam, il le faisait déjà. « A la femme, il dit : Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. A l'homme, il dit : Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais interdit de manger , maudit soit le sol à cause de toi ! A force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie. Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l'herbe des champs » (Gn 3.16-17). La science également est venue mettre à mal cette explication du péché originel universel par la transmission héréditaire, en nous apprenant que le passage de l'animal à l'homme a dû se réaliser par plusieurs couples à des moments et à des endroits différents , ce qu'on appelle le polygénisme. C'est pourquoi le pape Pie XII, dans son encyclique «Humani generis» (1950) n'acceptait pas ce polygénisme. Ce récit a été considéré jadis comme une description fidèle des faits. L'esprit critique, la réflexion , l'exégèse et l'apport des sciences découvrant la lente évolution qui a conduit à l'homme et au monde que nous connaissons, ont définitivement établi l'invraisemblance de ce mythe. Il n'a pas été écrit pour nous rapporter ce qui s'est réellement passé à l'origine , mais c'est une fable élaborée par les auteurs de la Genèse pour expliquer d'où vient le mal dans le monde en montrant que seul l'homme, par sa désobéissance, en est responsable. Certainement pas Dieu, Lui qui avait justement créé l'homme dans le bonheur parfait du paradis terrestre où il ne devait connaître ni la souffrance ni la mort. Pour certains, ce seul dogme du péché originel suffit à jeter le discrédit sur toute la doctrine chrétienne .Des théologiens protestants l'avaient compris et avaient réfléchi à la possibilité d'un christianisme sans péché originel. Lytta Basset, dans les cent premières pages de son livre « Oser la bienveillance» réduit à néant les fondements de la doctrine du péché originel. Ce récit et le dogme qui en découle n'ont absolument plus de place au XXIe siècle. Il est grand temps qu'ils soient définitivement enterrés. En réalité, il n'y a pas de péché originel. On devrait bannir ce terme malheureux de « péché originel ». Il est encore trop souvent utilisé, dans un sens symbolique, même dans un contexte non religieux , pour parler, par exemple, d'une tare grave pesant sur la nature humaine comme l'égocentrisme fondamental , la propension à la violence et le manque de sens social.
La rédemption. Le salut
Le dogme de la rédemption est très important pour les croyants puisqu'il présente un Dieu qui n'a pas abandonné les hommes suite au péché originel, mais qui a envoyé son propre Fils en la personne de Jésus de Nazareth pour leur donner son message de salut et les sauver. Jésus les libère par sa mort sur la croix de la culpabilité du péché originel et de leurs péchés personnels et les rétablit en amitié avec Dieu. Rédemption vient du mot latin « redimere » qui signifie « racheter ». On a parlé des baptisés rachetés de l'esclavage du démon. Les protestants disent plutôt : la justification : l'homme est rendu « juste », en ordre avec Dieu. Le problème du salut et des moyens de salut a été la grande préoccupation et inquiétude, particulièrement au Moyen-âge : réussir sa vie, ne pas être puni pour ses fautes , être sauvé et obtenir le bonheur définitif du Ciel. Et c'est l'Eglise qui a pris en mains l'aménagement de tous ces éléments. J'ai encore connu ces adages : « Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il vient à perdre son âme ? » « Je n'ai qu'une âme et je dois la sauver ».
Dans son audience générale à Rome le 27 février 2013, le pape Benoît XVI déclarait :
C'est le sacrement de baptême qui apporte à chacun cette rédemption du Christ.
On peut être étonné que Dieu estime que la mort de son Fils soit nécessaire pour réparer la désobéissance d'un seul homme. Des théologiens ont raisonné de la sorte : la gravité d'une offense est mesurée à la dignité de l'offensé , ici, en l'occurrence, Dieu ; la faute est donc infinie et la réparation exige un rédempteur de même valeur. Il n'est pas anormal , pour eux, que ce soit le Fils de Dieu , Dieu Lui-même qui donne sa vie en sacrifice. Si j'étais aimé de Dieu , je serais inquiet de voir ce que ce père aimant peut tolérer que l'on fasse à celui qu'Il aime. J'ai trouvé déjà chez Abélard (1079-1142) cette juste réflexion :« Comment l'apôtre peut-il dire que nous sommes justifiés et réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils ? Cette mort devait, au contraire, l'irriter contre le genre humain. En effet, en crucifiant le Fils de Dieu , les hommes se sont rendus bien plus coupables que par la désobéissance du paradis terrestre... Si le péché d'Adam ne pouvait être expié que par la mort du Christ, qu'est-ce qu'il faudra pour expier la mort du Christ pour expier tant de crimes commis contre lui et les siens?... » Toute la mentalité antique de sacrifice expiatoire où la mort d'un individu peut « racheter » les fautes d'un autre n'a plus de place dans notre monde de pensée aujourd'hui. (En théologie on parlera de « la satisfaction vicaire », c’est-à-dire « satisfaire » à la place d'un autre.) De toute façon, nous venons de voir au chapitre précédent qu'il n'y a pas de péché originel et, de ce fait, bien des doctrines du christianisme s'effondrent, dont le dogme de la rédemption. L'homme n'a pas offensé Dieu, il n'est pas damné et un sauveur n'est pas nécessaire. Les croyants semblent ne pas se rendre compte qu'un Dieu qui meurt sur une croix, c'est peut-être admirable, mais c'est très déroutant pour les non-chrétiens et même totalement invraisemblable ; on ne devrait plus y croire ni en parler. |
Roger Sougnez |
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