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4 novembre 2023 6 04 /11 /novembre /2023 09:01

 

bateau lpc Essai de reconstitution de
«L'invention du christianisme»(1
par les «Hellénistes» dissidents de la
« Synagogue des affranchis »
extrait du livre du pasteur Roger Parmentier(2)

Ou comment fut inventé le «christianisme» transformant Jésus en Christ, en Messie, en Jésus-Christ, dénaturant ainsi Jésus et son projet audacieux et précieux

Qui étaient-ils ?

Des membres de communautés juives particulières issues d’un grand nombre de villes de l’Empire romain (de la «Diaspora»), regroupées en synagogues, de culture et de langue grecques, mais aussi de langues régionales et dialectes.

La plus importante de ces communautés (aux yeux des rédacteurs des Actes) était certainement la Synagogue dite des Affranchis, c'est-à-dire des juifs affranchis de l'esclavage, qui avait été leur état ou celui de leurs ancêtres. Ces Juifs avaient été emmenés comme esclaves par Pompée en 63 avant notre ère. Ce groupe, comme probablement chacun des suivants (Cyrénéens, Alexandrins, originaires de Cilicie et d'Asie Mineure), avait une synagogue particulière à Jérusalem. (d'après la T.O.B)

Ils détestaient avec horreur le paganisme qu'ils avaient côtoyé autrefois. Ils étaient devenus des adversaires du monde gréco-romain tant pour des raisons religieuses que politiques. On les nommerait aujourd'hui «intégristes-nationalistes».

Connaissant le grec, ils lisaient l'Ancien Testament (seule Bible à l'époque) dans l'une de ses traductions grecques dite la Septante. Ils étaient devenus virtuoses de son interprétation, notamment messianique. Ils avaient construit le «portrait-robot» d'un Super-Messie, le véritable Messie qui « devait venir », en exploitant notamment (à contre-sens) le célèbre chapitre 53 d'Esaïe sur le « serviteur souffrant » qui pour Esaïe représentait le peuple d'Israël lui-même.

Ces Juifs Hellénisés, de langue et de culture grecques, bons connaisseurs du monde gréco-romain mais ayant en horreur son paganisme, vont se diviser au sujet de Jésus:

- Les uns vont rallier « l’Eglise » de Jérusalem, composée des croyants qui avaient été auditeurs et disciples de Jésus, mais en constituant un groupe distinct.

- Les autres deviendront les farouches adversaires et les persécuteurs de leurs anciens compagnons des synagogues hellénistes.

L'auteur des Actes des Apôtres s'efforcera de minimiser l'importance de ce conflit ... il le transformera en un simple désaccord concernant l'aide élémentaire accordée aux nécessiteux, notamment les veuves.

Quand ont-ils inventé le «christianisme »?

Juste après la mort de Jésus. En effet peu après la crucifixion et la mort de Jésus toute la ville fut agitée par la « rumeur de Jérusalem » selon laquelle un petit groupe de femmes ayant accompagné le rabbi-prophète de Nazareth, avaient trouvé vide son tombeau et que des « anges » leur avaient révélé que son cadavre avait repris vie.

La rumeur s'amplifiant on est allé jusqu'à évoquer une épidémie de résurrection: «la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s'ouvrirent, les corps de nombreux croyants défunts ressuscitèrent...sortis des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la ville sainte et apparurent à un grand nombre de gens» (Matt.27. 51-53). A l'époque, un tel récit fabuleux était crédible. Les fidèles du plus important mouvement religieux, les pharisiens, croyaient eux-mêmes, dur comme fer, à la résurrection des croyants (actes2. 6- l 0).

Entendant cette rumeur qui s'amplifiait, des «Hellénistes» se mirent à faire le rapprochement avec le portrait-robot du super-messie qu'ils avaient élaboré.

Car à leur avis, ce crucifié, ayant repris vie après sa mort injuste, correspondait pleinement à celui qu'ils avaient imaginé ...

Et ils ont élaboré le kérygme, le schéma de leur prédication, de leur proclamation. Ce schéma, ce kérygme était très simple, voire simpliste : si dieu a ressuscité cet homme, c'est qu’il était son serviteur, sa crucifixion n'était pas la conséquence, le châtiment de ses propres péchés, comme nous l'avions cru jusque-là, la légitime malédiction de Dieu pour son impiété et ses falsifications, son « imposture » (Matt 27. 54). Il s'est manifestement dévoué pour expier les péchés de tous les hommes, il a été crucifié « pour nous » : et Dieu lui en a été reconnaissant en le ressuscitant. Ce qui changeait tout. C’était bouleversant, mais aussi enthousiasmant, exaltant, motivant à la proclamation publique et à l'action missionnaire ... C'était parti pour faire le tour du monde ...

