Nous avons peut-être répété que "le 21e siècle sera religieux ou ne sera pas" en pensant que c’était ce qu’André Malraux avait dit. Et puis, grâce à l’émission "Noms de Dieu" d’Edmond Blattchen, qui s’ouvre chaque mois avec la citation exacte, nous savons qu’il s’agit de: "Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connue l’humanité, va être d’y réintroduire les dieux" La tentation est grande de penser qu’il s’agit de ce qu’on appelle "le retour du religieux". Et certains catholiques se félicitent chaque fois qu’ils voient des rassemblements comme les Journées Mondiales de la Jeunesse catholique, en pensant que la religion revient. Mais les dieux dont parle André Malraux ne sont pas ceux des kamikazes d’Al Quaida qui leur promettent d’aller directement au ciel après s’être fait sauter en tuant des civils innocents. Les dieux dont parle André Malraux ne sont pas non plus ceux des sectes qui donnent naissance à des gourous qui savent tout sur eux et qui vous invitent à ne pas réfléchir car ils font cela pour vous. Ce ne sont pas non plus ceux du folklore, qui vous inspireraient par exemple d’aller vénérer les reliques des rois mages dans la cathédrale de Cologne! Ni ceux de la parapsychologie qui vous feraient croire à leur intervention surnaturelle dans des guérisons miraculeuses (à Lourdes, Fatima ou ailleurs) beaucoup moins nombreuses que les décès provoqués par les rassemblement dans ces lieux de pèlerinage. Nous ne mettons évidemment pas dans le même sac les dieux des sectes ou des kamikazes et ceux des reliques de Cologne ou des lieux d’apparitions. Mais il est vrai que tous ces dieux-là sont précisément ceux qui conduisent aux catastrophes de la Palestine, d’Israël, de l’Irak, de l’Afghanistan, de Syrie, etc… L’interconvictionnel.C’est peut-être le nouveau nom de l’oecuménisme. Nous savons bien qu’au sens strict, l’œcuménisme est une affaire entre chrétiens. Mais c’est aussi une des conséquences de la mondialisation que cet œcuménisme au sens strict est largement dépassé et -notons-le- sans avoir été réalisé. Après le niveau des "Fils d’Abraham" qui vise la communion entre Juifs, Chrétiens et Musulmans, il y a le niveau de toutes les religions, qui fait parler d’interreligieux. Et depuis que nous nous rendons compte qu’il y a aussi des spiritualités non-religieuses, nous parlons d’interconvictionnel. Les contacts interconvictionnels sont intéressants à plusieurs points de vue et le désir d’opter pour une charte commune qui exprime les valeurs auxquelles nous croyons tous en est le signe le plus visible. Parmi ces valeurs, la tolérance et la bienveillance permettent précisément d’approfondir la réflexion sur des sujets qui divisent. Et la méthode écrite favorise encore le climat de dialogue serein car les débats oraux –on le voit bien sur nos plateaux de télévision– prètent souvent aux émotions et à l’emballement. Religion, spiritualité, magie.Le sujet que nous avons l’intention de traiter est certainement un de ces sujets qui peuvent "fâcher" au début mais qui sont incontournables dans notre société occidentale contemporaine. En effet, certains vouent tellement de respect et de vénération à des réalités ressenties comme sacrées ou surnaturelles, que le seul fait de proposer une réflexion à leur sujet est déjà ressenti comme une désacralisation ou une provocation. Qu’on se rappelle les relations entre les catholiques et la libre pensée au siècle dernier. Or, ceux qui proposent la réflexion à leur sujet, le font au nom de la vérité et de la rigueur intellectuelle qu’ils considèrent eux, comme sacrées, même s’ils n’utilisent pas nécessairement cet adjectif pour le dire. Ce n’est pas manquer de modestie, que de constater que nous, "Libre Pensée Chrétienne", nous sommes bien placés pour communiquer notre expérience et notre réflexion au sujet de cette évolution, de cette maturation qui part d’une conception un peu enfantine, un peu magique de la religion et qui découvre, dans l’Evangile même les clefs d’une purification vers la spiritualité. En relisant le Premier Testament dans cette optique, nous constatons que les clés d’interprétation y étaient déjà présentes. Qu’il nous suffise d’évoquer deux passages éloquents. - Dans le premier Testament : "Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’en veux plus… L’encens, j’en ai horreur… Apprenez à faire le bien, recherchez le droit…" (Isaïe I,11…) "C’est l’amour que je veux, non les sacrifices, la connaissance de Dieu, non les holocaustes". Nous n’avions jamais remarqué qu’il est tout aussi absurde de payer 5 euros pour "avoir l’intention de la messe", alors que toutes les intentions – disons plutôt les dimensions de notre communion spirituelle- sont exprimées dans la prière eucharistique. C’était une pensée louable de David :"…le roi David dit au prophète Nathân : j’habite une le prophète Nathân pour aller dire à David :"Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour ma résidence ? Je