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1 avril 2014 2 01 /04 /avril /2014 15:35
Philippe Ronsse Préparer son départ.
Philippe Ronsse
LPC n° 25 / 2014

Quand on parle de "départ", on pense tout de suite à la "destination"… Où en suis-je de ce point de vue ?

Ma culture chrétienne m'a fait vivre dans l'espérance d'une vie éternelle. Nous sommes nombreux dans ce cas. C'est un contexte tout compte fait pas très différent de celui de la réincarnation, envisagée notamment par les bouddhistes. L'humanité est assez homogène face à la question de la vie après la mort… Aujourd'hui pourtant, je connais des choses que jamais le Christ en son temps ne pouvait connaitre. L'évolution à partir de l'inerte, voire à partir des particules subatomiques nées il y a quelque 13,7 milliards d'années et dont nous sommes tous constitués, me suggère que le mystère de notre causalité et de notre destination sur terre soit abordé autrement que par l'unique biais de mes croyances ancestrales… Pour ma part donc, le merveilleux ne peut plus se substituer à l'évidence des faits observés. Si la vie éternelle existe, je n'en sais rien, mais aujourd'hui je ne peux plus me résoudre à l'envisager sans aborder du même coup tout ce que l'histoire et la science nous apprennent des réalités observables. Ainsi, par exemple, à partir de quand, dans l'arbre de la vie, la promesse d'une vie éternelle pourrait-elle s'envisager ? L'homme de Neandertal y avait-t-il droit… et l'Homo Erectus… et plus loin encore, Lucy… Toumaï… le premier des mammifères… l'amibe ?

Cela étant, il y a cependant chez moi, chez nous tous, un désir irrépressible de ne pas mourir, de me prolonger quelque part. C'est un désir si absolu qu'il rend certains hommes capables de mourir pour une cause, voire pour sauver un inconnu de la noyade ou d'autres périls, ce qui est un comble quand on sait le prix que nous attachons à notre propre vie. Que l'homme croie à une vie future ou non ne change rien à l'affaire. La grand-mère d'Anny, athée convaincue, n'a-t-elle pas été jusqu'à dire sur son lit de mort qu'elle offrait sa souffrance pour le bonheur du jeune couple qui se formait devant elle ? Ainsi la vie dont je suis dépositaire porte-elle en elle une sorte de message qui est de ne pas disparaître et de se répandre partout où c'est possible! Même l'évidence qu'un jour le Soleil absorbera la Terre n'éteindra pas l'immanence de ce message celé en nous.

Dans ce contexte, je ne suis pourtant pas fataliste. J'aime la vie et les relations qu'elle engendre. J'aime découvrir ses ressources. J'aime surtout éprouver que je suis aimé et important ! J'aime emprunter le chemin le moins fréquenté (1) avec celle que j'aime. J'aime jusqu'à savoir que tout ceci aura une fin car j'aurai tenté auparavant d'y mettre mon grain de sel. J'aime en effet me savoir fil dans la trame… sel dans la mer… simple particule dans la gigantesque molécule du cosmos… mais particule indispensable du simple fait qu'elle existe, sans pour autant être redevable du moindre résultat. J'aime cette complexité du monde, que j'essaie de comprendre sans naturellement y parvenir ; elle m'émerveille, me fascine et ne me lasse jamais. J'aime enfin faire partie de la communauté des hommes pas toujours de bonne volonté mais dont les tentatives pour s'entendre se renouvellent sans cesse, jusqu'à vouloir faire l'Europe aujourd'hui, cette gageure. J'aime vivre avec ces prophètes, ces précurseurs, ces visionnaires insoumis et souvent incompris, voire rejetés. Je cite Jésus évidemment, mais aussi les Évely, Légaut, Küng, Drewermann, Kamp et tant d'autres… J'aime enfin vivre avec tous ces apôtres de la science, de Pythagore à de Duve, qui ont tous contribué à lever, pour moi, un coin du voile sous lequel se cache l'infini.