Jésus, vaincu par la haine, la trahison, l'abandon, la crucifixion était changé en Christ vainqueur, céleste, divin. Quelle merveille ! Avec en prime notre propre résurrection après la mort ... Et tout cela simplement en adhérant au kérygme, à l'embryon du «credo» et des confessions de foi, et en recevant le baptême ... Franchement ce n'était pas cher payé. Rien à voir avec l'engagement total que proposait Jésus, dans une entreprise à haut risque ...

En quoi consistait ce kérygme, ce christianisme ?

Un noyau et un développement, une construction doctrinale

- Avant tout, en l’interprétation des citations de l’Ancien Testament, sorties de leur contexte et à qui l'on donnait un sens tout différent de celui qu'avait proposé le rédacteur: et cela afin de construire ce personnage fictif, ce super-Messie auquel on va attribuer de plus en plus de capacités divines.

C'est ce qu'on appelle la lecture christologique de l’Ancien Testament. C’est elle que vont réclamer les récits de plus en plus précis et miraculeux des apparitions de Jésus ressuscité (voir deux récits dans Luc 24). Ils ont construit une prodigieuse mythologie, tout à fait crédible à l'époque. On y reviendra.

- Autre caractéristique : les Hellénistes vont délaisser complètement l'enseignement de Jésus et sa proposition follement généreuse d'entrer immédiatement dans le «règne de Dieu», le changement radical des mentalités et des comportements, le monde renversé qui prend le contre-pied de tout ce qui fait souffrir et mourir les humains (violences, mensonges, mépris, hypocrisies religieuses, dominations, pouvoir de l'argent ...).

Un texte de Paul l'exprime horriblement : « Si nous avons connu Jésus d’un point de vue humain, ça ne compte plus. Maintenant nous ne le connaissons plus ainsi » (2 Co 5.16). On se passe très bien de Jésus ...

L’enthousiasme provoqué par le kérygme et la motivation à le proclamer vont être considérés comme le don du « Saint­ Esprit », l’illumination des fidèles. C’est ce qu’exprime le récit de la Pentecôte de façon enfantine en représentant chacun des illuminés avec une petite flamme sur la tête. Quant au « don des langues » , le don de parler des langues étrangères, rien de miraculeux : les intéressés provenant de la Diaspora méditerranéenne (la liste d'Actes 2 le précise).

En fait, le don de parler des langues étrangères ne sera plus mentionné dans les épîtres et dans les Actes (la xénoglossie). Il va être remplacé par un phénomène d'exaltation mystique, la glossolalie, « le parler en langues », dont raffolent les esprits crédules.

- Autre caractéristique redoutable : les Hellénistes et leurs émules vont bénéficier d'un terrible complexe de supériorité, tant à l'égard des anciens compagnons de Jésus que des Hellénistes non devenus « chrétiens ». Ils vont même pratiquer à leur égard un redoutable anti­ judaïsme théologique, axé sur trois points principaux : contre la Loi (vaine et même nocive), contre le Temple de Jérusalem (car Dieu n'habite pas des demeures construites par la main des hommes (Act. 7.48) et contre l'incrédulité séculaire du peuple juif (7. 51) (« hommes à la nuque raide, incirconcis de cœur et d'oreilles, toujours vous résistez à l'Esprit saint… ») ; et enfin l'accusation d'avoir toujours été les meurtriers des prophètes et de Jésus (7. 51-52); thème qui conduira, hélas, à la doctrine du déicide.

Ils vont donc susciter contre eux la colère des autorités juives de Jérusalem et la méfiance ou l'hostilité de « l'Église de Jérusalem » à leur égard. Elle s'efforcera contre eux de conserver le monopole de la prédication pour tenter d'empêcher la proclamation du kérygme.

On ignore ...

On ignore dans quelles circonstances et quand les Hellénistes « chrétiens » ont séduit l'Eglise de Jérusalem et se sont fait adopter par elle. Mais il se pourrait que Luc nous en donne l'histoire symbolique dans le récit célèbre de l'apparition du « christ ressuscité » aux deux réputés « pèlerins d'Emmaüs » (qui n'étaient pas des pèlerins): deux disciples de Jésus qui s'éloignent rapidement de Jérusalem, découragés par la mort de leur rabbi-prophète et la fin de leur espérance de le voir « délivrer Israël » (de la domination romaine). Dans un premier temps, ils ne reconnaissent pas Jésus dans l'inconnu qui chemine à côté d'eux: normal, ce n'est pas Jésus, mais « le Christ » (le Messie) inventé par les Hellénistes. Les lecteurs savent (contrairement aux deux voyageurs) que c'est le «Ressuscité». Celui-ci aurait beaucoup à dire sur les souffrances physiques et morales de la crucifixion et de la mort, mais il n'en fait rien. La seule chose qui l'intéresse c'est de faire comprendre que l'Ancien Testament tout entier parle de lui (Luc 24. 25-27 et 32. 44-47), mais son effort est vain. Ils ne le reconnaitront qu’au cours du repas, de la bénédiction et du partage du pain (rite qui jouera un rôle grandissant et qui a influencé la rédaction de Luc).