n’ai jamais habité de maison depuis le jour où…" (Sam. VII, 5-6) Et quand, des années plus tard, Salomon aura achevé, avec tous les efforts qu’on imagine, la construction du Temple, il dira cette chose extraordinaire dans sa prière : "Mais Dieu habiterait-il vraiment avec les hommes sur la terre ? Voici que les cieux et les cieux des cieux ne le peuvent contenir, moins encore cette maison que j’ai construite !" (I Rois VIII,27) - L’Evangile va approfondir ces perspectives :"Je ne suis pas venu abolir mais accomplir" ( Mt V, 17) Nous n’avons que l’embarras du choix pour illustrer cela mais nous choisissons deux passages qui correspondent assez bien aux deux passages du Premier Testament cités ci-avant. - Le premier illustre bien l’erreur d’optique qu’on rencontre fréquemment en matière de culte et de liturgie. Il suffit que quelque chose fasse partie du programme liturgique officiel pour qu’on lui attribue une valeur sacrée. C’est inconscient; c’est la force de l’habitude. Si je suis dans une grande cathédrale, lors d’un office auquel participent un cardinal et d’autres évêques, vêtus d’ornements somptueux, dans un cadre et avec un équipement tout aussi somptueux (calices et ciboires, missel et lectionnaires, chandeliers et encensoir,…), j’ai davantage l’impression de vivre quelque chose de sacré que si je vais aider mon voisin dont la cave est inondée. Or, Jésus nous dit :"Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat" (Marc II, 27) "Quand tu vas présenter ton offrande à l’autel et que là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère". (Mt V,23-24) Ce qui est sacré, c’est l’être humain créé à l’image de Dieu. Le sacré n’est pas dans les objets mais dans l’esprit et le cœur de l’homme. Nous y reviendrons. - Le second passage fait également allusion au Temple. Dans la conception traditionnelle, ma religion est sacrée, c’est la vraie ; mon Eglise est sacrée et son pape aussi. Elle a été voulue par Dieu ; les catholiques disent "instituée par Jésus Christ" Il n’est pas question de reconnaître aux autres la même valeur. L’autorité romaine refuse même l’intercommunion! (célébration eucharistique commune avec d’autres chrétiens que catholiques) Jésus dit à la Samaritaine : "Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père… Dieu est Esprit et c’est pourquoi ceux qui l’adorent doivent adorer en esprit et en vérité" ( Jn IV, 21, 24) BénédictionsLa caractéristique de ce que nous appelons une religion magique, c’est qu’elle situe le sacré dans les choses matérielles (objets, gestes, paroles, etc…) Un bel exemple nous en est donné dans les différentes bénédictions d’objets. Une dame, revenant de Lourdes, avait acheté un certain nombre de médailles qu’elle voulait donner à ses amis et amies. Elle me demande d’en bénir la moitié, qu’elle tenait dans sa main droite en me disant quelle avait déjà eu l’occasion de faire bénir à Lourdes l’autre moitié, qu’elle tenait dans sa main gauche. Le fait est réel, vécu. Vous pouvez imaginer mon envie de les mélanger ! Les personnes d’un certain âge se rappellent les missions paroissiales, prêchées par des religieux, où, un jour donné, les gens étaient invités à apporter les crucifix, statues, chapelets et autres objets pour les faire bénir. On peut mesurer toute l’ampleur de la question en réfléchissant au sens que pouvait avoir ce geste : faire un signe de croix sur un crucifix. Et on se souvient également de l’embarras qu’on avait quand une statue ou un crucifix étaient dépareillés et qu’on n’osait pas -pensant qu’on ne pouvait pas- le jeter à la poubelle. Un autre fait vécu : après le baptême d’un bébé, qui portait au cou une jolie chaînette avec une médaille représentant Jésus ou Marie, la maman me demande de bénir cette médaille. Elle n’avait pas perçu que, dans cette célébration, la médaille avait été amplement bénie et rebénie avec l’enfant. Nous trouvons un bel exemple de l’évolution vers une conception spirituelle de ces bénédictions dans la différence entre les anciennes formules, ou on demande à Dieu de bénir l’objet (rameaux, cendres, cierges, etc…) et les nouvelles formules, où on demande le bien spirituel de ceux qui utilisent l’objet. Voici, par exemple les deux formules, telles qu’elles sont proposées pour la bénédiction des Rameaux dans le "Missel dominical de l’assemblée" (Ed.Brépols/Paris1972) : "Dieu tout-puissant, daigne bénir ces rameaux que nous portons pour fêter le Christ notre Roi ; accorde-nous d’entrer avec lui dans la Jérusalem éternelle. Lui qui…" ou bien "Augmente la foi de ceux qui espèrent en toi, Seigneur, exauce la prière de ceux qui te supplient ; nous tenons à la main ces rameaux pour acclamer le triomphe du Christ. Pour que nous portions en lui des fruits qui te rendent gloire, donne-nous de vivre comme lui en faisant le bien. Lui qui…" EucharistieLe sujet devient plus délicat lorsqu’on y réfléchit à propos de l’Eucharistie. La difficulté provient de tout une tradition