En vérité, un rêve m'habite. Un rêve dont l'intensité est certes épisodique mais qui me revient sans cesse comme une prière, avec ses fulgurances mais aussi ses moments de sécheresse. C'est un rêve qui ressemble à une spiritualité. C'est la mienne. On peut aussi l'appeler espérance. C'est la même chose. Elle ne se rattache à rien d'autre qu'à ma vie d'homme, à l'accumulation d'une foule de rencontres, partages, lectures et réflexions. Je n'ai jamais rien voulu, ni ai tenté d'obtenir un résultat. C'est arrivé tout seul. Mais pas sans rien faire ! Je veux juste dire que je n'ai rien programmé. Un beau matin, j'ai constaté que mon espérance était là, discrète, à portée de main et que, par-delà mes révoltes vis-à-vis de l'enseignement séculaire de ma communauté chrétienne, elle me donnait une nouvelle raison de vivre et ranimait ma flamme presqu'éteinte.

C'est un long développement pour en arriver à parler de la préparation de mon départ… Il m'était nécessaire. J'ai besoin de savoir ce qui m'anime avant d'aborder l'ultime question. C'est trop grave. En outre, je ne pourrais être entièrement compris si je ne plantais pas le décor. Car je souhaite évidemment que mon départ soit empreint de ce que je viens d'écrire, tant pour moi, qui souhaite si possible être conscient à cet instant, que pour mes proches, famille et amis. Car Dieu sait si tous ceux-là sont importants pour moi ! J'ai besoin qu'ils me connaissent, qu'ils sachent qu'en dépit de tous mes manquements, de mes colères, de mon indifférence et de mes lâchetés, il y a devant eux une personne qui veut vivre debout, campée devant son rêve pour elle-même et fidèle à l'espérance qui l'anime. Si me prolonger signifiera quelque chose à ce moment-là, ce sera bien de laisser l'image d'un homme incarnant toutes les contradictions de l'humain, de l'aspiration la plus haute à la médiocrité la plus commune. Cette cohabitation assumée est précisément celle que je souhaite vivre jusqu'au bout car c'est elle seule qui me rend frère de tous, elle seule qui m'empêchera de sublimer la réalité.

Avoir eu l'occasion de l'exprimer ici constitue évidemment une préparation tout à fait opportune. Mais, en dehors de cela, il y a aussi d'autres aspects, moins philosophiques, plus pratiques, plus matériels, déjà réglés ou en passe de l'être. Cela va de la transmission à nos enfants de biens dont tôt ou tard nous n'aurons plus l'usage jusqu'à des dispositions à prendre quant à nos derniers instants. Ainsi, Anny et moi avons par exemple signé un "testament de vie", contresigné par deux témoins, qui explicite les conditions dans lesquelles nous souhaitons qu'on nous laisse mourir un jour. Il ne s'agit pas encore d'euthanasie mais du renoncement à être soigné et à être nourri au stade ultime.

Car l'euthanasie revêt un autre problème, face auquel je ne me sens pas encore prêt. Fondamentalement, je crois que, l'époque nous ayant donné la possibilité d'enfanter quand nous le souhaitions, il devrait en être de même pour notre choix personnel de mettre fin à nos jours. Ayant reçu la conscience en "dépôt", c'est effectivement aussi pour en user à l'instant ultime, si c'est possible, et non pour laisser le champ libre au hasard, voire pour nous faire injecter un produit létal en catimini. Donc, j'y suis a priori favorable mais j'en subordonne l'exécution à la possibilité de vivre cet instant en relation avec mes proches (les suicidés meurent seuls !). Or, cela, je ne suis pas encore en mesure de le leur demander. Sur ce plan, je crois que Christian de Duve (2) avait bien fait les choses et je crois que, le moment venu, je pourrais m'en inspirer. Néanmoins, ma préférence va toujours, aujourd'hui, à une fin de vie amenée en douceur et surtout, grâce ultime, dans l'intimité du cercle de ceux que j'aime.

Philippe Ronsse

(1) Le chemin le moins fréquenté – Scott Peck – Robert Laffont (2008) (retour)
(2) Christian de Duve, 1917-2013, Prix Nobel de médecine 1974. (retour)

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