Il reste néanmoins beaucoup d'obscurités sur cet instant capital où une poignée d'hommes, juifs, plutôt précédemment nationalistes et intégristes provoquant contre eux la fureur de leurs anciens compagnons de la « Synagogue des affranchis » et autres, va inventer le « christianisme » délaissant la proposition de Jésus. C'est ce christianisme qui va être imposé par tous les moyens, pendant vingt siècles ; et dans lequel presque tous, nous avons été « formatés », endoctrinés dans les Eglises Orthodoxes, Coptes, Arméniennes, Syriaques, Catholiques, Luthériennes, Réformées, Evangéliques, Charismatiques, Pentecôtistes, et autres… au point que nous croyons « de bonne foi », comme on dit, que c’est le véritable évangile de Jésus.

Fatale erreur.

«Reconnus» dans l'Eglise de Jérusalem

Les Hellénistes «chrétiens» reconnus officiellement dans l'Eglise de Jérusalem, ainsi que leurs chefs de file les Sept : Étienne, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d' Antioche: (tiens, tiens). Mais deux d'entre eux vont jouer un rôle considérable : Etienne, le provocateur et Philippe l'herméneute interprétant christologiquement l'Ancien Testament et évangélisant. Ils proclamaient avec force le kérygme et tout ce qui en découle et cela dérangeait beaucoup l’Eglise de Jérusalem: tout en les accueillant, elle va tenter de les réduire au silence.

Le récit de « l'institution des Sept », chargés du « service des tables», rédigé vraisemblablement par l'auteur de l'évangile de Luc, sans doute vers les années 85-90 soit 50 où 60 ans après l'évènement, reflète davantage ce qu'une Eglise chrétienne, ayant beaucoup évolué, pensait à ce sujet, qu'apportant une relation fidèle des faits.

Ainsi, l'auteur des Actes, dans son souci de présenter de façon euphorique la naissance du christianisme, a préféré gommer le grave conflit théologique qui opposait les «Sept» aux «Douze», et se contenter d'une divergence sans gravité au sujet du « service des tables ».

Mais il a quand même bien précisé que les Douze s'étaient réservé le monopole de la prédication de « la parole de Dieu » (6.4). Ce dont les «Sept» ne vont tenir aucun compte. Etienne va proclamer une prédication incendiaire qu'il n'a pu achever, car on va le tuer à coup de pierres et Philippe va instruire un dignitaire éthiopien, sympathisant du Judaïsme, en lui présentant l'interprétation christologique du fameux passage d'Esaïe 53, si fondamental, on l'a vu, pour légitimer le « kérygme ».

Conséquences catastrophiques ?

Les conséquences de la proclamation du « christianisme » par les porte-parole des Sept, ont été catastrophiques : Étienne a été lapidé (Act.7); les autorités juives ont été indignées, scandalisées notamment d'être accusées du meurtre des prophètes et de Jésus (7. 51-6O) ; « Une violente persécution éclata en ce jour-là contre l'Église de Jérusalem » (8.1) ; « sauf les apôtres, tous se dispersèrent dans les contrées de la Judée et de la Samarie » (8.1) ; et le dénommé Saül de Tarse et futur apôtre Paul « ravageait l'Église ; il pénétrait dans les maisons, en arrachait hommes et femmes et les jetait en prison » (8.3). Beau résultat de la proclamation du « kérygme » !

Mais voici le positif : « les dispersés allèrent de lieu en lieu, annoncer la bonne nouvelle de la parole » leur évangile. (8.4) La mission commençait, qui se développerait jusqu'aux extrémités du monde ...

Les quatre évangiles et le Nouveau Testament n'étant pas encore écrits (les évangiles ne le seront que 55 ou 70 ans plus tard) leur Ecriture a été longtemps l'Ancien Testament, dont ils ont tiré de plus en plus d'interprétations christologiques. Mais l'Evangile de Jésus a été de plus en plus délaissé et sans doute ignoré du plus grand nombre. Mais une poignée d'auditeurs de Jésus et de disciples, irrités de cette dénaturation, tenteront de rassembler leurs souvenirs et de mettre en mémoire ou par écrit, ce dont ils parviennent à se souvenir des paroles authentiques de Jésus. C'est la fameuse Source (des paroles de Jésus) constituée certainement en réaction contre la proclamation du Kérygme et les épîtres de l'apôtre Paul.

A suivre

Roger Parmentier

(1) Le livre « L’invention du christianisme » est paru en 2011 chez l ’Harmattan. (retour)
(2) Pasteur protestant français. Licencié en théologie, travaille à l'Université de Créteil et est professeur à l'ENAP (sciences sociales). Militant syndical et politique. Animateur biblique et fondateur de la méthode des actualisations de la Bible et des transpositions culturelles. Membre actif de l'Association Catholique Française des Etudes Bibliques (ACFEB), d'Evangile et Liberté, de Parténia (J. Gaillot) Père de sept enfants. Retiré dans les Pyrénées ariègeoises et décédé en octobre 2012. (retour)
Published by Libre pensée chrétienne