de la "présence réelle" qui insinue - ou qui affirme - qu’il s’agit d’autre chose que d’une présence symbolique de Jésus dans le Pain de Vie. Or, les théologiens reconnaissent aujourd’hui qu’il ne faut pas opposer symbolique et réel. "Jésus est réellement présent dans le symbole du pain" dit Ignace Berten dans son cours sur l’eucharistie au CEFOC. On découvre le caractère magique de la conception traditionnelle dans toute la littérature pieuse autour du St. Sacrement. Il n’est pas étonnant qu’on en soit arrivé dans certains cas extrêmes aux phénomènes paranormaux de "miracles d’hosties qui saignent". On le découvre aussi dans la réaction de certaines personnes à l’affirmation que ce n’est pas sur l’autel que ça se passe mais bien dans notre cœur et notre esprit. Qu’on se rappelle l’attention scrupuleuse avec laquelle les prêtres prononçaient les paroles latines "Hoc est enim corpus meum" en essayant de ne rater aucune syllabe ! C’est toujours le même processus qui amène à dire dans le domaine de la foi ou de l’amour des choses exagérées qui ne sont pas réelles objectivement. Celui que j’aime dit la vérité. Or, il a dit : "ceci est mon corps" ; donc ce pain est vraiment son corps. Il ne faut pas essayer de comprendre comment mais s’il l’a dit il faut croire que c’est ainsi. Et, à partir de là, on parle de transsubstanciation, de présence réelle, etc… Tout cela ne serait pas grave si cette conception n’entraînait pas les conséquences que l’on sait : que les Protestants n’ont pas ce pouvoir sacerdotale (magique) que les prêtres catholiques ont, de réaliser la transsubstanciation et qu’ils n’ont donc pas la présence réelle de Jésus dans leurs cènes ni dans leurs temples, etc… que la présence de Jésus dans sa Parole et dans son peuple assemblé n’est pas vraiment réelle et qu’il faut attendre la consécration pour qu’il soit vraiment présent… que la pénurie actuelle de prêtres ne permet plus aux chrétiens d’avoir de vraies célébrations dans certains cas, mais des succédanés (ADAP). La rigueur intellectuelle nous invite aujourd’hui à nous reporter en pensée à la dernière Cène pendant laquelle Jésus a dit à ses Apôtres : "Ceci est mon corps" Notre bon sens nous dit que Jésus, tenant en main le pain en disant "ceci est mon corps", voyait bien la différence entre lui-même, assis sur sa chaise - même si c’était couché sur un divan - et le pain qu’il tenait en main ! Et qu’il n’a pu vouloir dire que "Ce pain est le symbole de mon corps, le signe de mon corps ; ceci représente mon corps" Il est caractéristique de la conception que nous appelons magique de ne pas se satisfaire de notre bon sens et d’exiger des modalités "surnaturelles" ou "mystérieuses" de cette présence. Finalement, le vrai problème se trouve dans notre conception de Dieu. Pour que notre foi en Dieu soit authentique, on a pensé qu’il devait être un Dieu qui fait des miracles, qui intervient de temps en temps dans sa création. Et, dans le prolongement de cette conception, Dieu prouve son existence ou sa toute-puissance en intervenant de temps en temps par des miracles. Au stade enfantin, cela semblait une apologétique impeccable, d’autant plus qu’on la trouve à de nombreux endroits dans la Bible. Mais dès qu’on réfléchit un peu, on se demande quel sens peut avoir cette représentation d’un Dieu qui se situe quelque part comme spectateur au balcon, observant le monde de l’extérieur et intervenant de temps en temps, ce qui voudrait dire qu’aux autres moments il n’interviendrait pas !? Dans les millions de guérisons qui surviennent dans le monde et dont nous percevons les causes, par exemple dans la médecine, Dieu n’interviendrait pas mais, dans les quelques-unes que nous ne savons expliquer, là ce serait l’œuvre de Dieu !? Dans une religion spirituelle, Dieu est Esprit et Amour, et sa présence ne dépend pas de notre capacité d’expliquer ou non une guérison ou un événement. L’enthousiasme des minoritésLes magiciens attirent le monde, les concerts rock et les rave-party aussi. La spiritualité s’approfondit et se partage dans le recueillement et dans la discrétion. Les premières générations chrétiennes n’ont pas connu les grands rassemblements ni les grandes églises et il n’est pas certain que la persécution en soit le seul motif. La remise en question et l’exigence d’authenticité n’attirent pas les foules. Nous ne devons pas vouloir rivaliser avec les évangélistes américains ou brésiliens qui remplissent des stades, ni avec des groupes dont la foi ignore tout sens critique. La foi que nous devons renforcer et dont nous devons témoigner est l’enthousiasme profond des minorités agissantes et conscientes. Les "signes du Royaume" la soutiennent : chaque fois que quelqu’un, qui se demandait s’il n’allait pas quitter ce christianisme dogmatique dépassé, nous manifeste sa joie de ressentir comme une libération la découverte de ce chemin d’enthousiasme discret qu’est "Libre Pensée Chrétienne" Sachez-le et dites-le ! |